2010/10 Ernest Hébert

 

Ernest Hébert (1817-1908) après une formation classique à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris où il remporte le Grand Prix de Rome de Peinture d'histoire, accède à la notoriété avec « La Malaria » présenté au Salon en 1850. Une belle carrière s'ouvrant à lui, il partage son temps entre la France et l'Italie, où il fut par deux fois directeur de l'Académie de France à Rome (1867-1873 et 1885-1890). Très vite il devient un portraitiste recherché de la haute société parisienne du second Empire et de la troisième République, dont il fréquentait les salons. Hébert sait dégager la poésie et l'âme secrète de ses modèles féminins. Mais c'est en Italie qu'il trouve ses sujets de prédilection en peignant des scènes paysannes empreintes d'un réalisme mélancolique. On lui doit le projet pour la mosaïque de l'abside du Panthéon inaugurée en 1884.

Article de Stéphane Guégan dans la Tribune de l'art

Site officiel

Biographie d'Hébert

Les années de formation

Né le 3 novembre 1817, Ernest Hébert appartient à la bourgeoisie grenobloise. Son père, Auguste Hébert, a repris l'étude notariale paternelle, mitoyenne du logement situé dans le centre de Grenoble. Sa mère, Amélie Durand est fille d'un aristocrate d'origine provençale, négociant-banquier. De leur mariage naissent trois enfants, Ernest, l'aîné, Valérie et Oscar qui se noiera dans un bassin du jardin de La Tronche. Bien que le couple se sépare en 1834, les deux parents s'appliquent à entourer au mieux Ernest. Son père, lui fait donner à la maison des cours de latin, grec, mnémotechnie et sténographie. Leçons de piano, violon, escrime, équitation et peinture - sa passion- viennent compléter son éducation.

À dix ans, Ernest entre dans l'atelier du peintre Benjamin Rolland (1777-1855), élève de David. Au moment où il doit partir faire ses études de droit à Paris, le professeur intervient auprès de son père pour qu'Ernest puisse s'inscrire parallèlement à l'École des Beaux-Arts.

 

À Paris, installé dans un petit appartement au 30, rue des Saint-Pères, Hébert profite d'un atelier situé au fond de la cour de la rue du Pot-de-Fer et d'une pension paternelle de 500 francs. Il intègre l'atelier du sculpteur David d'Angers (1788-1856), puis celui de Paul Delaroche (1797-1856). Reçu avocat le 22 février 1839, Hébert obtient la même année le Prix de Rome, qui lui ouvre les portes de la Villa Médicis, Académie de France à Rome, que dirige alors Ingres (1780-1867).

 

La vie à la Villa Médicis

La vie à la Villa Médicis, entre étude, musique et excursions

Débarqué dans le port de Civita Vecchia, Hébert rend visite à son cousin, le Consul de France, Henri Beyle, plus connu sous le nom de Stendhal, qui le recommande auprès de ses amis romains. Arrivé à la Villa Médicis en janvier 1840, il y séjourne les cinq années réglementaires « menant entre la musique et la peinture une vie d'une tranquillité antique », écrit-il à sa mère. Le soir, Dominique Papety lui apprend l'aquarelle, le jour il parcourt la campagne romaine y puisant ses sujets de prédilection. Parfois, il fait des excursions pendant quelques jours : à Naples, à l'automne 1842, où il copie les antiques au musée ; à Florence en 1843, pour étudier les chefs-d'œuvre de la Renaissance. À l'abbaye de San Salvi, il fait la rencontre de la princesse Mathilde et de son frère, le prince Napoléon. Il entretiendra avec la princesse, une profonde amitié jusqu'à la fin de sa vie.

La musique tient une place importante dans la vie d'Hébert, qui joue du violon depuis son plus jeune âge. Avec son ami Gounod, ils organisent, pendant leur séjour à la Villa Médicis, de nombreuses soirées musicales, dont certaines, plus intimes, leur permettent d'entendre Ingres jouer du violon dans un quatuor de Beethoven.

Après une fracture de la jambe qui l'immobilise à Florence, Hébert, obtient de Schnetz, successeur d'Ingres au directorat de la Villa Médicis, qu'il prolonge son séjour de deux années. De ce premier séjour dans la péninsule, Hébert restera profondément marqué au point d'en faire sa terre d'adoption, il y séjournera trente ans de sa vie, reculant à chaque fois la date de son retour en France.

 

La vie parisienne, Hébert, portraitiste mondain

Après un séjour forcé d'un an à Marseille, à la suite d'une nouvelle chute, Hébert rentre à Paris en mai 1848 et s'installe dans l'hôtel particulier de son père, 11, rue de Navarin, dans le quartier de la nouvelle Athènes (9e arrondissement). Il est alors accaparé par la peinture de la Mal'aria, tableau composé en Italie ; elle lui offre son premier grand succès au Salon de 1850. Lassé de la vie parisienne, il retourne en Italie en septembre 1853 avec deux amis paysagistes, Imer (1820-1881) et Castelnau (1827-1894), pour un voyage de quatre mois dans la campagne romaine et celle des Abruzzes. De ce voyage datent deux de ses meilleures œuvres, Les filles d'Alvito et Les Cervarolles. Les filles d'Alvito, ainsi que  Crescenza à la prison de San Germano, sont couronnées par une médaille de première classe (genre historique) à l'Exposition universelle de 1855.

Il s'ensuit une période de huit années à Paris, durant lesquelles il rejoint le cercle des artistes à la mode. Familier de la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, il fréquente ses salons (à l'hôtel de la rue de Courcelles et à Saint-Gratien, près d'Enghien), hauts lieux de la vie culturelle du Second Empire. Il y côtoie des artistes (Baudry, Giraud, Cabanel, Jalabert) et des écrivains (Taine, Renan, Flaubert, Les frères Goncourt, Sainte-Beuve, Dumas fils...). Les commandes officielles affluent, notamment de la famille impériale.

Le portrait, genre préféré de la bourgeoisie et de l'aristocratie, est parfaitement maîtrisé par Hébert qui sait révéler, avec élégance et subtilité, le statut social du modèle. Les nombreuses commandes exécutées lui donnent une grande liberté matérielle : « C'est pour moi que je travaille quand je fais des tableaux ; quand je fais des portraits, c'est différent » écrit-il à sa mère. Mondain, Hébert ne peint presque exclusivement que des femmes de la belle société parisienne. Le peintre les situe dans un cadre clos et feutré, devant des tentures saturées de couleur, ou en plein air. Il accorde le fond à la figure, modulant les couleurs à l'extrême, excluant le noir et le blanc, conférant ainsi aux tableaux une douce nostalgie.

Dès 1890, Hébert fait preuve d'audace technique en intégrant dans ses portraits des perles ou des brillants de pacotille. Au cours de l'année 1900, il réalise vingt-six portraits, avec une prédilection pour les familles princières d'Europe, surtout les Bonaparte. Il privilégie également le milieu artistique et celui de la Haute Banque. À la fois représentations du physique et de l'âme, ses portraits soulignent les caractères et leurs particularités.

  

L’Italie, terre d’adoption, d’inspiration et de création

Nommé directeur de la Villa Médicis en 1867, grâce à la princesse Mathilde et au comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, il repart en Italie avec grand bonheur. Au cours de ce premier directorat, Hébert s'investit dans une vie sociale intense, organisant réceptions mondaines, sorties collectives sur ses sites préférés et concerts, tous les dimanches soir. En 1872, il peint la Vierge de la Délivrance, présentée à l'Exposition universelle de 1889, et réinstallée dans l'église de la Tronche. En 1874, nommé membre de l'Institut, il regagne Paris, où il assumera plus tard la fonction de professeur aux Beaux-Arts.

Hébert s'installe au 55 du boulevard Rochechouart. Il fait la connaissance de Gabrielle d'Uckermann, jeune aristocrate allemande, férue d'art et admiratrice de son travail. Ils se marient à l'église de la Tronche, en novembre 1880. De leur union naîtra Mathilde-Ernestine, enfant unique, morte à la naissance le 25 novembre 1882. La commande du directeur des Beaux-Arts, pour un projet de décor de l'abside du Panthéon lui donne l'occasion de retourner en Italie, pour étudier une nouvelle fois les grands anciens. En 1884, la mosaïque est inaugurée.

En juin, 1885, alors âgé de 67 ans, Hébert est appelé pour un second directorat de l'Académie de France à Rome. Mais Rome a changé, il en décrit la modernisation destructrice dans Roma Sdegnata (1896). Remplacé à la Villa Médicis par Ernest Guillaume (1822-1905), en 1891, Hébert reste encore cinq ans en Italie. En 1894, il a l'opportunité de recevoir Zola, venu prendre des notes pour Rome (1896), son futur roman. Les Hébert lui font découvrir la Chapelle Sixtine et les Chambres de Raphaël au Vatican. Zola rapporte de Rome un masque antique, que le peintre rachète à sa mort en 1902 pour l'installer dans le jardin de La Tronche. Au cours de ce dernier séjour en Italie, Hébert peint entre autres, Bibiana (1889), La Vierge au chasseur (1892), Vierge Addolorata (1892). 

Revenu à Paris en octobre 1896, Hébert, dans un âge avancé, continue à peindre, et mène une vie sociale intense, sortant presque chaque soir, au concert ou au théâtre et recevant des célébrités littéraires (Anatole France, Marcel Proust, Edmond Rostand). En décembre 1896, il est fait grand officier de la Légion d'honneur. En 1900, à l'occasion de l'Exposition universelle, il reçoit la Grand-croix. Le 2 août 1908, Hébert revient en Isère, retrouver la maison de son enfance. Atteint d'une pneumonie, il s'éteint le 4 novembre 1908, âgé de 91 ans. Il repose dans le caveau édifié dans le jardin de sa maison de La Tronche.

  

Hébert dessinateur

Chez Hébert, le dessin est un mode d'expression privilégié précédant toute peinture. Aussi les études, qui s'échelonnent sur toute la vie de l'artiste, permettent-elles de suivre la manière dont il travaille. Elles se répartissent en trois grands ensembles. En premier, les paysages aquarellés, la plupart d'Italie, mais aussi du Dauphiné ou ramenés de ses voyages. C'est avec Dominique Papety (1815-1849) qu'il a appris cette technique délicate, lors de son premier séjour à la villa Médicis. Ces aquarelles témoignent de la maîtrise et de l'attention avec lesquelles Hébert note ce qu'il rencontre. Viennent ensuite les nombreuses études préparatoires ou les relevés pour les grands tableaux ou les commandes décoratives qu'il reçut de l'Etat. Enfin le dernier ensemble regroupe les copies faites par Hébert des maîtres de la Renaissance italienne et des mosaïques de Ravenne, Venise et Rome. Il n'est pas possible de distinguer des époques déterminées, ni de mettre en évidence une évolution du style, toutefois on remarque l'influence récurrente d'Ingres. Dès ses débuts, Hébert a eu « ses » manières en rapport avec les techniques employées ; celles-ci resteront à peu près immuables tout au long de ses soixante années de travail. Si, à l'Académie, la mine de plomb est recommandée pour le dessin, il utilise de préférence le fusain et le crayon noir, moins secs et plus conformes à sa sensibilité, ceci sans exclusivité. C'est essentiellement dans les aquarelles que nous saisissons le mieux la liberté avec laquelle il note son émotion devant la nature. Il peut s'y montrer, après 1889, extrêmement spontané et moderne, voire original dans sa mise en page. Nous restons séduits par le graphisme d'Hébert, rarement dur, jouant sur une modulation personnelle extrêmement variée de sa vision poétique, servie par une technique riche, en accord avec l'aménité de son caractère.

Lors de ses nombreux séjours à La Tronche et à la fin de sa vie, Hébert a peint des aquarelles qui ont conservé la fraîcheur de leurs tons comme Le Château de Saint-Férriol au crépuscule ou L'Isère à l'Ile d'Amour où il s'attache à noter les effets fugitifs de l'heure ou de la saison, dans : « Pentes de Belledonne le soir », « Courbe de l'Isère, crépuscule », « L'allée du bois vers la petite porte, hiver », « Crête de Belledonne enneigée ».

Les toiles comme « La Malaria », « Les filles d'Alvito », « Roma Sdegnata » furent précédées d'études au fusain ou à la pierre noire.

Le Moulin en ruines à Allevard, Les barques noires à Terracina sont dessinées à la pierre noire avec des rehauts de blanc jouant sur la couleur du papier. Hébert n'hésitait pas à utiliser la technique des « trois crayons » dans ses dessins, créant une atmosphère colorée à travers le jeu des traits au fusain, à la pierre blanche et à l'ocre rouge de la sanguine, comme cela était pratiqué au XVIIIe siècle.

  

Hébert collectionneur

Céramiques italiennes, verreries de Venise, costumes et tissus, mobilier, objets antiques, toute sa vie Hébert les a collectionnés. Déjà, adolescent à Grenoble, il avait fait acheter à ses parents un paysage du peintre flamand Joos de Momper, tableau exceptionnel qui est l'un des fleurons de l'actuel musée.

En Italie, à Rome, où il séjourne en directeur de l'Académie de France, ou au cours de ses voyages dans le pays, Hébert chine volontiers. Il se rend chez les antiquaires qui, pour répondre à la demande d'amateurs de plus en plus nombreux, ont ouvert des boutiques. Au cours de ses excursions dans la campagne, il fait les marchés de village à l'affût de quelques costumes typiques de paysannes, vendus par les villageoises pour se faire de l'argent . Mais la meilleure source, en cette fin de siècle, est constituée par les ventes aux enchères. L'aristocratie italienne désargentée vide ses greniers dans des ventes où se retrouve la bonne société de la capitale : « A Rome , cette année là, l'amour du bibelot et du bric à brac avait grandi jusqu'à l'excès ; tous les salons de la noblesse et de la haute bourgeoisie étaient encombrés de « curiosités » ; toutes les dames taillaient les coussins de leur divans dans des chasubles ou dans des chapes, et mettaient leur rose dans un pot à pharmacie ombrien ou dans une coupe de calcédoine. Les salles des ventes étaient les rendez-vous de prédilection et les ventes étaient très fréquentées... » Hébert, accompagné de sa femme Gabrielle, peut à loisir enrichir ses collections, décorer son intérieur avec quelques meubles italiens ou trouver des accessoires pour ses tableaux.

Les pièces de faïence italienne constituent, après les tissus, l'ensemble le plus important en nombre et le plus homogène de ses nombreuses « petites » collections. Déjà rares à l'époque, les majoliques sont très recherchées par de riches amateurs qui délèguent leur collecte à des rabatteurs spécialisés. Plus de soixante-dix pièces acquises par ses soins, plaques héraldiques ou religieuse, bénitiers, vases, pots de pharmacie, assiettes ou coupes représentent la production des principaux centres italiens : Faenza, Deruta, Castelli et Caltagirone en Sicile. Elles couvrent toutes les périodes, du XVIe siècle au XIXe siècle. Le choix des sujets en est très varié, saints et pénitents, chérubins, paysages ou fleurs : Hébert semble marquer une prédilection pour les putti aux divers attributs. A son retour d'Italie, la collection patiemment réunie par lui a rejoint, dans la maison de La Tronche, celle de faïences françaises rassemblée par sa mère Amélie.

 Son épouse Gabrielle, en 1934, fait aménager des salles d’expo dans les dépendances qui jouxtent l’atelier d’Ernest. René-Patris Uckermann, fils adoptif de Gabrielle, fait don de l’ensemble en 1979 au département de l’Isère.

Le Clos Hébert est la partie résidentielle d’un vaste domaine agricole dont l’origine remonte au 17ème siècle.

Un portrait Hébert vaut actuellement 95 000 €.