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Chapitre 2
Flânerie dans un village où nous nous sommes donné rendez-vous. A trois kilomètres, la frontière. Un fast-Food ; Deux fillettes nous regardent de leur grands yeux doux/dingues. Sur le juke-box un vieux rock américain crépite. Les gamines se chuchotent des secrets tendres à l'oreille, des secrets drôles et pouffent. Puce les snobe et se pavane. Cette nuit nous passons la frontière en fraude. Pierre et Tony refusent, ils sont en règle. Ils nous attendront de l'autre côté. Des gamins du pays nous indiquent un chemin de traverse par lequel nous pourrons contourner le poste frontalier. La nuit, doucement, s'agrafe... Faisons à pied les quelques kilomètres nous séparant de "l'adieu vas." Puce et moi, très excités, chantons. Mikey trainaille derrière ; les deux autres, gênés sans doute de ne pas nous suivre, n'arrêtent pas de se justifier. Brusquement derrière un tournant jaillit la frontière !
Brillamment éclairée !
Lumières qui palpitent,
Frontière violente,
Frontière vivante !
À main droite le chemin que nous devons emprunter.
- Salut, à tout à l'heure ! - Et personne n'y croit. Puce essaye de me dissuader de la suivre, je hausse les épaules. - Tu ne comprends donc pas que tout est décidé depuis longtemps, inscrit dans nos corps depuis toujours, je n'y peux rien. Allez camarades on y va ?...
Au bout de quelques mètres, nos cœurs en chamade, nous bifurquons le long d'un canal. La lune brille très haut au-dessus de nous. Croassements de grenouilles. Crissement de nos pas dans l'éternité laiteuse. Un chien hurle au loin.
D'entre les arbres, de l'autre côté du canal, éclate une lumière. Une voix appelle quelqu'un quelque part. Nos cœurs en suspension nous plongeons dans les fourrés. Au bout d'un temps immense, le chien se tait. Dans la nuit nos yeux d'agate, guettent la pénombre lunaire, le chant translucide des grillons enrobe d'immobilité.
Nous nous relevons tels des équilibristes du silence, apparition d'une ferme fantomatique. Le temps de ramper indéfiniment à travers une cour... Un mur et derrière ce mur, des champs ! Des champs à l'infini...
Envie de hurler la nature, envie de nager l'or blanc de l'air en un ralenti fracturant.
- Ma sœur, viens danser la terre avec moi !
Au bord d'une route, nous nous écroulons de joie, de rire étouffé. Mikey mime un quadrille muet, les phares d'une voiture, le précipitent dans le fossé alors que des barbelés effrayés le mordent.
Sommes-nous en Allemagne ? Quelque peu calmés nous suivons une route, une pluie fine commence à tomber. Au bout d'une éternité nos pas nous ramènent à notre point de départ. Regards rageurs - Ce n'est pas possible ! - Dans les yeux de Puce deux larmes captives. Alors Mikey se redresse brandissant son poing, hurlant à la nuit.
- MORT AU SORT ! SUS A l'ALLEMAGNE !
Nous reprenons le cri vengeur, nous précipitant le long du canal sans plus nous soucier du vacarme que nous déchaînons. Les Dieux sont avec nous, au-dessus de nos têtes la foudre crépite. La pluie se transforme en ouragan. A demi aveuglés nous bifurquons sur un pont de bois branlant. Course folle dans des sentiers défoncés. A la sortie d'un hameau la grand ‘route s'éclate devant nous...
- SUSPENSION DES PERCEPTIONS. -
Au loin, derrières, brillent presque lointaines, les lumières du port frontalier. Envie de chanter. Au pas de l'oie, braillant tel des ivrognes nous nous dirigeons, complètement trempés, vers le campement de Pierre et de Tony. Nous sommes accueillis par des acclamations triomphales. Pierre va jusqu'à entrouvrir son porte-monnaie, nous offrant de nous restaurer quelque part.
Ah ! Très sainte Germanie, pays de cocagne. Nous ne croyons plus en notre bonheur. Au loin luit une auberge sûrement pleine de bonne nourriture, de douce bière.
Tard cette nuit, à l'abri d'un arrêt de bus, Puce et moi scrutons le silence entrecoupé du chuintement mouillés de rares voitures linéaires.
- Maximka !
- ...Oui,
- Maximka, j'ai froid. Le monde et vide... Les trapézistes n'échappent pas à la loi de la pesanteur, ils finissent par jaunir et par tomber eux aussi. J'ai peur... Nous sommes trop haut, l'automne est proche, l'été trop court. A force de lui courir après nous le brûlons.
Que dire, que lui dire ? Je la serre contre mon corps. Son visage mouillé sent la terre fraîche et le béton humide.
- Maximka, je ne veux pas que nous tombions ensemble. Pars sans moi... Les étoiles sont bonnes, un jour, ailleurs, nous nous retrouverons.
Je sens en moi, que la fin est proche. Elle plane au-dessus de nous, oiseau noir, oiseau funeste. Et je sais que jamais plus nous ne nous reverrons. Jamais plus il ne fera jour aux creux de notre communion. Nous nous agrippons l'une à l'autre.
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