-4-
L'oublie emporte...
Le visage de puce s'estompe derrière un pare-brise poussiéreux et les prophètes des désespérances sillonnent la terre en tous sens en un surplace glissant, alors qu'absolument partout il n'y a que poussière.
De nouveau, les télégraphes chantent : Bremen, Hambourg, Lübeck... Toujours ce rêve d'atteindre le bout du monde, la fin de toutes souffrances, et de l'eau distillée suinte dans nos cerveaux prisonniers de crânes concentrationnaires.
Le nord sec et vif, le nord pur, exempt d'illusion, m'appelle. Déjà alentour la nature se dénude. Le désert purificateur apparaît à l'horizon, les mouettes viennent nous le dire de leurs cris secs et pointus. Les voitures se succèdent, je n'en peux plus de leurs pilotes. Dans leurs voix, dans leurs regards ; la mort m’électrocute.
- PLACE, PLACE ! LAISSEZ PASSER LES MESSAGERS DE VIE ! -
Le monde de nos pères a laissé mourir les colombes porteuses de la flamme vitale. Non ! Jamais, jamais il ne fera jour puisque tout est rond.
Prisonniers d'un couloir mouvant, la seule issue n'est-ce point la fuite en avant ?
- Suicide d'une génération ! -
Haine envers l'esprit judéo-chrétien et ses sales progénitures bâtardes !
Haine envers leurs commissaires/curés, gardiens fanatiques.
-Laissez-nous crever en paix, EN PAIX ! VOUS ENTENDEZ !? -
Mais l'univers est sourd, aveugle et muet. Solitude dans un grouillement de vers s'entredévorant. - Océan englouti moi ! - envie de me fondre dans l'étoile de chaleur.
Presqu’île de Fehmarn. Le brouillard nous englobe, cachant la mer. Apparition du ferry. Nous embarquons... Le navire ivre glisse dans la brume des temps métalliques. Des équipages de mouettes en escorte. Blancheur éclatante enchâssée dans du plomb cotonneux. L'harmonica fredonne de vieilles romances de la terre russe. Ivresse/néant, glissade immobile dans l'océan d'oubli.
Copenhague de plomb verdi. Nous flânons au cœur de la ville à la recherche d'un gîte, à la recherche de la phosphorescence de l'herbe à chat.
Tivoli. Les machines à sous crépitent aux visages de petites vieilles obstinées sorties tout droit d'un dessin de Fezzan. Au hasard des vitrines je regarde - très loin - un homme marcher sur la lune. Agacement envers la futilité humaine, nous sommes fatigués et vieux de notre jeunesse. Le rêve dépassera toujours la réalité. Et les visions prophétiques tuent de solitude, vous rejetant vers une rade désertique.
Dans l'encoignure d'un porche, découverte de Fred le hollandais. Vendeur de verroterie indienne se cachant derrière d'immenses lunettes rondes, hibou hirsute. Devant lui trône une pancarte :
« VENDONS SHILOM GARNIS
LES CHATS, NOS MEILLEURS CLIENTS, EN SONT TRÈS SATISFAITS !
N’ALLEZ PLUS CHERCHER LE BONHEUR AILLEURS,
IL EST AU COIN DE LA RUE »
- Dis, tu ne connais pas un endroit où nous pourrions dormir ?
- Comment, ne dites pas que vous ne connaissez pas Christiania la libertaire, Christiania la folle où court le vent purificateur, où frissonnent par milliers - rouges/noirs - les étendards de la liberté retrouvée, oui, en vérité, RETROUVÉE ! Je suis Fred, votre serviteur. Amis, fumons le calumet divin.
Autour d'un shilom/brasero, nous faisons plus ample connaissance et puis le soir venu, Fred plie sa quincaillerie et nous nous mettons en route vers Christiania la promise. Christiania, arrondissement de Copenhague évacué par l'armée que des êtres des vents naissants prirent comme foyer.
Dilatation de l'espoir. - Il y a quelque chose de féerique au royaume du Danemark ! - Mes origines nordiques dansent de joie. Fred le fou des Dieux, de sa large main poilue, nous offre un trois-pièces encore plein de meubles bancals, de vieux jouets désarticulés.
Les soirs nous retrouvent un étage plus bas dans la tanière de Fred. Sorte d'Andersen surréaliste, il nous conte des histoires imprégnées de l'immobilité de l'âme nordique. Voyages clair-obscures chuchotées derrière des bouteilles de vin rouge circulant alentour en une ronde flamboyante. Dans un coin trône Karen la norvégienne, belle à en pleurer. Sa beauté de quinze ans m'effrite. Faisant pleuvoir sa guitare, elle prophétise de folles sagas/blues de notre génération.
- International des intemporels. -
Ses cheveux de chanvre entrelacé dansent, serpents vikings. Bonheur d'une communion mystique.
Des guirlandes de fleurs poussent aux fenêtres de Christiania. L'espoir germe au creux du désespoir, au creux de la ville comme le diamant dans la glaise comme la plante sur un tas de fumier !
Page 1 page 2 Page 3 Page-4 Page-5 Page-6 Page-7 Page-8 Page-9 Page-10 Page-11 Page-12 Page-13 Page 14 Page 15 Page 16