Asphalte blues page 12

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  Au matin, plein d'une fatigue rêveuse, je m'engouffre dans le premier café venu. Immense bol de café au lait fumant et aux croissants maternels. Mon âme chat, en boule auprès de la salamandre, renaît au jour gris/levant. Je suis pris en stop dans une 404 break au conducteur arabe. Son silence me  le fait paraître tel un prince des sables mouvants. Le paysage muet vogue alentour de la voiture en une majestueuse fête de la nature que des corbeaux noirs/beaux survolent en un vol glissant et solitaire. Apothéose d'une harmonie primitive que seul le silence peut exprimer.

 

              - J'ai couru tout le long de la route à travers le flux des années. Les mots, clichés impressionnistes, s'accumulaient dans ma tête en un feu d'artifice fracturant.

              Hier, demain lundi 17 janvier 1977, Anaïs Nin est morte dans un hôpital/miroir oublieux de Los Angeles...

Une femme fleur s'est éteinte,

Une femme orchidée.

             Je l'ai appris comme je lisais " La maison de l'inceste." au café de la mosquée alors qu'un touriste allemand me demandait du feu et Anaïs a dit:

             "Nous allons sur la lune. Ce n'est pas très loin. L'homme peut aller tellement plus loin en lui-même ?"

             Et une femme arbre m'appelle et m'englue derrière ces quelque six ans d'oubli. Margot m'aimante.

Écrire le présent entrelacé d'avec ce qui fut !

ÉTINCELLE !  ÉTINCELLE !

 

              Sur les routes verglacées d'aurore hivernales Poitiers se précipite fracturant la lumière.

              Poitiers, la Z.U.P. dixième étage.  Je sonne, Margot ouvre la porte. Surprise totale.

 - Margot !  Je t'ai cherchée à travers toute la ville.

 - ...Je... ne pensai pas que tu reviendrais... un jour.

              Est-ce une expression de désarroi mêlé d'ennui qui passe dans ses yeux fugueurs ?

- J'ai été expulsée de ma chambre, tu vois... maintenant j'habite ici...

              Le robinet de sa guitare ouvert à fond, Jean-Michel plane. Maurice qui a aussi élu domicile ici, rode dans la cuisine de ses yeux fouineurs/fuyant. Un goût de glaise se matérialise dans ma bouche. Rien n'a bougé mais... Qu'est-ce ? L'air semble avoir mué.

 - Tu sais Maxime... Maurice m'a prise... enfin... il a été tellement pressant... A présent, il me dégoûte... Maxime, je ne croyais pas en ton retour possible...

             Son regard de rosée, son regard de brûlée vive ! Maurice se retrouve dehors.

             Nuit où la mer se déchire, Margot m'avoue qu'elle ne sait si elle "m'aime".

 - Magot, si l'on partait faire un voyage, en amis... peut-être... pourrions-nous, nous retrouver...

             Son corps si près, attirant d'odeurs magnétiques, Tellement prés et à des milliards d'années d'oubli. Lumière inaccessible. Silence d'attente en bras tendus.

 - Retrouver quoi ?

 - ... Nous retrouver.

                 Silence aux doigts recroquevillés.

 - ... D'accord Maxime.

 - Demain ?

 - Demain.

              L'air s’élargit imperceptiblement d'espoir. Ne pouvant dormir auprès de ce corps intouchable, je m'en vais éterniser ma nuit dans les avenues fantomatiques de la Z.U.P.

 

              Matin givrant, sous le regard amical et moqueur de Christian, sacs au dos, nous nous acheminons vers une route où peut-être pourrons-nous héler une voiture qui nous mènera, à nouveau, l'un vers l'autre. La tristesse silencieuse nous englue dans un vide nous séparant. Deux aimants négatifs se repoussant, nous superficialisons cette mort vivante par des bavardages gais et vides, tout se dit dans les regards. Oh !  Je ne veux plus de ce feu qui me dévore et que je ne peux maîtriser. Esthétisme de l'équilibriste. L'asphalte se traîne...

              Au soir rougeoyant, nous nous retrouvons dans la banlieue nord de tours. Supermarchés géants, hamburger sous cellophane, espace en creux comme déformé par un objectif grand angle où virevoltent, paresseux, des papiers définitivement gras. Un manège dort sous une bâche verdâtre que l'obscurité venante peint, peu à peu, de pénombre. Sous des chevaux de bois, cachés par la bâche, nous, nous enroulons dans nos duvets. Margot à portée de souffle et à des milles de moi. Ses yeux de lave assoiffés me fracturent de leur attirance.

  - Viens... viens Maxime, j'ai froid...

              Éclatement d'une nova intemporelle, brisure du mur de la lumière aux creux de la chair.

              Lumière qui grandit engoncée dans nos solitudes, lumière qui approche indéfiniment.

Oh ! Mort !  Ne me quitte pas !

Solitude...

                     Solitude !

 

- Maxime, j'étais si seule...