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La mère de Margot, nous offre le restaurant. Elle me scrute. Sans doute, se demande-t-elle comment sa fille a pu choisir cette sorte de clochard de la nuit occidentale ? Mes yeux fuient son regard franc, interrogateur. Sous la table, la main de Margot étreint la mienne à travers une chute nous coupant la respiration.
Elle est partie. Traînant mon barda par-delà les rues blafardes, j’essaye de tuer les heures me séparant du train, construisant un mur de paille contre l'évidence d'un "jamais plus" et je sais que si je prends ce train, je ne résisterai pas, que je me précipiterai par la portière sur le ballast filant d'entre le martèlement des roues.
Et, je sais que cette nuit sera ma dernière si je ne trouve un peu de chaleur. En un dernier sursaut de lucidité, j'entrevoie Marie-Thérèse et Manuel. Tanguant à travers les rues fracassées, me raccrochant aux murs mouvants, je débarque chez eux. La douceur de Marie-Thérèse m'irrigue, Manuel me restructure... Je reprends vie.
Manuel nous emmène dans un cabaret où nous, nous enivrons doucement de vin blanc. Plus tard, dans la tiédeur anesthésiante de la voix de Karen Dalton chavirant des country-blues je m'immerge dans le néant.
Un bruit de sanglot m'éveille, Marie-Thérèse, seule sur son immense lit en pente, pleure doucement.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
- Manuel est parti de nouveau complètement saoul... J'ai peur qu'ils ne me le tuent !
J'essaye de la consoler comme je peux, je la berce de parole douce et rassurante. Envie de caresser sa tête de porcelaine aux cheveux de jais. Nous finissons par nous endormir, moi par terre, sous la table, elle, petite fille solitaire sur son lit océan.
Au matin, Manuel revient l'œil poché. Sans aucune explication, il s'effondre, enlaçant Marie-Thérèse et sombre dans un sommeil/océan d'ivrogne.
Je n'ai plus rien à faire ici. Sans bruit, je roule mon duvet, fait un petit signe d'adieu et m'extirpe dehors vers la gare à la recherche du premier train vers nulle part.