Asphalte blues page 8

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Chapitre 2

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Margot.

En souvenir d'Anne Bodiou.

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Porte d'Orléans bleue-grise.

Un soleil de sang dense derrière la géométrie du pont des arts irradiant la somnolence du Vert-galant

Ronronnement d'une péniche de feux et d'eau.

Demain, destination Poitiers.

Demain, il fera de nouveau jour dans l'aurore précaire.

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                 L'esprit enfumé de sommeil, je frissonne sous un treillis militaire peinturluré d'une phrase récupérée approximativement chez Saint Ex: " On ne peut tuer un être humain car l'on ne sait toutes les images qu'il a dans ses yeux. "

                Les voitures s'effilochent déjà sur l'asphalte autoroutier. Je suis pris en stop avec un Anglais connu à Amsterdam. Alors que je faisais la manche à la gare centrale, m'avait tendu un Gulden, me traitant de "Facking bump ! "

 - Wat est devenir ton amie Puce ?

 - Le vent des décharges publiques l'a volée à mon regard.

               La route file la laine jaune des bandes de dépassement. Méditation sur des kilomètres précédents, précédés. Nos conducteurs sont deux jeunes fossoyeurs de la nature, promoteurs de leur état. Discussion écologique au creux d'un routier enfumé. Des steaks frites morts de neutralité, nous regardent de leurs yeux devenus indifférents de par une souffrance inexpliquée. Nous sommes déposés à la sortie d'Orléans, ville des rois maintenant détrônés par une fourmilière de militaires stupides. Dans la nuit, découverte aux confins d'une Z.U.P. d'un îlot moyenâgeux préservé. - Superposition de deux dimensions temporelles ! - Nous pénétrons au cœur d'une petite place féerique pas plus grande qu'un mouchoir, la place de gros pavés rugueux sent bon le bois brûlé. Attablés à la terrasse d'un café contenant, à grande peine deux tables de bois respirant des siècles de persévérance têtue. Nous dégustons une immense omelette au lard en buvant un carafon de vin fait par le patron au sourire d'apaisement.

                 La panse en vol plané, repus, nous roulons des cigarettes et puis à même la terre d'une prairie grasse nous nous enroulons dans nos duvets, fixant les étoiles.

 

- Cristal fluide -

L’esprit en harmonie,

L’harmonica fredonne

- Joie de la paix –

 

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                La terre est lourde du froid nocturne inachevé. Nos duvets en bandoulière, nous cheminons de par les route d'en France, pas de voitures... Au bout de quelques heures, l'anglais, l'espoir envolé, déserte. Il retourne vers Paris ou une amie doit l'attendre quelque part au coin de la chapelle où de Barbes. La solitude m'encercle d'un ruban bétonneux. Je finis par débarquer à Tours vers le soir tombant.

               Tombante aussi une tristesse lourde en vagues étouffantes. Pas de foyer, ni d'âme sœur en se monde désertique. Angoisse submergente sous ce soleil couchant qui, indéfiniment, fond sous d'immenses avenues. Je fais la manche pour me payer le train jusqu'à Poitiers. Course contre la montre d'avec la nuit inexorablement venante. L'angoisse et la pénombre s'épaississent. Course dans un couloir qui se rétrécit. Pouvoir passer avant que les murs ne se rejoignent et certitude de l'impossibilité !

               Le train file vers la ville promise, découpant une noirceur de poix menaçante. En face de mon ombre dévorée par l'obscurité, île au milieu de l'océan sans nom. Dans le reflet de la vitre embuée, une jeune fille au visage de lune sibérienne, dans le reflet de la vitre enfumée, un phare à ma solitude. Ses yeux d’eau !...  Je rive mon regard à cette bouée jetée par les Dieux dans le vide que bientôt, les vents contraires éloignent et étouffent au creux d’une gare fantomatique. Le train fou, fuit, fuit…

              Au buffet de la gare de Poitiers, évidemment Pierre n’est pas là, ne fut jamais là, n’y sera jamais. Dans la nuit froide je ne sais où aller, marchant à l’aveuglette dans une cité bourgeoise endormie d’hostilité jalouse. Une camionnette d’Emmaüs passe en ferraillant, je la hèle de mes bras, un type à cheveux longs. Enfin une terre connue, une terre d’asile !

 -Hé ! Frère, dis-moi, tu ne pourrais pas m’héberger pour cette nuit ?

-On n’est pas l’armée du salut, tire-toi, hé clodo !

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