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Pierre, Fred, Jeanne, une suissesse aux cheveux roux flamboyants, son ami autrichien, jeune officier de la garde impériale, transphasé par une distorsion temporelle absurde dans le monde des souterrains, nous décidons de partir vers le désert du cercle polaire d'ici un ou deux mois. En attendant je parcours la ville à la recherche d'un travail hypothétique dans des aurores glacées alors que les bouteilles de lait rêvassent encore aux bas des perrons.
Un matin, comme je m'éveille j'entends à l'étage, une bousculade. Une bande de flics en civil perquisitionnent.
Je m'approche, faisant semblant de ne pas voir le signe discret que me fait Fred, comme pour m'enjoindre de décamper. Mouche attirée par la toile d'araignée, je me précipite dans les filets de la rafle.
Une femme en lame de couteau fond sur moi. -PAPIERS ! - Hurlement vrillant. Je sors mon passeport.
- Avez-vous de l'argent, un billet de retour ? - J'extirpe de ma poche quelques malheureuses Couronnes. Regard dédaigneux, et dégainant une matraque dans le plus pur style d'une super production gestapiste, elle la fait tournoyer au-dessus de ma tête.
- Allez, embarquez-moi "ça" !
Deux flics m'encadrent effrayant de courtoisies hypocrites, me poussent vers la rue.
Brisures dans nos migrations cosmiques. Des étoiles jaunes planent au-dessus de nos crânes épineux. Juifs et Palestiniens d'un siècle s'effritant de stupidité monolithe et brutale, nous sommes aspirés dans un panier à salade gluant d'espoirs bafoués.
- La 25° heure éternisée -
Karen: Pour elle la fête est terminée. Mineure en fugue, elle va être réexpédiée - colis express - chez ses parents, seigneurs et maître. Je lui jette un regard interrogateur. Elle me sourit.
- Dans quinze jours je serais de nouveau-là - Son sourire rebondit.
Toute la commune est présente. Pierre plus triste que jamais, Jeanne, son ami et puis tant d'autres... Fred, optimiste invétéré rassure.
- Ce n'est rien, ils nous relâcheront ce soir, nous n'avons rien à nous reprocher.
Résurgence d'une histoire où nous n'étions pas encore. Les cahots de la route nous précipitent pêle-mêle tel du bétail. Jeanne fredonne "Au village sans prétention..." le murmure de la chanson enfle jusqu'à n'être plus qu'un grondement vague.
Le commissariat vert pâle craquelé. Derrière le grillage de notre cellule nos regards dilatés ne veulent plus croire en la réalité. La journée passe, décline dans les yeux de gardiens avachis, des mégots au coin de leurs lèvres délavées. L'un d'eux nous apporte des couvertures. Entassés à même le béton, nous essayons de dormir. La guitare de Karen murmure la tristesse de l'inévitabilité.
Au petit matin, un inspecteur aux cheveux jaunes/gras. Ses yeux de poisson mort se perdent dans des paperasses, dans une tasse de café et, baillent. Je décline mon identité.
- Voulez-vous que l'on prévienne votre ambassade ?
A l'idée que ma mère puisse être avertie, je refuse. Il fait signe que l'on m'emmène. Dans la cellule, Fred essaye toujours de détendre l'atmosphère. Où va-t-il chercher cette énergie vitale ? Isolement dans le silence.
De nouveau un panier à salade, une grande bâtisse austère. Nous sommes photographiés ; Face, profile droit, gauche, un matricule à hauteur de la poitrine. On nous prend nos empreintes digitales. Retour vers le commissariat. Dans le courant de l'après-midi, on nous fait sortir en rang par deux, un gardien nous rive l'un à l'autre d'une paire de menottes - Froid du métal ! - Nous n'osons plus nous regarder. Embarqués dans un wagon cellulaire, entassés à deux dans des cabines exiguës. Course mortelle d'angoisse solitaire à travers une banlieue morne. L'œil rivé à un minuscule grillage, pour l'atteindre il faut se hisser sur la pointe des pieds, je respire l'air de la liberté perdue. Un immense mur gris, un portail,
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