Maltraitance envers les personnes handicapees

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par Pascal Himmelsbach, Journaliste

dernière mise à jour :06.05.2013 12h35

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence

(tome 1, rapport)

Rapport de commission d'enquête n° 339 (2002-2003) de MM. Jean-Marc JUILHARD et Paul BLANC, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 10 juin 2003

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10 juin 2003 :

Handicapés - Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence, tome 1, rapport

( rapport de commission d'enquête )

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

N° 339

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 5 juin 2003

Dépôt publié au Journal officiel du 6 juin 2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 juin 2003

RAPPORT

de la commission d'enquête (1) sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 12 décembre 2002,

Tome I : Rapport

Président

M. Paul BLANC

Rapporteur

M. Jean-Marc JUILHARD

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Blanc, Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Michelle Demessine, MM. Claude Domeizel, Guy Fischer, Serge Franchis, Alain Gournac, Jean-Marc Juilhard, André Lardeux, Dominique Larifla, Jean-Louis Lorrain, Mme Brigitte Luypaert, M. Georges Mouly, Mme Anne-Marie Payet, M. Jean-François Picheral, Mmes Gisèle Printz, Janine Rozier, MM. André Vantomme, Alain Vasselle, Marcel Vidal.

Voir les numéros :

Sénat : 315 (2001-2002), 88, 81 et T.A. 37 (2002-2003).

Personnes handicapées.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La présente commission d'enquête, créée à l'initiative de notre collègue le président Henri de Raincourt, n'était pas destinée à s'immiscer dans des affaires judiciaires en cours, ce que la loi n'autorise d'ailleurs pas, conformément au principe de séparation des pouvoirs.

Elle a reçu du Sénat la mission, non de juger les personnes ou les institutions, mais d'évaluer les phénomènes de maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements, pour analyser leurs causes dans le but principal de dégager des mesures de prévention.

Les événements survenus dans le département de l'Yonne ont provoqué une vive émotion et favorisé une prise de conscience de l'urgence à mettre un terme au silence qui entoure encore trop souvent la maltraitance envers les personnes handicapées.

Les violences physiques et sexuelles ne doivent cependant pas occulter d'autres formes de maltraitance, plus fréquentes et plus insidieuses, les « maltraitances en creux », comme le manque de considération ou de soins appropriés, qui, vécues au quotidien, peuvent aussi provoquer de réelles souffrances chez des personnes déjà vulnérables.

De telles situations pourraient susciter une injuste suspicion à l'égard des établissements ou du personnel qui, dans la très grande majorité des cas, accomplissent avec dévouement et courage un travail considérable dans des conditions difficiles.

Il convient avant tout de promouvoir auprès des acteurs concernés la « bientraitance » des personnes handicapées. Cela suppose une formation renforcée et une attention de chaque instant.

Ces situations de maltraitance méritent donc d'être analysées avec le plus grand sérieux, afin de limiter autant que faire se peut le risque de leur renouvellement.

La commission d'enquête tient à souligner que le Sénat n'a pas attendu la révélation de faits graves pour se préoccuper de la situation difficile trop souvent faite aux personnes handicapées.

Ainsi, pour ne s'en tenir qu'à la période la plus récente, la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale - votée à l'unanimité et largement approuvée par les acteurs concernés - doit énormément aux travaux du Sénat et de sa commission des affaires sociales. De même, le rapport d'information présenté en juillet 2002 par M. Paul Blanc, président de la commission d'enquête, sur la politique de compensation du handicap 1(*), comporte-t-il de nombreuses préconisations. La plupart d'entre elles ont été traduites dans une proposition de loi que M. Paul Blanc vient de déposer conjointement avec le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About 2(*), qui devrait alimenter les travaux du Sénat sur le prochain projet de loi d'orientation relatif aux personnes handicapées, annoncé par le Gouvernement.

La commission d'enquête n'a donc pas cherché à stigmatiser qui que ce soit. Elle a encore moins entendu engager une enquête policière ou judiciaire, puisque tel n'était pas son rôle.

Etudiant la question dans un climat politiquement consensuel, et « à charge et à décharge », elle s'est d'abord efforcée d'écouter et de regarder par des méthodes traditionnelles comme des auditions et des visites d'établissements.

La commission d'enquête a aussi utilisé les nouvelles technologies de communication, en ouvrant une adresse électronique destinée à recueillir les témoignages de nombreuses personnes qui avaient quelque chose à exprimer et qui toutes ne pouvaient pas être auditionnées. Quelques-uns de ces témoignages pourront être lus dans le présent rapport.

Que tous les contributeurs, souvent anonymes, soient sincèrement remerciés. La commission d'enquête espère, pour sa part, que ses travaux, et surtout la suite à laquelle ils donneront lieu, seront à la hauteur de leurs attentes.

Au terme de son programme de travail, la commission d'enquête a retiré quelques enseignements de caractère général :

1. Le problème traité doit être considéré comme un problème de société. Il ne s'agit pas d'une question concernant quelques personnes en marge de la société. Les personnes handicapées sont de plus en plus nombreuses, ne serait-ce qu'en raison de l'allongement de la durée de la vie, et celles qui ne sont pas aujourd'hui touchées par elles-mêmes ou par leurs proches, ignorent bien évidemment l'avenir...

La question posée est sans doute d'abord celle du regard de la société sur la personne handicapée et aussi sur les métiers du handicap, dont l'image mériterait d'être revalorisée.

2. On parle plus fréquemment aujourd'hui de la maltraitance envers les personnes handicapées, ce qui paraît signifier uneprogression moins du phénomène lui-même que de la prise de conscience de sa gravité.

La plupart des interlocuteurs de la commission d'enquête ont évoqué une persistance de la « loi du silence », même si celle-ci semble commencer à décliner. Des mesures devront être prises pour faciliter l'accès à la justice par les personnes vulnérables.

3. Dans la majorité des cas, un personnel dévoué accomplit une tâche très difficile, sans bénéficier d'une réelle reconnaissance. Ce personnel, dont le recrutement apparaît de plus en plus problématique, ne bénéficie pas toujours de la formation initiale et continue qui conviendrait.

Le personnel soignant et les éducateurs ne sont cependant pas seuls en cause. D'une manière plus générale, une culture de prévention de la maltraitance semble manquer à l'ensemble des acteurs (encadrement, personnel non soignant, mais aussi membres des associations gestionnaires, personnes handicapées et familles...).

4. Les réunions tenues par la commission d'enquête dans certains départements ont généralement montré une grande proximité et donc une grande réactivité des services du conseil général. Cette observation illustre la pertinence du département comme « chef de file » sur la question du handicap dans le cadre du processus de décentralisation en cours.

5. La bientraitance des personnes handicapées est liée au degré d'ouverture des établissements, par exemple au niveau de participation des personnes handicapées et de leurs proches à la vie de l'établissement, au recours à des prestataires extérieurs, à la sortie régulière des résidents (en famille pour les fins de semaine et les vacances ; sorties organisées par l'établissement...) et à l'existence de formules d'hébergement temporaire.

Le travail en réseau de l'établissement, sa capacité d'auto évaluation et son acceptation d'une évaluation externe, la mobilité optimale des personnels (qui doivent aussi bénéficier d'un accompagnement psychologique) figurent aussi parmi les facteurs favorisant la bientraitance au sein de l'établissement.

L'intérêt de la personne handicapée doit prévaloir sur la logique institutionnelle.

Il convient cependant de souligner que la maltraitance ne concerne pas que les établissements puisque, selon les estimations concordantes d'un grand nombre de personnes auditionnées, dans environ 70 % des cas, elle se produit dans les familles.

6. Si les moyens doivent souvent être réajustés, le problème posé ne saurait utilement se borner à une question financière : une telle analyse pourrait en effet dangereusement conduire à la déresponsabilisation des acteurs.

7. De même, si certains textes doivent être aménagés - la commission d'enquête formule quelques propositions en ce sens - il serait illusoire d'imaginer qu'il suffit de superposer lois, règlements et circulaires pour modifier la réalité. Encore faut-il que les textes - si possible, pas trop nombreux pour être lisibles - soient appliqués avec rigueur et souplesse à la fois, c'est-à-dire avec intelligence.

Le contrôle de leur bonne application doit devenir effectivement une priorité pour les autorités de tutelle, auxquelles il appartient donc de ne pas se limiter à des vérifications de caractère strictement budgétaire et comptable.

8. Enfin, les situations différentes observées par la commission d'enquête, lors de ses déplacements en particulier, l'ont conduite à souhaiter qu'il soit apporté à cette question complexe des réponses aussi diversifiées que possible. Il ne serait donc pas concevable de se limiter à des positions doctrinales.

* 1 Document Sénat n° 369 (2001-2002).

* 2 Document Sénat n° 287 (2002-2003).

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

LES TRAVAUX DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Les étapes de la constitution de la commission d'enquête

- La présente commission d'enquête a été créée à la suite du dépôt, par notre collègue le président Henri de Raincourt, le 30 mai 2002, d'une proposition de résolution « tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir » (proposition de résolution n° 315, 2001-2002).

- Au cours de sa réunion du 4 décembre 2002, la commission des lois, saisie en application de l'article 11 (premier alinéa) du Règlement du Sénat, a, sur le rapport de M. Laurent Béteille, constaté que la proposition de résolution n'était pas contraire aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (avis n° 81, 2002-2003).

- La commission des Affaires sociales a, le 10 décembre 2002, sur le rapport de M. Jean-Marc Juilhard, estimé opportune la création de cette commission d'enquête, après avoir remplacé la référence aux « institutions » par celle des « établissements et services sociaux et médico-sociaux », pour tenir compte de la nouvelle terminologie issue de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale. Au cours des débats, il a été précisé par le rapporteur que la commission d'enquête ne concernait pas le secteur hospitalier (rapport n° 88, 2002-2003).

- Le Sénat a, au cours de sa séance publique du 12 décembre 2002, adopté à l'unanimité la proposition de résolution et donc créé la commission d'enquête « sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir ».

- Le 22 janvier 2003, la commission d'enquête a procédé à l'élection de son bureau et a esquissé les premières orientations de ses travaux, qu'elle a définies plus précisément le 28 janvier 2003.

Les auditions de la commission d'enquête

Du 5 février au 9 avril 2003, la commission d'enquête a organisé douze séries d'auditions au Sénat 3(*) et convoqué soixante-dix personnalités. Ont notamment été entendus : le garde des Sceaux, la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, la directrice générale de l'action sociale au ministère des affaires sociales, l'Assemblée des départements de France (ADF), une inspectrice générale des affaires sociales, le délégué interministériel aux personnes handicapées, plusieurs personnalités qualifiées, les représentants d'organismes gestionnaires, les organisations syndicales représentatives de personnels des établissements (sous la forme d'une table ronde), une inspectrice des affaires sanitaires et sociales, des associations de défense des personnes handicapées, des associations gestionnaires d'établissements, des associations tutélaires, des magistrats instructeurs, une juge des tutelles, la Caisse nationale d'assurance maladie, la Mutualité sociale agricole...

A de rares exceptions près, ces auditions ont été ouvertes à la presse écrite et audiovisuelle. La commission d'enquête tient à souligner le bon déroulement de celles-ci, les personnes convoquées pour déposer ayant toutes prêté serment comme le requiert l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, répondu généralement de manière sérieuse aux questions posées et produit les documents demandés par les commissaires. Que ces personnes soient remerciées.

La commission d'enquête n'a pas été en mesure d'auditionner toutes les personnalités et institutions qui en ont exprimé le souhait, compte tenu de la très grande diversité des intervenants dans ce domaine. Elle remercie tous ses interlocuteurs qui se sont spontanément manifestés et qui lui ont fait parvenir une contribution écrite, que ce soit par courrier postal ou par le canal de l'adresse électronique ouverte à cet effet.

Les déplacements de la commission d'enquête

Outre les auditions, la commission d'enquête a aussi effectué une série de déplacements entre le 18 mars et le 17 avril 2003 qui lui ont permis de visiter dix-sept sites comprenant chacun un ou plusieurs établissements situés dans sept départements différents.

La commission d'enquête n'a pas souhaité alerter la presse sur les établissements visités et n'en dressera pas la liste dans le présent rapport.

Il lui est en effet apparu préférable de conserver une certaine discrétion pour éviter toute mauvaise interprétation concernant les choix opérés et, en particulier, ne pas risquer d'éveiller des soupçons injustifiés sur tel ou tel d'entre eux.

La commission d'enquête a donc programmé des visites par des délégations dans cinq départements (Oise, Corrèze, Yvelines, Hérault et Rhône), pour lesquels le choix des établissements a été opéré en concertation avec le ou les commissaires élus dans le département et les services du conseil général ainsi que de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS).

Pour deux départements parmi les cinq, les établissements n'avaient en aucune façon été prévenus à l'avance, tandis que pour les trois autres les responsables avaient été préalablement informés.

En outre, et en dehors du cadre de ces déplacements programmés, le président et le rapporteur ont effectué des missions dans deux autres départements (Essonne et Seine-Saint-Denis) pour une visite inopinée de deux établissements, dans un cas en semaine et dans l'autre un dimanche. Les responsables des établissements et les autorités administratives, tant de l'Etat que du conseil général, n'avaient en aucune façon été avisés de cette initiative. Dans ces deux cas, le choix des établissements a été facilité par les messages reçus à l'adresse électronique de la commission d'enquête.

Au total, la moitié de ces sites ou établissements (huit sur dix-sept) auront été visités sans que les responsables en aient été prévenus, ne serait-ce que par une communication téléphonique quelques minutes auparavant.

La commission d'enquête a estimé que les deux méthodes (visites inopinées et visites annoncées) se justifiaient pleinement et permettaient d'apporter des informations complémentaires.

Les visites inopinées, qui, une fois encore, ne répondaient pas à un quelconque soupçon de la part de la commission d'enquête, ont permis, passé un premier instant de surprise compréhensible de la part du personnel sur place, de recevoir des témoignages « à chaud », sans que les observations recueillies par les commissaires aient pu être quelque peu faussées par une quelconque préparation. Cette méthode privilégie les constatations sur place, puisque aucune réunion et aucun « discours » n'ont pu, par hypothèse, être planifiés par nos interlocuteurs. Dans un seul cas (la visite du dimanche), les responsables de l'établissement n'ont pas été rencontrés sur place. Ils ont cependant été contactés dès le lendemain et invités à présenter les informations qu'ils souhaitaient.

Les responsables d'établissements prévenus du déplacement de la commission d'enquête ont pu présenter des informations plus structurées et produire plus aisément des documents relatifs au fonctionnement et à la vie de l'institution. La commission d'enquête n'a pas eu le sentiment que cette méthode ait été à l'origine d'une occultation d'éléments significatifs.

En définitive, l'équilibre entre les visites annoncées et les visites inopinées aura probablement contribué à l'enrichissement de l'information collectée par la commission d'enquête.

Les principales catégories d'établissements sociaux et médico-sociaux pour personnes handicapées ont été visitées par la commission d'enquête, qu'il s'agisse des établissements d'éducation spéciale pour les enfants (instituts médico-pédagogiques), des centres d'aide par le travail (CAT), des centres de réadaptation fonctionnelle, des foyers d'hébergement, des foyers de vie, des foyers d'accueil médicalisé (anciennement dénommés foyers à double tarification), des maisons d'accueil spécialisé ou des foyers pour personnes handicapées vieillissantes.

Ont donc été concernés par les missions de la commission d'enquête des établissements dont l'autorisation de création ou d'extension, la tarification et le contrôle relèvent, selon les cas, de la compétence de l'Etat, de celle du département ou conjointement de l'un et de l'autre.

Les établissements visités sont localisés, pour les uns en zone rurale et parfois en dehors de toute agglomération, pour les autres en ville. Dans certains cas, il s'agissait de sites comportant plusieurs établissements.

La commission d'enquête, sans organiser de déplacements lointains, ne s'est pas pour autant désintéressée de la situation dans les collectivités d'outre-mer, grâce au concours de deux de ses membres : Mme Anne-Marie Payet, vice-présidente, a effectué par elle-même des visites d'établissements à La Réunion et M. Dominique Larifla, secrétaire, a rencontré les principaux responsables concernés en Guadeloupe. Ils en ont conclu, l'un et l'autre, que, pour l'essentiel, les constatations faites et les enseignements tirés pour la métropole s'appliquaient tout aussi bien aux départements d'outre-mer dont ils sont les élus.

Les visites d'établissements, dans cinq départements, ont été précédées d'une réunion de travail fertile avec les représentants du conseil général et de l'Etat (DDASS, principalement).

Le schéma des missions dans les établissements était toujours le même : visite des différents locaux avec, sauf une exception, les responsables, et tenue d'une réunion. Au cours de la visite des locaux, les commissaires ont pu tout aussi bien dialoguer avec les cadres, les éducateurs et les personnes handicapées. Ils ont aussi assisté, dans un établissement, à une réunion pédagogique très sérieuse et destinée à mettre au point des documents relatifs à sa vie interne et pour mettre en oeuvre la loi du 2 janvier 2002 précitée. Dans un autre site, une table ronde avec les représentants du personnel a été organisée.

Au cours de ses déplacements, comme lors de ses auditions, la commission d'enquête a pu obtenir, sans difficulté majeure, les informations et documents qu'elle a sollicités.

En définitive, la commission d'enquête n'aura pas vu deux établissements identiques, la variété des situations illustrant la variété des solutions à dégager avec pragmatisme et volonté tout à la fois.

Elle tient à remercier les personnels dirigeants d'établissements et responsables associatifs pour la qualité de leur accueil et des informations fournies.

*

* *

Dans les développements ci-après, la commission d'enquête présentera tout d'abord les formes diverses et multiples que peut revêtir la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements, phénomène difficile à définir et à mesurer. Elle tentera d'en dégager les causes principales (chapitre premier).

Elle exposera ensuite les forces et les faiblesses du dispositif de lutte contre la maltraitance qui demeure encore trop souvent contraint par une pesante loi du silence, par une législation pas toujours cohérente sur le secret professionnel, par une répartition des compétences de contrôle insuffisamment précise et par une justice pas toujours suffisamment à l'écoute des personnes handicapées (chapitre II).

Enfin, pour répondre à la raison principale de sa création, la commission d'enquête proposera plusieurs orientations pour une politique de prévention, portant sur une meilleure connaissance du handicap et des personnes handicapées et sur une prise en charge mieux adaptée de ces derniers dans les établissements, au sein desquels une dynamique de bientraitance pourra se dégager grâce en particulier à leur ouverture optimale sur l'extérieur et à un approfondissement de la formation de toutes les parties prenantes, spécialement personnel et intervenants extérieurs (chapitre III).

* 3 Elle a consacré 37 heures à ces auditions, dont le compte rendu intégral fait l'objet du tome II du présent rapport.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

CHAPITRE PREMIER - LA MALTRAITANCE ENVERS LES PERSONNES HANDICAPÉES : UN PHÉNOMÈNE IMPRÉCISÉMENT DÉFINI ET DIFFICILE À APPRÉHENDER

La maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux fait partie de la liste malheureusement très longue des violences qui touchent notre société.

Toutefois, contrairement à d'autres types de violence, le concept de maltraitance, phénomène à la fois individuel et collectif (II), fait l'objet d'une pluralité de définitions, qui illustre la difficulté à en donner une qui soit précise et consensuelle (I).

Il est dès lors très difficile de mesurer (III) une notion que l'on ne parvient qu'imparfaitement à définir.

I. UN CONCEPT MULTIFORME, DÉFINI DE FAÇON EMPIRIQUE

Comme l'a souligné l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI) dans sonLivre blanc de juillet 20004(*), « le terme de maltraitance est aujourd'hui largement utilisé pour décrire une infinité de situations où se dévoile la souffrance d'une personne vulnérable ». Ce Livre blanc insiste en effet sur le fait que les maltraitances, contrairement à une idée peut-être trop répandue, ne sont pas que sexuelles et ne concernent pas que les enfants.

A. DE MULTIPLES DÉFINITIONS

La maltraitance est un phénomène plus difficile à définir qu'il n'y paraît de prime abord : il s'agit très souvent d'unesituation complexe dans laquelle interagissent la personne qui subit la violence et ses auteurs, eux-mêmes parfois en situation de souffrance. Du reste, certaines pathologies ou états de dépendance extrême, comme les handicaps lourds ou les pathologies démentielles, peuvent favoriser l'émergence chez autrui de situations de violence.

Pourquoi il est difficile de définir la maltraitance

Le Livre blanc de l'UNAPEI précité a bien exposé les raisons de la difficulté à définir la maltraitance :

« À chaque fois, lors de la recherche de la définition la plus précise et utilisable, se pose la question des critères (ce qui est maltraitance de ce qui ne l'est pas), du seuil (la limite en deçà de laquelle il ne s'agit pas de maltraitance), de l'intentionnalité (on ne prendrait en compte que les maltraitances volontaires, avec volonté de nuire ou de négliger), des effets sur la personne de toute attitude même involontaire mais qui aurait des effets négatifs à plus ou moins brève échéance...

« Il en va ainsi, par exemple, des fautes professionnelles (erreurs ou incompétences) ou des dysfonctionnements institutionnels qui, s'ils génèrent de la souffrance, ne peuvent être assimilés à de la maltraitance.

« De même, si l'on considère comme maltraitance toute forme de contrainte, on serait amené à incriminer aussi la volonté d'éducation, qui, effectivement, est forcément contraignante, que ce soit au sein de la famille ou dans l'institution.

« Autre point de discussion repéré dans la société, la variabilité culturelle des seuils de tolérance quant aux violences dites légitimes, acceptables, voire « bénéfiques » (punitions, privations, données avec un objectif éducatif) ».

La maltraitance fait l'objet de définitions à géométrie variable, élaborées à partir de l'observation de réalités diverses, et dont les différences tiennent dans leur degré plus ou moins grand de précision.

Mme Sylviane Léger, directrice générale de l'action sociale au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a estimé que ces définitions permettent de donner une grille de lecture commune, estimant qu'il n'y avait pas « de débat de fond important autour de cela ».

La commission d'enquête, bien qu'en accord sur le fond avec les propos de la directrice générale de l'action sociale, considère néanmoins que la multiplication des définitions de la maltraitance contribue à brouiller l'analyse du phénomène et traduit un certain embarras face à la réalité de celui-ci.

1. Les définitions internationales

a) La définition de la violence par l'ONU

L'Organisation des Nations Unies (ONU) a défini la violence de la manière suivante : « la violence fait référence à tout acte violent de nature à entraîner, ou risquer d'entraîner, un préjudice physique, sexuel ou psychologique ; il peut s'agir de menaces, de négligence, d'exploitation, de contrainte, de privation arbitraire de liberté, tant au sein de la vie publique que privée ».

b) La définition du Conseil de l'Europe

Le Conseil de l'Europe a créé en son sein un groupe de travail sur la violence, la maltraitance et les abus à l'égard des personnes handicapées. Ce groupe de travail a établi, sous la direction du professeur Hilary Brown, le 30 janvier 2002, un rapport portant surLa protection des adultes et enfants handicapés contre les abus.

Ce rapport propose, notamment, une définition de la violence, des abus, de la maltraitance et des négligences.

Il donne une définition pratique des abus qui « englobe les abus physiques et sexuels, les préjudices psychologiques, les abus financiers, et les négligences et les abandons d'ordre matériel ou affectif ».

Le rapport définit l'abus comme « tout acte, ou omission, qui a pour effet de porter gravement atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l'intégrité corporelle, à la dignité ou au bien-être général d'une personne vulnérable, y compris les relations sexuelles ou les opérations financières auxquelles elle ne consent ou ne peut consentir valablement, ou qui visent délibérément à l'exploiter ».

Il propose une classification qui distingue six types d'exercice de la maltraitance :

- la violence physique, qui comprend les châtiments corporels, l'incarcération, y compris l'enfermement chez soi sans possibilité de sortir, la surmédication ou l'usage de médicaments à mauvais escient et l'expérimentation médicale sans consentement ;

- les abus et l'exploitation sexuels, y compris le viol, les agressions sexuelles, les outrages aux moeurs, les attentats à la pudeur, l'embrigadement dans la pornographie et la prostitution ;

- les menaces et les préjudices psychologiques, généralement les insultes, l'intimidation, le harcèlement, les humiliations, les menaces de sanctions ou d'abandon, le chantage affectif ou le recours à l'arbitraire, le déni du statut d'adulte et l'infantilisation des personnes handicapées ;

- les interventions portant atteinte à l'intégrité de la personne, y compris certains programmes à caractère éducatif, thérapeutique ou comportemental ;

- les abus financiers, les fraudes et les vols d'effets personnels, d'argent ou de biens divers ;

- les négligences, les abandons et les privations, d'ordre matériel ou affectif, et notamment le manque répété de soins de santé,les prises de risques inconsidérées, la privation de nourriture, de boissons ou d'autres produits d'usage journalier, y compris dans le cadre de certains programmes éducatifs ou de thérapie comportementale.

Le rapport a néanmoins rappelé les remarques qu'ont faites les délégations française et norvégienne concernant la définition de la maltraitance : « la difficulté de cet exercice consiste à situer correctement le problème entre deux pôles dont le premier serait une définition réductrice de la violence [...] qui masquerait la réalité du phénomène, et le deuxième une extension exagérée du conceptqui en atténuerait la spécificité en y incluant des problèmes beaucoup plus vastes... ».

De ce point de vue, la définition ministérielle de la maltraitance n'échappe pas aux limites d'une « extension exagérée du concept ».

2. La définition du ministère : la difficile recherche de l'exhaustivité

Lors de son audition, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a donné une définition extrêmement large de la maltraitance et a souligné son omniprésence : « Pour ma part, je considère comme maltraitance toute négligence, petite ou grande, toute absence de considération, qui peut aller jusqu'à des violences graves. Cette maltraitance est partout ».

La commission d'enquête note que la définition donnée par la secrétaire d'Etat de la maltraitance envers les personnes handicapées, et illustrée par de nombreux exemples, montre toute la difficulté à définir avec précision un concept multiforme. La recherche de l'exhaustivité est dès lors un exercice non seulement difficile mais quasiment vain.

« La maltraitance est partout »

Mme Marie-Thérèse Boisseau a développé devant la commission d'enquête sa définition de la maltraitance envers les personnes handicapées :

« Il y a maltraitance quand il n'y a pas d'accueil, ou un mauvais accueil, de l'enfance handicapée à l'école. Il y a maltraitance dans un CAT ou un atelier protégé qui fait de la rétention de ses meilleurs éléments en ne les orientant pas vers le milieu ordinaire de travail. Il y a maltraitance quand une société d'HLM refuse un logement à un couple de sourds solvables, simplement parce qu'ils sont sourds.

« Mais je pense qu'il existe une violence institutionnelle, car aucune institution n'est spontanément « bien-traitante ». Il y a maltraitance dans un établissement hospitalier par méconnaissance par le personnel des problèmes très divers, et très complexes, j'en conviens, du handicap. C'est particulièrement évident quand le malade est un handicapé mental. Il faut former le personnel hospitalier, lui apprendre à contenir des personnes violentes sans qu'il ne devienne lui-même violent. Les rapports, plus précisément avec les hôpitaux psychiatriques, ne sont pas toujours faciles. D'une part, ils ne veulent pas représenter la sanction, et, d'autre part, ils font le plus souvent appel à la camisole chimique et se montrent plus tolérants vis-à-vis de la violence entre patients qui n'existe pas, ou très peu, dans les petites institutions. Il y a maltraitance en milieu hospitalier par manque de soins. J'ai personnellement eu connaissance d'un certain nombre de faits. Il y a maltraitance lorsque l'on pose la question, devant un autiste présentant un cancer, « Est-ce bien utile de faire des explorations complexes et coûteuses ? ». Il y a maltraitance en milieu sanitaire quand on ne prend pas en compte la douleur - soins dentaires sans anesthésie, nutrition parentérale à vif.

« Dans les établissements médico-sociaux, il y a bien sûr d'abord les violences sexuelles, qui représentent en moyenne 60 % des maltraitances, voire 70 % chez les mineurs. Mais il existe aussi de très nombreuses formes de maltraitance insidieuse, plus ou moins passives. La première étant peut-être d'obliger quelqu'un à vivre d'une manière qu'il n'a pas choisie, de lui imposer le fauteuil roulant, des repas qui ne correspondent pas à son histoire ou à sa culture, le mixage de toute nourriture, ou le gavage, pour aller plus vite. Il y a maltraitance quand on répond avec retard au désir de la personne d'aller aux toilettes ou quand on lui conseille de faire dans sa couche, augmentant ainsi les liens de dépendance. Tout cela, souvent par manque de temps ou de personnel, mais pas seulement.

« Il faut aussi être extrêmement vigilant sur la qualité des centres de vacances pour personnes handicapées, dont l'encadrement est très insuffisant et pas toujours compétent. Les moyens d'intervention et de contrôle existants sont moindres pour les adultes que pour les enfants, mais des dysfonctionnements trop flagrants doivent conduire à leur fermeture. Au-delà de la maltraitance des personnes handicapées par le personnel - je n'en ai cité que quelques exemples, souvent très insidieux -, il y a les maltraitances vis-à-vis de soi - les automutilations -, qui sont finalement moins importantes en institution qu'à domicile - je parle bien entendu en moyenne - dans la mesure où s'établit un certain climat de confiance à l'intérieur de l'institution. Et puis il y a les violences entre résidents, qui sont parfois terribles, et qui demandent un long travail de psychothérapie et un personnel d'encadrement solide. N'oublions pas non plus les violences des résidents vis-à-vis du personnel, car il faut aussi parfois protéger le personnel contre les usagers. Un fauteuil roulant électrique pèse plus de cent kilos et peut faire très mal une fois lancé à vive allure. Et il n'existe aucun exutoire : le problème doit être résolu car il faut garder le résident ».

Dans une optique plus pratique, le ministère se reconnaît très largement dans les définitions de la maltraitance établies par le Conseil de l'Europe.

Ainsi, dans son travail, la DGAS est amenée à procéder à une première distinction d'ordre très général :

- la négligence, qui se définit par le défaut de subvenir aux besoins psychiques, psychologiques, affectifs ou spirituels d'une personne : elle peut être passive, comme dans le cas d'une non-intervention par manque de connaissance, ou active, ce qui survient plus rarement, comme dans le cas d'un refus d'assistance ;

- l'abus ou la maltraitance active, qui se caractérise par l'administration volontaire et de façon active de contraintes causant du mal sur le plan psychique, psychologique ou sexuel, ou du tort sur le plan financier.

* 4 « Maltraitances des personnes handicapées mentales dans la famille, les institutions, la société : Prévenir, repérer, agir ». Livre blanc de l'UNAPEI, juillet 2000.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

B. UNE RÉALITÉ COMPLEXE : MALTRAITANCE ACTIVE ET MALTRAITANCE PASSIVE

1. Une grande variété de formes

La multitude des définitions de la maltraitance n'est que le reflet d'une réalité difficile à appréhender : on l'a vu, la maltraitance peut être intentionnelle ou au contraire résulter de négligences, voire de maladresses. La maltraitance commence souvent par des faits apparemment anodins.

En effet, il est rare que la maltraitance se traduise par des faits ou des actes particulièrement graves et spectaculaires. A cet égard, le traitement, sur un mode sensationnel, de récents faits divers sordides, a pu faire naître dans l'opinion publique l'idée que les personnes handicapées feraient l'objet de mauvais traitements systématiques de la part de personnels sadiques auxquels elles auraient été livrées... La commission d'enquête récuse cette vision simpliste et déformée de la réalité. Celle-ci est d'autant plus complexe que la maltraitance correspond souvent à une succession de petits actes qui, réunis, créent les conditions de l'isolement et de la souffrance des personnes handicapées.

Dans le souci de rendre plus claire l'analyse, la commission d'enquête reprend à son compte la distinction reconnue de façon quasi unanime entre deux grandes formes de maltraitance : la maltraitance active, c'est-à-dire intentionnelle, et la maltraitance passive ou « en creux ».

Il convient ici, pour illustrer cette distinction, d'évoquer des cas de maltraitance rapportés devant la commission d'enquête.

Ainsi, les situations de maltraitance relevées au sein des établissements de l'Association des paralysés de France (APF) démontrent la diversité en la matière.

L'APF a ainsi recensé douze situations de maltraitance, dont neuf, à la date de l'audition de ses représentants par la commission d'enquête, étaient restées sans suite sur le plan judiciaire. Trois dossiers ont débouché sur une mise en examen et deux rappels à la loi. Ces douze signalements concernaient quatre situations de maltraitance en famille, quatre situations de maltraitance d'un salarié à l'encontre d'un usager, trois situations de maltraitance d'un usager à l'encontre d'un autre usager et une situation de maltraitance d'un usager à l'encontre d'un salarié. Il convient également de souligner que neuf de ces douze signalements concernaient des violences sexuelles, deux des violences physiques et un une pression morale.

Des exemples de maltraitance « en creux »

M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'APF, a illustré sa définition de la maltraitance « en creux » par quelques exemples :

« La maltraitance en creux peut être définie comme ce que nous ne favorisons pas en termes de qualité d'accompagnement et de soins. Je pense par exemple à la présence d'une seule douche située au bout d'un couloir, ou encore aux files d'attente pour y accéder. La dépendance à l'égard du personnel pour se lever ou se coucher à l'heure de son choix, le personnel n'étant pas forcément disponible en permanence, constitue aussi une maltraitance en creux. Il convient de signaler également les tenues négligées que portent les personnes dans certains établissements : même si cela arrive de moins en moins, nous voyons toujours des gens se promener à l'extérieur en survêtement. De fait, il n'est pas toujours porté une grande attention à la présentation et à l'apparence physique. La maltraitance en creux s'observe aussi - cela découle là encore de problèmes d'effectifs et de budget - lorsque les personnes accueillies passent des journées entières à regarder la télévision du fait de l'insuffisance du nombre d'activités proposées. Il me semble que la maltraitance en creux participe de tous ces phénomènes ».

M. Serge Lefèbvre, vice-président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), a lui aussi souligné, devant la commission d'enquête, que « la maltraitance prend des formes variées. En outre, les formes les plus insidieuses ne sont pas les moins douloureuses pour les personnes se trouvant dans les établissements ou dans les différents services. La presse et la justice évoquent les cas les plus graves et les plus lourds. Mais il existe des cas beaucoup plus insidieux dans le cadre de ce que vous avez appelé la « maltraitance passive » ou « maltraitance en creux ». Il s'agit des phénomènes d'abandon, de moindre regard, de non-réponse à des attentes ou à des demandes, de mauvaise écoute. (...) La maltraitance active, quant à elle, recouvre les brimades, les violences physiques ou encore l'abus d'autorité ».

M. André Loubière, directeur des actions médicales et sociales de l'Association française des myopathies (AFM), a exposé devant la commission d'enquête toute une série de cas de maltraitance que pouvaient subir les myopathes résidant en établissements : « Nous constatons des agissements attentatoires à l'intégrité morale, se concrétisant par des injures, des propos diffamatoires et infantilisants, des actes de harcèlement moral, des brimades, des représailles, des humiliations et des marques de manque de respect à l'encontre des myopathes. »

En ce qui concerne les brimades, M. André Loubière a exposé que la liberté d'aller et venir était parfois mise à mal par l'imposition d'une réglementation excessive. A titre d'exemple, la demande d'obtention de bons de sortie est parfois difficilement satisfaite. Les brimades peuvent également consister en une attitude infantilisante - avec un tutoiement systématique -, une approche trop affective des rapports avec les résidents, l'interdiction d'aller aux toilettes pendant les heures de repas - au risque d'être privé de repas. Elles peuvent également revêtir la forme d'un déficit en matière de politique de sorties et d'animations, d'une approche inexistante de la sexualité, d'insultes à l'égard d'incontinents fécaux, de réflexions désobligeantes, de l'allumage soudain des lumières le matin, au lever, de toilettes mal faites, d'irrespect du secret médical etc.

Les agissements attentatoires à l'intégrité physique peuvent consister en des douches froides à titre de rétorsion, des gifles, des refus de répondre aux questions posées, des prescriptions dangereuses faites par le médecin du centre malgré les alertes de la famille et l'intervention du médecin de famille.

Les dysfonctionnements peuvent être relevés sur la base de l'expérience vécue par les établissements. M. André Loubière a ainsi cité :

- l'absence de tout projet de soins ;

- l'absence d'organisation des soins ;

- la gestion opaque et conflictuelle du personnel ;

- l'absence de lieux d'écoute permettant aux salariés de s'exprimer sur l'existence de maltraitances commises par leurs collègues.

M. Christophe Lasserre-Ventura, président de l'association Perce-Neige, entendu par la commission d'enquête, a classé les maltraitances en trois catégories : les maltraitances physiques, les maltraitances sexuelles et les maltraitances psychiques ou morales.

Les trois types de maltraitances selon Perce-Neige

« Premièrement, les maltraitances physiques. Il s'agit des violences corporelles, des coups et blessures ou encore des répressions corporelles franches ou sournoises. Rares, mais visibles au travers de cicatrices, d'hématomes ou de griffures, elles sont le fait de violences parfois repérées mais le plus souvent anonymes de la part de membres du personnel ou de résidents entre eux.

« Deuxièmement, les maltraitances sexuelles. Découvertes, elles sont amplifiées par l'émotion qu'elles provoquent, mais ignorées, elles s'exercent dans des lieux fermés, hors du regard social ou institutionnel. Elles ne sont qu'exceptionnellement jugées innocentes par leur auteur, et peuvent plus que tout autre être le fait de personnalités perverses.

« Troisièmement, les maltraitances psychiques ou morales. Il peut être difficile de les identifier et d'en déterminer le seuil parce qu'elles sont variables d'un individu à un autre et fonction de l'histoire du sujet. Ces maltraitances peuvent être délibérées, mais plus souvent encore involontaires, voire inconscientes. Un père nous racontait récemment à quel point il était difficile de faire comprendre à son entourage amical qu'une caresse sur les cheveux de sa fillette autiste lui était insupportable, alors que l'intention, certes maladroite, reste bienveillante. Le manque de savoir-faire et le déficit de communication entrent dans cette catégorie des maltraitances insidieuses. Savoir déchiffrer une mimique, une agitation, un gémissement ou un lourd silence n'est pas donné au premier venu au contact d'un polyhandicapé, d'autant qu'il peut y avoir déplacement des sites de douleur et qu'un symptôme physique peut traduire une souffrance venue d'ailleurs ».

2. Une perception délicate de la réalité des faits

En dépit de la multiplicité des formes de maltraitance à l'égard des personnes handicapées - et sans doute aussi à cause d'elle -, la plus grande prudence est de mise lorsqu'un établissement doit faire face au signalement d'éventuels actes de maltraitance.

Ainsi, M. Serge Lefèbvre, vice-président de l'APAJH, a relaté devant la commission d'enquête un fait de maltraitance inventé, soulignant la difficulté à démêler le vrai du faux dans ce type d'affaires.

Démêler le vrai du faux dans les affaires de maltraitance :

une tâche délicate selon l'APAJH

« Les faits dont nous prenons connaissance concernent essentiellement les violences à caractère sexuel. Cela étant, ils sont très peu nombreux à remonter jusqu'à nous. Le dernier cas qui a été signalé à la fédération concernait un jeune adulte et sa soeur, tous les deux handicapés, appartenant à un CAT. Celle-ci avait raconté qu'elle avait été violée par l'un de ses camarades du CAT et celui-là qu'il avait connu de graves difficultés avec l'un des moniteurs techniques. Le directeur a immédiatement fait un signalement au procureur et une enquête a été diligentée aussitôt. La réactivité a donc été instantanée. Résultat : les deux jeunes avaient inventé cette histoire pour faire parler d'eux. Je rejoins ce qui a été souligné tout à l'heure. Entre ce qui est dit, ce qui est sous-estimé, ce qui est surestimé et ce qui relève d'une mauvaise intention, parfois pour se faire un peu valoir, la distinction est parfois difficile. Voilà pourquoi il faut se montrer prudent avant de saisir le procureur ».

Comme l'a indiqué à la commission d'enquête M. Pierre Marécaux, administrateur de l'APF : « les personnes maltraitées ont du mal à révéler ce qu'elles subissent car elles ont du mal à dépasser le stade de l'état de victime et se sentent même parfois coupables. Enfin, il faut prendre en compte le fait que certaines personnes sont amenées à « broder », mais aussi à amplifier ou à déformer ce qui leur est arrivé. Il n'est pas toujours simple de s'en rendre compte car nous avons affaire à des personnes qui ne sont pas nécessairement dotées de moyens d'expression orale ». M. Robert Hugonot, président de ALMA5(*) France, a confirmé cette observation.

Les personnes handicapées éprouvent ainsi de grosses difficultés à révéler les maltraitances dont elles sont victimes. Certaines peuvent, déformer, amplifier ou minimiser ce qui leur arrive.

Mme Hélène Strohl, inspectrice générale des affaires sociales, s'est, elle aussi, remémorée un cas d'affabulation de la part d'une jeune handicapée : « je me souviens d'un directeur d'établissement ayant été poursuivi parce qu'il n'a pas signalé, le jour même, la plainte de viol commis par un pensionnaire qu'une jeune fille avait formulée devant une éducatrice. Le directeur avait lui-même constaté que ces deux pensionnaires se faisaient la cour depuis un certain temps. Leur relation s'était visiblement mal passée. Le directeur a décidé d'attendre un moment avant de transmettre la plainte de la jeune fille, afin de mener une enquête. Une plainte a été portée contre lui. Il s'est avéré que la jeune fille était vierge et qu'elle n'avait pas subi de viol ».

M. Régis Devoldère, président de l'UNAPEI, a, quant à lui, relaté le cas dramatique d'un membre du personnel accusé par une personne handicapée de l'avoir maltraité : « une personne handicapée a accusé un homme d'entretien d'un établissement d'avoir procédé à un certain nombre d'agissements. Le directeur a pris ses responsabilités, renvoyant ce salarié chez lui. Cet homme s'est suicidé le lendemain. Nous n'avons jamais su s'il s'était rendu coupable d'un certain nombre d'agissements ou si la personne handicapée mentale avait déliré ».

Ce cas n'est pas isolé. M. Roland Broca, président de la Fédération française de santé mentale (FFSM), en a exposé un très similaire : « il s'agit d'une situation concernant un moniteur d'atelier d'un centre d'aide par le travail (CAT), soupçonné d'avoir commis des attouchements sur une adulte handicapée mentale, sans violence. Cette personne a été immédiatement licenciée pour faute grave et s'est suicidée trois jours après avoir reçu sa lettre de licenciement. Aucun signalement n'a été transmis à la justice ».

* 5 Allo Maltraitance.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

II. UN PHÉNOMÈNE AUX CAUSES MULTIPLES

Les facteurs de maltraitance envers les personnes handicapées sont très nombreux. Le rapport du Conseil de l'Europe de janvier 2002 a identifié cinq éléments qui représentent autant d'occasions de voir ces risques d'abus encore accrus.

Les facteurs qui peuvent accroître les risques d'abus

envers les personnes handicapées, selon le Conseil de l'Europe

Ces facteurs sont au nombre de cinq :

- l'hostilité ou l'indifférence à l'égard de personnes visiblement différentes ;

- les cultures, structures et régimes institutionnels où le personnel soignant directement en contact avec les intéressés est peu qualifié, mal considéré et peu rémunéré, où l'on observe une résistance au changement et la formation de groupes fermés, où il y a des inégalités au niveau des salaires, des conditions de travail et des possibilités de formation pour le personnel qualifié et non qualifié ;

- le recours fréquent à de multiples soignants, pour les individus nécessitant une assistance personnelle et des soins intimes ;

- l'ignorance et une mauvaise formation des agents qui s'occupent de personnes ayant des besoins complexes et/ou des comportements difficiles ;

- l'absence de réglementation ou de véritable obligation de rendre compte à un organisme indépendant.

Peu ou prou, la commission d'enquête a rencontré, au cours de ses différentes investigations, l'ensemble de ces facteurs aggravant la condition des personnes handicapées.

A. LA MALTRAITANCE INDIVIDUELLE

1. La maltraitance entre résidents des établissements d'accueil

D'une manière générale, les actes de maltraitance entre personnes handicapées naissent, comme dans toute situation de violence, derapports de force et d'abus de vulnérabilité. La maltraitance entre personnes handicapées est une maltraitance que l'on retrouve dans toutes les sociétés humaines, quand les plus forts font pression sur les plus faibles pour leur soutirer de l'argent ou les abuser sexuellement.

Si de tels actes de maltraitance sont bien réels, la commission d'enquête a pu constater qu'aucune étude fiable n'existait qui permettait de mesurer ce phénomène.

Il convient d'abord de rappeler que, d'après une étude de la direction générale de l'action sociale rapportée à la commission d'enquête par M. Serge Lefèbvre, vice-président de l'APAJH, en institution, les actes de maltraitance sont imputables six fois sur dix aux autres résidents.

Mme Gloria Laxer, directeur de recherches à l'université de Lyon, maître de conférences, chargée de mission pour les publics à besoins spécifiques à l'académie de Clermont-Ferrand, n'a pas cité la même proportion, estimant que les cas d'agressions entre personnes handicapées représentaient un tiers des agressions survenues en établissements, soit moitié moins que les estimations avancées par l'APAJH.

Ces maltraitances entre personnes handicapées résultent également du fait que les établissements accueillent des personnes présentant un degré de handicap parfois très différent, ce qui peut susciter des tensions, comme l'a noté M. André Loubière : « les malades que nous connaissons sont extrêmement dépendants. S'ils se trouvent dans des établissements dans lesquels les autres patients ne sont pas aussi dépendants qu'eux, le fait qu'ils sollicitent très fréquemment les professionnels est de nature à agacer les autres malades. Ce problème doit être géré. Nous avons eu à traiter, par des accompagnements sociologiques, cette médiation entre les malades gravement atteints et les malades non gravement atteints ».

2. La maltraitance imputable aux personnels

La solitude à laquelle sont confrontées de nombreuses personnes handicapées constitue indubitablement un facteur, général mais essentiel, de maltraitance. La maltraitance, en effet, s'exerce généralement sur des personnes isolées.

Ce fait a été observé par les juges des tutelle au cours de leurs activités professionnelles, comme l'a rapporté Mme Laurence Pécaud-Rivolier, présidente de l'Association nationale des juges d'instance : « nous constatons que lorsqu'une personne ne reçoit pas de visites et que personne ne prend de ses nouvelles à l'extérieur, elle court le risque d'être laissée de côté à l'intérieur même de l'établissement, et, dans des cas extrêmes, de subir des violences ».

Bien sûr, la présence, dans un établissement accueillant des personnes handicapées, parmi les personnels, d'un individu présentant des traits de personnalité pervers est toujours possible, comme le rappelait le pédo-psychiatre Stanislas Tomkiewicz, qui s'exprimait ainsi dans l'ouvrage collectif de Marceline Gabel et Michel Manciaux, Enfances en danger : « un pervers peut se glisser n'importe où et y sévir un certain temps avant d'être découvert ».

a) Le risque d'abus de pouvoir

Les actes de maltraitance imputables, le cas échéant, aux personnels des établissements d'accueil, tiennent avant tout au type de relations qu'entretiennent ces personnels avec les personnes handicapées, et, par conséquent aux dérives qui peuvent en découler. Ainsi, cette relation, selon M. Roland Broca, président de la Fédération française de santé mentale (FFSM), « implique nécessairement - sans que cela soit, le plus souvent, bien aperçu - l'exercice d'un pouvoir sur l'autre. Comme tout pouvoir, ce pouvoir peut glisser insidieusement, plus ou moins consciemment, vers l'abus de pouvoir. En effet, la relation d'aide ne va pas sans une relation d'emprise sur l'autre du fait même de sa vulnérabilité, d'assujettissement involontaire, effet de la subordination qu'implique ce type de relation ».

Parmi ces formes de maltraitance, il en est une qui se pratique parfois au sein des établissements, et qui paraît d'autant plus malintentionnée qu'elle est gratuite : il s'agit du tutoiement systématique et péjoratif envers les personnes handicapées, même s'il peut exister évidemment un tutoiement affectif à leur égard.

Peuvent également y travailler des personnalités trop fortes, voire dangereuses exerçant une « dictature » sur les résidents ou sur les autres membres du personnel. Assurément, un tel contexte est propice à la survenue d'actes de maltraitance, ne serait-ce que parce qu'il crée des tensions au sein du personnel qui peuvent se diriger, in fine, contre les résidents.

Un message reçu sur l'adresse électronique de la commission d'enquête :

un cas de maltraitance physique et de menaces à l'endroit d'un résident trisomique

« Le 18 février, une AMP (aide médico-psychologique) a été témoin, ainsi que d'autres professionnels, d'un acte de maltraitance sur la personne d'un handicapé trisomique, M. X, résident au foyer médicalisé de ..., maltraitance par un professionnel qui effectuait des travaux de rénovation dans l'établissement avec sa petite équipe de travailleurs handicapés.

« Les faits : le 18 février à 15 h 30, l'AMP est appelée par une aide soignante et un autre AMP sur l'aile n° 2 de l'établissement. Le résident avait marché dans du ragréage : le moniteur interpelle M. X en criant. Paniqué, M. X marche une seconde fois et donne un coup de pied dans un buffet de cuisine. L'AMP a alors vu le moniteur perdre son sang froid, se jeter sur M. X, lui faisant perdre l'équilibre. À terre, M. X a reçu des coups de pieds aux fesses, puis a été traîné sur le sol, tiré par son écharpe autour du cou, le visage violet et la langue sortie.

« Atterrés par ce spectacle, les deux AMP sont intervenus verbalement pour faire lâcher prise. Les résidents présents étaient tous paniqués : pleurs, cris. Le moniteur a lâché M. X puis l'a menacé encore une fois d'une « raclée » dans la chambre s'il provoquait des difficultés et il a ajouté : « là je n'étais pas même en colère, demandez à mes gars comment cela fait quand j'y suis ». Après les faits, M. X est resté prostré, incapable de se lever, de parler pendant une demi-heure.

« L'AMP a rendu compte à son chef de service qui a minimisé les faits et indiqué qu'il convoquerait M. X dans son bureau en présence de l'AMP pour lui signifier qu'il ne doit pas abîmer le matériel lorsqu'il est en colère ».

L'abus de pouvoir ne constitue cependant pas la seule ni la principale cause de maltraitance imputable au personnel.

b) La méconnaissance du handicap et l'inadéquation de la formation

La souffrance causée par les personnels aux personnes handicapées peut être sous-estimée en raison de l'existence de préjugés ou d'une méconnaissance du handicap et de la perception de la réalité par les personnes handicapées. C'est le cas notamment en matière de handicap mental, tel que l'autisme.

Le cas relaté devant la commission d'enquête par M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, et qui mérite d'être reproduit, concerne certes un acte de violence mais, dans l'esprit de son auteur, la perception de la violence par la victime était manifestement sous-évaluée.

La perception de la douleur par un enfant autiste

« Un enfant handicapé avait été recousu à vif au motif que « ces enfants n'ont pas le même sens que nous de la douleur, et qu'ils y étaient même insensibles ». En compagnie de mes collègues d'alors, nous avions tenté d'expliquer à un jury populaire ce qu'était la souffrance d'un enfant handicapé. Afin de faire percevoir à ce jury ce que pouvait être le monde mental et la représentation mentale d'un enfant autiste, nous avions précisément fait appel à Tony Lainé6(*), à l'origine, avec Daniel Karlin, de nombreux films de vulgarisation sur l'autisme ou la psychose.

« Tony Lainé, s'adressant aux jurés, avait affirmé que la situation que je viens de vous décrire constituait indiscutablement un cas de négligence ou de violence, mais qu'il fallait encore la multiplier par cent par rapport à ce que d'autres enfants auraient pu ressentir, car les enfants autistes sont incapables de graduer la douleur.

« Parce que son intelligence est correctement située dans le temps et l'espace, l'enfant qui reçoit une piqûre sait qu'il ne s'agit pas d'une agression mais bien d'un acte de soin, voire d'amour. Cet acte est pourtant violent : qui pourrait expliquer à un enfant que les piqûres font du bien ? L'enfant autiste n'a pas conscience de cela ».

Mme Gloria Laxer a fait le même constat : « je comprendrais, si l'on m'indiquait que j'aurais une piqûre si je ne mange pas, que ces propos sont à prendre au second degré. En revanche, la personne handicapée vivra cette situation au premier degré. Un fait nous apparaissant anodin prendra une tout autre dimension pour une personne en situation de handicap. Si cette dernière agresse ensuite un membre du personnel, on n'en décèlera pas le motif alors qu'il existe mais n'est pas évident pour nous ».

Le manque de qualification peut aussi expliquer une part des actes de malveillance qu'on serait tenté d'imputer à un aspect pervers de la personnalité de leurs auteurs.

Un message reçu sur l'adresse électronique de la commission d'enquête :

l'absence de formation des personnels

« Je suis éducatrice spécialisée et ai travaillé un mois au sein de l'association ... (dont j'ai démissionné après avoir dénoncé à la DRASS les faits), où les faits de maltraitances ont été dénoncés 6 mois après par la presse ainsi que des détournements de fonds.

« Mon groupe accueillait des jeunes de 14 à 18 ans autistes, psychotiques, trisomiques. 4 d'entre eux avaient des handicaps sensoriels non pris en compte (3 déficients visuels, 1 déficient auditif). La maltraitance commence là : personnel non qualifié ne sachant pas ce qu'est un handicap sensoriel : 1 jeune appareillé, sourd d'une oreille, déficient de l'autre, 16 ans, à qui on n'a jamais enseigné la langue des signes... Et qui a assimilé un 10ème de mots en 1 mois... (...)

« L'équipe était composée d'une monitrice éducatrice jeune diplômée embauchée en même temps que moi, de moi éducatrice spécialisée, d'un homme sans aucune formation et d'une auxiliaire de puériculture (formation qui n'a aucun lien avec les jeunes accueillis). L'auxiliaire de puériculture avait peur de ces jeunes, n'arrivait pas à leur poser un cadre sécurisant. Le résultat a été : plusieurs crises d'une jeune en sa présence avec auto-mutilation, et un jeune qui a dû être hospitalisé durant 1 semaine car en crise aggravée de violence. La maltraitance commence souvent par un personnel non qualifié employé pour "faire fonction d'éducateur". Pour travailler avec des jeunes en difficultés, le personnel doit être formé et qualifié. La dérive actuelle du social et médico-social se traduit par des AMP (aides médico-psychologiques) employés comme éducateur, avec une formation trop succincte pour leur permettre d'aider les personnes accueillies, par du personnel non qualifié "faisant fonction d'éducateur", et par des éducateurs qui en ont plus qu'assez d'avoir à se battre contre ça. Laisse-t-on une personne non qualifiée faire fonction d'infirmière ? d'institutrice ? de médecin ? d'assistante sociale ? Non ! Alors pourquoi d'éducateur ? Educateurs qui, lorsqu'ils se retrouvent face à de telles situations, n'ont plus qu'une possibilité : démissionner et perdre leur poste, pour être en accord avec leur déontologie. (...)

« PS : au jour d'aujourd'hui, je travaille en Poitou Charente, dans un IME où bon nombre d'éducateurs ne sont pas qualifiés... »

Des représentants d'organisations syndicales entendus par la commission d'enquête ont insisté, en particulier, sur le travail de nuiten établissement, confié à des personnes qui n'ont reçu aucune formation pour accomplir cette tâche. M. Georges Bres, membre de la direction de l'Union fédérale de l'action sociale (UFAS) de la Confédération générale du travail (CGT), a ainsi noté que, « dans la plupart des établissements, la maltraitance survient lorsque le personnel est sous-qualifié ».

Il a expliqué : « le travail de nuit, en particulier, est effectué par ce type de personnel, ce qui crée rapidement des problèmes de maltraitance. Ceux qui travaillent la nuit ne sont pas plus enclins à maltraiter les personnes accueillies. Simplement, ils vivent des situations plus délicates que les personnels de jour, notamment en raison de l'isolement et des angoisses qui surviennent. En outre, l'impasse a été faite sur le travail éducatif en ce qui concerne l'activité de nuit. Aujourd'hui, les établissements, à l'instar de celui où je travaille, peuvent compter 150 usagers surveillés par deux veilleurs de nuit. Or on demande à ces derniers d'être des responsables, des soignants et des éducateurs, et de surveiller les murs ».

M. Frédéric Lefret, responsable des relations institutionnelles du Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés (SNAPEI), a lui aussi attiré l'attention de la commission d'enquête sur le problème que peut poser le recours à des personnes extérieures à l'établissement qui n'ont reçu aucune formation pour travailler au contact de personnes handicapées. C'est le cas notamment pour les veilleurs de nuit et les chauffeurs7(*). Ainsi, la veille de nuit et le transport constituent d'indéniables situations de risque pour les personnes handicapées, d'autant plus que, comme l'a relevé M. Pierre Matt, président du SNAPEI, « en cas d'absence, nous faisons appel au premier veilleur de nuit que nous trouvons. Bien souvent, il ne correspond malheureusement pas au veilleur dont nous souhaiterions utiliser les compétences ».

c) La banalisation de comportements maltraitants

Les maltraitances individuelles infligées par des membres du personnel peuvent être, selon l'expression de Mme Marie-Thérèse Boisseau, « le signal d'alarme d'un dysfonctionnement plus profond de l'établissement ».

Le personnel a pu, en effet, intérioriser des comportements maltraitants ou qui le sont devenus, la routine ne les amenant plus à s'interroger sur le sens de leurs actes.

La banalisation de certains comportements peut conduire aux pires actes de maltraitance, d'autant plus difficiles à corriger qu'ils ne sont plus perçus comme tels par leurs auteurs.

Mme Elisabeth Javelaud, directrice de l'association française des organismes de formation et de recherche en travail social (AFORTS), a très bien résumé cette situation : « lorsque l'on place une personne très dépendante, en fauteuil roulant, face à un mur pendant deux heures en guise de mesure de rétorsion, il s'agit d'une situation de violence. Lorsque l'on vit cela au quotidien, on ne s'en rend pas forcément compte ou on ne sait plus le dire. Je considère que la maltraitance est une situation quotidienne. Elle devient invisible parce qu'elle est trop familière. (...) L'institution absorbe, sans s'en rendre compte, ce type de dysfonctionnement comme un phénomène banal. De phénomène banal en phénomène banal, on devient une institution maltraitante ».

M. Christophe Lasserre-Ventura, président de l'association Perce-Neige, a présenté ce phénomène à la fois avec clarté et lucidité : « les maltraitances au sein des institutions, sauf quand elles sont le fait d'un individu isolé, surviennent dans un contexte complexe de conditions et de dysfonctionnements qui interfèrent et s'agrègent, créant un climat malsain dans lequel les individus perdent leurs repères, le sens de l'interdit et le principe premier du respect de l'autre. Parmi ces dysfonctionnements, on repère une dilution de l'autorité et une insuffisante intégration des règles collectives, une information déficiente créant un climat d'insécurité, un fonctionnement en vase clos privant à la fois du regard extérieur et d'un esprit critique, un déficit d'analyse et une évaluation insuffisante des pratiques. La maltraitance découle aussi des risques du métier, faits de répétitions, de situations stressantes, de confrontations à des problèmes de comportement, à des attitudes puériles et archaïques. Le tout est aggravé par la pérennité du handicap et par l'absence de référence à une norme ».

Cette maltraitance finit parfois par être assimilée à un comportement normal par les victimes elles-mêmes, comme l'a souligné M. Patrick Segal, ancien délégué interministériel aux personnes handicapées : « ces violences sont d'ailleurs d'autant plus inacceptables qu'elles se produisent à l'encontre de personnes excessivement fragiles qui finissent par accepter l'action du bourreau car elles n'ont pas conscience de la portée de ses gestes ». C'est ce que les psychiatres et psychologues appellent le syndrome de Stockholm.

d) L'« accueil par défaut »

Des actes individuels de maltraitance peuvent survenir en cas d'inadéquation des institutions aux publics accueillis.

La maltraitance résulte alors, selon l'expression de M. Jean-Philippe Boyé, coordinateur national pour le secteur socio-éducatif de Force ouvrière (FO), de « l'accueil par défaut », dans des institutions dont ils ne relevaient pas directement, c'est-à-dire des institutions qui ne sont pas équipées pour les accueillir dans les meilleures conditions ou, en tout cas, ne prenant pas en compte leurs problématiques sociales et pathologiques.

Certains établissements, en particulier dans le secteur de l'aide sociale à l'enfance, se voient ainsi obligés d'accueillir des enfants qui auraient besoin de bénéficier de mesures de protection et qui viennent dans les établissements d'accueil d'urgence tels que les centres départementaux de l'enfance et de la famille, les foyers de l'enfance ou les centres maternels.

Ces enfants, qui relèveraient de structures spécialisées comme les hôpitaux de jour et les instituts de rééducation, sont accueillis au sein des structures sociales où ils courent un danger et peuvent en faire courir aux autres publics. Ils peuvent être victimes ou commettre des passages à l'acte, tout simplement parce que l'étayage thérapeutique est inexistant et parce que, dans le cadre des missions de service public de l'aide sociale à l'enfance, il n'appartient pas à ces structures sociales de mettre en oeuvre des dispositifs thérapeutiques ou psychosociaux qui permettraient de remédier aux difficultés de ces enfants et adolescents en danger.

Cet exemple illustre les difficultés à tracer une ligne de partage sûre entre maltraitance individuelle et maltraitance institutionnelle, les deux aspects du phénomène se rejoignant quelquefois.

* 6 Psychiatre spécialiste de l'autisme.

* 7 Il convient de rappeler que, dans l'affaire dite des « disparues de l'Yonne », Emile Louis exerçait la profession de chauffeur.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

B. LES MALTRAITANCES EN INSTITUTIONS

La maltraitance institutionnelle n'est pas propre aux établissements et services sociaux et médico-sociaux qui accueillent des personnes handicapées. Il s'agit malheureusement d'un phénomène beaucoup plus général, qui touche aussi l'école ou le lieu de travail.

Comme l'écrivait d'ailleurs Stanislas Tomkiewicz, « toute institution secrète de la violence. C'est quasi naturel ». En effet, si l'établissement qui accueille une personne handicapée la protège le plus souvent, d'autant plus que, selon une estimation partagée par la plupart des interlocuteurs de la commission d'enquête, 70 % des cas de maltraitance interviennent dans un cadre familial, il peut aussi, dans certains cas, l'isoler davantage.

Mme Anne-Sophie Parisot, membre du Collectif des démocrates handicapés (CDH), a même estimé que la préférence donnée au développement des établissements d'accueil pour héberger les personnes handicapées constituait, en soi, un facteur de maltraitance : « la vraie maltraitance prend toute sa forme lorsque la société préfère l'institution à la vie familiale ».

1. La stérilisation des personnes handicapées : une maltraitance intentionnelle en établissement

La commission d'enquête a procédé à l'audition de Mme Hélène Strohl, inspectrice générale des affaires sociales, qui, entre octobre 1997 et avril 1998, a participé à une enquête confiée à l'IGAS sur les pratiques de stérilisation des personnes handicapées.

C'est dans un contexte bien particulier que la ministre de l'époque, Mme Martine Aubry, avait demandé à l'IGAS de réaliser une mission d'inspection sur les pratiques passées et actuelles de stérilisation des personnes handicapées mentales. En effet, des révélations avaient été faites sur les pratiques constatées en Suède en la matière et les autorités suédoises avaient été accusées d'avoir procédé à la stérilisation non seulement de personnes handicapées mentales mais également de personnes socialement défavorisées. Un chercheur de l'INSERM avait alors révélé au magazine Charlie Hebdo en août 1997 que la stérilisation de jeunes femmes handicapées mentales légères, voire socialement défavorisées, avait été pratiquée en France.

Il convient de résumer les principales conclusions de l'enquête de l'IGAS sur ce point, telles qu'elles ont été présentées à la commission d'enquête par Mme Hélène Strohl.

La stérilisation des personnes handicapées en France :

des faits avérés et probablement sous-évalués

« Nous avons tout d'abord effectué une enquête quantitative à partir des données du programme médicalisé des systèmes d'information (PMSI), c'est-à-dire des données recueillies par les hôpitaux sur les actes pratiqués et les actes s'y rapportant. Nous avons demandé que nous soient communiqués tous les actes de ligature des trompes avec, comme diagnostic associé, le handicap mental ou la grande difficulté sociale. Cette enquête portait bien évidemment sur les éléments déclarés. Nous avons cependant constaté que les handicapées mentales représentaient 2 % des cas de ligature des trompes. Cette enquête a été complétée par une enquête auprès des établissements privés, qui a confirmé ce résultat. Nous avons découvert que l'acte de ligature des trompes était déclaré pour 400 à 500 femmes handicapées par an. Le nombre d'hommes faisant l'objet d'une stérilisation est, en revanche, très faible. En effet, nous avons trouvé une quinzaine de cas seulement.

« Je tiens à souligner que cette enquête se base sur des données déclaratives. Étant entendu que la stérilisation était, à l'époque, interdite en France, nous subodorons que les cas de stérilisation étaient plus élevés, notamment dans les cliniques privées, sous couvert d'appendicectomie. (...)

« La stérilisation est toujours un traumatisme important, même pour les personnes dont la capacité de discernement est considérée comme étant très diminuée. Des épisodes dépressifs très graves à la suite de la stérilisation nous étaient toujours relatés, et ce même lorsque la personne n'avait pas été avertie de ce qu'on lui faisait subir. Il semblerait toutefois que la stérilisation ait été mieux vécue par les personnes lorsqu'un travail important d'accompagnement avait été réalisé par les accompagnants et les psychologues. Ces derniers étaient effectivement parvenus à faire « consentir » la personne, c'est-à-dire à lui faire faire le deuil de la maternité ».

Le rapport précité de l'IGAS a estimé que l'on devrait pouvoir procéder à une stérilisation, avec l'autorisation du juge, dans certains cas limités (risque avéré de grossesse, incapacité parentale flagrante, inapplicabilité de tout moyen de contraception efficace sans mettre en danger la vie de la femme). Soucieux de permettre un accès des personnes handicapées à une sexualité libre et épanouissante, le rapport de l'IGAS privilégie la contraception, estimant que, dans certains cas, celle-ci doit être imposée momentanément, dans un cadre juridique à définir.

L'article L. 2123-2 du code de la santé publique, issu de la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001, interdit la ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive sur les mineurs et sur les majeurs handicapés mentaux placés sous tutelle ou sous curatelle, sauf s'il existe « une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement ». Le texte subordonne l'intervention à une décision du juge des tutelles après avis d'un comité d'experts. Le juge doit avoir entendu la personne concernée. Si elle est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement recherché et pris en compte après fourniture d'une « information adaptée à son degré de compréhension ». Il ne peut être passé outre au refus de l'intéressée ou à la révocation de son consentement. Le juge doit aussi entendre les parents ou le représentant légal ainsi que « toute personne dont l'audition lui paraît utile ».

2. Les principaux facteurs de maltraitance au sein des établissements d'accueil

a) Le rôle de l'organisation et du management internes

Les situations de maltraitance sont souvent liées au fonctionnement des établissements eux-mêmes.

Une grande partie des problèmes de maltraitance survient dans des établissements où un certain nombre de modes d'organisation et de fonctionnement ne sont pas structurés et où l'attention à la façon de travailler du personnel est insuffisante. Sont en cause la qualité du projet d'établissement, les conditions du management interne, la qualité et la qualification des personnels.

Il existe encore aujourd'hui des structures où le projet d'établissement8(*) est inexistant, n'est pas formalisé ou n'est pas connu des personnels parce qu'il n'a pas été construit collectivement, malgré les termes de la loi ou parce qu'il a été élaboré avant sa publication. Dans ces structures, les comportements ne sont pas maîtrisés, ce qui peut favoriser l'émergence de cas de maltraitance.

Le rôle des dirigeants et des personnels d'établissements est en tout cas essentiel, à tel point que les situations de carence durable ou passagère du management interne sont des conditions favorables à l'émergence de phénomènes de maltraitance.

M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'APF, a ainsi noté qu'« il convient enfin d'évoquer la forme du management. Ainsi, un mode de management « à l'ancienne », « paternaliste » ou « dictatorial » - je caricature un peu - débouchera sur un établissement fermé sur lui-même ».

M. Pascal Vivet a illustré la façon dont un directeur d'établissement pouvait exercer une sorte de chantage envers les familles qui « feraient des problèmes », ce chantage n'étant du reste pas nécessairement intentionnel : « qu'on le veuille ou non, le directeur d'établissement fait preuve d'hypocrisie. Je l'affirme d'autant plus facilement que j'ai moi-même été directeur d'un institut médico-éducatif. J'avais beau dire aux parents qu'ils avaient le choix entre signer et ne pas signer la feuille d'inscription de leur enfant au sein de mon établissement, quelle possibilité leur laissais-je vraiment ? S'ils ne signaient pas, ils se retrouvaient face à un immense vide. Dans ces conditions, comment voulez-vous que, pour un motif ou un autre, ils refusent d'inscrire leur enfant au sein de tel ou tel établissement ? ».

De même, lorsque la possession par la famille d'informations relatives au fonctionnement régulier d'un établissement est à l'origine de tracasseries, voire de pressions sur la famille, c'est que le responsable de l'établissement cherche à cacher des dysfonctionnements internes, qui peuvent, le cas échéant, engendrer des actes de maltraitance.

Le témoignage de M. Jean-Pierre Picaud, président de la Confédération des personnes handicapées libres, est extrêmement instructif : « lorsque vous indiquez à un directeur que vous détenez la dernière circulaire du ministère, vous êtes soudain pris pour une bête noire. Il ne faut absolument pas dire que cette circulaire est entre vos mains. (...) La directrice de cet établissement m'a demandé comment j'avais eu connaissance de ces documents. Je lui ai répondu que j'avais consulté le Journal Officiel et je lui ai demandé si le fait que j'aie les annexes XXIV9(*) en ma possession la dérangeait. Cela était effectivement le cas. Je me suis installé à la porte de l'institution et ai remis une photocopie des annexes XXIV aux parents qui rendaient visite à leur enfant. J'ai, bien évidemment, reçu un appel anonyme dès le lendemain. Son auteur ne faisait nul doute. Il ne faut pas que les parents sachent ce qui se passe dans une institution ».

Les syndicats eux-mêmes seraient, selon M. Pascal Vivet, parfois à l'origine de la maltraitance institutionnelle, car la dénonciation de cas de violences les placerait face à un arbitrage douloureux entre manifestation de la vérité et protection de l'établissement et donc de l'emploi : « j'ai néanmoins en tête, dans cette affaire précise, la réflexion de syndicats m'affirmant que les affaires de mauvais traitements sur enfants étaient susceptibles de leur faire perdre soixante emplois sur l'ensemble du département.Ils m'ont donc demandé de ne pas les porter en justice ».

M. Jean-Pierre Picaud a relaté son expérience personnelle, rappelant que la directrice de l'établissement dans lequel se trouvait sa fille lui avait « un jour indiqué que [s'il n'était pas] satisfait, [il n'avait] qu'à voir ailleurs ». Il a ajouté que « les directeurs d'établissements raisonnent immédiatement en termes financiers. L'argent est leur préoccupation majeure ».

b) Le renversement des priorités : privilégier l'institution plutôt que les résidents

La commission d'enquête a pu observer, dans certains cas, un indéniable problème de hiérarchie des priorités de la part des responsables d'établissements : lorsque les intérêts de l'institution passent avant ceux des personnes handicapées, les risques de maltraitance se multiplient.

Les intérêts financiers

La commission d'enquête, au cours de ses déplacements, notamment dans un établissement de l'Oise, a été amenée à constater l'existence d'une situation dans laquelle l'intérêt financier de l'établissement était âprement défendu par ses responsables.

La commission d'enquête estime que le fait que des établissements fassent passer leurs intérêts financiers avant l'intérêt de l'adulte ou de l'enfant constitue une forme de maltraitance.

Elle a pu constater que certains établissements gardaient volontairement dans l'institution les résidents. Ceux-ci sont ainsi privés de retours dans leur famille à l'occasion de fêtes de familles, par exemple, ou de vacances, parce que la direction de l'établissement impose une présence minimale dans l'institution afin de ne pas perdre les moyens financiers qui lui permettent d'assurer son équilibre financier à la fin de l'année.

D'ailleurs, pour éviter une telle situation, la directrice d'un établissement qu'a visité la commission d'enquête, situé en banlieue parisienne, a reconnu spontanément avoir déclaré la présence de pensionnaires certains week-ends alors qu'ils ont été remis à leurs familles, afin de ménager la liberté des personnes handicapées tout en assurant la poursuite de leur prise en charge.

L'activité et la détermination du nombre de journées

La détermination de l'activité constitue une phase déterminante dans la construction du budget.

Pour les établissements et services financés sur la base d'un ou plusieurs tarifs unitaires (prix de journée, prix de séance, tarif horaire), l'activité constitue le diviseur nécessaire pour ramener le coût de financement annuel à un coût unitaire.

Dans le cas d'établissements ou services financés par dotation globale (CAT, CHRS10(*), hôpitaux, etc.), le nombre de journées constitue un indicateur important dans l'évolution de l'enveloppe financière.

Le calcul du nombre de journées va donc tenir compte :

- de la capacité agréée,

- du nombre de jours d'ouverture,

- du taux d'occupation.

Exemple : un établissement de 100 places, ouvert 252 jours par an, avec un taux d'occupation de 92 %, retiendra un nombre de journées égal à : 100 x 252 x 92 % = 23.184 journées.

1. Conséquences d'une mauvaise évaluation du nombre de journées

Les conséquences sont différentes selon qu'il s'agit d'établissements financés par dotation globale ou sur la base d'une facturation de prix de journée.

Les établissements à dotation globale

Le financement par dotation globale s'appuie sur le principe d'un financement principal, quelle que soit l'importance de l'activité. Ainsi, un établissement social, financé par dotation globale (CAT, CHRS), ne subira pas de conséquences financières, à court terme, dans le cas d'une mauvaise période d'activité.

Pour ce qui concerne les établissements sanitaires participant au service public hospitalier, la dotation globale ne constitue qu'une partie des produits. En effet, la facturation des tarifications journalières aura une incidence sur les produits réalisés. Une mauvaise évaluation de ces produits ou une mauvaise évaluation de la répartition de l'activité entre l'activité financée par dotation globale et l'activité financée par facturation de prix de journée peut entraîner un déséquilibre.

Enfin, sur un moyen terme, une mauvaise évaluation du niveau de l'activité (ou une variation importante) peut remettre en cause le niveau des crédits accordés. Dans ce cas, une révision de la dotation globale peut s'avérer nécessaire.

Les établissements à prix de journée

En ce qui concerne les établissements financés par prix de journée ou les services financés par tarif horaire, la conséquence est immédiate. Une surévaluation prévisionnelle de l'activité entraînera un déficit de journées, donc un déficit de produits. Si des économies de charges équivalentes ne sont pas réalisées dans ce cas, il y a déficit comptable.

2. Les conditions de facturation des prix de journée

Dans la détermination du nombre de journées réalisable, il est nécessaire de ne prendre en compte que les journées facturables. Dès lors, il est nécessaire de préciser le traitement réservé aux journées de sortie ou de permission.

La circulaire du ministère des affaires sociales du 12 décembre 1985, concernant l'ensemble des établissements sanitaires et médico-sociaux financés par dotation globale ou par prix de journée préfectoral, rappelle que, « à compter du 1er janvier 1986, aucune journée de permission ne pourra être facturée, quel que soit le statut de l'établissement (une journée de permission correspondant à toute absence supérieure à 12 heures consécutives dans une journée calendaire) ».

Source : document communiqué par la direction des interventions

sanitaires et sociales du conseil général de l'Oise

Comme en témoigne le courrier-type saisi par la commission d'enquête au cours de ses investigations, et reproduit ci-contre, la « rétention » des enfants handicapés par les établissements est annoncée aux familles d'une façon brutale en des termes presque choquants.

Dans cet établissement, le transfert vers d'autres structures, pendant les vacances par exemple, est considéré comme une absence, ce qui pèse encore sur le contingentement familial. Ces contraintes seraient en fait imposées par la tutelle, c'est-à-dire le conseil général. Il existe toutefois un accord tacite avec les autorités de tarification : la journée entière est facturée dès lors qu'un seul repas est pris.

Certes, les associations condamnent officiellement ce type d'agissements. Ainsi, M. Laurent Coquebert, de l'UNAPEI, a tenu à rassurer la commission d'enquête : « je puis vous certifier que, lorsqu'une famille nous saisit sur ce type de problème, nous lui répondons que cette pratique est anormale et qu'il s'agit effectivement d'une forme de dévoiement de la vocation première d'un établissement. Un établissement condamnant les personnes handicapées à ne revenir dans leurs familles qu'un week-end sur deux ou un week-end sur trois pour ne pas perdre le prix de journée est un établissement fonctionnant mal et pratiquant une forme de maltraitance ». Il n'empêche que la réalité, parfois observée sur le terrain par la commission d'enquête n'est pas de nature à la rassurer. Du reste, M. Coquebert a ajouté des propos qui lui paraissent relativement fatalistes : « ce type de comportement est induit par le système »...

M. Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, a d'ailleurs estimé, devant la commission d'enquête, que ce système ne correspondait pas à l'esprit de la loi de 2002 qui entendait placer l'usager au centre du dispositif.

Certes, dans la plupart des établissements visités par la commission d'enquête, une telle dérive n'a pas été constatée. Il n'en demeure pas moins choquant que des considérations tenant à la réglementation tarifaire puissent, dans certains cas, se traduire par des privations de sortie et de vie familiale.

Les 35 heures

La commission d'enquête a pu relever un autre exemple de renversement des priorités, à propos du temps de travail des personnels.

À cet égard, il est certain, comme l'ont confirmé tant les personnes auditionnées que les responsables d'établissements rencontrés au cours des déplacements de la commission d'enquête, que « les 35 heures sont effectivement porteuses d'une certaine maltraitance », selon l'expression de M. Régis Devoldère, président de l'UNAPEI.

La mise en place de la réduction du temps de travail s'est indéniablement traduite par une baisse de la qualité d'accueil des enfants, des adolescents et des adultes. Les 35 heures ont soulevé le problème du nombre de personnes mais surtout de l'organisation du temps de travail. Alors que deux personnes intervenaient auprès d'une personne handicapée dans une maison d'accueil spécialisé, il est aujourd'hui nécessaire d'avoir trois salariés. L'accompagnement de la personne a été parcellisé.

M. Patrick Gohet, actuel délégué interministériel aux personnes handicapées, a considéré que la façon dont les 35 heures avaient été mises en place dans les établissements sociaux et médico-sociaux « mérite réflexion ». Il a ajouté qu' « il aurait fallu effectuer une franche évaluation des conséquences de la réduction du temps de travail dans ces institutions », concluant : « selon moi, cela a modifié la nature des relations entre l'employeur et ses collaborateurs ».

Dans de nombreuses structures, en raison d'un manque de moyens humains et financiers, le temps d'accueil des usagers a dû être réduit. L'état d'esprit a également changé : la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail a montré que la préoccupation première était de respecter scrupuleusement les horaires au détriment de la qualité de service et d'adaptation à apporter aux usagers.

Les responsables des établissements que la commission d'enquête a visités ont d'ailleurs tous été d'accord sur ce point.

Ainsi, dans un foyer de vie créé en 2000 et situé en Seine-Saint-Denis, les 35 heures, appliquées dès l'origine, n'ont fait qu'accentuer la difficulté, car la charge horaire de travail, et donc sa pénibilité, sont plus importantes.

Le directeur d'un centre d'accueil pour grands handicapés situé dans l'Oise s'est plaint, lui aussi, des conséquences de la réduction du temps de travail. Il a estimé que la mise en place des 35 heures avait entraîné la perte de l'équivalent de quinze postes, alors que seulement neuf embauches compensatrices avaient eu lieu. Les variables d'ajustement ont été les temps de rencontre et de réunion, et surtout les sorties. Mais d'après le directeur, même un complément de six embauches ne suffirait pas à retrouver la souplesse qui prévalait avant les 35 heures.

Dans le département du Rhône, la réduction du temps de travail a correspondu à 70 emplois à plein temps, soit à deux années de création d'emplois dans le secteur ! Dans un CAT, le directeur a indiqué que les 35 heures avaient engendré un état d'esprit préjudiciable à une bonne gestion, même si une nouvelle organisation du travail est toujours possible. En contrepartie d'une perte globale de 10 % du temps de travail, les créations d'emplois ont concerné 6 % de ce temps. La différence s'est traduite, pour l'essentiel, par une réduction des temps de réunion.

Sans formuler une opposition de principe irréductible à l'applicabilité des 35 heures dans les établissements sociaux et médico-sociaux, la commission d'enquête ne peut que déplorer, comme la quasi totalité de ses interlocuteurs, que cette réforme n'ait pas été suffisamment préparée.

Il lui apparaît paradoxal qu'au cours d'une même période, soient mises en oeuvre, d'une part, une réduction du temps de travail sans réflexion préalable suffisante sur ses incidences pour la vie quotidienne des personnes handicapées, et, d'autre part, la loi du 2 janvier 2002 précitée qui organise, en particulier, un approfondissement de la vie sociale et du dialogue dans ces établissements, ce qui nécessite une plus grande disponibilité.

c) Les relations « incestueuses » entre les associations et les établissements

La commission d'enquête est convaincue que le silence gardé sur les cas de maltraitance institutionnelle tient également, pour partie, à des relations parfois trop étroites, pour ne pas dire « incestueuses », entre les associations gestionnaires et les établissements qui accueillent des personnes handicapées. Ces associations, dont la vocation première demeure la protection des personnes handicapées, sont, dans certains cas, juges et parties : elles doivent alors concilier protection des résidents et protection de leurs intérêts, la bonne réputation de leurs établissements par exemple.

Posée ainsi, l'équation devient un dilemme, un véritable conflit d'intérêts. Que peut faire un gestionnaire qui est aussi un parent d'enfant handicapé résidant dans l'établissement, lorsqu'il constate un cas de maltraitance ?

Les grandes associations en sont d'ailleurs elles-mêmes parfaitement conscientes. M. Laurent Coquebert, directeur général par intérim de l'UNAPEI, a ainsi expliqué que « la distinction entre les fonctions tutélaires et les fonctions gestionnaires a toujours été au coeur des positions de l'UNAPEI », précisant que « cette prise de position partait initialement d'un constat de bon sens, selon lequel on ne pouvait pas être à la fois juge et partie, ni responsable du bien-être de la personne handicapée et de la saine gestion de ses biens, d'une part, et logeur de la personne handicapée mentale ou « employeur » de la personne handicapée mentale, d'autre part. La multiplication des casquettes peut entraîner des conflits d'intérêt qui peuvent se révéler ingérables ».

D'ailleurs, une association, comme la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), a expliqué à la commission d'enquête qu'elle avait fait le choix politique de ne pas gérer d'établissement, car elle a toujours considéré que la défense des personnes accidentées et handicapées et la gestion d'établissements d'accueil étaient deux missions qui ne pouvaient être exercées simultanément « en toute neutralité », selon l'expression de son secrétaire général, M. Marcel Royez.

Il serait cependant injuste de ne pas observer que cette situation tient dans le peu d'intérêt qu'ont longtemps porté les pouvoirs publics pour l'accueil des personnes handicapées, préférant laisser les associations intervenir et combler le vide laissé dans ce domaine.

Mme Dominique Gillot, ancienne secrétaire d'Etat aux personnes âgées et aux personnes handicapées, a parfaitement exposé cette situation : « ces grandes associations ont répondu à des besoins à la place des pouvoirs publics durant quinze ou vingt ans et sont devenues elles-mêmes de véritables institutions à qui peu de bilans étaient demandés, les responsables publics considérant que le dévouement de ces institutions suffisait. La majorité des personnes qui les composent sont effectivement de grands experts et des gestionnaires à qui nous n'avons rien à reprocher. Mais il peut se produire des dérapages liés à des problèmes matériels, de compétences ou encore de contexte. Quelquefois, cela aboutit à des situations de maltraitance ou de mauvaise gestion. Et les pouvoirs publics éprouvent des difficultés pour les sanctionner car, d'une part, il est difficile de sanctionner ou de porter un jugement défavorable sur des personnes sur lesquelles on s'est appuyé et qui sont socialement au-dessus de tout soupçon - ce qui s'est passé dans l'Yonne relève complètement de cette logique -, et, d'autre part, les gestionnaires sont fondés à rappeler qu'ils ont été laissés seuls en première ligne durant des années ».

M. Pascal Gobry, auteur de l'ouvrage L'enquête interdite - Handicapés : le scandale humain et financier, avec le style qui est le sien, a lui aussi mis en évidence cette situation, qu'il appelle le « cumul des casquettes » : « j'évoquerai ensuite « le cumul des casquettes » pour décrire le fait que ce sont toujours les mêmes personnes morales que la personne handicapée rencontre tout au long de sa vie. Qu'il s'agisse de son patron, de son représentant, de celui qui lui tend la main ou encore d'un membre de telle commission, la personne handicapée trouve systématiquement en face d'elle les mêmes associations, que je n'ai pas besoin de citer. Il me semble que l'on ne peut pas assumer à la fois un rôle de patron, de possédant d'une structure et un rôle de « défenseur » des personnes handicapées ».

La proposition de loi précitée11(*), cosignée par le président de la commission d'enquête et par le président de la commission des Affaires sociales, en établissant une incompatibilité entre le caractère d'association représentative des personnes handicapées et la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux, permet d'utilement relancer ce débat difficile.

3. La spécificité des institutions accueillant des personnes handicapées

Si la maltraitance se retrouve potentiellement dans toute institution, les établissements qui accueillent des personnes handicapées présentent une spécificité : les personnes handicapées constituent la seule population à passer la majeure partie de leur existence dans une institution.

Mme Gloria Laxer l'a parfaitement expliqué : « les seules personnes passant toute leur vie dans un système fermé sont les handicapés. Vous avez probablement été pensionnaires durant votre période scolaire. Auparavant, les jeunes effectuaient leur service militaire et vivaient dans un système fermé pendant 18 ou 24 mois. Un détenu accomplira sa peine en prison. Les personnes handicapées se distinguent par le fait que certaines passent toute leur vie en institution, de l'âge de 5 à 6 ans à leur mort ».

Ainsi, par nature, les personnes handicapées placées en institution se retrouvent toute leur vie privées de la plus élémentaire des libertés, celle de disposer de soi. Chaque jour de leur vie, elles devront se plier à des obligations qui leur sont imposées par l'institution.

« Tous les aspects de la vie de la personne handicapée seront déterminés

par des personnes ayant autorité »

Selon Mme Gloria Laxer, « l'isolement et l'impuissance sont les deux critères caractérisant le placement des jeunes en institution. Il est très rare que ces derniers aient le droit de choisir l'établissement dans lequel ils seront accueillis ou s'ils souhaitent ou non être placés dans un établissement. Les personnes concernées sont dans l'incapacité de s'opposer à une telle décision, parce qu'elles ont des atteintes physiques, intellectuelles ou émotionnelles et sont dépourvues des connaissances élémentaires leur permettant de gérer leurs relations avec les autres.

« Le fait que tous les aspects de la vie de la personne handicapée soient déterminés par des personnes ayant autorité est problématique. L'heure à laquelle elle se lèvera, ce qu'elle mangera, les vêtements qu'elle portera, la chambre dans laquelle elle vivra, sont autant de choix qui ne seront pas faits par la personne elle-même. Le choix de la chambre n'incombe pas à la personne elle-même mais à l'institution. (...) En raison des règles d'hygiène et de sécurité, la nourriture est de plus en plus collective dans les établissements. Pour bon nombre de personnes handicapées, le seul plaisir est la nourriture. Ce plaisir ne peut plus exister dans la mesure où il n'est même pas permis de laisser un morceau de fromage dans un réfrigérateur entre le déjeuner et le dîner. Les personnes vivant en institution n'ont même plus le droit d'avoir une petite faim dans l'après-midi et d'aller chercher un aliment dans le réfrigérateur car ceci est interdit par le règlement sanitaire. Des éléments de ce type sont, à mon sens, extrêmement dommageables. L'établissement doit être un lieu de vie avant d'être une institution hospitalière au sens rigoureux du terme. Or les règlements de sécurité vis-à-vis de l'incendie ou des dangers sont si nombreux que l'institution est devenue un lieu extrêmement strict, et ce au détriment de la qualité de vie de la personne handicapée. »

Dès lors, la bientraitance se définirait comme la possibilité de vivre « des événements quotidiens, comme le fait de sortir, de faire des courses, de rencontrer des amis, d'exercer des activités de loisir ou de pouvoir se lever à l'heure à laquelle on le souhaite certains jours ».

M. Roland Broca, président de la FFSM, a lui aussi cité ce qu'il a appelé « un comportement intrusif » et inutilement vexatoire concernant les résidents d'un IME : « pour tous les enfants, chaque soir, il est procédé, dès la rentrée de l'école, à une fouille en règle des cartables. Les chambres subissent également une fouille systématique pluri-hebdomadaire sans préavis ».

4. L'insalubrité et l'inadaptation des locaux

Il peut exister un lien direct entre le contexte matériel d'un établissement et le développement de la maltraitance. La configuration des locaux des établissements d'accueil eux-mêmes peut être, en effet, un facteur de maltraitance institutionnelle, comme l'a expliqué Mme Catherine Jacquet, inspectrice à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales des Pyrénées-Orientales, qui a été confrontée à trois situations de maltraitance.

Il ne s'agit pas, pour l'instant, de s'intéresser à la façon dont les pouvoirs publics ont réagi à ces cas de maltraitance ni aux mesures qu'ils ont mises en oeuvre, mais de monter en quoi la dégradation ou la simple inadaptation des locaux peut constituer un terrain propice à l'apparition de la maltraitance.

Dans deux cas, l'administration a été contrainte de fermer l'établissement mis en cause.

Des exemples concrets de maltraitance institutionnelle :

inadaptation des locaux, conditions d'hébergement déplorables, insalubrité...

« Dans le premier cas, la DDASS a été alertée par une plainte d'une famille signalant des violences commises par un éducateur à l'encontre d'un enfant d'une dizaine d'années. (...)

« Qu'avons-nous constaté ? L'établissement comptait 25 enfants internes en institut de rééducation, et était situé en moyenne montagne. Les locaux d'hébergement étaient complètement inadaptés, extrêmement exigus, les agencements étaient quasiment générateurs de violence et incitaient peut-être les éducateurs à passer à l'acte. Les conditions d'hébergement étaient déplorables. Des odeurs d'égout se faisaient sentir en permanence. Il n'y avait pas de chauffage au dernier étage. Les sanitaires, qui avaient été aménagés dans des placards, n'avaient pas de ventilation. L'hygiène alimentaire était non conforme. (...)

« Le deuxième cas est un IME recevant des déficients intellectuels profonds de 6 à 20 ans. La visite était fortuite. En effet, je me suis rendue dans l'établissement parce que je ne le connaissais pas. Au fil de cette visite, j'ai été très choquée par les locaux, l'encadrement et le matériel pédagogique utilisé par les enfants. (...)

« Quel a été notre constat ? Nous avons constaté que les locaux ne répondaient pas aux normes de conformité. La commission de sécurité n'était plus passée depuis l'ouverture de l'établissement, 30 ans auparavant. L'eau n'était pas reliée au réseau d'eau, mais la DDASS en assurait malgré tout le contrôle. La fosse septique n'avait jamais été entretenue. Les sanitaires étaient communs pour le personnel et les enfants. L'intimité n'existait donc pas. Le bureau du psychiatre n'avait pas l'électricité (...).

« Par conséquent, nous avons fermé l'établissement pendant un mois afin de conduire un minimum de travaux, en mettant les équipements en sécurité. »

La commission d'enquête a visité un foyer de vie situé en Seine-Saint-Denis où la conception du bâtiment est à l'origine de certains problèmes, alors que la direction rencontre des difficultés pour obtenir certaines modifications par l'architecte. Ainsi, il n'est pas normal de n'avoir installé qu'un robinet d'eau tiède dans les chambres : il devrait être possible de prendre un verre d'eau dans sa chambre ou de régler, dans certaines limites, la température de sa douche.

Dans un IME dans lequel elle s'est rendue, lors de son déplacement dans l'Oise, la commission d'enquête a pu constater que les sanitaires de l'établissement avaient été rénovés mais sans être mis aux normes ! Ainsi, les portes des toilettes ont une largeur inférieure à 90 cm, ce qui ne permet pas le passage d'un fauteuil roulant. Pourtant, le siège de l'association dont dépend cet établissement est situé dans un château très bien entretenu, où sont parfois organisées des manifestations de prestige. Cette association est du reste visiblement soucieuse de son image de marque et semble se donner les moyens de sa politique de communication, comme le montrent ses luxueuses plaquettes d'information en papier glacé.

5. La peur des représailles

a) Pour les familles

Les familles des personnes handicapées maltraitées entretiennent involontairement la « loi du silence ».

En effet, si, le plus souvent, elles ne dénoncent pas les maltraitances dont sont victimes leurs enfants ou parents, c'est par crainte - à tort ou à raison - des représailles sur ceux-ci : pour eux, une exclusion de l'établissement serait catastrophique car il leur faudrait alors chercher, éventuellement très longtemps et sans garantie de succès, un nouvel établissement. Comme l'a parfaitement résumé M. Pascal Vivet, « les familles ne parlent pas car elles n'ont pas de place ». Selon l'expression utilisée par M. Pierre Matt, président du SNAPEI, « il est indéniable que les parents, à un certain moment, sont pris en otage ».

Un exemple de « prise en otage » des parents

M. Pierre Matt a exposé devant la commission d'enquête un cas qui illustre la façon dont les parents d'enfants handicapés peuvent être pris en otage par les établissements :

« Lorsque je présidais une association, qui accueillait chaque jour un bon millier de personnes, j'ai eu connaissance du cas de l'un de mes vice-présidents, dont le fils de 18 ans était accueilli en institut médico-professionnel (IMPro). L'éducateur de cet enfant, en guise de punition, n'hésitait pas à le laisser durant des journées entières debout contre un mur avec les mains derrière le dos. Le père de cet enfant n'a pas osé s'en référer à moi, de peur que la situation ne se retourne contre son fils. Peut-être s'agit-il d'un cas particulier, mais il existe. Il est intervenu au sein d'un établissement ».

Les familles éprouveraient d'ailleurs souvent « un fort sentiment de culpabilité vis-à-vis de l'institution qui, elle, au moins, a eu le courage de s'occuper de leurs enfants. Ils ont l'impression que, de façon inconsciente, la société leur reproche cette incapacité à élever leur propre enfant. Face à cela, ils prennent la décision de se taire, de ne rien révéler des actes de maltraitance qui pourraient être infligés à leurs enfants »12(*).

D'autant plus que, comme l'a rappelé notre collègue Philippe Nogrix, qui s'est exprimé devant la commission d'enquête en sa qualité de représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF), « beaucoup de personnes handicapées se trouvent sur liste d'attente pour être accueillies dans un établissement ».

Mme Gloria Laxer a estimé à 30.000 le nombre de places manquantes au sein des établissements pour adultes handicapés.Ce chiffre a d'ailleurs été repris par les représentants des organisations syndicales entendus par la commission d'enquête, M. Jean-Philippe Boyé, de Force ouvrière, précisant que, au total, environ 45.000 personnes handicapées, dont 13.000 enfants, étaient sur une liste d'attente pour bénéficier d'une prise en charge en établissement.

Un message reçu sur l'adresse électronique de la commission d'enquête :

l'autocensure des parents

« Parent d'enfant handicapé et ayant participé activement à la création d'un centre de vie, j'attire votre attention sur un facteur majeur d'appréciation de l'importance de la maltraitance (au sens large du terme) dans les établissements : c'est l'autocensure que s'appliquent les parents.

« Entre deux maux, ils choisissent bien souvent le moindre : se taire plutôt que courir le risque de voir leur enfant "viré" sous un prétexte ou un autre. Ils savent, par leur douloureuse expérience personnelle, combien il est difficile d'intégrer un établissement en France, en raison de leur nombre notoirement insuffisant. De plus, ils sont conscients de la menace alternative : l'hospitalisation en hôpital psychiatrique (solution d'ailleurs beaucoup plus onéreuse pour l'Etat) ».

b) Pour les personnels des établissements

Le signalement des cas de maltraitance envers les personnes handicapées se heurte à une véritable loi du silence, dont il convient de rechercher l'une des causes dans la peur, notamment lorsque ces cas sont signalés par des personnels des établissements d'accueil, deperdre son emploi pour faute professionnelle. Les professionnels qui signalent des maltraitances doivent être protégés dans la mesure où certains ont subi de sévères sanctions suite à la dénonciation de faits fondés de maltraitance.

Cette situation n'est pas qu'un simple cas d'école. La commission d'enquête a ainsi été informée par M. André Laurain, président de ALMA H 54, de la réalité persistante de ce phénomène : « je souhaite attirer l'attention de la commission sur un problème qui nous préoccupe énormément : je veux parler de l'anonymat des personnes qui nous appellent. Celles-ci, de peur de subir des représailles, de perdre leur emploi ou parce qu'elles sont parfois les seules à avoir connaissance des faits qu'elles dénoncent, refusent de nous décliner leur identité ».

M. Pascal Vivet a, quant à lui, apporté une information plus précise, grâce au recoupement d'éléments provenant de syndicats, de collectivités territoriales et de l'administration. Il a évalué entre 150 et 250 le nombre de travailleurs sociaux sanctionnés chaque année, directement ou indirectement, pour avoir transmis aux autorités de tutelle des faits de mauvais traitements envers des personnes handicapées. Il a expliqué qu'il avait été lui-même victime de cette sanction déguisée.

L'« enfer personnel » vécu par un travailleur social

auditionné par la commission d'enquête

« Depuis six ans, j'ai vécu un enfer personnel. Si je me suis intéressé à cette question, c'est parce qu'ayant été à l'origine d'un signalement d'agressions sexuelles concernant des mineurs handicapés placés en institut de rééducation, mon contrat de travail n'a pas été renouvelé. Depuis trois ans, je suis demandeur d'emploi. L'ANPE le sait. Le ministre de la famille le sait, il m'a même reçu pour m'apporter son soutien personnel. Pour autant, ma situation n'évolue pas ».

Dans les cas de maltraitance relatés par Mme Catherine Jacquet, le deuxième, qui avait été mis en évidence, notamment, par le témoignage d'un membre du personnel, le signalement a été préjudiciable à ce dernier qui a, dans cette affaire, perdu son emploi, en dépit de la protection dont il bénéficiait des services de l'Etat dans le département.

Malgré l'injonction du directeur de la DDASS à l'association et au directeur pour protéger le seul salarié ayant témoigné, sa protection n'a pu être assurée. Ils ont indiqué au directeur de la DDASS qu'ils n'étaient plus en mesure d'assurer la protection de cette personne. Le directeur de la DDASS a, par conséquent, dû transférer ce salarié dans une autre structure, en l'imposant13(*).

M. Hervé Auchères, juge d'instruction et membre de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI), a indiqué que « les éducateurs spécialisés nous font bien comprendre le poids énorme de leur hiérarchie. C'est pour cette raison qu'ils ne dénoncent pas eux-mêmes les faits en question. Les éducateurs sont souvent malheureux de la situation des personnes handicapées, ils sont même parfois au courant des faits de maltraitance que celles-ci subissent, mais le système dans lequel ils s'inscrivent est extrêmement hiérarchisé. Ils doivent rendre compte à leur chef de service, qui lui-même rend compte au directeur. Ils pensent donc avoir accompli leur devoir lorsqu'ils ont informé leur chef de service ou la direction, mais lorsque la direction ne contacte pas les autorités judiciaires, ils sont bien en mal, sauf à se mettre en porte-à-faux avec leur hiérarchie, de dénoncer eux-mêmes auprès du procureur les faits de maltraitance. Les éducateurs sont très peu enclins à effectuer cette démarche ».

La dénonciation d'actes de maltraitance envers les personnes handicapées peut également se heurter au poids que fait peser le secret professionnel.

Cette situation rend d'autant plus délicate l'action des magistrats.

M. Hervé Auchères a ainsi expliqué devant la commission d'enquête que, « dans de nombreux cas, il s'est avéré que des médecins, des assistantes sociales et des psychiatres avaient été informés par les personnes handicapées, dans le cadre des consultations qui les réunissent, de certains faits de maltraitance. Or, face à leur obligation de secret professionnel, ils se sont retrouvés dans l'incapacité de révéler ces faits. [...] Ces personnes n'étant pas fonctionnaires, elles ne sont pas liées par l'article 40 du code de procédure pénale14(*). Pour avoir eu l'occasion de discuter avec des psychiatres et des médecins, j'ai appris qu'il était déjà arrivé que ces personnes soient informées d'actes de viols ou de maltraitance. Or, sauf à se retrouver dans des situations extrêmement délicates, elles n'ont pas été en mesure de dénoncer les faits en question ».

Enfin, pour illustrer cette loi du silence, qui pèse tant sur les familles que sur les personnels des établissements, la commission d'enquête a constaté que la plupart des messages reçus sur son adresse électronique étaient anonymes.

* 8 L'article L. 311-8 du code de l'action sociale et des familles, issu de la loi du 2 janvier 2002 précitée, fait obligation à chaque établissement d'élaborer un projet d'établissement pour une durée maximale de cinq ans, après consultation du conseil de la vie sociale. Ce document définit les objectifs de l'établissement, notamment en matière de coordination, de coopération et d'évaluation des activités. Il trace aussi ses objectifs pour la qualité des prestations et établit ses modalités d'organisation et de fonctionnement.

* 9 Il s'agit des annexes au décret n° 89-798 du 27 octobre 1989. Elles concernent les conditions techniques d'autorisation et de fonctionnement des établissements et des services prenant en charge des enfants ou des adolescents présentant des déficiences intellectuelles ou inadaptés.

* 10 Centre d'hébergement et de réadaptation sociale.

* 11 Proposition de loi n° 287 (2002-2003) de MM. Nicolas About et Paul Blanc, sénateurs.

* 12 Audition de M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, le 5 février 2003.

* 13 L'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, inséré par la loi du 2 janvier 2002 précitée, prévoit que, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, « le fait qu'un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d'embauche, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire. En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande ». Il reste à savoir quelle application recevra effectivement cette nouvelle disposition.

* 14 L'article 40 du code de procédure pénale dispose, dans son troisième alinéa, que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

III. LA PRISE DE CONSCIENCE RÉCENTE D'UN PHÉNOMÈNE MAL MESURÉ

La nouveauté n'est pas la maltraitance envers les personnes handicapées, mais la prise de conscience, relativement récente, du phénomène par les pouvoirs publics. Il s'ensuit une mauvaise appréciation de son importance et une insuffisance de la politique spécifique de bientraitance.

A. UNE RÉALITÉ ANCIENNE MAIS LONGTEMPS DISSIMULÉE

1. La maltraitance envers les personnes handicapées n'est malheureusement pas une nouveauté

La maltraitance, y compris celle à l'égard des personnes handicapées, est un phénomène ancré dans la réalité humaine mais qui, en raison de la nature même du handicap, peut être amplifié par certains facteurs.

Le handicap, qu'il soit physique ou mental, nécessite en effet d'entreprendre des actions éducatives et soignantes relevant parfois d'un rapport étroit au corps. Dès lors, cette relation de dépendance devient nécessairement une relation à risque. Ainsi, M. André Laurain, président de ALMA H 54, a indiqué que, selon des travaux récents, le fait d'être handicapé multiplie par trois le risque de subir un acte de criminalité et, en cas de déficience mentale, par quatre, le risque de subir des abus sexuels.

Ce qui est certain en revanche, c'est que la maltraitance envers les personnes handicapées a très longtemps, et aujourd'hui encore, constitué un sujet tabou.

Ainsi que l'a expliqué M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'APF, « aujourd'hui, nous avons l'impression d'entendre beaucoup d'histoires. En réalité, elles ont toujours existé, mais certaines choses ne se disaient pas auparavant. De même, nous avons connu des cas de personnes qui se sont mises à parler dix ans après les faits. Vu ce qu'il se passait et ce qui était publié dans la presse, elles se sont manifestées pour dire qu'elles aussi avaient été victimes de maltraitance ».

M. Serge Lefèbvre, vice-président de l'APAJH, a considéré que le phénomène de la maltraitance des personnes handicapées n'avait pas augmenté, précisant même qu'« il n'y a pas plus de maltraitance qu'il n'y en avait auparavant. Il y en a même probablement moins ».

Quant à M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, il a insisté sur le fait que les cas de maltraitance envers les personnes handicapées étaient en réalité mieux connus que par le passé, ce qui peut donner l'illusion qu'ils sont plus nombreux. Selon lui, aucun élément statistique ni constat sur le terrain ne permet d'affirmer que les mauvais traitements d'enfants ou d'adolescents handicapés sont en augmentation. Il a précisé que « simplement, nous découvrons aujourd'hui ce que nous n'avons pas voulu entendre auparavant ».

Ce constat est également partagé par M. André Loubière, directeur des actions médicales et sociales de l'AFM : « nous ne sommes pas autorisés à dire qu'une aggravation s'est fait sentir. Aucun élément ne nous permet de tenir un tel discours. (...) Nous constatons que des situations de maltraitance sont beaucoup plus portées à notre connaissance que par le passé. Ceci est un fait ».

2. La peur du handicap

a) La prégnance des préjugés...

La société française a longtemps ignoré la maltraitance envers les personnes handicapées car elle cachait les handicapés eux-mêmes. Peur, préjugés, tabous... expliquent en grande partie la dissimulation dont ont fait l'objet les personnes handicapées en France, à l'inverse de la situation prévalant par exemple en Suède ou au Canada.

Mme Dominique Gillot expliquait ainsi que « dans notre pays, le handicap et l'exclusion font peur et qu'ils interpellent chacun au fond de la représentation qu'il se fait de l'individu. Il suffit de se souvenir qu'il y a une cinquantaine d'années, le handicap et l'exclusion étaient considérés comme un secret de famille, une tare, un tabou, voire une expiation que les familles devaient supporter dans la douleur et le dévouement sous le regard de leurs concitoyens et de leurs congénères. Ces familles étaient appréciées selon leur dévouement et jugées selon leur faiblesse. Nous éprouvons les plus grandes difficultés à sortir de cette approche ». Selon elle, le regard qu'a longtemps porté la société française sur le handicap peut se résumer en trois mots : « distance », « respect » et « crainte ».

Les représentations sociales du handicap ont ainsi indéniablement conduit à un silence pesant propice à la maltraitance, souvent involontaire et parfois même inconsciente.

Ainsi, M. Roland Broca, président de la FFSM, a rappelé que « notre vision [du handicap] reste massivement influencée par des représentations héritées du passé. Il s'agit notamment des conceptions scientistes du XIXème siècle, conceptions axées sur les notions de monstruosité, de tare et de dégénérescence. Celles-ci continuent d'infiltrer, d'influencer, parfois à notre insu, notre regard porté sur le monde des personnes handicapées. S'y ajoutent des connotations morales et religieuses se traduisant en termes de culpabilité pour les ascendants ».

Ces préjugés et connotations morales - pour ne pas dire moralisatrices - se retrouvent en particulier dans le domaine de la sexualité. Si la sexualité reste un sujet relativement tabou dans la société, celle des personnes handicapées l'est plus encore. M. Roland Broca a ainsi cité un exemple de comportement institutionnel paradoxal qui lui avait été relaté récemment : dans une institution, on prescrit à toutes les jeunes femmes handicapées une contraception, « en cas de possibilité de viol », et sûrement pas dans la perspective de l'exercice d'une sexualité libre !

Du reste, il convient de souligner, pour s'en féliciter, l'évolution du langage et du concept même de maltraitance. Ainsi, des pratiques qui étaient tolérées il y a une dizaine d'années, ou qui résultaient d'interventions médico-sociales considérées comme structurantes et éducatives, s'apparentent aujourd'hui à de la maltraitance. De même, l'histoire de l'éducation et du secteur éducatif enseigne que la correction infligée aux enfants pour leur faire comprendre quelque chose était une pratique entendue et normalisée.

Il suffit de se rappeler que ces établissements ont été créés à l'origine pour isoler les marginaux et les « déviants ». On parlait alors de protection de la société. Il n'y avait donc pas maltraitance vis-à-vis des personnes accueillies dans ces institutions.

M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'APF, a ainsi souligné l'influence de l'évolution des mentalités et des modes de vie sur la perception de la maltraitance : « au moment de la construction de certains foyers de vie, il y a maintenant plus de vingt ans, personne n'était gêné à l'idée qu'il fallait traverser un couloir et se rendre dans une salle commune pour prendre une douche. Aujourd'hui, il est nécessaire de donner aux gens les moyens de préserver leur intimité, ce qui implique de repenser l'agencement, de casser les murs et de reconstruire ».

b) ... jusque dans le corps médical

Le plus grave est sans doute que cette peur - et cette méconnaissance - du handicap se retrouve jusque dans le milieu médical !

Comme l'a en effet noté Mme Hélène Strohl, inspectrice générale des affaires sociales qui a participé à une enquête de l'IGAS sur la stérilisation des personnes handicapées, « les gynécologues sont peu habitués à travailler avec des personnes handicapées et savent mal leur prescrire une contraception. Ils sont persuadés que toute contraception est inadaptée à ces populations. (...) Je me dois, en toute franchise, de dire que les gynécologues n'aiment guère, dans leur ensemble, suivre ce type de population. Des histoires abracadabrantes nous ont d'ailleurs été contées, selon lesquelles les trisomiques ne pouvaient pas avoir un stérilet parce qu'elles « tiraient sur le fil » par exemple. Les propos qui nous ont été relatés étaient parfaitement insensés et effrayants ».

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

B. UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE DES POUVOIRS PUBLICS QUI DÉBOUCHE SUR L'ABSENCE D'UNE POLITIQUE SPÉCIFIQUE

M. Pascal Vivet a considéré que, « devant l'ampleur de la tâche [étudier les maltraitances envers les personnes handicapées], les pouvoirs publics ont défini d'autres priorités ».

Comme l'a également indiqué Mme Dominique Gillot, « nous devons constater que, au cours des 25 dernières années, le problème n'a pas été considéré comme un problème touchant l'ensemble de la collectivité nationale. Il était plutôt abordé d'une manière compassionnelle qui permettait de masquer le manque de responsabilités assumées et le décalage entre les manifestations d'empathie et la réelle prise de conscience des pouvoirs publics ».

La commission d'enquête ne peut que faire le même constat. Ces autres priorités ont consisté à lutter d'abord contre la maltraitance envers les enfants, puis à l'égard des personnes âgées, en dernier lieu seulement vis-à-vis des personnes handicapées.

1. La priorité accordée à l'enfance en danger...

Mme Sylviane Léger, directrice générale de l'action sociale au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a rappelé avec justesse que « la problématique de la maltraitance envers les personnes handicapées est relativement récente », la maltraitance ayant historiquement été associée à l'enfance en danger, quand ce n'était pas à l'enfance dangereuse.

Les violences en établissement, tant au niveau de la recherche que des politiques de prévention, ne seront prises en compte que plus tardivement, mais, ici encore, sous l'angle de la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs.

Les dispositions juridiques prévues par les pouvoirs publics, tout au moins jusqu'à la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, traduisent la focalisation de ces derniers sur l'enfance en danger, cette préoccupation légitime conduisant toutefois à sous-estimer, voire nier l'existence de la maltraitance envers les personnes handicapées.

La maltraitance et sa prévention à travers les textes :

la priorité donnée à l'enfance en danger

Les textes récents, antérieurs à la loi du 2 janvier 2002 précitée, traitaient de la maltraitance des résidents en établissements d'accueil, mais uniquement des enfants.

Ainsi, la circulaire du 5 mai 1998 de la DGAS a recommandé aux préfets et aux directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales (DDASS et DRASS) de faire preuve de la plus extrême vigilance en matière de sévices et d'abus sexuels commis sur des mineurs recueillis dans des établissements sociaux et médico-sociaux.

La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs renforce la répression des infractions sexuelles, améliore la protection des victimes et complète le dispositif existant en instituant le statut de mineur victime.

Un certain nombre de textes de niveau réglementaire vont, par la suite, compléter les outils de cette politique, qui émerge avec de plus en plus de force et de volontarisme politique.

Par exemple, le décret n° 97-216 du 12 mars 1997 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre les mauvais traitements et atteintes sexuelles envers les enfants institue un comité interministériel chargé de déterminer les orientations de la politique Gouvernementale en la matière. Il institutionnalise également le groupe permanent interministériel de l'enfance maltraitée (GPIEM), prévu par une circulaire de 1989.

Le ministère de l'éducation nationale a lui aussi édicté une circulaire, en date du 15 mai 1997, relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des élèves. Celle-ci réaffirme la nécessaire formation et mobilisation des personnels de l'éducation nationale.

Une circulaire conjointe de la direction générale de la santé et de la direction des hôpitaux, datée du mois de mai 1997, et relative aux dispositifs régionaux d'accueil et de prise en charge des personnes victimes de violences sexuelles, instaure des pôles de référence hospitaliers chargés de coordonner l'accueil et le suivi des victimes d'abus sexuels, plus particulièrement lorsqu'il s'agit de mineurs.

Ces textes, et les dispositifs qu'ils mettent en place, ne comportent aucune mention sur la situation particulière des enfants ou mineurs handicapés.

2. ... puis aux personnes âgées

Lorsque la maltraitance des adultes vulnérables a été inscrite à l'agenda politique, les personnes handicapées ont, une fois encore, été négligées.

Ce sont, cette fois, les personnes âgées qui ont fait l'objet de la sollicitude, certes légitime, des pouvoirs publics, à partir de la fin des années 1980.

En 2001, à la demande de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, alors secrétaire d'Etat aux personnes âgées, un groupe de travail, présidé par le professeur Debout, a engagé une réflexion sur la prévention et la lutte contre la maltraitance des personnes âgées.

Le 19 novembre 2002, M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, a installé le comité national de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées.

La « preuve » de la prise en compte de la maltraitance des adultes vulnérables

au niveau administratif : la création d'un bureau de la protection

des personnes à la DGAS

La directrice générale de l'action sociale a expliqué à la commission d'enquête que la création d'un nouveau bureau au sein de sa direction constituait une « preuve » de l'élaboration d'une véritable politique nationale de prévention et de lutte contre la maltraitance envers l'ensemble des personnes vulnérables, qui ne fait toutefois que « commencer ».

Le problème de la maltraitance envers les adultes vulnérables n'est apparu avec une telle acuité que dans le cadre de la réorganisation du ministère intervenue en juillet 2000. Il a été décidé de créer, au sein de la sous-direction des âges de vie, un bureau de la protection des personnes.

Il n'en reste pas moins vrai que, « bien que composé de personnes extrêmement compétentes, ce bureau reste de taille modeste. Il illustre donc à la fois le volontarisme politique et la relative faiblesse des moyens que nous pouvons consacrer à ces enjeux ».

3. La maltraitance des personnes handicapées : une préoccupation très récente

a) Un phénomène longtemps négligé

Plusieurs personnalités auditionnées par la commission d'enquête ont souligné la prise de conscience tardive, en France, de l'importance du phénomène de la maltraitance envers les personnes handicapées.

Ainsi, M. Pascal Vivet a rappelé qu'en 1982, un congrès international sur les mauvais traitements dans le monde avait pour thème « Les mauvais traitements dont sont victimes tous les enfants séparés de leur milieu familial ». Il a expliqué que « le ministre de l'époque, pour ne pas paraître ridicule devant la communauté mondiale, s'est alors renseigné sur les travaux que les chercheurs français avaient consacrés à ce thème. À son grand désespoir, il s'est rendu compte qu'à part une ou deux recherches, il n'existait pratiquement rien. Ni le centre national de recherche scientifique (CNRS) ni l'INSERM n'avaient travaillé sur ces sujets. C'est ainsi qu'est né, au sein du laboratoire de M. Tomkiewicz, un groupe de travail consacré aux violences institutionnelles ».

De même, M. Robert Hugonot, président de ALMA France, a rappelé que le Conseil de l'Europe avait organisé, en novembre 1987, un colloque sur le thème Les violences au sein de la famille, dont les débats avaient lieu au sein de trois commissions, la première portant sur les violences contre les enfants, la deuxième sur les violences envers les femmes, et la troisième sur les violences à l'égard des personnes âgées. Aucun débat particulier ne fut alors consacré aux violences faites aux personnes handicapées.

b) L'absence de recherches spécifiques

La question de la maltraitance des personnes handicapées n'a, pendant très longtemps, fait l'objet d'aucune recherche spécifique.

Mme Gloria Laxer, directeur de recherches à l'université de Lyon, maître de conférences et chargée de mission pour les publics à besoins éducatifs spécifiques à l'académie de Clermont-Ferrand, a ainsi pu noter que les notions de maltraitance et de négligence sont apparues plus tôt dans tous les autres pays. « En règle générale, des publications et des travaux de recherche ont été élaborés par des équipes médico-sociales qui se sont inquiétées de ces problèmes très tôt. Dans les années 1960-1970, les travaux ont tout d'abord porté sur les familles maltraitantes. Lorsque les travaux se sont intéressés à l'enfant victime de maltraitance, on a réalisé que de nombreux enfants vivaient en institution. Les travaux ont alors porté sur l'institution. Ceci a conduit à réfléchir aux dimensions institutionnelles, en se demandant si l'institution telle qu'elle existe (...) est un bon système. »

Le plus grave, pour notre pays, est sans doute que, comme l'indiquait en conclusion Mme Gloria Laxer, « même les pays qui étaient très en retard, comme l'Espagne ou l'Italie, nous ont aujourd'hui dépassés. Les Pays-Bas affichaient un taux d'intégration scolaire identique au nôtre il y a sept ou huit ans. Ce taux est aujourd'hui de 77 % alors que nos chiffres sont bien inférieurs ».

c) Le rôle essentiel des associations et du Conseil de l'Europe

Il convient à cet égard de souligner l'importance, dans l'émergence du débat et la prise de conscience de l'acuité de ce problème en France, du rôle éminent du monde associatif, sans lequel probablement rien n'aurait été possible. Ainsi, l'UNAPEI, suite à la circulaire du 5 mai 1998 précitée, a créé un observatoire de la maltraitance envers les personnes souffrant d'un handicap mental, dont les conclusions ont été publiées dans un Livre blanc en juillet 2000.

Le Conseil de l'Europe a également joué un rôle crucial sur ce point. À la demande du comité pour la réadaptation et l'intégration des personnes handicapées créé en son sein, le professeur Hilary Brown a rédigé un rapport intitulé La protection des adultes et enfants handicapés contre les abus, daté du 30 janvier 2002. Ce rapport prend la forme d'un Accord partiel dans le domaine social et de la santé publique15(*). Il note en particulier que « les enfants et les adultes handicapés devraient apparaître dans les statistiques courantes concernant la criminalité et les interventions au titre de la protection des enfants ou des adultes ». Comme on le verra plus loin, tel n'est pas le cas en effet.

De surcroît, la DGAS a participé à un groupe de travail mis en place par le Conseil de l'Europe, qui a élaboré un projet de résolution, celui-ci étant en cours d'examen par le comité précité, à la date de l'audition de Mme Sylviane Léger.

* 15 Si seul un certain nombre d'Etats membres du Conseil de l'Europe désirent entreprendre une action à laquelle tous leurs partenaires européens ne souhaitent pas se joindre, ils peuvent conclure un Accord partiel qui n'engage qu'eux-mêmes. L'Accord partiel dans le domaine social et de la santé publique, qui regroupe 18 Etats, a été conclu en 1959. Ses principaux domaines d'activité sont la réadaptation et l'intégration des personnes handicapées et la protection de la santé publique, en particulier celle du consommateur.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

C. DES CAS DE MALTRAITANCE MAL ÉVALUÉS EN RAISON D'ÉTUDES STATISTIQUES FRAGMENTAIRES ET APPROXIMATIVES

La commission d'enquête a pu constater l'existence d'un consensus sur une première estimation chiffrée, certes très globale, concernant la maltraitance envers les personnes handicapées : la famille serait, dans environ 70 % des cas, le lieu d'exercice de la maltraitance, et les institutions pour 30 %. Le garde des Sceaux a, quant à lui, estimé cette proportion entre 20 % et 30 %.

1. Un intérêt très limité pour la maltraitance des personnes handicapées de la part de nombreuses institutions

a) Les institutions sociales

La délégation interministérielle aux personnes handicapées

La question de la maltraitance des personnes handicapées n'a été que très peu traitée, voire abordée au sein des institutions interministérielles, y compris au sein des institutions dont la mission est précisément de mettre en oeuvre des politiques en faveur des personnes handicapées.

Ainsi, M. Patrick Segal, ancien délégué interministériel aux personnes handicapées, a lui-même affirmé, devant la commission d'enquête, qu'il ne maîtrisait qu'imparfaitement le sujet de la maltraitance, car il ne l'a « pas constaté lors des sept années, de 1995 à 2002, durant lesquelles [il a] occupé la fonction de délégué interministériel et ce, même s'il [lui] est arrivé de recevoir parcimonieusement quelques courriers faisant état de possibles cas de maltraitance ».

La commission d'enquête ne peut que souligner l'extrême prudence de l'ancien délégué interministériel lorsqu'il relate la connaissance qu'il avait de ces faits : « je ne peux malheureusement pas en parler car je n'en ai jamais été témoin et parce que, durant sept années de délégation interministérielle, je n'ai pas eu suffisamment de dossiers en ma possession. Néanmoins, je sais que cette forme de maltraitance existe »...

La maltraitance des personnes handicapées ne constituait visiblement pas une priorité forte de la délégation interministérielle.

L'Inspection générale des affaires sociales

L'absence d'intérêt pour la question de la maltraitance des personnes handicapées de la part de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a beaucoup surpris la commission d'enquête.

A l'exception de l'enquête, ponctuelle et maintenant relativement ancienne, consacrée à la stérilisation des personnes handicapées, l'IGAS, comme l'a noté Mme Hélène Strohl, « n'a pas mis en place de programme spécifique sur la question de la maltraitance », se contentant de se rendre « parfois dans un établissement lorsqu'un cas de maltraitance n'a pu être résolu par l'inspection de premier niveau, la DDASS ».

L'inspectrice générale des affaires sociales entendue par la commission d'enquête s'est d'ailleurs reconnue « en peine » de fournir des éléments de réponse à des questions pourtant élémentaires posées par le président et le rapporteur, par exemple sur le bilan quantitatif annuel des contrôles effectués par l'IGAS sur les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui accueillent des personnes handicapées ou sur le nombre d'établissements inspectés par elle. De même, elle a été « dans l'incapacité » de répondre à des questions portant sur les principaux enseignements des inspections de l'IGAS en établissements d'accueil de personnes handicapées - ampleur du phénomène, personnes maltraitantes et maltraitées, formes de maltraitance, moyens mis en place par les établissements pour prévenir la maltraitance... - ou sur l'action des autorités de tutelle pour prévenir et lutter contre la maltraitance dans les établissements.

De surcroît, l'IGAS n'a jamais été conduite à initier de poursuites judiciaires sur le sujet de la maltraitance à l'issue de ses inspections, Mme Hélène Strohl précisant que « les procureurs de la République avaient généralement été saisis des affaires avant que nous n'intervenions »...

Du reste, au cours de ses inspections éventuelles, l'IGAS ne rencontre que rarement les personnes handicapées elles-mêmes.

Ceci étant, comme on l'expose plus loin, certains rapports de l'IGAS concernant les limites des contrôles effectués par les DDASS, ne manquent pas d'intérêt.

L'assurance maladie

Les organismes de sécurité sociale, en premier lieu la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), n'ont pas davantage porté d'intérêt particulier au phénomène de la maltraitance envers les personnes handicapées, avant la médiatisation de certaines affaires.

M. Serge Boyer, responsable du département des réglementations d'assurance maladie de la CNAMTS, n'a ainsi pas été en mesure de fournir à la commission d'enquête de quelconques éléments statistiques sur le sujet. En effet, la CNAMTS ne possède pas de système d'information permettant de centraliser ces données au niveau national de manière à mesurer et suivre les cas de maltraitance et à évaluer la mise en oeuvre des politiques de lutte au niveau local.

Elle aurait pourtant pu se doter d'un tel outil statistique puisque ses services médicaux ont un pouvoir de contrôle de la situation de prise en charge des soins dans les établissements. À ce titre, ces services sont habilités à intervenir et à s'occuper de situations individuelles, ou bien à participer, en relation avec les services préfectoraux, à des opérations d'enquête afin d'évaluer le fonctionnement d'un établissement qui poserait difficulté pour les personnes handicapées.

En fait, il apparaît que le régime d'assurance maladie, par l'action de ses caisses régionales, faisait porter l'essentiel de ses efforts de contrôle sur l'aspect budgétaire et se consacrait essentiellement à émettre chaque année un avis sur les projets de budget des établissements médico-sociaux qu'il est amené à financer, les instituts médico-pédagogiques (IMP) et instituts médico-professionnels (IMPro), les centres de rééducation professionnelle16(*) ou les structures accueillant des adultes lourdement handicapés (MAS ou foyers d'accueil médicalisé (FAM) anciennement dénommés foyers à double tarification), les services de soins et d'aide à domicile (SESSAD), qui assurent une prise en charge à domicile, et le suivi des enfants, les centres d'action médico-sociale précoce, les bureaux d'aide psychologique universitaire.

Comme l'a toutefois reconnu M. Serge Boyer : « il est cependant extrêmement difficile de repérer ce que chaque établissement met en oeuvre contre la maltraitance par la seule observation de ses pratiques budgétaires ». Autrement dit, les contrôles effectués par la CNAMTS n'avaient quasiment aucune chance de déceler des actes de maltraitance...

Un aspect longtemps absent des formations dispensées

La formation à la problématique de la maltraitance est, elle aussi, récente et encore embryonnaire, tant en ce qui concerne les professions médicales et paramédicales que les responsables des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

S'agissant des professions médicales et paramédicales, l'analyse des formations initiales et continues, au regard du phénomène de maltraitance envers les personnes handicapées, révèle une situation inégale.

Les professions médicales - médecins et sages-femmes - et infirmières sont sensibilisées au problème de la maltraitance des personnes vulnérables. En revanche, cette sensibilisation reste largement à promouvoir s'agissant des professions de rééducation.

Les programmes de formation initiale des professions de santé, c'est-à-dire les médecins, les sages-femmes, les aides-soignantes, les auxiliaires de puériculture, les masseurs-kinésithérapeutes, les orthophonistes, les psychomotriciens, les ergothérapeutes..., révèlent que, si la notion de handicap est toujours abordée, il n'en va pas de même pour la maltraitance. Celle-ci, en effet, n'apparaît pas dans tous les programmes de formation, notamment les programmes réservés aux professionnels de la rééducation que sont les masseurs-kinésithérapeutes, les ergothérapeutes et les orthophonistes.

En outre, lorsque ce sujet est identifié dans les programmes, il concerne essentiellement une seule population vulnérable : les enfants et les adolescents.

Enfin, dans toutes les formations, les études du handicap et de la maltraitance sont différenciées.

En ce qui concerne la formation continue, le dispositif actuel se caractérise par la multiplicité des offres de formation, dont, selon M. Eric Waisbord, sous-directeur de la qualité du système de santé à la direction générale de la santé du ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, « le contenu et la qualité ne sont pas contrôlés de manière systématique ».

En revanche, l'offre de formation concernant la prévention des faits de maltraitance commis à l'égard des personnes handicapées est plus significative pour les infirmiers. Les thèmes de formation continue concernent néanmoins, le plus souvent, et de façon aussi alternative qu'en matière de formation initiale, la maltraitance et le handicap.

M. Jean-Marc Braichet, chef du bureau de la formation des professions de santé au sein de la sous-direction susmentionnée, a affirmé qu' « il existe, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi que dans quelques établissements sanitaires, des personnels qui exercent la profession d'aides-soignants sans pour autant avoir suivi de formation adéquate ».

En effet, les aides-soignants et, par extension, tous les personnels qui pourraient faire office d'aides-soignants peuvent exercer en établissements sociaux et médico-sociaux sans formation. Il s'agit de l'une des rares professions, parmi les professions de santé, qui ne soit pas réglementée, la possession d'un diplôme ne constituant pas une condition absolument incontournable pour pouvoir l'exercer.

A l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP) de Rennes, qui forme les cadres des établissements médico-sociaux, il existe certes des formations continues spécifiques sur les questions de la maltraitance, mais les premières formations ont porté sur la maltraitance à l'encontre des enfants et des personnes âgées, ce fait confirmant le constat relevé plus haut. De surcroît, des formations sur le thème des personnes handicapées, appelées « lutte contre les mauvais traitements », se développent aujourd'hui. Elles sont notamment élaborées à partir des guides méthodologiques rédigés par le ministère et édités par l'ENSP, intitulés Prévenir, repérer et traiter les violences à l'encontre des enfants et des jeunes dans les institutions sociales et médico-sociales.

Toutefois, selon M. Jean-Marc Lhuillier, professeur de droit social à l'ENSP, « le problème de la maltraitance envers les personnes handicapées est évoqué depuis peu » et les formations organisées sur le sujet résultent directement des faits divers mis en évidence par l'actualité.

Enfin, en ce qui concerne la délicate question du recueil de témoignages de personnes handicapées lorsque des actes de maltraitance ont été constatés, il a précisé que « nous ne pouvons pas dire que des formations traitant spécifiquement de ces problèmes existent. La réflexion en est pour le moment à son stade initial ».

b) L'Observatoire national de l'action sociale décentralisée

L'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) n'a pas, lui non plus, étudié la question de la maltraitance envers les personnes handicapées, comme l'a lui-même reconnu son délégué général, M. Jean-Louis Sanchez.

Il a ainsi indiqué que « nous avons toujours eu le souci de disperser et de diffuser nos efforts d'observation. La connaissance des publics permet de déterminer les bonnes réponses. (...) L'observation du monde des personnes handicapées n'a pas pour autant suivi l'évaluation des politiques publiques mises en place ». C'est le moins que l'on puisse dire !

En fait, les observations de l'ODAS en la matière sont inexistantes. Il convient ainsi de noter que, si l'ODAS a mis en place un observatoire national de l'enfance en danger, un tel observatoire n'existe pas pour les personnes handicapées. Selon M. Jean-Louis Sanchez, « la création d'un observatoire national des personnes handicapées ne constituait pas notre priorité ».

Le délégué général n'a pu, dans ces conditions, que livrer son « impression personnelle » : « je pense qu'il n'y a pas eu d'augmentation de la maltraitance des personnes handicapées ». Ce constat ne peut ainsi que s'appuyer sur une impression, et aucunement sur des chiffres solidement établis. Du reste, l'ODAS ne dispose pas non plus de statistiques concernant les enfants handicapés, ces derniers étant compris dans l'observation générale portant sur l'enfance en danger. Il n'a pas apporté davantage de réponse sur une étude éventuelle qu'il aurait pu effectuer sur la façon dont les départements exercent leur tutelle sur les établissements qui accueillent des personnes handicapées.

Bref, la question des personnes handicapées n'a guère préoccupé l'ODAS.

c) Le ministère de la justice

Le ministère de la justice n'accorde que peu de moyens à la lutte contre la maltraitance envers les personnes handicapées dans son champ de compétences, en l'occurrence la justice des tutelles, alors même que l'accès au juge des tutelles est extrêmement aisé, un simple courrier suffisant pour le saisir, ce qui explique l'importance des saisines.

La France compte 473 tribunaux d'instance, au sein desquels travaille un juge des tutelles spécialisé dans la protection des majeurs vulnérables. Or, la charge des dossiers de tutelle des majeurs représente en moyenne entre 15 % et 20 % du temps de travail du juge17(*), qui peut être par ailleurs juge des audiences civiles, juge des audiences de police... Il est donc possible d'estimer qu'il existeentre 80 et 100 juges des tutelles en équivalent temps plein, pour les seuls problèmes relatifs aux majeurs. Ces juges doivent s'occuper de 600.000 personnes. Selon M. Dominique Perben, ministre de la justice, « ce chiffre est terrifiant ! ». Il signifie en effet que chaque juge de tutelle doit s'occuper, en moyenne, de 6.000 à 7.500 personnes chaque année.

Quant aux 406 greffiers en chef que l'on trouve dans les tribunaux d'instance, ils sont supposés contrôler chaque année 600.000 comptes de gestion ! Le garde des Sceaux en a conclu que ce système « est devenu formel par nécessité ».

Mme Laurence Pécaud-Rivolier, présidente de l'Association nationale des juges d'instance, a fait un constat quasi-identique sur l'impossibilité matérielle de contrôler les comptes de tutelle avec toute l'attention nécessaire : « les moyens des greffiers en chef, qui ont en charge le contrôle des comptes, sont extrêmement limités. Ils ont en moyenne 1.500 dossiers à contrôler chaque année, sachant que cela recouvre une infime partie de leur travail de greffier en chef, qui consiste à faire fonctionner la juridiction. Par surcroît, ils n'ont aucune formation pour accomplir cette mission. Ils font donc ce qu'ils peuvent, et en général pas si mal, mais il est évident que cette situation n'est pas satisfaisante et que le contrôle n'est pas absolu ».

Mme Laurence Pécaud-Rivolier a cependant souligné que, en dépit de ces difficultés, les juges des tutelles étaient d'un accès facile pour les personnes handicapées et leurs familles.

2. La mesure de la maltraitance : « la partie émergée de l'iceberg » ?

L'absence de définition claire et circonscrite de la notion de maltraitance, mise en évidence plus haut, est en grande partie à l'origine de l'inexistence de chiffres fiables sur les actes de maltraitance envers les personnes handicapées.

Au cours de son audition, Mme Anne-Sophie Parisot, membre du CDH, a estimé qu'il était très difficile d'évaluer l'ampleur du phénomène de la maltraitance envers les personnes handicapées ainsi que son éventuelle aggravation, mais a noté que, chez les personnes handicapées ayant la capacité de s'exprimer, des situations de maltraitance physique et psychologique, ainsi que de graves négligences de soins, pouvaient être portées à leur connaissance. Aussi en a-t-elle déduit que la situation devait être pire chez ceux qui ne peuvent s'exprimer. C'est pourquoi elle a considéré que les actes de maltraitance dont on parle « ne constituent que la partie émergée de l'iceberg ».

M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, a insisté sur la difficulté à obtenir des statistiques sérieuses sur la maltraitance des personnes handicapées, notamment en ce qui concerne la maltraitance « en creux » : « le domaine des violences psychologiques, que j'ai appelé violences en creux, reste très difficile à cerner. Autant il est possible de déterminer, par un contrôle médical adéquat, les violences en bosse, autant pour ce qui relève du domaine de l'insuffisance, et qui représente selon moi près de 40 % des violences commises sur les personnes handicapées dans les institutions, nous éprouvons de grandes difficultés à incriminer qui que ce soit ».

Les cas de maltraitance « en creux », sont très difficiles non seulement à quantifier, mais aussi à identifier, y compris en cas de contrôle sur place ou de perquisitions effectuées par la police. Ainsi, M. Pascal Vivet a indiqué que « les services officiels de la police(...) nous ont affirmé que, lorsqu'ils réussissaient à entrer au sein d'une institution, ils étaient conscients qu'un travail aussi minutieux que possible ne leur permettrait de mettre à jour que 20 % des faits de violence. Il s'agit pourtant de brigades de mineurs connaissant extrêmement bien leur domaine ».

La commission d'enquête, au cours de ses investigations, a constaté non seulement l'absence de fiabilité des statistiques relatives aux actes de maltraitance envers les personnes handicapées, mais surtout le caractère embryonnaire des statistiques elles-mêmes.

a) Des statistiques « insignifiantes »

De l'aveu même de Mme Sylviane Léger, directrice générale de l'action sociale, les statistiques concernant les cas de maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements sont « insignifiantes ».

Elle a d'ailleurs mis en garde à plusieurs reprises la commission d'enquête sur l'extrême prudence avec laquelle il convenait de manipuler et analyser ces chiffres, l'appréciation chiffrée de la DGAS n'étant que « partielle ».

Elle n'en a pas moins tenté de présenter à la commission d'enquête les connaissances que la DGAS avait commencé à acquérir grâce à l'analyse des fiches de signalement qui lui sont transmises par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, en application d'une circulaire du 30 avril 2002, qui a donné une base réglementaire à des pratiques existantes mais qui n'étaient pas formalisées.

Bien qu'elle ait souligné que « la transmission de ces fiches est encore très inégale selon les départements », le nombre de fiches de signalement transmises a évolué de la manière suivante depuis 1999 :

Il est possible de constater que cette procédure de transmission à la DGAS produit des effets de manière extrêmement progressive. Mme Sylviane Léger a d'ailleurs fait remarquer que « les données qui nous sont transmises restent très faibles », mais a affirmé que « nous devrions être en mesure de recevoir les informations émanant de l'ensemble du territoire en 2003 ».

Force est, effectivement, de souligner l'insignifiance de ces données. Assurément, le nombre extrêmement faible de signalements constitue le meilleur aveu de la sous-estimation, en France, de la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements. Ils pourraient paraître signifier que rien ne s'est passé dans des milliers d'établissements répartis sur des dizaines de départements, ce qui, eu égard à la population visée, est tout simplement inconcevable !

En réalité, ces chiffres ne portent que sur des signalements adressés à la DDASS concernée qui les a ensuite transmis à son administration centrale. Ils ne peuvent donc pas remplacer des statistiques sur l'ensemble du phénomène, sachant que la plupart des actes de maltraitance ne font l'objet d'aucun signalement à qui que ce soit.

La directrice générale de l'action sociale a communiqué à la commission d'enquête l'analyse des 209 signalements reçus par la DGAS pour l'année 2002.

La commission d'enquête insiste sur deux précautions à prendre :

- d'une part, les chiffres qui suivent concernent l'ensemble des cas de maltraitance envers les adultes vulnérables accueillis en établissements et pas seulement les personnes handicapées, même si ces dernières y sont très largement représentées, soit environ 90 % des signalements ;

- d'autre part, il s'agit donc d'un échantillon partiel et par conséquent très peu représentatif, dont il ne faudrait pas tirer de conclusions trop hâtives.

L'analyse des 209 signalements de maltraitance reçus par la DGAS en 2002

Pour l'année 2002, 209 signalements de situations de maltraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux ont été transmis à la DGAS.

Plus de la moitié des situations signalées - 116 cas, soit 53 % - se sont déroulées dans des établissements accueillant des mineurs. 105 signalements, soit la moitié, concernent des établissements pour enfants handicapés. 34 % des signalements concernent des adultes handicapés, et 13 % des personnes âgées. Les établissements concernés ont, pour 80 % d'entre eux, un statut d'établissement privé.

Le personnel se trouve à l'origine du signalement dans 44,7 % des cas, la victime et/ou sa famille dans 43,3 % des cas. Dans 11 % des cas restants, l'information provient d'un tiers extérieur, stagiaire, professionnel exerçant une activité libérale.

Les violences les plus fréquemment signalées sont les violences sexuelles, à hauteur de 48 %, soit 104 cas, dont 30 viols, les violences physiques, pour 21,5 %, soit 47 cas. Les signalements de négligences graves représentent 17 cas, soit 7,7 % et les violences psychologiques 4,5 %. Dans 7,3 % des cas, violences sexuelles et physiques se cumulent.

Parmi les 75 adultes handicapés victimes de maltraitance ou de violence, deux fois sur trois la victime est une femme. Sur 116 mineurs victimes, on dénombre deux fois plus de garçons que de filles.

Les auteurs de maltraitance sont, dans 59 % des cas, des membres du personnel, et, dans 38 %, des résidents. Pour ce qui concerne les situations de maltraitance dont les victimes sont des mineurs avec un handicap, une fois sur deux, les auteurs présumés sont des co-résidents.

Une enquête administrative est diligentée dans plus de la moitié des situations, soit 56,6 % des cas, et le procureur de la République est saisi dans 84 % des cas.

À la mi-avril, 53,4 % des dossiers font l'objet d'une enquête préliminaire, 21 % des dossiers, soit 46, ont été classés sans suite, 10 ont donné lieu à une mise en examen et 10 incarcérations ont été prononcées.

Mme Anne-Sophie Parisot, membre du CDH, a contesté la réalité des chiffres de signalement donnés par la DGAS pour 2001 : « si, en 2001, seulement 151 affaires de maltraitance de personnes handicapées sont parvenues au ministère des affaires sociales par l'intermédiaire des directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), les associations estiment leur nombre à plusieurs centaines par an ».

Toutefois, ce pessimisme n'est pas partagé par tout le monde. Ainsi, Mme Emmanuelle Salines, médecin inspecteur de la santé publique, chargée de mission à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a tenu à souligner l'évolution plutôt favorable de la tendance des signalements : « nous réalisons des statistiques sur les cas qui nous sont signalés. Il faut bien en être conscient : les déclarations augmentent. Je suis persuadée que cela est imputable à une véritable prise de conscience du problème de la maltraitance. Les témoins de ces actes délictueux savent dorénavant auprès de quelle structure les dénoncer. Ils ont de moins en moins peur de le faire. Il s'agit donc, selon moi, d'un indicateur d'amélioration de la situation. Il ne signifie pas que les cas de maltraitance sont en augmentation ».

De surcroît, la faiblesse des enseignements qu'il est possible de tirer des statistiques se retrouve dans les résultats du programme pluriannuel de contrôle des établissements et services sociaux et médico-sociaux, initié par la DGAS en 2001. Ce programme, prévu pour se terminer en 2006, devrait être prorogé.

Sur les 25.000 établissements et services sociaux et médico-sociaux existant, environ 6.000 entrent dans le champ potentiel du programme d'inspections, c'est-à-dire qu'ils répondent à deux critères :

- assurer l'hébergement de tout ou partie des personnes prises en charge ;

- relever de la compétence de l'Etat ou de la compétence conjointe de l'Etat et du département en matière d'autorisation et de tarification.

Le programme s'est fixé pour objectif d'inspecter 2.000 de ces établissements. Environ 70 % des 2.000 établissements ainsi contrôlés, soit 1.400 établissements, accueillent des personnes handicapées.

La direction générale de l'action sociale a communiqué les premiers résultats, portant sur l'année 2002, de ce programme d'inspections.

La commission d'enquête se doit de constater que les enseignements qu'il est possible d'en tirer sont extrêmement limités, aucune information ne lui ayant été fournie sur les observations faites à l'occasion de ces inspections...

Les premiers résultats du programme pluriannuel d'inspections préventives

Les chiffres que la DGAS a communiqués à la commission d'enquête à la mi-mai 2003 ont été qualifiés de « partiels » et « très sommaires » par la direction elle-même.

Celle-ci a pu exploiter les données de 19 régions. Pour ces régions, l'objectif était l'inspection de 330 établissements, inscrits prioritairement au programme, 400 établissements devant être inspectés sur l'ensemble des régions françaises. Les résultats communiqués portent donc sur 82,5 % du programme 2002.

Tous établissements confondus, 278 inspections ont été menées pour 2002 - 52 inspections prévues, soit 15,8 %, n'ont donc pas été réalisées -, selon la répartition suivante :

- établissements accueillant des mineurs : 105, soit 37,8 % ;

- établissements accueillant des adultes : 67, soit 24,1 % ;

- établissements accueillant des personnes âgées : 106, soit 38,1 %.

Le procureur de la République a été saisi 17 fois à l'occasion de ces inspections, soit dans environ 6 cas sur 100.

146 inspections ont été diligentées dans des établissements accueillant des personnes handicapées, soit plus de la moitié des inspections (52,5 %).

Ces 146 inspections se sont réparties de la manière suivante :

- 97 inspections, soit 66,4 %, dans les établissements pour mineurs handicapés ;

- 49 inspections, soit 33,6 %, dans les établissements pour adultes handicapés.

La commission d'enquête a entendu un témoignage faisant état d'au moins 6.000 cas de maltraitance chez les enfants et les adolescents handicapés en 2001, ce qui représente un chiffre considérable, bien supérieur à celui des signalements reçus par la DGAS au cours de la même année, soit 151. Elle souhaite donc rapporter ce témoignage, mais précise qu'il s'agit d'estimations qu'elle ne reprend pas à son compte.

Les estimations rapportées par M. Pascal Vivet :

au moins 6.000 enfants et adolescents handicapés maltraités en France en 2001

Au cours de son audition devant la commission d'enquête, M. Pascal Vivet, interrogé par le rapporteur de la commission d'enquête sur sa connaissance statistique du phénomène, a estimé, d'après les résultats d'une évaluation réalisée en 2001 par le service national d'accueil téléphonique de l'enfance maltraitée à partir des appels reçus sur le « numéro vert » 119, « Allô enfance maltraitée », que « l'enfance et l'adolescence handicapées regroupent 1,5 % des 400.000 appels », ce qui représenterait au moins 6.000 cas cette année-là.

Il convient du reste de préciser que le 119 a reçu en 2001 un million d'appels mais que seuls 400.000 d'entre eux ont pu être entendus par des écoutants de ce « numéro vert », les autres ne parvenant pas à y accéder, faute de moyens.

Enfin, et en dépit des conclusions de l'enquête de l'IGAS sur la stérilisation des personnes handicapées, qui date maintenant de cinq ans, le suivi par la DGAS de cette question reste inexistant, comme l'a souligné Mme Hélène Strohl : « l'item de stérilisation ne figure pas dans le suivi statistique actuel effectué par la direction générale de l'action sociale en matière de maltraitance envers les personnes handicapées. Il est fait référence aux violences sexuelles et aux mauvais traitements mais absolument pas à la restriction de la liberté sexuelle des personnes handicapées, qui est une forme de mauvais traitement, ou à la stérilisation forcée ».

b) Un obstacle à la sanction de la maltraitance

Cette limite, en matière de connaissance statistique du phénomène, constitue également - c'est le point le plus grave ! - un obstacle à la sanction des cas de maltraitance. Il est en effet difficile de sanctionner des faits mal connus. Dès lors, les statistiques des ministères de la justice et de l'intérieur sont elles-mêmes peu élaborées sur ce point et donc peu précises.

Le garde des Sceaux, M. Dominique Perben, à l'occasion de son audition devant la commission d'enquête, a indiqué que, « très honnêtement, l'ampleur des phénomènes de maltraitance dans les établissements d'accueil pour personnes handicapées reste difficile à apprécier. (...) La source de l'information est donc déjà incertaine, ce qui entraîne une sous-évaluation des cas de maltraitance ».

Il a ajouté que « l'état statistique 4.001 du ministère de l'intérieur18(*) ne distingue pas ce type de maltraitance parmi ses rubriques. Enfin, le ministère de la justice lui-même ne distingue pas ce type de violence de l'ensemble des autres violences. Le fait que la maltraitance se déroule au sein d'une institution n'est ni un élément constitutif ni une circonstance aggravante. Notre système statistique n'en tient donc pas compte ».

Cette carence du système statistique, qui est aussi, aux yeux de la commission d'enquête, une preuve supplémentaire du peu d'intérêt que portent les pouvoirs publics aux maltraitances envers les personnes handicapées, est d'autant plus incompréhensible que la notion de « personne particulièrement vulnérable », notamment en raison de l'âge ou du handicap, existe en droit pénal français. Les préjudices subis par ces personnes sont donc sanctionnés par des dispositions particulières et ouvrent droit à réparation (voir infra, chapitre 2).

Comme le soulignait le garde des Sceaux, M. Dominique Perben, devant la commission d'enquête, « la notion de personne particulièrement vulnérable, notamment en raison de l'âge ou du handicap, est prise en compte par notre droit pénal. C'est ainsi que 36 infractions prévoient la vulnérabilité de la victime comme élément constitutif ou comme circonstance aggravante. En 2001, ces textes ont servi de fondement à 1.818 poursuites devant une instance de jugement. À 612 reprises, les juridictions ont prononcé des peines d'emprisonnement ferme ».

Il existe donc bien des statistiques sur la maltraitance envers les personnes vulnérables lorsque celle-ci a débouché sur une sanction pénale, mais les chiffres disponibles n'opèrent pas de distinction selon le lieu de commission de l'infraction (établissement ou non).

c) La porte ouverte aux polémiques

La carence statistique est d'autant plus dommageable qu'elle laisse la porte ouverte aux affirmations excessives, et parfois polémiques, qui peuvent exister en la matière, et qu'elle interdit dès lors tout démenti solidement étayé.

Si elle ne peut partager l'affirmation de M. Pascal Gobry, auteur de l'ouvrage L'enquête interdite - Handicapés : le scandale humain et financier, pour qui « toutes les statistiques concernant les personnes handicapées sont fausses. Il ne s'agit pas d'une question de décimales après la virgule mais de rapports de un à trois, à quatre, voire à dix parfois », la commission d'enquête doit bien constater que l'état actuel du développement des statistiques dans ce domaine ne permet pas de lui porter la contradiction.

Pourquoi la commission d'enquête ne peut partager l'analyse de M. Pascal Gobry

Les propos tenus par M. Pascal Gobry devant la commission ont toujours été intéressants mais trop souvent outranciers et provocateurs pour pouvoir être acceptés en l'état.

S'il a indéniablement posé de bonnes questions, concernant par exemple l'insuffisante prise en charge des enfants handicapés par l'école en milieu ordinaire, il a apporté des réponses parfois excessives, notamment lorsqu'il a affirmé que « personne ne peut nier aujourd'hui que l'hôpital est devenu un outil d'eugénisme à une assez grande échelle. L'avortement, et principalement l'avortement dit thérapeutique, y est pratiqué après sélection, celle-ci désignant les personnes handicapées pas encore nées », ou encore lorsqu'il a déclaré que « la statistique est chargée d'expliquer à la personne handicapée discriminée, maltraitée ou exclue : « Tu es une exception ». (...) J'affirme en conséquence que le mensonge statistique est l'une des formes les plus utilisées de maltraitance et l'allié le plus certain des autres maltraitances » !

Ces propos signifient ni plus ni moins que les pouvoirs publics seraient à l'origine de statistiques « officielles » volontairement faussées dans un objectif eugéniste, « le but poursuivi [étant] de dire à la personne handicapée maltraitée qu'elle constitue une exception », afin « d'inverser l'exception et la norme ».

De surcroît, la démonstration avancée par M. Pascal Gobry pour prouver le caractère mensonger de ces statistiques prétendument manipulées repose sur un exemple - qu'il a répété à satiété mais qui présente le grand inconvénient d'être le seul ! -, celui du nombre de personnes aveugles, qui sont officiellement 60.000 en France mais 380.000 au Royaume-Uni, deux pays pourtant très comparables tant en termes économiques que démographiques. Si cette différence dans les chiffres conduit indéniablement à s'interroger sur les méthodes d'élaboration des statistiques retenues dans les deux pays, en conclure un trucage systématiquement délibéré paraît à la commission d'enquête pour le moins précipité et excessif...

* 16 Pour les dépenses entraînées par les frais d'atelier et la formation professionnelle.

* 17 Il convient de préciser que, il y a quelques années encore, cette activité n'était pas comptabilisée dans les statistiques du ministère de la justice.

* 18 Il s'agit de l'état statistique qui recense les crimes et délits ainsi que leur degré d'élucidation par les services de la police nationale.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

D. LE PIÈGE DE LA DRAMATISATION MÉDIATIQUE

Bien sûr, il existe des cas de maltraitance suffisamment graves pour justifier la saisine de la justice, ainsi qu'une maltraitance insidieuse qui agit au quotidien.

Néanmoins, et plusieurs personnalités auditionnées par la commission d'enquête l'ont confirmé, la médiatisation de certaines affaires a engendré dans l'opinion publique une vision faussée du monde du handicap. C'est en effet la maltraitance à caractère sexuel qui fait l'objet d'un traitement outrancier et sensationnel19(*).

Cette présentation est à l'origine d'une peur irrationnelle du risque chez les parents, tandis que les travailleurs sociaux et les associations en ont beaucoup souffert et se sont sentis injustement désignés comme boucs émissaires.

Le point de vue de l'UNAPEI sur la « chasse aux sorcières »

Lors de son audition, M. Laurent Coquebert, directeur général par intérim de l'UNAPEI, a estimé à juste titre qu'il fallait éviter de traiter les cas de maltraitance dans la précipitation :

« Il faut, bien évidemment, traiter les faits de maltraitance avec intransigeance et sévérité. Pour autant, sans doute ne faut-il pas confondre vitesse et précipitation. Le climat actuel n'a malheureusement pas été propice, dans un certain nombre de cas, à la distance et à l'analyse objective que doivent appeler des faits aussi graves. Il faut faire preuve de la plus grande vigilance et intransigeance, mais également se comporter de façon responsable. (...) Il faut s'assurer un minimum de la véracité des faits. (...) Si une suspicion de maltraitance se traduit par l'arrivée d'un escadron de gendarmerie, je ne suis pas persuadé, à titre personnel, que le remède ne cause pas, au total, plus de dégâts que le mal lui-même, en particulier si les faits ne sont, en définitive, pas avérés. Je crois qu'il faut manifester la fermeté et l'intransigeance les plus absolues mais aussi faire preuve de tact et de doigté dans le traitement de ces affaires ».

La pertinence de ces propos a d'ailleurs été confirmée par une affaire relatée à la commission d'enquête par Mme Camille Blossier, conseiller technique à l'association Perce-Neige, dans laquelle un membre du personnel d'un établissement de l'association a été, selon l'expression du rapporteur de la commission d'enquête, « sacrifié » au nom de la préservation de la réputation de l'association. Cette affaire, dans laquelle la vérité n'a jamais pu être faite, illustre parfaitement les limites de l'application précipitée du principe de précaution.

Le « sacrifice » d'un membre du personnel d'un établissement

« Nous en avons connu quelques-uns [des cas de maltraitance], dont un sérieux. Il s'agissait d'une jeune fille qui s'était plainte auprès de ses parents de la proximité trop grande d'un éducateur. Cette plainte a abouti au licenciement du salarié suspect. (...)Dans ce dernier cas, la situation est particulièrement difficile à éclairer. (...)

« L'enquête menée avait conclu à l'impossibilité de conclure... L'association s'est donc séparée de ce professionnel car il avait de toute façon au moins fait preuve d'une attitude maladroite. (...) »

M. Christophe Lasserre-Ventura, président de l'association, a ajouté que « l'affaire en question a démontré qu'il existait un doute.(...) J'ignore si l'association a fait le bon choix. Mais nous accordons notre priorité à l'accueil des personnes handicapées mentales. Au regard de cette situation, la décision a été prise au risque de commettre une erreur. Nous ne savons en effet toujours pas aujourd'hui si le licenciement de ce salarié était ou non légitime. (...) Dans le cas présent, l'enquête n'a pas permis de déterminer si les faits étaient avérés ou non. Si le salarié sait pertinemment qu'il n'a rien fait d'illégal, il peut s'estimer victime à juste titre ».

La commission d'enquête reprend tout à fait à son compte les propos tenus devant elle par M. Roland Broca, président de la FFSM : « un dirigeant d'établissement n'a pas à se substituer à la justice et ne peut donner les garanties d'une enquête impartiale et d'un jugement adapté à la situation. [...] La priorité des institutions est d'éviter le scandale, avec comme premier souci de ne pas ternir la réputation de l'établissement, de régler la situation en interne, en vase clos, sans réaliser que l'on est dans le non-droit et dans l'abus de pouvoir. Le but étant de protéger l'institution, plus que de protéger l'usager ».

La commission d'enquête estime que, si la maltraitance est une réalité indéniable, elle ne constitue pas le lot quotidien des personnes handicapées accueillies en établissements. La difficulté des tâches des travailleurs sociaux impose une extrême prudence et une grande rigueur dans l'exposé des faits. Or, un traitement médiatique sans doute parfois excessif a donné l'impression que les travailleurs sociaux étaient tous des violeurs et des assassins, restant, qui plus est, impunis pendant si longtemps que leurs crimes étaient finalement prescrits !

De surcroît, des intentions malveillantes, par exemple à l'endroit des centres d'aide par le travail, n'ont pas non plus été absentes. L'esprit polémique mais aussi le souci de faire parler de soi ont pu conduire à produire des analyses dépourvues de fondements sérieux dignes d'une investigation rigoureuse.

* 19 A cet égard, le Livre blanc de l'UNAPEI indique que « l'analyse de la presse sur une période de 8 semaines montre que, sur les 115 affaires de maltraitance traitées, 93 % d'entre elles concernaient des affaires d'abus sexuels (viol, inceste, pédophilie) ».

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

CHAPITRE II - LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LA MALTRAITANCE : UN ARSENAL COMPLET QUI DOIT ENCORE FAIRE SES PREUVES

La préoccupation des pouvoirs publics vis-à-vis des situations de mauvais traitements est ancienne : dès 1888, une circulaire du ministère de l'intérieur enjoignait aux préfets de transmettre les fiches individuelles de renseignement relatives aux enfants maltraités ou délaissés. Mais cette préoccupation ne s'est étendue que très récemment aux personnes handicapées, notamment lorsqu'elles sont accueillies en établissement social ou médico-social.

La genèse du dispositif de lutte contre la

maltraitance des personnes handicapées

30 août 1888 : une circulaire du ministère de l'intérieur demande pour la première fois aux préfets de transmettre les fiches individuelles de renseignement relatives aux enfants maltraités et délaissés ;

10 juillet 1989 : la loi relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance utilise pour la première fois le terme « maltraitance » et organise l'obligation de signalement aux autorités administratives et judiciaires ;

5 mai 1998 : une circulaire du ministère de l'emploi et de la solidarité demande aux préfets de faire preuve de vigilance en matière d'abus sexuels commis sur des mineurs, au sein d'établissements sociaux et médico-sociaux ;

2 janvier 2002 : la loi rénovant l'action sociale et médico-sociale modernise le contrôle des établissements, en donnant de nouveaux outils aux inspecteurs. Elle protège également les professionnels qui dénoncent des actes de maltraitance ;

30 avril 2002 : pour la première fois, une circulaire du ministère des affaires sociales mentionne les « adultes vulnérables »parmi les populations à protéger et organise le signalement à l'autorité administrative et judiciaire des actes de maltraitance à leur égard.

L'arsenal juridique de lutte contre la maltraitance des « personnes vulnérables » repose aujourd'hui sur le triptyque« signalement (I) - contrôle administratif (II) - procédure judiciaire (III) », qui constitue une véritable protection que la majorité des personnes auditionnées par la commission d'enquête s'accorde à trouver suffisante.

Il reste que la plupart de ces dispositifs sont encore soit trop récents pour que l'on puisse juger de leur efficacité, soit inappliqués par manque de textes réglementaires venant en préciser la portée.

Mais plus encore que les obstacles techniques à la mise en oeuvre de cet arsenal de protection, c'est la paralysie du système, bien en amont, qui a frappé la commission d'enquête, une paralysie due à une omerta qui commence à peine à se fissurer.

I. LE DISPOSITIF DE SIGNALEMENT : COMMENT ABATTRE LE MUR DU SILENCE ?

L'obligation de signalement qui s'impose à toute personne, et notamment au professionnel, qui a connaissance de mauvais traitements imposés à une personne handicapée est désormais clairement affirmée par notre législation, même si la question particulière des personnes soumises au secret professionnel, et notamment des médecins, reste insuffisamment prise en compte.

Mais son efficacité est surtout obérée par le « silence assourdissant » qui entoure ces situations et qui s'impose tant aux victimes qu'aux familles et aux professionnels et qui semble peser plus qu'ailleurs sur les établissements accueillant des personnes handicapées.

Lorsque le seul recours ouvert aux victimes devient l'intervention médiatique, on est en droit de s'interroger sur la portée réelle d'un dispositif affiché comme le principal moyen de connaître et donc de lutter contre la maltraitance.

A. UNE OBLIGATION DE SIGNALEMENT CLAIREMENT AFFIRMÉE MAIS DONT LES CONTOURS DOIVENT ÊTRE MIEUX DÉFINIS

1. Un dispositif législatif et réglementaire qui semble désormais suffisant

Les procédures de signalement d'actes de maltraitance sont aujourd'hui bien établies et le signalement à l'autorité administrative des actes de maltraitance, rendu obligatoire par la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs, s'impose également aux établissements accueillant des personnes handicapées.

Il convient toutefois de noter que l'obligation imposée aux établissements eux-mêmes, contrairement au domaine de l'enfance maltraitée, n'a pas une assise législative mais réglementaire, ce qui n'est pas sans poser de problème au regard des dispositions relatives au secret professionnel, lequel ne peut être levé que dans des conditions bien précises et par la loi. Dans ces conditions, la commission d'enquête estime nécessaire d'étendre expressément, par la loi, l'obligation de signalement de mauvais traitement à l'égard de toutes les personnes vulnérables.

Deux procédures différentes de signalement doivent être distinguées : le signalement à l'autorité administrative et le signalement à l'autorité judiciaire.

a) Le signalement administratif

Les procédures de signalement reposent sur deux principaux piliers rappelés par la circulaire du 30 avril 200220(*) : l'obligation de signalement et la protection des personnes qui dénoncent des actes de maltraitance.

Dans ce cadre, les responsables des établissements sociaux et médico-sociaux doivent :

- signaler immédiatement à la DDASS les cas de maltraitance et de violences sexuelles constatés dans leur structure et en informer le procureur de la République ;

- informer les responsables légaux et les familles des victimes ;

- prévoir un accompagnement des victimes, ainsi que des autres résidents susceptibles d'en avoir besoin ;

- prendre des mesures particulières à l'égard des agresseurs présumés, notamment des mesures d'éloignement.

L'obligation de signalement a enfin été complétée, depuis la loi du 2 janvier 200221(*), par un dispositif de protection des salariés qui dénoncent des actes de maltraitance afin d'éviter que ne s'exercent sur eux des pressions qui les réduiraient au silence.

Cette disposition qui s'applique aux personnels des établissements sociaux et médico-sociaux leur garantit une protection contre toute mesure défavorable en matière d'embauche, de rémunération, d'affectation, de mutation ou de non-renouvellement d'un contrat de travail et enfin de licenciement. De la même manière, les médecins, qui, en cas de violences sexuelles, s'abstraient du secret professionnel, n'encourent pas de sanctions disciplinaires.

b) Le signalement à l'autorité judiciaire

Le code pénal impose à tout citoyen, et aux personnels des établissements sociaux et médico-sociaux en particulier, d'informer l'autorité judiciaire dans un certain nombre de cas :

- toute personne ayant connaissance d'un crime dont il est « encore possible de prévenir ou de limiter les effets » à en informer l'autorité judiciaire. Le non-respect de cette obligation fait encourir une peine de trois ans de prison et de 45.000 euros d'amende(article 434-1 du code pénal) ;

- toute personne ayant connaissance de mauvais traitements ou de privations infligées à un mineur de 15 ans ou à une « personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse » est tenue d'en informer l'autorité judiciaire, sous peine d'encourir une peine de trois ans de prison et de 45.000 euros d'amende (article 434-3 du code pénal) ;

- toute personne qui aurait pu empêcher, par son action immédiate, et sans risque pour elle ou pour un tiers, un crime ou un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne et s'en est abstenue, encourt une peine de cinq ans de prison et de 75.000 euros d'amende(article 223-6 du code pénal).

Mais l'obligation de signalement ne s'impose pas aux seuls responsables d'établissements : en application de l'article 40 du code de procédure pénale22(*), les DDASS doivent, de leur côté, s'assurer que le procureur de la République a bien été informé et, à défaut, effectuer elles-mêmes le signalement.

Au total, le code pénal comme le code de l'action sociale et des familles affirment de façon très claire l'obligation de signaler les mauvais traitements : à ce stade, il s'agit non pas tant de désigner des coupables que de mettre en sécurité les victimes, toute abstention en la matière devant être considérée comme une non-assistance à personne en danger.

2. Une articulation toutefois problématique avec les obligations liées au secret professionnel

Cette obligation doit toutefois être articulée avec les obligations découlant du secret professionnel : la confidentialité des informations dont la personne a eu connaissance par sa profession est protégée non seulement de façon très générale par le code pénal, en sonarticle 226-13, mais aussi par divers textes et la violation du secret est susceptible d'entraîner une responsabilité administrative, civile et pénale.

Or, les deux articles 434-1 et 434-3 du code pénal portant obligation de signalement exemptent expressément les personnes soumises au secret professionnel de l'obligation d'informer l'autorité judiciaire.

a) Une contrainte dont la portée ne doit pas être exagérée

Il convient toutefois de ne pas exagérer la contrainte liée au secret professionnel, car seules quelques catégories de travailleurs sociaux et d'intervenants au sein des établissements sociaux et médico-sociaux sont soumises au secret professionnel.

Les travailleurs sociaux et le secret professionnel

Tous les professionnels oeuvrant au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas astreints au secret professionnel. On distingue en réalité deux catégories de personnels soumis au secret :

les personnels concernés du fait de leur profession : les professionnels concernés sont définis par la loi ou par la jurisprudence. Dans le domaine médico-social, il s'agit essentiellement des assistantes sociales et des élèves assistantes en stage(art. L. 411-3 du code de l'action sociale et des familles). La jurisprudence a étendu cette catégorie en s'appuyant sur la notion de « confident nécessaire ».

Mais elle a toujours refusé cette qualité aux éducateurs, aux directeurs d'établissements ou encore aux psychologues (Cass. Crim., 4 novembre 1971, ministère public contre Raguenès et Gauthier).

les personnels concernés du fait de fonctions particulières : les fonctions concernées sont énumérées par la loi. Il s'agit :

- de toute personne amenée à intervenir dans l'instruction, l'attribution ou la révision des admissions à l'aide sociale et à la COTOREP (article L. 133-5 du code de l'action sociale et des familles) ;

- des membres de la commission départementale de l'éducation spéciale (CDES) (circulaires interministérielles n°s 76-156 et 31 du 22 avril 1976 et n°s 79-389 et 50 S du 14 novembre 1979) ;

- de toute personne participant aux missions du service d'aide sociale à l'enfance (article L. 221-6 du code de l'action sociale et des familles) ;

- des agents du service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée (article L. 226-9 du code de l'action sociale et des familles) ;

- des personnes chargées de la surveillance des établissements accueillant des personnes âgées, des adultes infirmes, des indigents valides ou des personnes accueillies en vue de leur réadaptation sociale (article L. 331-2 et L. 331-3 du code de l'action sociale et des familles) ;

- d'une manière générale, les fonctionnaires (article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1985 portant droits et obligations des fonctionnaires).

Ainsi, si les assistantes sociales, les infirmières et le personnel médical sont soumis au secret, le personnel éducatif et d'encadrement, en revanche, ne l'est pas.

C'est pourquoi le secret professionnel ne saurait servir d'alibi à une non-dénonciation des actes de maltraitance. Cependant, il est indubitable que la méconnaissance des règles en matière de secret professionnel conduit souvent les personnels à estimer qu'une simple information des supérieurs hiérarchiques est suffisante.

La commission a en effet constaté que les professionnels appréciaient mal l'étendue réelle de l'obligation de signalement qui leur incombe. C'est notamment ce qu'indiquait le docteur Véronique Sablonnière, adjointe au chef du bureau « Formation des professions de santé » au ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées : « Récemment, en discutant avec des psychomotriciens qui travaillent beaucoup en compagnie de personnes handicapées accueillies en institutions, je me suis aperçue qu'en cas de problèmes, ils ne s'adressaient qu'à leur médecin-inspecteur. Ils délèguent immédiatement leurs problèmes et ne s'en soucient plus par la suite. »

Les règles relatives au secret professionnel demandent donc à être simplifiées, notamment en ce qui concerne les personnes visées par l'obligation de secret : il est, par exemple, difficilement compréhensible que les éducateurs du secteur public, et qui relèvent donc du statut général de la fonction publique, soient soumis au secret, alors que leurs collègues du secteur associatif ne le sont pas.

Proposition

Mettre en cohérence les règles de soumission au secret professionnel des différentes catégories de travailleurs sociaux.

b) Le cas particulier des médecins

Concernant par ailleurs les professionnels réellement concernés par le secret professionnel, et notamment le corps médical, la levée simple du secret professionnel semble ne pas avoir porté tous les fruits escomptés.

En effet, l'article 434-3 du code pénal ne prévoit pas d'obligation de signalement pour les personnes astreintes au secret professionnel, mais une possibilité de levée du secret professionnel « lorsque la loi en dispose autrement ».

Le cas de levée du secret professionnel afin d'informer « les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique » est par ailleursexpressément prévu par l'article 226-14 (1°) du code pénal.

Le texte du (2°) de cet article 226-14 du code pénal prévoit une dispense du secret professionnel pour le médecin « qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises ».

L'articulation de ces deux alinéas de l'article 226-14 du code pénal a conduit la jurisprudence à en interpréter ainsi la portée : dans la mesure où les médecins sont visés expressément au (2°) qui concerne exclusivement les violences sexuelles, les juges écartent la levée du secret dans tous les autres cas, et ce alors même que le (1°) du même article, qui a un champ plus large, n'exclut pas expressément les médecins. En d'autres termes, le médecin n'est exonéré du secret professionnel que dans le cas de violences sexuelles.

Cette situation est particulièrement dommageable, dans la mesure où, comme le rappelait M. Hervé Auchères, juge d'instruction,« le personnel médical représente l'une des seules ouvertures vers l'extérieur dont bénéficient des personnes handicapées accueillies dans des établissements de prise en charge comme les internats. »

Il conviendrait donc de lever cette ambiguïté, en étendant expressément la levée du secret professionnel du médecin à toutes les formes de maltraitance.

Certains intervenants se sont émus du fait que le code pénal ne prévoit, pour les médecins, qu'une possibilité de s'abstraire du secret professionnel (dans le seul cas de violences sexuelles), et non une obligation de signalement. En réalité, l'obligation de signalement reste une simple obligation déontologique des médecins.

L'article 44 du code de déontologie médicale, précise en effet dans les termes ci-après les obligations du médecin en face d'une situation de maltraitance :

« Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.

« S'il s'agit d'un mineur de quinze ans ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique il doit, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives ».

Le professeur Jean Langlois, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, consulté à ce sujet par le président et le rapporteur de la commission d'enquête, observe que « ce n'est pas l'objection du secret médical qui peut arrêter le médecin mais l'obligation qu'il a en premier lieu de mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour protéger la victime. C'est aussi à lui qu'incombe la responsabilité d'établir la réalité des sévices. Sans doute est-ce là la spécificité de son rôle par rapport à d'autres professionnels. Cette appréciation peut se révéler plus ou moins difficile selon la nature des sévices. »

Maltraitance des personnes vulnérables :

la position du Conseil national de l'Ordre des médecins

« Les maltraitances concernant les mineurs soulèvent un redoutable dilemme médico-juridique.

« Le code pénal donne en effet au médecin le droit, soit de procéder au signalement des sévices constatés (qu'ils concernent un mineur âgé de moins de quinze ans ou toute personne particulièrement vulnérable), auprès des « autorités judiciaires, médicales ou administratives «, soit de s'en tenir au respect du secret professionnel.

« Le code de déontologie médicale en revanche lui fait obligation d'alerter les mêmes autorités tout « en faisant preuve de prudence et de circonspection ».

« Dans cette délicate alternative, la conduite à tenir pour le médecin doit être régie par le souci de protéger l'enfant, mais aussi de ne pas lui porter tort.

« Il y a tout d'abord les difficultés de diagnostic en matière de sévices à enfant.

« Il existe en effet trois catégories de maltraitances selon qu'il s'agit d'actes de violences, d'agressions à caractère sexuel ou d'atteintes à l'intégrité de la personne notamment par abstention délibérée de soins ou d'aliments (ou même de la mise en péril par incitations à des actes délictueux).

« Confronté à ces trois ordres de sévices - dont le régime juridique est différent bien que l'on retrouve chaque fois les mêmes circonstances aggravantes - la conduite à tenir pour le médecin se situe entre deux extrêmes.

« Le dilemme s'établit en effet entre, tout d'abord, la circonspection nécessaire et la prudence indispensable pour la protection de l'enfant et, d'autre part, le devoir d'intervention.

« Trois éventualités se rencontrent :

« - En cas de simple suspicion, il y a lieu de procéder à un signalement aux autorités administratives, c'est-à-dire en l'espèce à la DDASS.

« - S'il existe un faisceau de présomptions, c'est le juge des enfants qu'il faut alerter.

« - Et en présence de sévices avérés, c'est le procureur de la République qui doit être informé.

« Dans tous les cas, l'hospitalisation de l'enfant constitue une mesure de sauvegarde. Quoi qu'il en soit, la conviction du médecin doit être étayée de constatations significatives avant de décider ce qu'il faut faire et aussi ce qu'il ne faut pas faire. »

Source : Rapport de M. Robert Saury,

adopté par le Conseil national de l'Ordre des médecins en avril 2001

Imposer dans la loi au médecin une obligation de signalement soulèverait un certain nombre de difficultés :

- une telle obligation aurait d'abord pour conséquence de placer le médecin dans un réseau de contraintes particulièrement difficiles à conjuguer, car toute erreur d'appréciation de sa part pourrait conduire à une condamnation pénale à son endroit : s'il signale des faits qui s'avèrent infondés, il pourrait être condamné pour violation du secret médical ; à l'inverse, s'il ne signale pas des actes qui s'avèrent être des maltraitances, il pourrait être sanctionné pour non-dénonciation ;

- l'obligation a été jusqu'ici écartée afin de ne pas nuire au rôle de protection du médecin : les auteurs de sévices pourraient hésiter à faire prodiguer à la victime les soins nécessaires par crainte d'être dénoncés. La confidentialité serait ainsi un outil nécessaire à leur travail non seulement de soin, mais également de protection. Ce débat sur l'obligation de signalement est d'ailleurs loin d'être propre à notre pays.

Secret professionnel et maltraitance en Belgique

« Le sujet suscite en Belgique de nombreux débats et de nombreuses interrogations. Il est principalement dominé par la crainte des effets jugés négatifs d'une politique d'intervention judiciaire qui est particulièrement mal perçue dans ce pays par les acteurs médicaux et sociaux. Il est frappant de constater en Belgique la presque unanimité des discours contre l'intervention de la justice dans le problème de l'enfance maltraitée. L'intervention judiciaire et l'approche sociale sont jugées totalement incompatibles (...).

« Les projets de loi se sont succédés dans ce pays, sans grand succès. Plusieurs questions sont posées.

« La première a trait à la levée du secret professionnel en cas de dénonciation aux autorités. Sur ce point, tout le monde est unanime, le secret est levé. Un médecin, un travailleur social, qui révèlerait des confidences dans le cadre de sévices à enfant, ne serait pas condamné.

« La deuxième question qui porte sur l'obligation de signaler en cas de sévices à enfant est déjà plus discutée. Le bien-fondé d'une obligation de dénonciation est contesté par crainte de renvoyer des familles dans leur isolement, risquant ainsi de les exclure des possibilités d'aide. De ce fait, aucun texte n'oblige quiconque à signaler un enfant maltraité en Belgique. Seul, l'article 61 du code de déontologie médicale prévoit qu'un médecin doit en cas de mauvais traitement se considérer comme délié du secret professionnel et prévenir les autorités judiciaires. Au niveau pénal, seul l'article 422 bis du code pénal sur la non-assistance à personne en danger peut être mis en oeuvre, mais ce texte comme en France obéit à des conditions particulières.

« La troisième question tient au destinataire du signalement. A qui faut-il signaler ? A la justice ?A un médecin confident ? Plusieurs projets de loi tendant à lever le secret professionnel des médecins et autres professionnels qui informeraient les autorités judiciaires des sévices et privations sur la personne de mineurs de moins de quinze ans n'ont pas abouti. Mais derrière ce débat sur la levée du secret professionnel, c'est l'obligation de signaler qui est en jeu. »

Source : « La responsabilité civile, administrative et pénale dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux » Jean-Marc Lhuillier, professeur à l'ENSP.

A deux occasions déjà23(*), le législateur a conclu qu'il fallait laisser au médecin la faculté de déterminer en conscience, au cas par cas, quelle conduite devait être suivie et d'apprécier si le signalement s'imposait. Ainsi que le précise le professeur Jean Langlois, président du Conseil national de l'ordre des médecins : « Rendre le signalement obligatoire serait soulager [le médecin] de ces incertitudes. Mais a-t-on mesuré les conséquences d'un classement sans suite faute de preuve suffisante, pour l'enfant ? la famille ? la relation de soins ? et plus généralement son impact sur la crédibilité des signalements faits pas les médecins ? »

Une solution intermédiaire pourrait consister -sans modifier la législation- à rappeler aux médecins, dans le cadre d'une campagne d'information, leurs obligations fixées par l'article 44 précité du code de déontologie médicale. Par la même occasion, il serait utile de leur confirmer que le code de déontologie médicale ne les empêche pas de procéder, si nécessaire, à un signalement auprès du médecin inspecteur de la santé publique. Dans ce cadre, en effet, le médecin ne risque en aucune manière d'être accusé de passer outre le secret professionnel. Il transmet simplement une information à un autre professionnel lié, comme lui, par le secret médical.

Le médecin inspecteur a alors la charge d'apprécier si, en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, les faits doivent ou non être signalés au procureur de la République. En tout état de cause, l'information transmise au médecin inspecteur permettrait aux services sociaux d'avoir connaissance de situations équivoques, qui, en alimentant un faisceau de présomptions, pourraient conduire à un contrôle de l'établissement concerné.

Proposition

- Etendre de façon explicite la levée du secret professionnel des médecins à l'ensemble des cas de maltraitance envers les personnes vulnérables ;

- Rappeler, par une campagne d'information, aux médecins leurs obligations, fixées par l'article 44 du code de déontologie médicale, de « mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats » pour protéger les personnes victimes de sévices ou de privations, « en faisant preuve de prudence et de circonspection » et que s'il s'agit d'une personne vulnérable ils doivent, « sauf circonstances particulières qu'ils apprécient en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives » ;

- Leur confirmer qu'ils peuvent, en particulier, informer le médecin inspecteur de santé publique en cas de maltraitance sur une personne vulnérable.

* 20 Circulaire n° 2002/265 du 30 avril 2002 relative au renforcement des procédures de traitement des signalements de maltraitance et d'abus sexuels envers les enfants et les adultes vulnérables accueillis dans les structures sociales et médico-sociales.

* 21 Article 48 de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, codifié à l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles.

* 22 L'article 40 du code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire d'aviser sans délai le procureur de la République des crimes et délits dont il a acquis la connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

* 23 Lors du vote de la loi n° 71-446 du 15 juin 1971 complétant l'article 378 du code pénal, puis lors du vote de la loi n° 94-89 du 1erfévrier 1994 relative au nouveau code pénal.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

B. UN DISPOSITIF EN PRATIQUE PARALYSÉ PAR LA « LOI DU SILENCE »

« Il demeure une loi du silence, une chape de plomb, qui empêche les personnes de libérer leur parole face à des actes de maltraitance ou de négligence. »

Ce constat, dressé par Mme Anne-Sophie Parisot, membre du collectif des démocrates handicapés (CDH), semble très largement partagé, tant par le monde associatif que par les autorités de contrôle et la justice.

Si le dispositif de signalement est en effet désormais bien établi et, dans une large mesure, connu des professionnels et des établissements, son efficacité est paralysée bien en amont, du fait des pressions que subissent ceux qui, victimes ou témoins, veulent dénoncer des actes de maltraitance.

Il s'agit d'ailleurs de l'une des principales difficultés rencontrées par les réseaux d'écoute téléphonique ou les associations de défense des personnes handicapées : la volonté d'anonymat des appelants est manifeste et les écoutants doivent faire preuve de beaucoup de tact pour inciter les personnes à amorcer une démarche de signalement.

La commission d'enquête, elle-même, a pu s'en rendre compte, à travers les messages reçus à l'adresse électronique mise en place pour recueillir, de façon très large, témoignages et avis : la plupart des messages étaient non seulement anonymes mais ne permettaient souvent pas non plus d'identifier ne serait-ce que l'établissement où se déroulaient les faits relatés.

1. Les ressorts d'une omerta persistante

La « chape de plomb » qui entoure les phénomènes de maltraitance de personnes handicapées en établissement concerne non seulement les victimes mais également les familles et les professionnels, même si les raisons de ce silence diffèrent de l'une à l'autre de ces catégories.

a) La pression subie par la victime

Les ressorts psychologiques du silence des victimes sont bien connus des spécialistes des violences conjugales ou familiales : les personnes maltraitées estiment souvent avoir mérité ou provoqué les actes dont elles sont victimes. Concernant plus particulièrement les personnes handicapées, ces sentiments de honte ou de culpabilité sont souvent décuplés, du fait de la conscience qu'elles ont de leurs déficiences.

C'est notamment l'analyse que fait M. Jean-Louis Lahouratate, directeur de CAT et membre de la CFE-CGC : « Lorsqu'il leur arrive quelque chose, le plus souvent les victimes se taisent, parfois pendant des années. Comme elles cherchent à cacher leur handicap, elles vont cacher les faits qui, à leurs yeux, le révèlent. Elles culpabilisent et s'enferment parfois dans l'idée qu'elles n'ont que ce qu'elles méritent. » M. Robert Hugonot, président de ALMA France faisait même état de situations où ce sentiment de culpabilité pouvait pousser la victime au suicide.

Ce point est également souligné par Mme Hilary Brown, dans son rapport au Conseil de l'Europe : « Les victimes craignent - à juste titre - de n'être pas crues ou de se voir accuser de s'être, elles-mêmes, mises dans une telle situation, et elles n'ont pas toujours envie de se faire connaître, de peur d'être humiliées. »24(*)

Certaines personnes auditionnées ont également évoqué ce que les psychiatres désignent comme le « syndrome de Stockholm ». Mme Gloria Laxer, directeur de recherche à l'Université de Lyon et chargée de mission « Public à besoins spécifiques » à l'Académie de Clermont-Ferrand, caractérisait ainsi ce type de comportement : « La personne handicapée devient très dépendante de celle qui lui inflige de mauvais traitements. Nous savons pertinemment que plus la personne sera violente vis-à-vis d'une personne vulnérable, plus cette dernière s'attachera et tentera de lui plaire afin d'éviter toute difficulté »25(*).

D'une manière générale, la situation de dépendance dans laquelle la personne handicapée est susceptible de se trouver avec son agresseur - notamment lorsque celui-ci se trouve en situation d'aidant -, empêche la victime de le dénoncer, de peur, soit de représailles, soit d'abandon.

La capacité de dénonciation de la victime peut enfin être altérée, du fait de ses difficultés mêmes à communiquer, comme c'est le cas pour une personne autiste ou déficiente intellectuelle profonde. Plus largement, même quand elle peut s'exprimer librement« la parole de la personne handicapée est souvent remise en cause, même au sein de sa propre famille », ainsi que le soulignait M. Hervé Auchères, juge d'instruction et membre de l'Association française des magistrats instructeurs.

b) Le chantage exercé sur les familles

La situation difficile des familles vis-à vis des établissements a déjà été évoquée. Les parents, culpabilisés de ne pas élever eux-mêmes leur enfant, préfèrent se taire plutôt que de révéler des actes de maltraitance.

Pour sa part, Mme Gloria Laxer traduit ainsi l'attitude prise inconsciemment par beaucoup d'établissements : « trop souvent, lorsqu'une famille se plaint, elle devient pathologique et envahissante ».

La pénurie de places en établissement impose également une forme d'autocensure aux parents qui ont la « chance » d'obtenir une place pour leur enfant au sein d'un établissement. Lui-même ancien directeur d'établissement, M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, le concède : « J'avais beau dire aux parents qu'ils avaient le choix entre signer et ne pas signer la feuille d'inscription de leur enfant au sein de mon établissement, quelle possibilité leur laissais-je vraiment ? S'ils ne signaient pas, ils se retrouvaient face à un grand vide ».

Cette analyse est confirmée par Mme Catherine Milcent, administratrice de l'association Autisme France : « Il existe en outre une omerta absolue de la part des parents. Il est une évidence que les parents n'osent plus rien dire lorsque leur enfant est accepté dans un établissement dans la mesure où la possibilité de trouver un lieu de vie pour leur enfant est de 10 % seulement. Quelles que soient les difficultés de l'établissement et le degré très aléatoire de la prise en charge à l'intérieur de l'établissement, les parents n'osent plus dénoncer les éventuels agissements, de peur que leur enfant ne fasse l'objet d'une neuroleptisation massive. (...) Les parents ne s'opposent pas à la prise d'un médicament quelconque parce qu'ils connaissent la réponse à laquelle ils devront faire face : « si cela ne vous convient pas, reprenez votre enfant» »

Si le chantage explicite à la place n'est pas généralisé, il est cependant évoqué par une grande majorité des personnes auditionnées comme l'une des causes majeures de la « loi du silence ».

Enfin, de nombreux auditionnés ont souligné les effets pervers du système de représentation des familles au sein des conseils d'administration, qui peuvent conduire les parents qui en sont membres à devenir otages de l'institution.

Revenant sur une de ses enquêtes, M. Pascal Vivet relate la situation suivante : « [Une mère connaissait] d'énormes difficultés financières, l'établissement en question lui a proposé d'occuper un poste de secrétaire en son sein, ce qu'elle a bien évidemment accepté. Cette mère de famille est devenue présidente des parents de l'institution. Lorsque des difficultés survenaient, c'est donc elle qui jouait le rôle d'intermédiaire entre les autres parents et la direction. Vous comprenez aisément quel genre de pression la direction pouvait exercer sur elle ».

Il semble donc indispensable de revoir ce système de représentation, en prévoyant notamment l'impossibilité de cumuler un rôle de représentation des usagers et le fait d'être salarié de l'établissement.

c) Le silence des professionnels

Selon une enquête réalisée par le ministère de l'emploi et de la solidarité entre 1994 et 1998, 54,3 % des personnels du secteur social avaient été, ou étaient confrontés à la question de la violence et de la maltraitance.

Plus encore que dans d'autres secteurs, la violence à l'égard des personnes handicapées est longtemps restée un tabou pour les professionnels. Certains intervenants ont notamment mentionné une tolérance autrefois plus grande vis-à-vis de pratiques aujourd'hui considérées comme maltraitantes, lorsqu'elles se produisent à l'encontre de personnes handicapées.

Ainsi en témoigne Mme Yolande Briand, secrétaire générale de la fédération « santé-sociaux » de la CFDT : « Il y a longtemps en France que l'utilisation des brimades physiques comme méthode éducative, tant dans la sphère familiale qu'à l'école, est condamnée (...) Pourtant, ces mêmes brimades ainsi que des violences psychologiques sont plus ou moins cautionnées lorsqu'elles se produisent dans des institutions. Cela tient sans doute à leur histoire. En effet, celles-ci ont été créées à l'origine pour isoler les marginaux et les « déviants ». On parlait alors de protection de la société. »

Sans aller jusqu'à cette extrémité, on constate malgré tout parfois une abolition des repères entre ce qui est un comportement normal vis-à-vis de la personne accueillie et ce qui constitue un acte de maltraitance : comme le soulignait Mme Gloria Laxer, directeur de recherche à l'université de Lyon, « l'occultation peut consister à considérer qu'il n'est pas si grave d'avoir privé la personne de manger une fois, ou de lui avoir donné une douche froide parce qu'elle était infernale. Le déni et le refus de signalement existent tout de même dans un certain nombre de cas. »

Une autre difficulté réside dans le caractère fortement hiérarchique des procédures à suivre dans les établissements, notamment en matière de signalement. Une différence d'appréciation de la situation entre le professionnel et l'encadrement peut conduire la direction à ne pas signaler certains faits. Or, comme le soulignait Mme Marie-Antoinette Houyvet, présidente de l'Association française des magistrats instructeurs, « Il est difficile, pour le salarié d'une structure, quelle que soit cette structure, de dénoncer auprès de la justice des faits que sa hiérarchie n'a pas signalés elle-même. Le salarié risque en effet de se retrouver dans une situation particulièrement inextricable. »

La proportion de salariés passant outre leur direction pour signaler eux-mêmes à la DDASS un cas de maltraitance serait donc un élément d'information important pour mesurer la liberté de parole dont les personnels bénéficient ou à l'inverse pour mesurer les pressions subies lors de soupçons de maltraitance. Les statistiques fournies par la DGAS ne permettent malheureusement pas l'individualisation des salariés et des directeurs dans le signalement des actes de maltraitance.

Mme Marie-Antoinette Houyvet, présidente de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI) souligne à ce sujet un fait révélateur : dans une grande majorité des cas, les signalements à l'autorité judiciaire interviendraient à l'occasion d'un changement de direction et « l'arrivée d'un nouveau directeur, de nouveaux chefs de service et de nouveaux éducateurs spécialisés entraîne bien souvent l'ouverture d'une information judiciaire au sujet des pratiques antérieures. »

Par ailleurs, la commission d'enquête a pu constater que la peur du licenciement restait très présente pour les professionnels qui dénoncent des actes de maltraitance, et ce malgré le progrès représenté par l'article L. 312-24 du code de l'action sociale et des familles, issu de l'article 48 de la loi du 2 janvier 2002, protégeant le salarié ayant procédé à un signalement contre des mesures discriminatoires de son employeur, comme cela a déjà été développé.

En matière de maltraitance, les syndicats jouent également un rôle ambivalent, notamment lorsqu'ils mettent en avant le risque de fermeture de l'établissement, et donc de plan social, lié à un signalement.

Dénonçant l'attitude corporatiste de certains syndicats, M. Pascal Vivet précisait : « J'ai (...) en tête, dans [une] affaire précise, la réflexion de syndicats m'affirmant que les affaires de mauvais traitement sur enfants étaient susceptibles de leur faire perdre soixante emplois sur l'ensemble du département. Ils m'ont donc demandé de ne pas les porter en justice. Un chantage s'est ainsi exercé à mon encontre. »

Cet état de fait est d'ailleurs admis par certains syndicats : ainsi M. Georges Brès, représentant de la CGT, concédait que« parfois les syndicats, ont plus ou moins fermé les yeux jusqu'à une période récente sous prétexte de protéger les salariés de manière inconditionnelle ».

Il semblerait donc que le fait de signaler des actes de maltraitance demande une certaine « révolution culturelle » de la part des professionnels, pour qui une telle dénonciation peut apparaître comme une « trahison du corps ».

2. Les moyens de « libérer la parole »

La commission d'enquête est bien consciente du fait que briser la loi du silence demande avant tout une prise de conscience de la société tout entière vis-à-vis du problème de la maltraitance des personnes handicapées en établissements.

Il ne saurait cependant être question de s'arrêter à ce simple constat. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de mettre à la disposition des différents acteurs des outils qui permettent de sortir de l'alternative entre silence et poursuites judiciaires, souvent accompagnées d'un scandale médiatique.

Comme le soulignait M. André Loubière, directeur des actions médicales et sociales de l'Association française des myopathies (AFM), saisir le juge est en effet souvent le seul recours pour les victimes, le seul moyen de faire entendre sa voix, même si une telle solution paraît extrême : « Lorsqu'il est impossible de se faire entendre de l'autorité oppressante, une seule alternative, extrême, s'offre à vous : la justice. Or nous savons pertinemment ce que le recours à la justice peut entraîner de durablement malsain dans l'établissement. Il est dès lors indispensable de trouver une issue autre que les solutions extrêmes : l'impossibilité de s'exprimer à l'intérieur et le recours à la justice. Il faut qu'il existe un lieu dans lequel des personnes peuvent être saisies. Je ne pourrais pas dire si le terme « médiateur » est adéquat. Cette notion est cependant très à la mode. »

La commission d'enquête ne remet en aucune manière en cause la nécessité de saisir la justice des actes qui constituent à l'évidence des infractions pénales et plus largement des actes d'une certaine gravité - cela constitue, dans certains cas, on l'a vu, une obligation légale. Il reste que, pour la « maltraitance au quotidien », celle qui relève davantage du fonctionnement institutionnel lui-même, des routines professionnelles, d'une mauvaise réponse aux besoins de la personne, sans qu'on puisse trouver derrière ces actes une intention violente, il paraît nécessaire de prévoir une solution intermédiaire entre les tentatives de résolution grâce au dialogue interne à l'établissement et la saisine du procureur.

a) Améliorer le dispositif d'aide au signalement

Si les procédures de signalement, tant administratif que judiciaire, sont aujourd'hui bien établies, la difficulté réside souvent pour les victimes ou les témoins de maltraitance dans l'accès aux canaux de signalement.

La répartition des signalements selon leur origine montre notamment la faible proportion qu'occupent les victimes elles-mêmes dans ces signalements.

Origine des signalements en 2001

Source : DGAS

La victime n'est en effet à l'origine du signalement que dans moins d'un tiers des cas et la famille de la victime dans moins de 20 % des cas.

On note à l'inverse la part prépondérante tenue par le personnel des établissements dans l'ensemble des signalements reçus par les DDASS. Si l'on ajoute au personnel des établissements les professionnels extérieurs comme les médecins ou infirmières libéraux ou encore les travailleurs sociaux des équipes de préparation et de suite du reclassement (EPSR) ou ceux des COTOREP, qui forment la majeure partie de la rubrique « autres », la proportion des professionnels du handicap dans l'origine des signalements dépasse 50 % des cas.

Cette proportion importante peut s'expliquer par la place laissée aux établissements eux-mêmes et, dans une moindre mesure, aux professionnels à titre individuel, dans le dispositif de signalement et semble attester de l'intégration progressive de ce dispositif dans les mentalités des professionnels.

La faible proportion de signalements par les victimes elles-mêmes s'expliquerait notamment par une difficulté d'accès des personnes maltraitées aux canaux de signalement : ainsi que le souligne Mme Emmanuelle Salines, médecin-inspecteur de santé publique, « en dehors des maltraitances importantes que sont les violences physiques et les agressions sexuelles, j'ai l'impression que les victimes de petites maltraitances comme les négligences ou l'abandonnisme ne savent pas à qui s'adresser. La connaissance qu'ont le public et le personnel des modes de signalement de ces maltraitances joue donc un grand rôle dans leur dénonciation. »

Cette difficulté conduit un grand nombre d'associations auditionnées par la commission d'enquête à demander la mise en place d'un service d'appel téléphonique pour les personnes handicapées, sur le modèle du 119 pour l'enfance maltraitée ou du réseau ALMA dans le domaine des personnes âgées.

Les personnes handicapées pourraient ainsi disposer d'un numéro vert clairement identifié auquel elles pourraient s'adresser pour trouver une écoute et obtenir, anonymement, des conseils pour signaler une situation de maltraitance dont elles sont victimes.

M. Philippe Nogrix, qui intervenait devant la commission d'enquête au nom de l'Assemblée des départements de France, soulignait précisément l'intérêt de l'anonymat permis par une antenne d'écoute téléphonique : « La personne ne dévoilera pas beaucoup d'informations lors de son premier appel. Elle ne donnera pas son nom et ne dira pas où elle se trouve. Elle cherchera seulement à se confier et à décrire sa souffrance. Si elle tombe alors sur de véritables professionnels formés à l'écoute, elle rappellera. Elle se confiera totalement au bout du troisième, du quatrième ou du cinquième appel. L'écoutant préviendra alors le président du conseil général, le procureur ou les services de la DDASS. »

L'utilité d'une antenne d'écoute téléphonique serait particulièrement avérée pour les adultes handicapés : en effet, les enfants handicapés disposent, comme tous les enfants, du 119, géré par le service national d'accueil téléphonique de l'enfance maltraitée (SNATEM). La commission d'enquête a d'ailleurs pu constater lors de ses déplacements qu'un affichage concernant le 119 était effectué dans la plupart des établissements accueillant des enfants handicapés.

La proportion d'enfants handicapés parmi les appels reçus au 119 n'est toutefois pas individualisée dans les statistiques de ce service. Les appels concernant des faits de maltraitance en institution concernaient 5 % des 400.000 appels traités par le SNATEM en 2001. Parmi ces mêmes 400.000 appels, environ 1,5 % concerneraient des enfants ou adolescents handicapés. Il n'est, à ce jour, pas possible d'effectuer les recoupements nécessaires pour connaître la proportion d'appels concernant simultanément les deux situations.

L'expérience menée par ALMA-H26(*) depuis 2000 en est à ses premiers balbutiements : seules deux antennes spécialisées dans les questions liées au handicap ont été ouvertes à ce jour, à Nancy et Grenoble, et les responsables estiment ne pas avoir encore assez de recul pour que l'analyse des appels reçus puisse donner des résultats probants : 26 dossiers ont été ouverts à ce jour, dont 6 en institution.

La commission d'enquête estime que cette expérience devrait être étendue à l'ensemble du territoire, tout en étant bien consciente, à la lumière de l'expérience d'ALMA dans le secteur des personnes âgées, des délais inévitables de mise en oeuvre : alors que dans ce secteur, l'expérience a débuté au début des années 90, les responsables d'ALMA prévoient un délai de 8 ans encore pour que tous les départements disposent d'une antenne.

Ce délai de mise en oeuvre ne semble pas uniquement lié à un manque de moyens. La nécessité de former les écoutants conduit tout d'abord souvent à différer l'ouverture d'une antenne. Il s'agit ensuite également de coordonner les associations intervenant sur le terrain, de les faire adhérer au projet pour bénéficier, au sein des équipes d'écoutants, de leur expertise.

Or, il semblerait que la complexité plus importante du monde associatif dans le domaine du handicap soit, dans une certaine mesure, un frein à la constitution de ces antennes. Evoquant la création des deux premières antennes d'ALMA-H, M. Robert Hugonot, président d'ALMA, faisait part de ses difficultés : « Le monde des personnes handicapées est d'une diversité et d'une complexité telles qu'il n'a rien à voir avec le monde des personnes âgées. (...) La perspicacité et l'ouverture d'esprit que j'ai trouvées à Nancy, notamment auprès de l'ALAGH27(*), nous ont permis d'ouvrir notre première antenne à titre expérimental. (...) Malgré l'existence de l'Office départemental des personnes handicapées de l'Isère (ODPHI), j'éprouve infiniment plus de difficultés à Grenoble (...). Des luttes intestines existent à l'intérieur de cette fédération. (...) Cela ne nous empêchera certes pas de parvenir à nos fins, la seconde antenne est d'ailleurs en cours d'ouverture à Grenoble, mais nous éprouverons de plus grandes difficultés et nous mettrons bien plus de temps qu'initialement prévu. »28(*)

Il reste que la forme de ce service d'accueil fait l'objet d'un débat. On peut en effet s'interroger sur la pertinence de l'existence de trois réseaux séparés. S'il est vrai que chaque public - enfants, personnes âgées ou handicapées - demande des connaissances spécifiques de la part des écoutants, l'existence de ces trois réseaux peut rendre plus difficile, pour les victimes, l'identification du bon interlocuteur.

C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête demande qu'une réflexion s'engage sur la coordination de ces trois réseaux. Il lui paraît notamment nécessaire de prévoir un numéro d'appel unique, qui puisse au moins servir de plate-forme commune aux différents intervenants.

Proposition

- Donner aux personnes handicapées un accès à un service d'accueil téléphonique anonyme, sur le modèle du 119 ;

- Renforcer la coordination des services d'accueil téléphonique tournés vers les différentes catégories de personnes vulnérables, afin de faciliter l'accès à un interlocuteur qualifié.

b) Développer le rôle de vigilance et de conseil des tuteurs

La commission d'enquête voudrait ensuite insister sur la nécessité de réhabiliter et de développer le rôle des tuteurs et curateurs, qui devraient être l'interlocuteur privilégié de la personne handicapée, notamment en cas de problème avec l'établissement.

C'est d'ailleurs la position de Mme Laurence Pécaud-Rivolier, juge d'instance chargée des tutelles et présidente de l'Association nationale des juges d'instance : « Selon moi, le tuteur doit et peut être ce référent. Il est celui qui s'occupe à la fois des biens et de la personne à protéger. Il est amené à prendre les décisions et à suivre la vie de la personne. Il faut donc qu'il dispose des moyens nécessaires pour accomplir sa mission de référent. La Cour de cassation a dit que le rôle du tuteur recouvrait tout autant l'aspect personnel que l'aspect de gestion des biens. À partir du moment où la Cour de cassation a ouvert cette voie, le tuteur se doit d'intervenir dans tous les domaines, et notamment dans ceux-là. »

Mais pour exercer ce rôle de vigilance, il faut que le tuteur soit indépendant de l'établissement. Or, il est encore trop fréquent que la tutelle soit attribuée à un membre du personnel de l'établissement, voire à son directeur. Cet état de fait est dénoncé par Mme Monique Sassier, directrice générale de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) : « À de multiples reprises, nous avons tenté de souligner cette situation, non pas en raison de l'incompétence supposée de ladite personne, mais parce que nous estimons nécessaire la présence d'un tiers qui, venant de l'extérieur, apportera un regard plus neuf. Il existe là un véritable progrès à accomplir. Nous pensons qu'il faut distinguer la personne qui loge, qui héberge et qui soigne, de la personne qui est en charge de l'accompagnement. Ainsi, nous espérons ouvrir un droit de regard et un droit d'alerte sur d'éventuels dysfonctionnements. »

Par ailleurs, les tuteurs, qu'ils soient familiaux ou associatifs, n'ont actuellement pas les moyens d'exercer convenablement leur mission : leur système de rémunération est aujourd'hui archaïque et il varie selon que la tutelle est assurée par l'Etat, par la famille ou par une association.

Cet archaïsme est souligné par Mme Laurence Pécaud-Rivolier : « Il faut en effet savoir que nous travaillons sous un régime qui date de 1968. À cette époque, on avait prévu des gérants de tutelle exclusivement bénévoles et l'on n'avait pas imaginé, à un seul moment, que l'on aurait un jour besoin de gérants de tutelle professionnels. De fait, le système de rémunération ne prend en compte que les déplacements. Aujourd'hui, 50 % des mesures de protection sont exercées par des gérants de tutelle privés ou associatifs extérieurs qui sont des professionnels. Leur rémunération est extrêmement modique, ce qui fait que, dès que l'on sort du cadre direct de la gestion patrimoniale ou d'actions personnelles lourdes, les missions ne sont pas ou très peu exercées. »

La commission d'enquête insiste pour que, dans le cadre de la réforme, envisagée depuis plusieurs années mais toujours en attente, des tutelles, soient davantage pris en compte la nécessité de la tutelle aux personnes, et donc le rôle de vigilance et de conseil des tuteurs à l'égard des majeurs protégés.

A cet égard, il convient donc :

- d'assurer l'indépendance des tuteurs, en interdisant à un salarié d'être gérant de tutelle d'une personne accueillie dans l'établissement où il travaille ;

- de rémunérer à sa juste valeur le rôle de protection, dans tous ses aspects, dévolu au tuteur. S'agissant du financement de cette mesure, la commission d'enquête estime que le resserrement des mesures de protection autour des publics, dont le besoin de protection est avéré, doit permettre les économies nécessaires à son financement.

Compte tenu des informations mises à sa disposition, la commission d'enquête ne doute pas que ces deux aspects seront pris en compte par le Gouvernement.

Le rapport Favard et le développement de la tutelle aux personnes

L'objectif central de la réforme en préparation des tutelles est de renforcer la protection de la personne, qui s'est amoindrie ces dernières années au profit de la seule protection des biens. Pour assurer cette mission, le rapport prévoit :

- d'organiser le recrutement et d'harmoniser la formation de délégués à la protection juridique des majeurs.

Il est ainsi envisagé d'élaborer un référentiel commun de formation afin de permettre la meilleure gestion des mesures de protection des biens, mais aussi de la personne. Cette formation unique sera sanctionnée par un certificat national de compétence et l'établissement d'une liste nationale unique de délégués.

- de remettre à plat le système de financement.

L'objectif est, d'une part, d'harmoniser les rémunérations de tous les délégués et, d'autre part, de mettre en place un financement par dotation globale permettant de doter les services gestionnaires des moyens financiers adaptés à l'action à conduire.

Les caractéristiques de ce nouveau mode de financement seraient les suivantes :

- un financement sous forme de dotation globale, de manière à rémunérer la réalité d'un service et sa qualité plus que les mesures elles-mêmes ;

- la généralisation aux autres mesures de protection du dispositif de prélèvement sur les ressources applicables aux tutelles et curatelles d'État qui retient un principe de rémunération du tuteur croissante en fonction des revenus du majeur et un plafonnement ne pouvant être franchi qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ;

- un financement homogène, applicable quelle que soit la mesure décidée ;

- un financement prenant en compte, selon les besoins de chaque majeur protégé, l'ensemble des dimensions de la protection juridique : la gestion des revenus, la gestion patrimoniale et l'accompagnement des personnes ;

- un financement des services tutélaires reposant sur la signature de conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens entre l'État et les associations gestionnaires.

Mais si l'intervention des tuteurs est nécessaire et incontournable, elle se heurte à plusieurs limites importantes :

- les tuteurs sont bien souvent des membres de la famille : il n'est pas certain que ceux-ci puissent s'abstraire de la loi du silence qui pèse sur celle-ci ;

- l'ensemble des personnes handicapées ne bénéficie pas d'une telle mesure de protection.

Il semble donc indispensable de mettre en place un interlocuteur indépendant qui puisse interroger les pratiques de l'établissement et instituer une forme de médiation, pour remédier aux situations de maltraitance quotidienne.

c) Mettre en place une autorité de médiation indépendante

Si la forme que pourrait prendre ce « médiateur » ainsi que l'échelon territorial auquel il devrait se situer restent à déterminer, l'idée d'un interlocuteur extérieur à l'établissement et indépendant tant de celui-ci que des tutelles a été évoquée par une grande partie des personnes auditionnées.

M. André Loubière, président de l'Association française contre les myopathies (AFM), insistait ainsi sur « la nécessité de créer une autorité de confiance, qui ne déclenchera pas obligatoirement des processus longs visant à prouver l'existence d'une maltraitance ou d'une souffrance. La personne handicapée ou malade a besoin de pouvoir immédiatement parler, se confier et comprendre qu'il existe enfin une personne s'occupant de son cas et susceptible d'apporter des modifications. »

Lors de la Journée européenne des personnes handicapées en 1999, les représentants des associations des différents Etats membres en étaient arrivés à une conclusion similaire, à savoir la nécessité de créer un Observatoire européen de la violence envers les personnes handicapées : « Nous en sommes arrivés à cette proposition car la quasi-totalité des témoignages que nous avons recueillis faisait état de la pression que subissent ceux qui signalent.(...) Nous avons réfléchi aux moyens de lutter contre ces pressions. Pour qu'une affaire soit portée au grand jour, le recours aux médias est aujourd'hui indispensable. En règle générale, l'affaire a pris une dimension énorme avant d'arriver aux médias. Le seul moyen que nous ayons trouvé est de recourir à un organisme neutre, qui ne pourra pas être menacé ou attaqué en tant qu'entité. Il serait impossible de menacer un tel organisme de mettre son téléphone sur écoute. Il faut absolument pouvoir donner à la personne qui signale, la possibilité d'une liberté de signalement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Beaucoup de familles nous exposent des faits, mais ajoutent qu'elles n'iront pas se plaindre parce qu'elles se mettraient elles-mêmes et leur enfant en danger. Un organisme totalement indépendant de toute association et de toute structure est le seul moyen que nous ayons trouvé, car cette indépendance lui permettrait de ne pas être sujet à des menaces. »29(*)

La loi du 2 janvier 2002, dans son article 930(*), prévoit déjà la possibilité pour la personne handicapée accueillie dans un établissement social ou médico-social, de recourir à une personnalité qualifiée pour l'aider à faire valoir ses droits, dans des conditions à fixer par un décret en préparation.

Cette personnalité qualifiée est choisie par la personne handicapée elle-même sur une liste établie conjointement par le préfet et le président du conseil général, après avis de la commission départementale consultative des personnes handicapées (CDCPH). Celle-ci doit ensuite rendre compte, tant aux autorités de tutelle qu'au bénéficiaire lui-même ou à son représentant légal des actions engagées pour apporter une solution à la difficulté rencontrée par la personne accueillie.

Malgré les réticences de certaines associations, la commission d'enquête approuve le principe d'une liste départementale de médiateurs.

Dans la mesure où leur rôle est d'assurer une médiation entre la personne accueillie et l'établissement, l'indépendance et la qualité de ces médiateurs doivent être garanties : lors de l'examen du texte devant l'Assemblée nationale, M. Francis Hammel, rapporteur, avait notamment évoqué la possibilité de nommer d'anciens magistrats à ces fonctions31(*). La commission d'enquête estime donc que la consultation de la CDCPH, introduite à l'initiative du Sénat, permet de concilier de manière satisfaisante cette exigence d'indépendance des médiateurs avec la prise en compte des intérêts des usagers, sans qu'il soit besoin de revenir sur le principe de la liste départementale.

Ce dispositif n'est toutefois pas encore entré en vigueur dans la mesure où les décrets d'application concernant les conditions dans lesquelles le médiateur doit rendre compte de son action n'ont pas encore été pris. Encore une fois, la commission d'enquête demande instamment au Gouvernement de prendre rapidement les mesures nécessaires à assurer la pleine effectivité des dispositifs adoptés par le Parlement, le 2 janvier 2002.

Il reste enfin que ce dispositif connaît une limite importante : la saisine du médiateur est réservée à la personne handicapée elle-même ou à son représentant légal. Il semblerait judicieux de prévoir une extension de saisine de cette autorité à toute personne, et notamment au personnel, en cas de maltraitance envers une personne accueillie. Dans cette hypothèse, il serait nécessaire de prévoir une certaine confidentialité de la saisine, afin d'éviter que ce dispositif ne soit lui aussi bloqué par la « loi du silence ». Enfin, il serait souhaitable que le nouveau dispositif fasse l'objet d'information adéquate auprès des personnes concernées.

Proposition

Elargir la possibilité de saisine du médiateur instituée par la loi du 2 janvier 2002, à tous les témoins de maltraitance et notamment aux personnels des établissements sociaux et médico-sociaux.

* 24 « La protection des adultes et enfants handicapés contre les abus » - Rapport du 30 janvier 2002 de Mme Hilary Brown, dans le cadre de l'accord partiel dans le domaine social et de la santé publique, Conseil de l'Europe.

* 25 Audition de Mme Gloria Laxer, le 19 février 2003.

* 26 Allo-Maltraitance Handicapés.

* 27 Association lorraine d'aide aux grands handicapés.

* 28 Audition de M. le Professeur Robert Hugonot, président de ALMA France, et de M. André Laurain, président de ALMA-H54, le 5 février 2003.

* 29 Audition de Mme Gloria Laxer, le 19 février 2003. Mme Laxer animait, lors de la Journée européenne des personnes handicapées en 1999, un atelier sur le thème : « violence institutionnelle - définition et prévention : travailler ensemble pour trouver des solutions ».

* 30 Codifié à l'article L. 311-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 31 Rapport n° 2881 (2000-2001) de M. Francis Hammel, député, fait au nom de la commission des affaires culturelles, sociales et familiales.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

II. LE CONTRÔLE EXERCÉ PAR LES AUTORITÉS DE TUTELLE : SORTIR DE LA LOGIQUE COMPTABLE ET FINANCIÈRE

La tutelle exercée sur les établissements accueillant des personnes handicapées, plus que pour toute autre catégorie d'établissements sociaux et médico-sociaux, est frappée d'un défaut « congénital » : l'enchevêtrement extrême des compétences dans le domaine du handicap qui nuit au principe simple du « financeur-contrôleur » posée par la loi du 2 janvier 2002.

S'il est donc une urgence dans le domaine du handicap, il s'agit plus de la clarification générale des règles de répartition des compétences que de la réforme du dispositif législatif de contrôle des établissements.

Il reste que, de ses multiples rencontres avec des directeurs d'établissements, d'une part, et les services sociaux déconcentrés d'autre part, la commission d'enquête a tiré le constat d'une faiblesse des inspections des établissements sociaux et médico-sociaux qui n'a été que très récemment corrigée.

Mais il est sans aucun doute encore trop tôt pour mesurer les effets de l'impulsion nouvelle donnée par le ministère aux missions de contrôle des DDASS, même si l'on peut saluer l'effort accompli pour sortir ce contrôle d'une stricte logique budgétaire.

A. DES COMPÉTENCES ENCHEVÊTRÉES QUI FAVORISENT UN « LAISSER-FAIRE » DES ÉTABLISSEMENTS

Compte tenu de la complexité de la répartition des compétences dans le secteur social et médico-social, et notamment dans le domaine du handicap, l'exercice du contrôle sur le fonctionnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux fait l'objet, depuis de nombreuses années, d'un certain nombre de critiques.

1. Une complexité essentiellement due à la répartition des compétences dans le domaine du handicap

La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a posé un principe apparemment simple en matière de contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux : « Le contrôle de l'activité des établissements et services sociaux et médico-sociaux est exercé, notamment dans l'intérêt des usagers, par l'autorité qui a délivré l'autorisation »32(*).

C'est donc en réalité la complexité de la répartition des compétences en matière d'autorisation qui nuit à la lisibilité du contrôle.

a) Des compétences réparties selon une logique de financement

Les compétences en matière d'autorisation sont fixées par l'article L. 313-3 du code de l'action sociale et des familles et s'appuient sur la répartition des compétences entre l'État, le département et l'assurance maladie en termes de financement et de tarification des établissements :

- les établissements financés par l'État ou l'assurance maladie voient leur tarification et donc leur autorisation d'ouverture décidée par le préfet : il s'agit des établissements d'éducation spéciale accueillant des enfants et adolescents handicapés, des maisons d'accueil spécialisé et des centres d'aide par le travail ;

- les établissements financés par le département, à savoir l'ensemble des structures d'hébergement simple à destination des adultes handicapés (foyers d'hébergement, foyers de vie), ainsi que la plupart des structures d'accueil de jour, sont autorisés par le président du conseil général ;

- les foyers d'accueil médicalisé (anciennement dénommés « foyers à double tarification »), dont le financement est assuré pour partie par l'assurance maladie et pour partie par le département, font l'objet d'une autorisation conjointe du préfet et du président du conseil général.

Ainsi, sous réserve du pouvoir général de surveillance des établissements qui est confié à la DDASS, le contrôle est exercé, en fonction du type d'établissement et de son mode de financement par deux autorités différentes.

C'est la raison pour laquelle une modification des pouvoirs attachés au contrôle ne saurait être envisagée indépendamment des perspectives d'évolution de la répartition des compétences dans le domaine du handicap.

Il est indéniable que cette répartition des compétences doit être simplifiée. C'est d'ailleurs l'un des axes de la décentralisation souhaitée par le Premier ministre : « Aujourd'hui, selon que vous êtes majeur ou mineur, que vous travaillez ou non, que vous avez besoin de soins, selon que vous cherchez un auxiliaire de vie, un foyer d'hébergement, médicalisé ou non, un CAT, une maison d'accueil spécialisé, vous devez vous adresser à la COTOREP, à l'État, aux départements ou à l'assurance maladie. Je veux clarifier et simplifier. Et la logique voudrait que, par délégation de l'État, l'ensemble de ces actions soit coordonné par le département. »33(*)

Il est notamment possible d'imaginer une répartition fonctionnelle de ces compétences, sur le modèle adopté pour les maisons de retraite, modèle par ailleurs envisagé par M. Paul Blanc dans son rapport d'information sur la compensation du handicap34(*) :

« - le département se verrait confier la responsabilité de « chef de file » pour un volet « vie quotidienne » recouvrant l'hébergement, l'organisation de l'aide à l'autonomie et les loisirs ;

« - l'État continuerait à assurer la fonction « emploi », laquelle recouvrirait sans ambiguïté toute activité assimilable à l'insertion par l'économique ;

« - l'assurance maladie conserverait la fonction « soins », celle-ci comprenant au sens large les soins eux-mêmes, mais aussi les frais de personnel médical ou paramédical. »

La commission d'enquête souligne qu'une telle répartition permettrait, sans modifier le principe établi par la loi du 2 janvier 2002 précitée en matière de contrôle, de répondre à une grande partie des critiques, en associant systématiquement préfet et président du conseil général dans le financement et, par conséquent, dans le contrôle des établissements accueillant des personnes handicapées.

Il reste que cette nouvelle répartition des compétences devrait être subordonnée à un transfert concomitant des moyens nécessaires, pour le département, afin de lui permettre d'assumer effectivement et dans des conditions satisfaisantes l'ensemble de ses responsabilités.

b) Le déséquilibre des pouvoirs de contrôle au profit du préfet

Du point de vue des pouvoirs attachés au contrôle, les deux autorités que sont le préfet et le président du conseil général ne sont pas sur un pied d'égalité.

La loi du 2 janvier 2002 précitée a, en effet, mis en place une gradation dans les mesures susceptibles d'être prises par les autorités de contrôle. Trois d'entre elles seulement peuvent être prises par le préfet et le président du conseil général, chacun pour les établissements placés sous leur responsabilité. Il s'agit :

- du pouvoir d'injonction, prévu par le premier alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles : cette injonction peut aller jusqu'à une demande de réorganisation de l'établissement ou de mesures individuelles conservatoires, mais dans les conditions prévues par le code du travail ou par les accords collectifs. Une injonction est notamment adressée à l'établissement lorsque sont constatés des infractions aux lois et règlements ou des dysfonctionnements susceptibles d'affecter la prise en charge, l'accompagnement ou le respect des droits des usagers ;

- de la possibilité de nommer un administrateur provisoire, s'il n'est pas satisfait à l'injonction : désigné pour une durée de six mois maximum, renouvelable une fois, l'administrateur est alors chargé de prendre les actes urgents rendus nécessaires par les dysfonctionnements constatés (troisième alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles) ;

- de fermeture de l'établissement ouvert, transformé ou étendu sans autorisation. Lorsque l'établissement concerné est un foyer d'accueil médicalisé, le pouvoir de fermeture est conjoint, à la différence des autres mesures qui peuvent être engagées à l'initiative de l'une ou l'autre des autorités compétentes (article L. 315-15 du code de l'action sociale et des familles).

Il reste que le pouvoir de fermeture pour motif d'ordre public appartient au seul préfet (article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles). Il en est ainsi :

« 1° Lorsque les conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement (...) ne sont pas respectées ;

« 2° Lorsque la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes bénéficiaires se trouvent compromis par les conditions d'installation, d'organisation ou de fonctionnement de l'établissement ou du service ou par un fonctionnement des instances de l'organisme gestionnaire non conformes à ses propres statuts ;

« 3° Lorsque sont constatées dans l'établissement ou le service et du fait de celui-ci des infractions aux lois et règlements susceptibles d'entraîner la mise en cause de la responsabilité civile de l'établissement ou du service ou de la responsabilité pénale de ses dirigeants ou de la personne morale gestionnaire. »

La répartition des pouvoirs de contrôle des établissements sociaux

et médico-sociaux entre préfet et président du conseil général

* Le dernier mot appartient au préfet.

Dans son organisation actuelle, le dispositif de contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux comporte principalement deux faiblesses :

- en cas de maltraitances dues à des dysfonctionnements graves, lorsque l'établissement ressort de la compétence départementale, le président du conseil général ne peut pas aller jusqu'au bout de la logique du contrôle, dans la mesure où le pouvoir de fermer l'établissement appartient au seul préfet.

Cette « séparation des pouvoirs » peut parfois bloquer le processus de traitement de certains cas de maltraitance. C'est l'opinion exprimée devant la commission d'enquête par M. Philippe Nogrix, au nom de l'Assemblée des départements de France (ADF) :« Pourquoi est-ce que j'insiste sur ce problème des fermetures ? En interrogeant différents présidents de conseils généraux, nous constatons que, parfois, un temps important s'est écoulé entre un signalement de maltraitance - mauvais traitement sanitaire, mauvais rapport au corps, tentative de vol des économies - et le moment où la fermeture est intervenue ou une sanction prise. Or le conseil général, grâce à ses services de proximité, est très souvent le premier averti des cas de maltraitance. »

En effet, sa grande proximité des services donne au conseil général la possibilité d'une prompte réactivité, souvent déterminante en matière de lutte contre la maltraitance.

C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête estime qu'il est possible de confier un pouvoir de fermeture au département, dans les cas de dysfonctionnements graves de l'établissement, tout en laissant au préfet une compétence en dernier ressort, en cas de désaccord avec le président du conseil général ou de carence de celui-ci.

- à l'inverse, lorsque les services de la DDASS constatent un dysfonctionnement dans un établissement qui n'est pas placé sous leur tutelle directe, ils ne disposent que du pouvoir de fermeture, ce qui, dans un très grand nombre de cas, paraît totalement disproportionné.

Il est vrai que les DDASS disposent d'un pouvoir général de surveillance des établissements sociaux et médico-sociaux et qu'elles peuvent à ce titre adresser des injonctions aux établissements relevant du conseil général. Mais ces injonctions ne peuvent se situer que dans le cadre d'un contrôle de régularité, c'est-à-dire d'un contrôle du respect des normes d'hygiène et de sécurité. Elles se trouvent donc démunies lorsqu'elles se trouvent face à une carence de la qualité du service rendu à la personne handicapée accueillie dont la gravité n'exige pas une fermeture de l'établissement, mais un simple « redressement » des comportements des professionnels ou une amélioration de l'organisation interne de celui-ci.

Il paraît donc également nécessaire de doter le préfet de pouvoirs plus gradués en matière d'ordre public à l'égard de ces établissements car la fermeture de l'établissement fait figure, dans un contexte de pénurie de places d'accueil, d'« arme atomique ».

Proposition

- Donner au président du conseil général un pouvoir de fermeture des établissements relevant du département dans l'un des cas de dysfonctionnement grave énumérés à l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles, sans préjudice d'un pouvoir d'appréciation en dernier ressort du préfet, au titre de l'ordre public ;

- Elargir la gamme des pouvoirs du préfet à l'égard des établissements qui ne sont pas sous sa tutelle directe.

2. Une nécessité : améliorer la coordination des acteurs

De ses nombreux déplacements sur le terrain, la commission d'enquête a tiré une certitude : la seule clarification, certes nécessaire, des compétences dans le domaine du handicap ne saurait suffire pour mettre en oeuvre une politique cohérente de contrôle et de lutte contre la maltraitance. Une coordination accrue des acteurs apparaît notamment aujourd'hui indispensable.

« Il faut que les conseils généraux, les services de l'Etat et les bailleurs de prestations sociales définissent des règles du jeu communes. Il n'y a rien de pire pour contourner un mal que d'avoir différents intervenants qui ne se rencontrent pas et qui refusent que d'autres touchent aux personnes dont ils ont la charge. Il convient d'adopter un regard global sur le handicap dans un territoire. »

Cette affirmation de M. Philippe Nogrix, au nom de l'Assemblée des départements de France, résume parfaitement l'orientation de la commission d'enquête en la matière.

Des dispositifs expérimentaux de coordination ont d'ores et déjà été mis en place dans un certain nombre de départements, soit sur la base du schéma départemental en faveur des personnes handicapées, soit en s'inspirant du schéma départemental de l'enfance maltraitée.

Ainsi, le département des Yvelines, visité par la commission d'enquête, a-t-il mis en place un « groupe technique pluridisciplinaire » commun à la DDASS et aux services sociaux du conseil général, devant lequel les travailleurs sociaux peuvent venir exposer des cas de maltraitance, afin d'obtenir un avis commun pour éclairer une décision.

Une circulaire du 3 mai 200235(*) du ministère de l'emploi et de la solidarité demande expressément aux préfets de mettre en place des dispositifs coordonnés de prévention et de lutte contre la maltraitance des adultes vulnérables.

Un comité départemental de prévention et de lutte contre les maltraitances envers les adultes vulnérables doit associer l'ensemble des acteurs publics et associatifs concernés par la lutte contre la maltraitance et notamment la DDASS, le procureur de la République, les juges des tutelles, les services de police et de gendarmerie, ainsi que l'antenne ALMA locale et les associations représentatives des usagers.

Les missions du comité départemental de prévention et de lutte contre les maltraitances envers les adultes vulnérables

- réaliser, par la collecte et l'analyse des données disponibles, un état des lieux des problèmes et des réponses apportées dans le département, en vue d'effectuer un diagnostic partagé ;

- élaborer un programme de sensibilisation, de prévention et de lutte contre la maltraitance envers les personnes vulnérables, qui constituera un volet spécifique commun aux schémas départementaux des personnes âgées et des personnes handicapées ;

- veiller à la mise en oeuvre du programme et procéder à son évaluation ;

- mobiliser l'ensemble des acteurs en vue de développer ou de créer une antenne d'écoute et d'accueil téléphonique des personnes victimes ou témoins de maltraitances ;

- prendre les dispositions nécessaires au traitement et au suivi des signalements, et notamment, la mise en place d'une cellule inter-institutionnelle de traitement et de suivi des signalements ;

- proposer des sites d'inspection dans le cadre de l'élaboration du programme pluriannuel d'inspection et de contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux inscrit dans la directive nationale d'orientation 2002.

Source : DGAS, circulaire du 3 mai 2002

La circulaire demande donc que soit mise en place, au sein de ce comité, une « cellule inter-institutionnelle de traitement et de suivi des signalements », chargée :

- de regrouper les signalements effectués auprès des différentes instances ;

- d'analyser les signalements ;

- de coordonner la gestion et le suivi des situations de maltraitance ;

- d'élaborer un protocole précis d'intervention dans les situations de crise ;

- de prévoir les modalités des enquêtes et des contrôles nécessaires ;

- de centraliser les données recueillies par les différents services en constituant un fichier départemental des signalements.

Si les orientations fixées par cette circulaire vont incontestablement dans le bon sens, il reste que, de l'aveu même de la DGAS, la mise en place de ces comités est loin d'être achevée dans l'ensemble des départements, comme en témoigne cet extrait de l'audition de Mme Sylviane Léger, directrice générale de l'action sociale :

Mme Sylviane Léger - Aujourd'hui l'articulation [entre les différents acteurs] varie d'un département à l'autre. Elle est parfois inexistante. A contrario, elle est parfois excellente.

M. le président - Insinuez-vous qu'un comité départemental n'a pas été mis en place dans chaque département ?

Mme Sylviane Léger - Tout à fait.

M. le président - Avez-vous connaissance du nombre de départements qui ne l'ont pas institué ?

Mme Sylviane Léger - Il serait plus rapide de compter le nombre de départements qui l'ont fait. »

La commission d'enquête regrette vivement qu'il ne soit pas porté une attention plus soutenue à l'effectivité de ce dispositif qui répond parfaitement aux besoins de coordination du secteur.

* 32 Article L. 313-13 du code de l'action sociale et des familles.

* 33 Extrait du discours de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, lors de la synthèse des Assises des libertés locales (Rouen, le 28 février 2003).

* 34 Rapport d'information n° 369 (2001-2002) de M. Paul Blanc, sénateur, fait au nom de la commission des Affaires sociales.

* 35 Circulaire n° 2002-280 du 3 mai 2002 de la secrétaire d'Etat aux personnes âgées relative à la prévention et à la lutte contre la maltraitance envers les adultes vulnérables, et notamment les personnes âgées.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

B. UN DISPOSITIF D'INSPECTION QUI S'EST LONGTEMPS « ASSOUPI »

Compte tenu du poids du silence qui pèse tant sur les victimes que sur les familles ou sur le personnel, on ne peut que souligner l'importance du contrôle effectué par les autorités de tutelle. C'est d'ailleurs ce que rappelait, au nom de l'ADF, M. Philippe Nogrix, lors de son audition devant la commission d'enquête : « Des signalements [directs] de maltraitance parviennent effectivement jusqu'à nous. Mais ils sont infimes ! Les équipes qui vérifient si la charte de qualité est bien mise en oeuvre en relèvent trois ou quatre fois plus. Il en va de même avec les assistantes sociales qui se rendent dans les établissements ou qui parlent avec les familles. »

De plus, comme le soulignait Mme Emmanuelle Salines, médecin inspecteur de la santé publique, les inspections permettent de détecter des formes de maltraitance qui ne sont pas signalées par les canaux habituels de signalement que constituent le courrier ou les réseaux d'écoute téléphonique.

Le contrôle, effectué par les services sociaux départementaux et par les DDASS, est cependant aujourd'hui critiqué par de nombreux intervenants, y compris par les agents mêmes du contrôle, qui déplorent la réduction du temps consacré aux missions d'inspection et le manque de moyens pour gérer les situations de crise et leurs suites, tant matérielles qu'humaines et juridiques.

1. Les lacunes du contrôle des établissements par les DDASS

Le contrôle des établissements par les DDASS a fait l'objet de nombreuses critiques, dont le rapport de M. Gérard Vincent et Mme Nathalie Destais, inspecteurs généraux des affaires sociales, s'est fait l'écho en 199736(*). Mais cette préoccupation n'est pas nouvelle.

Le comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics soulignait : « En réalité, ce contrôle [des établissements]est insuffisant, moins par manque de renseignements que du fait d'une mauvaise exploitation de ceux-ci et d'une mauvaise structure des services. » On était alors en 1964.

Force est de constater, malgré des initiatives récentes encourageantes, que la situation a peu évolué.

a) L'activité de contrôle, une mission devenue « secondaire » au fil du temps

Le rapport précité de l'IGAS s'ouvre sur le constat d'une fonction d'inspection peu développée et mal organisée au niveau des DDASS : « Les constats consignés dans le rapport Catinchi de l'IGAS en date de janvier 1995 restent totalement d'actualité. Ce rapport notait que la fonction de contrôle était devenue subordonnée et résiduelle (représentant moins de 20 % de l'activité des IASS37(*)), que très peu d'inspections en dehors des strictes obligations réglementaires étaient réalisées et qu'en outre les résultats de telles missions étaient rarement formalisés et peu exploités. (...) Les auteurs du présent rapport, deux ans plus tard, ne peuvent que confirmer la place mineure tenue par la fonction inspection - contrôle - évaluation dans le travail des DDASS et DRASS... sous réserve toutefois de quelques initiatives prometteuses dans certaines régions. »

Le temps consacré aux missions d'inspection par les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales et par les médecins-inspecteurs de la santé publique s'est ainsi progressivement réduit ces dernières années, du fait de la charge de travail des DDASS.

Selon le même rapport, la fonction de contrôle semble particulièrement marginale concernant le secteur social et médico-social : « Il est enfin des secteurs particulièrement oubliés du contrôle, au premier rang desquels figure l'action sociale et médico-sociale : établissements sociaux et médico-sociaux (très rares sont les inspections sur site en dehors des plaintes) ; associations gestionnaires de tels établissements, financées par l'État ou l'assurance maladie ; associations responsables d'actions subventionnées par l'État (rare vérification de l'effectivité des actions subventionnées). »

Si elle ne cherche pas à généraliser les carences du contrôle des établissements par les DDASS, la commission d'enquête ne peut que constater que de nombreuses remarques des personnes auditionnées attestent de cette faible implication et semblent aller dans le sens du constat dressé par l'IGAS.

Ainsi, Mme Catherine Jacquet, elle-même inspectrice des affaires sanitaires et sociales à la DDASS des Pyrénées-Orientales, dressait un constat accablant : « Lorsque j'ai rejoint ce département, j'ai constaté que les établissements d'enfants n'avaient jamais vu le moindre inspecteur. Mes prédécesseurs ne s'étaient pas rendus dans ces structures. J'ai, par conséquent, mis deux ans à dresser un schéma pour 10 établissements seulement. »

De même, Mme Denise Deléglise, chargée de mission au Centre d'échanges de ressources en ingénierie sociale (CERIS) et animatrice de l'association sociale SOLIDEL mettait en avant le peu d'empressement des autorités de tutelle à rencontrer les établissements :« J'ai dirigé des établissements en région parisienne et notamment un CAT innovant, hors les murs, à l'époque où ce n'était pas vraiment à la mode. Nous avons dû attendre deux ans et demi avant que le responsable de la DDASS vienne sur le terrain voir ce qui se passait. Nous n'avions aucun contact direct : les budgets étaient discutés par téléphone ou par fax. »

Au total, comme le souligne le rapport de l'IGAS, les DDASS semblent souffrir d'une « culture ambiguë » vis-à-vis de leur mission de contrôle et d'inspection. Il existe en effet une difficulté certaine à concilier un rôle de contrôleur avec un rôle de promoteur de politique, d'animateur de dispositif partenarial ou de maître d'ouvrage de projet.

La commission d'enquête ne nie pas cette difficulté. Il paraît donc nécessaire d'améliorer l'organisation interne des services déconcentrés, afin de permettre l'identification des deux pôles d'animation et de contrôle et de mettre fin à la confusion des rôles. Une certaine « séparation », qui n'exclut pas la mobilité des inspecteurs entre ces deux fonctions, est sans doute nécessaire à l'efficacité de l'exercice de la tutelle sur les établissements.

b) Un contrôle « au long cours » longtemps cantonné à la procédure budgétaire

Qu'il s'agisse des DDASS ou des services sociaux départementaux, les contrôles se sont surtout concentrés sur les aspects financiers et administratifs du fonctionnement des établissements, au détriment du contrôle de la qualité du service offert aux personnes accueillies.

M. Philippe Nogrix reconnaissait ce travers du contrôle des services sociaux départementaux : « Actuellement, si vous interrogez les présidents de conseils généraux, ils vous répondront à brûle-pourpoint que leur compétence [en matière d'établissements sociaux et médico-sociaux] consiste à définir les tarifs appliqués dans les établissements. Quoi qu'il en soit, il est certain que le conseil général privilégie la réforme de la tarification sur le suivi de la qualité. »

Le même constat est dressé par l'IGAS dans son rapport précité de 1997 : « les contrôles d'organismes portent davantage sur des aspects administratifs et financiers que sur la qualité des prestations et des résultats, le service rendu aux usagers ou leurs besoins. »

S'il est vrai que, jusqu'à la loi du 2 janvier 2002, la faiblesse du contrôle des DDASS tenait en partie à l'insuffisance des pouvoirs des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales, qui restaient en grande partie cantonnés au domaine budgétaire, les bases juridiques d'un contrôle plus étendu existaient d'ores et déjà et n'étaient que rarement exploitées.

La commission d'enquête regrette vivement cette dérive du contrôle des établissements qui a également pour effet pervers de conduire les établissements eux-mêmes à privilégier les aspects budgétaires et administratifs dans leurs rapports avec les autorités de tutelle. Elle estime que les contrôles ne doivent pas porter sur la seule gestion mais sur l'ensemble de la vie de l'institution. Il s'agit pour les autorités de contrôle de connaître de façon approfondie les établissements qui sont sous leur tutelle et d'établir un suivi régulier afin de pouvoir agir rapidement en cas de dérive de l'établissement.

c) Des contrôles ponctuels essentiellement réactionnels

Il semble, par ailleurs, que les contrôles effectués par les DDASS en vue de la lutte contre la maltraitance restent la plupart du temps des contrôles « réactionnels », c'est-à-dire des contrôles effectués à la suite de signalements.

Les rencontres de la commission d'enquête avec les représentants des DDASS de différents départements ont en effet permis de dégager une typologie des interventions des autorités de contrôle dans le cadre de situations de maltraitance, que l'on peut classer en trois grandes catégories.

les interventions faisant suite à une plainte précise

Il s'agit de contrôles effectués le plus souvent dans les situations de crises les plus graves, à la suite d'actes de maltraitance pouvant donner lieu à une incrimination pénale. La DDASS intervient alors pour effectuer une enquête préliminaire, suivie d'un rapport au procureur de la République.

S'agissant des entretiens réalisés lors de ces inspections, la commission d'enquête tient à souligner que beaucoup d'intervenants ont déploré leur focalisation excessive sur le personnel des établissements. L'IGAS elle-même avoue d'ailleurs s'intéresser davantage aux rencontres avec les professionnels qu'aux entretiens avec les personnes handicapées accueillies : « Lorsque nous effectuons des inspections courantes, il est relativement rare que nous rencontrions les handicapés eux-mêmes. (...) En règle générale, nous rencontrons davantage les personnels que les handicapés. »

les inspections déclenchées à la suite d'un « faisceau d'indices » sur le climat général de l'établissement

Comme l'indique Mme Emmanuelle Salines, à propos de son expérience à la DDASS de l'Essonne, « il était assez rare que nous ne recevions qu'une seule plainte par établissement. Un établissement engendrant plusieurs plaintes générait même plusieurs types de plaintes. Lorsque nous nous rendions sur place, nous nous rendions très vite compte que les dysfonctionnements concernaient tout à la fois le personnel, la relation avec les familles ou encore l'hygiène. »

La principale difficulté de ces interventions réside dans le fait qu'il n'existe pas de traitement rationalisé des plaintes mettant en cause des établissements sociaux et médico-sociaux. La remontée des signalements à la DGAS, organisée par la circulaire précitée du 30 avril 2002, est certes utile mais le souci qui l'anime est davantage statistique. Il faut d'ailleurs souligner que, malgré son caractère peu contraignant, l'ensemble des départements ne s'y soumettent pas encore : en 2002, seuls 73 départements ont adressé des fiches de signalement au ministère.

Il paraîtrait donc opportun de promouvoir des procédures d'analyse des plaintes, afin d'améliorer la sélection des établissements contrôlés.

Lors de ses déplacements, la commission a pu être informée d'expériences intéressantes menées à ce sujet au niveau des conseils généraux. Ainsi, le département du Rhône a-t-il mis en place une « commission des plaintes » chargée de coordonner les réponses à apporter aux signalements qui parviennent à ses services. Le schéma de traitement des signalements a été prévu de la manière suivante :

La commission d'enquête estime qu'une telle démarche pourrait utilement être généralisée. Mais elle plaide pour qu'elle soit complétée par une étape supplémentaire : si le fait d'apporter une réponse coordonnée répond à une attente forte des usagers, il est en effet nécessaire de poursuivre l'analyse de ces plaintes, au niveau non plus individuel mais global, afin de détecter les dysfonctionnements récurrents d'un établissement et ceux qui semblent affecter une proportion importante de structures. Une telle analyse permettrait en effet de mieux planifier les inspections et de mettre en place une politique plus générale de prévention des principaux dysfonctionnements constatés.

les visites inopinées

Plus rares, elles prennent la forme de visites d'inspection. Mme Emmanuelle Salines, médecin-inspecteur de la santé publique, décrivait, lors de son audition, la démarche alors suivie par les inspecteurs : « Nos interventions prenaient la forme d'inspections. Celles-ci donnaient lieu à la rédaction de rapports, envoyés aux établissements concernés avec une demande de réponse et un certain nombre de préconisations à mettre place en place. Nous suivions ces préconisations. Lorsque nous nous apercevions que celles-ci n'avaient pas été respectées à l'intérieur d'un délai que nous avions nous-mêmes fixé, nous retournions visiter les établissements en cause. »

Devant la commission d'enquête, Mme Catherine Jacquet, inspectrice des affaires sanitaires et sociales dans les Pyrénées-Orientales, a indiqué avoir découvert une situation de maltraitance à partir d'une visite fortuite d'établissement, ce qui prouve bien que ce type de démarche à son utilité38(*).

On peut regretter que des visites inopinées ne soient pas plus systématiquement organisées. Pour avoir elle-même pratiqué les deux types de visites, la commission d'enquête estime que, même s'il est évident qu'un établissement prévenu à l'avance ne peut pas remédier à tous les dysfonctionnements avant l'arrivée des inspecteurs, il est certain, compte tenu des pressions qui pourraient être exercées sur les personnes accueillies et sur le personnel, que la surprise permet des entretiens plus spontanés et plus fructueux.

Au total, dans ce contexte d'inspections essentiellement « réactionnelles », la commission d'enquête tient donc à insister sur la nécessité d'un contrôle plus préventif, dont l'aspect positif pour les établissements doit être souligné : les contrôles réactionnels, sans aucun doute nécessaires, ont en effet un aspect de sanction qui empêche qu'un partenariat productif soit mis en oeuvre entre les établissements et les autorités de tutelle, les établissements ayant systématiquement l'impression d'une remise en cause brutale de leur professionnalisme.

Il est important de rappeler qu'une inspection peut également être l'occasion d'une réflexion commune sur les missions et les objectifs de l'établissement, sur les moyens à la disposition de celui-ci pour les remplir ainsi que sur les pratiques professionnelles. Il s'agit également de faire comprendre aux établissement qu'une inspection peut être l'occasion de faire mieux découvrir aux financeurs la situation de l'établissement et son projet et de remettre à plat en conséquence les bases d'élaboration d'un budget. En d'autres termes, contrôle budgétaire et contrôle de la qualité doivent former un ensemble cohérent.

2. Le problème de la gestion des suites de crises

Concernant les mesures prises à la suite de visites d'inspection, les statistiques publiées par la DGAS montrent les résultats suivants :

Mesures prises à la suite des signalements de maltraitance en 2001

( en nombre de mesures sur un total de 151 cas reçus à la DGAS)

Source : DGAS

Il convient tout d'abord de rappeler que seuls 48 % des signalements effectués en 2001 ont donné lieu à une enquête administrative en 2001. Il est toutefois vrai que ce faible pourcentage peut - mais en partie seulement - s'expliquer par le nombre important de passages à l'acte individuels et isolés (65 % des cas signalés) que les services ont pu considérer comme indépendants de dysfonctionnements structurels.

La proportion importante des mesures d'éloignement de l'agresseur est, elle aussi, à rapprocher du nombre de passages à l'acte individuels et isolés dans l'ensemble des cas signalés à la DGAS, soit 99 cas sur 151.

Dans plus d'un quart des cas, les mesures prises s'adressent davantage aux responsables des structures : injonctions ou préconisations ou fermeture provisoire ou définitive de l'établissement. Il est regrettable que le contenu de l'injonction ne soit pas davantage précisé. D'après les informations qu'a pu recueillir la commission d'enquête, il peut s'agir de plans de formation, de mise aux normes d'hygiène et de sécurité des locaux de l'établissement ou encore d'une demande de révision du projet d'établissement.

Il reste que, dans plus de 11 % des cas, les DDASS n'ont pas précisé les mesures mises en oeuvre. La commission d'enquête a d'ailleurs pu constater par elle-même à quel point les données rassemblées par les DDASS étaient parcellaires : ainsi, par exemple, sur huit cas de maltraitance envers des adultes handicapés accueillis en établissements enregistrés dans le département du Rhône en 2002, la DDASS était en mesure de préciser que deux avaient été suivis d'un licenciement du professionnel impliqué et qu'un s'était soldé par une ré-orientation de la personne handicapée elle-même. Aucune information n'était disponible sur les cinq cas restants.

D'une manière générale, les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales semblent souffrir de la faiblesse des moyens d'intervention à leur disposition pour gérer les situations de crise et leurs suites, notamment les questions de licenciement et les fermetures d'établissement.

a) Les difficultés juridiques liées à l'éloignement de l'agresseur

Compte tenu du décalage dans le temps entre la procédure pénale et la procédure administrative, il peut en effet s'avérer très délicat de prendre des mesures d'éloignement de l'agresseur présumé. Il est notamment particulièrement difficile de procéder à un licenciement lorsque la personne en question nie les faits qui lui sont reprochés, comme c'est généralement le cas dans les affaires de moeurs.

Un exemple d'inadaptation de notre droit :

quand le code du travail protège l'agresseur

« A une réunion de bureau, il a été décidé le licenciement du moniteur. Mais celui-ci s'étant présenté aux élections du personnel, il est protégé pendant six mois, même s'il n'a pas été élu. D'où l'impossibilité actuelle de se séparer de lui. »

Extrait d'un message reçu à l'adresse électronique

de la commission d'enquête, le 2 avril 2003

La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 janvier 1999 relatif à une affaire de harcèlement sexuel, précise en effet les conditions auxquelles le grief tiré d'une « attitude incompatible avec des rapports professionnels normaux » est recevable en tant que cause réelle et sérieuse de licenciement : « un licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs (...) La Cour d'appel qui se borne à imputer à Monsieur D, à la faveur d'une affirmation générale, une attitude incompatible avec des rapports professionnels normaux, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-14-3 du code du travail (...) ; enfin, en se déterminant de la sorte sans s'expliquer sur aucune des déclarations contraires émanant de plusieurs salariés de l'entreprise (...) la Cour d'appel a encore méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile. »39(*)

Dans un arrêt du 9 avril 2002, la Cour de cassation rappelle par ailleurs que « la perte de confiance de l'employeur ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement même quand elle repose sur des éléments objectifs ; que seuls ces éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu en résulter pour l'employeur. »40(*)

Dans ces conditions, le licenciement d'un salarié qui aurait fait l'objet d'un signalement pour maltraitance semble très délicat tant qu'aucune enquête, administrative ou judiciaire, ne permet de donner une base solide à la réalité des faits allégués. Les délais d'enquête ou d'instruction sont incompatibles avec l'impératif d'une décision rapide d'éloignement de l'agresseur dans un cas de maltraitance grave.

Le droit commun du travail, qui est conçu pour une relation binomiale entre un employeur et un salarié, s'avère particulièrement inadapté dès lors qu'il s'agit de prendre en compte le « tiers » dans cette relation que représente la personne accueillie. Dans des termes certes forts, c'est le sentiment qu'exprimait Mme Catherine Jacquet, inspectrice des affaires sanitaires et sociales dans le département des Pyrénées-Orientales, lorsqu'elle affirmait : « Mon expérience en la matière me porte à considérer qu'à ce jour le droit des maltraitants est peut-être encore plus fort que le droit des maltraités. »

Dans ces conditions, la commission d'enquête ne peut que recommander un usage plus large des mesures de mise à pied conservatoires, comme cela se fait désormais dans l'Education nationale à l'égard des personnels mis en cause dans des affaires de pédophilie. Pour cela, il serait nécessaire de consolider le fondement juridique de ces mesures, par ailleurs prévues par l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles (article 39 de la loi du 2 janvier 2002).

Le décret d'application précisant les conditions dans lesquelles l'autorité qui a délivré l'autorisation adresse une injonction à l'établissement, actuellement en préparation, devra donc préciser les situations dans lesquelles les inspecteurs pourront prendre ces mesures, et notamment leur nécessaire articulation avec le droit commun du travail, afin de mieux prendre en compte la spécificité des relations du travail dans un établissement où l'usager doit être au coeur de la relation employeur-salarié.

b) Une gestion délicate des fermetures d'établissement

Concernant ensuite les fermetures d'établissements, Mme Catherine Jacquet, a fait part de la difficulté que soulevait, dans un contexte de pénurie de places d'accueil, l'obligation faite par l'article L. 313-17 du code de l'action sociale et des familles d'assurer le reclassement des personnes handicapées accueillies : « Nous avons bien évidemment envisagé la fermeture de l'établissement. Comment pouvions-nous fermer cet établissement sachant que le législateur demande que les enfants continuent d'être pris en charge ? L'établissement, qui était un semi-internat, comptait 70 enfants. Nous avons recherché une solution, mais n'avons pas trouvé d'autre lieu capable d'accueillir ces enfants dans le même département. Par conséquent, nous avons fermé l'établissement pendant un mois afin de conduire un minimum de travaux, en mettant les équipements en sécurité. »

Une fermeture d'établissement demande également la mobilisation de compétences très variées : il faut tout à la fois clore les comptes de l'établissement, gérer la continuité de la prise en charge pour les personnes accueillies, gérer un plan social et assurer un reclassement des salariés. Or, les DDASS n'ont souvent pas les moyens humains nécessaires, tant sur le plan quantitatif que sur celui des compétences à mettre en oeuvre pour gérer ce surcroît d'activité.

Le problème du manque de moyens humains des DDASS était déjà soulevé par l'IGAS en 199741(*) : au-delà des effectifs théoriques, elle mettait ainsi en avant le nombre élevé de postes vacants dans les services déconcentrés.

Le sous-effectif inquiétant des corps de contrôle

Source : Rapport Vincent-Destais - IGAS, 1997.

C'est également ce que soulignait Mme Catherine Jacquet, en faisant référence à une fermeture récente d'établissement dans son département : « Notre directeur a mobilisé toutes les vacations annuelles de la DDASS afin de recruter une personne pouvant nous apporter son aide car il était matériellement impossible de faire face à cette situation. »

La situation se complique encore davantage lorsque la fermeture concerne un établissement public car les règles de la comptabilité publique et le statut, très protecteur, de la fonction publique constituent parfois un frein à l'évolution d'un établissement. Il semblerait que, paradoxalement, l'État dispose d'outils d'intervention moins efficaces pour agir sur les établissements relevant de sa propre autorité que sur ceux du secteur associatif.

Une remarque de Mme Catherine Jacquet paraît pouvoir résumer le climat dans le lequel les DDASS doivent gérer les suites de crise :« Nous avons le sentiment que tout est fait pour protéger contre un arbitraire de la puissance publique à l'égard des établissements, des associations ou des personnels alors que l'objectif est de protéger l'usager. »

L'ensemble de ces facteurs constitue autant de freins à la résolution des situations de maltraitance et contribue à une lenteur excessive de la procédure. Ce manque de réactivité est aggravé par les rigidités des procédures budgétaires : entre le moment où les inspecteurs dressent un état des lieux et celui où les crédits nécessaires à la rénovation d'un établissement sont mis à disposition, plusieurs années peuvent s'écouler. Cette lenteur excessive a été illustrée par Mme Catherine Jacquet dans son exposé de trois cas de gestion de crise dans des établissements.

C'est la raison pour laquelle une aide juridique pour gérer les suites de crise devrait, selon la commission d'enquête, pouvoir être à la disposition des DDASS. Comme le rappelait M. Jean-Marc Lhuillier, professeur de droit social à l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP), « tous les corps de contrôle ont accès à des cellules d'information juridique fournissant le renseignement recherché dans un délai d'un quart d'heure. Tel est, par exemple, le cas pour un commissaire de police. » Il paraîtrait donc normal que les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales puissent bénéficier d'une telle aide.

Cette aide juridique pourrait être assurée dans le cadre des missions régionales et interdépartementales d'inspection, de contrôle et d'évaluation (MRIICE), voire de la mission d'appui aux fonctions d'inspections (MAFI) constituée au sein de l'IGAS.

Proposition

- Recommander un usage plus large des mesures de mise à pied conservatoire à l'égard des personnels mis en cause dans des affaires de maltraitance ;

- Développer, aux niveaux central et régional, des cellules de conseil juridique, destinées aux inspecteurs des affaires sanitaires et sociales, afin de mieux gérer les suites de crise dans un établissement.

3. Quelques progrès ont toutefois été récemment enregistrés

Il convient toutefois de nuancer cette analyse de l'exercice du contrôle des établissements par les autorités de tutelle, dans la mesure où de nouveaux outils ont été mis en place, qui devraient permettre de renforcer l'efficacité de ce contrôle.

a) Le programme pluriannuel d'inspection préventive

Une réhabilitation des missions d'inspection des DDASS a été amorcée en 1999, à la suite du rapport de l'IGAS sur le renforcement des fonctions d'inspection de premier degré.

Dans une note d'orientation du 18 mars 199942(*), le ministère a appelé les services déconcentrés à consacrer davantage de temps aux missions d'inspection et a fait part de la création de deux outils d'appui à la disposition des inspections de premier degré : la mission d'appui aux fonctions d'inspection (MAFI), placée sous l'autorité de l'IGAS, chargée de la mise au point de guides méthodologiques d'inspection sur des thèmes prioritaires ainsi que de la définition des programmes de formation adaptés à ces priorités, et les missions régionales et interdépartementales d'inspection, de contrôle et d'évaluation (MRIICE), chargées de la planification et du pilotage des inspections.

C'est dans ce cadre qu'a été lancé, en 2001, un programme pluriannuel d'inspection qui, pour la première fois, s'inscrit dans une démarche préventive en matière de maltraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

Le programme pluriannuel d'inspection préventive

L'objectif des contrôles

Ils sont au nombre de cinq :

- vérifier que les conditions et les modalités d'accueil respectent la santé, la sécurité, l'intégrité, le bien-être physique et moral et la dignité des personnes accueillies ;

- repérer les risques en identifiant les points critiques dans le fonctionnement de la structure et dans l'attitude des personnels ;

- soutenir, développer et capitaliser les bonnes pratiques ;

- formuler toute proposition pour améliorer la qualité de l'accueil ;

- sanctionner, le cas échéant, les insuffisances et les abus, en proposant au préfet du département d'adresser des injonctions aux établissements.

Les structures visées par le programme

Les établissements répondant à l'objectif minimum du programme de contrôle (2.000 établissements) doivent remplir deux conditions :

- assurer une prestation d'hébergement ;

- relever de la compétence de l'État ou de la compétence conjointe de l'État et du département.

Après accord avec le président du conseil général, le programme pourra être étendu aux établissements relevant d'une compétence exclusive du département.

La démarche d'inspection

Compte tenu du caractère préventif du programme d'inspection, la démarche comporte deux étapes :

- une auto-évaluation par l'établissement de son fonctionnement qui doit associer l'ensemble des personnels de la structure ;

- une inspection sur place par la DDASS, avec le concours éventuel de la MRIICE.

Le calendrier

Le programme se déroule en deux phases :

- une phase préparatoire, en 2001 et 2002, durant laquelle ont été élaborés les outils d'inspection, et notamment un guide « vade-mecum » de repérage des risques, et les axes prioritaires du plan de formation ;

- une phase opérationnelle, qui s'échelonne jusqu'en 2006, basée sur un programme annuel de contrôle de 2 à 8 établissements par DDASS, en fonction de la taille du département.

Au-delà du programme lui-même dont il est encore difficile de percevoir les résultats, un premier progrès a été réalisé avec la conception d'un « Guide de la mission d'inspection », dont le caractère pratique a été accentué par rapport aux grilles d'évaluation existantes, et qui est axé sur les « clignotants » devant permettre le repérage des risques de violence et de maltraitance.

Dans la perspective de leur participation à ce programme d'inspection préventive, les DDASS se sont attachées à rationaliser le choix des établissements à inspecter et à associer les établissements concernés à ce choix, à travers des grilles d'auto-évaluation.

Il reste que, comme le soulignait Mme Catherine Jacquet devant la commission d'enquête, le caractère innovant de cette démarche consistant à associer les établissements au contrôle a été reçue de manière mitigée par les structures : « Lorsque j'ai présenté cette grille dans mon département, je dois reconnaître qu'elle n'a pas été accueillie avec le plus grand enthousiasme. Chaque établissement a rempli son questionnaire, mais aucun d'entre eux n'a tenté de me contacter pour obtenir de plus amples détails, ce qui est pourtant toujours le cas lorsque les établissements doivent remplir des questionnaires leur offrant éventuellement la possibilité d'obtenir quelques moyens supplémentaires. »

b) L'amélioration de la formation des inspecteurs

Le nouveau statut du corps des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales43(*) a porté de 12 à 18 mois la durée de la formation des élèves-inspecteurs et la fonction d'inspection occupe désormais une part importante de cette formation. Elle comporte ainsi un module théorique de trois mois sur les aspects concernant spécifiquement les missions d'inspection et, surtout, un stage pratique.

La connaissance des publics est également mieux prise en compte dans cette formation et des modules d'approfondissement spécifiques aux questions relatives aux personnes handicapées ont été mis en place.

On peut toutefois regretter que l'accent n'ait pas été suffisamment mis sur la formation aux méthodes de recueil de témoignages auprès de personnes présentant des difficultés d'expression. Cette faiblesse est d'ailleurs reconnue par M. Jean-Marc Lhuillier, professeur de droit à l'ENSP : « Les stagiaires se demandent quel comportement adopter pour détecter les mauvais traitements et comment ils doivent interroger les personnes handicapées. (...) Les agresseurs choisissent, en effet, de s'attaquer à ces personnes parce qu'ils savent pertinemment qu'elles ne pourront pas s'exprimer. Après avoir dressé ce constat, nous devons nous efforcer, avec une grande discipline, de recueillir les témoignages des personnes handicapées mentales ou présentant un défaut d'oralité. A l'heure actuelle, les formations prenant en compte cet aspect n'existent pas. »

Si elle comprend qu'une telle formation puisse ne pas trouver sa place au stade de la formation initiale des inspecteurs, du fait de son caractère extrêmement spécialisé face à l'étendue des compétences visées, la commission d'enquête estime qu'en revanche, des modules de formation continue devraient être conçus sur ce sujet. En effet, seule une formation de ce type permettra aux inspecteurs d'étendre réellement leurs entretiens aux personnes accueillies et donc de disposer d'une vision globale des situations, notamment en cas d'atteinte aux droits de la personne.

c) Le renforcement des pouvoirs des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales

La loi du 2 janvier 2002 confirme la réhabilitation de la mission de contrôle et d'inspection confiée aux DDASS, à travers deux dispositifs :

- le caractère pluridisciplinaire des inspections a été renforcé par l'obligation de réaliser des inspections conjointes aux inspecteurs des affaires sanitaires et sociales et aux médecins-inspecteurs de santé publique ;

- une assermentation des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales sera mise en place, avec la parution d'un décret d'application, afin de leur permettre de dresser des procès-verbaux d'inspection faisant foi jusqu'à preuve du contraire.

L'absence d'assermentation des inspecteurs n'était en effet pas sans inconvénient, comme le soulignait Mme Catherine Jacquet : « Les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales ne sont pas, aujourd'hui, assermentés. Par conséquent, il n'y a pas de distinction pour l'inspecteur, comme cela apparaît en matière de droit du travail, et il n'y a pas d'effet d'indépendance. La libre appréciation [des faits constatés] est entre les mains de son supérieur hiérarchique, voire du préfet, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale concernant l'obligation de signalement au procureur de la République des crimes et délits. La protection faite par l'administration est une protection juridique. Pour autant, le fonctionnaire est exposé à des poursuites par les personnes qu'il peut être conduit à accuser. Enfin, la prise en charge par la direction de l'administration générale, du personnel et du budget n'est pas systématique. »

D'après les informations rassemblées par la commission d'enquête, le projet de décret, en cours de concertation avec les représentants du corps des inspecteurs, devrait préciser les infractions susceptibles d'être constatées par les inspecteurs, les conditions dans lesquelles ils pourront effectuer des saisies conservatoires, ainsi que les sanctions encourues par les personnes qui tenteraient de faire obstruction à une mission d'inspection.

Encore une fois, la commission d'enquête ne peut que demander que soient mises en oeuvre, dans les plus brefs délais, ces mesures réglementaires indispensables au bon fonctionnement des missions d'inspection.

* 36 « Le renforcement des fonctions d'inspection de premier degré dans le domaine sanitaire et social » Rapport IGAS n° 97-088, présenté par M. Gérard Vincent et Mme Nathalie Destais, 1997.

* 37 Inspecteurs des affaires sanitaires et sociales.

* 38 Voir le témoignage de Mme Catherine Jacquet dans le tome II (compte rendu des auditions).

* 39 Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 13 janvier 1999 « Depraeter c/ Société Dubois et fils ».

* 40 Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 9 avril 2002 « Mme X c/ Société Cabinet Grasset ».

* 41 Rapport IGAS n° 97-088 de M. Gérard Vincent et Mme Nathalie Destais précité.

* 42 Note d'orientation DAGPB/IGAS/99/173 du 18 mars 1999 sur la stratégie et la méthodologie de renforcement des fonctions d'inspection déconcentrées dans le domaine sanitaire et social.

* 43 Décret n° 2002-1569 du 24 décembre 2002 portant statut particulier du corps de l'inspection de l'action sanitaire et sociale et modifiant le décret n° 97-157 du 20 février 1997 relatif aux emplois de directeur régional, de directeur départemental et de directeur adjoint des affaires sanitaires et sociales.

Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence (tome 1, rapport)

III. JUSTICE ET MONDE DU HANDICAP : L'INCOMPRÉHENSION MUTUELLE

Si la mission de la justice de protéger les plus faibles est ancienne, c'est seulement depuis le nouveau code pénal, paru en 1994, que les personnes handicapées disposent d'une protection plus complète. Celle-ci ne leur est d'ailleurs pas propre puisque, désignées sous l'expression « personnes vulnérables », elles partagent cette protection avec un ensemble hétérogène de publics, des personnes âgées dépendantes aux femmes enceintes, en passant par les personnes en situation de détresse sociale.

Si l'élargissement de la protection assurée aux personnes handicapées est indéniable en droit, l'accès effectif à cette protection reste, lui, très problématique : la faible autonomie de la personne handicapée ne lui permet pas d'avoir accès à une justice dont les procédures restent peu adaptées aux personnes vulnérables.

Un exemple de plus des « sur-handicaps » créés par la société elle-même, que la commission d'enquête tient, dès maintenant, à dénoncer.

A. UN DISPOSITIF PÉNAL DE PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES QUI RESTE LACUNAIRE

Le code pénal ne connaît pas les personnes handicapées : ainsi que l'indiquait M. Hervé Auchères, juge d'instruction et membre de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI), « juridiquement, le statut de la personne handicapée et la notion de handicap n'existent pas d'un point de vue pénal. Le seul statut dont il est fait mention est le statut de personne vulnérable. Les textes ne confèrent aucun statut particulier à la personne handicapée. »

Mais si la protection garantie à ces « personnes vulnérables » est désormais bien établie et relativement complète, l'interprétation de l'expression « personne vulnérable » ou de son alternative « personne qui n'est pas en mesure de se protéger » peut poser problème.

1. La définition des infractions prend désormais en compte le cas particulier des personnes vulnérables

Le nouveau code pénal a réaffirmé l'objectif ancien de protection du plus faible, traditionnellement attribué à la justice, en ajoutant aux mineurs de sept ans, puis de quinze ans, pour lesquels le législateur a toujours souhaité une protection particulière, de nouvelles catégories de personnes.

Pour désigner ces nouvelles catégories de personnes, le code pénal emploie deux expressions : celle de « vulnérabilité » et celle de « personne qui n'est pas en mesure de se protéger ».

La volonté du législateur de protéger les personnes vulnérables se traduit par trois séries de dispositifs : outre les possibilités de protection particulière qui sont l'objet de l'obligation de signalement, le code pénal prévoit à la fois des incriminations spécifiques et une aggravation des peines plus générales lorsque la victime est une personne dite « vulnérable ».

a) La vulnérabilité de la victime, élément constitutif de l'infraction

L'état de la personne peut tout d'abord être un élément constitutif de l'infraction. Il en est ainsi dans les cas :

- de délaissement, en un lieu quelconque, d'une personne « qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique », qui est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende (article 223-3 du code pénal) ;

- du recours à la prostitution de personnes qui présentent « une particulière vulnérabilité44(*) », dont l'auteur encourt 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende (article 225-12-1 du code pénal)45(*) ;

- de violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne « dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de leur auteur »(article 222-14 du code pénal).

Dans ce dernier cas, la peine encourue dépend des conséquences des violences exercées : 30 ans de réclusion perpétuelle en cas de mort de la victime, 20 ans en cas de mutilation ou d'incapacité permanente, 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende en cas d'incapacité de travail supérieure à huit jours, 5 ans et 75.000 euros d'amende si l'incapacité de travail est inférieure à huit jours.

Relèvent enfin de cette catégorie d'infractions les sanctions concernant les discriminations du fait de la maladie ou du handicap.

b) La vulnérabilité de la victime, circonstance aggravante d'une infraction

Au-delà de ces infractions spécifiques, la protection des personnes vulnérables s'exerce surtout par une aggravation des peines encourues lorsque la victime est une personne vulnérable. Ainsi la peine passe :

- de 30 ans à la réclusion perpétuelle à perpétuité en cas de meurtre (article 221-4 du code pénal) : on note cependant que les dispositions relatives à l'augmentation de la période de sûreté en cas de viol, d'actes de torture ou de barbarie précédant le meurtre ne s'appliquent que lorsque la victime est un mineur de quinze ans ;

- de 15 à 20 ans concernant les actes de torture et de barbarie (article 222-3 du code pénal), les violences ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner (article 222-8 du code pénal), le viol (article 222-24 du code pénal) ;

- de 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende à 15 ans de réclusion criminelle en cas de violences ayant entraîné une mutilation ou une incapacité permanente (article 222-10 du code pénal) ;

- de 7 à 10 ans d'emprisonnement et de 150.000 à 1.500.000 euros d'amende en cas de proxénétisme (article 225-7 du code pénal) ;

- de 5 à 7 ans d'emprisonnement et de 75.000 à 100.000 euros d'amende en cas d'agression sexuelle autre que le viol (article 222-29 du code pénal). Cette peine est encore aggravée à 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende lorsque l'agresseur a abusé de l'autorité que lui conféraient ses fonctions (article 222-30 du code pénal) ;

- de 3 à 5 ans d'emprisonnement et de 45.000 à 75.000 euros d'amende pour les violences ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours (article 222-12 du code pénal). Même lorsqu'elles n'ont entraîné aucune incapacité de travail ou une incapacité inférieure à huit jours, les violences commises sur une personne vulnérable sont passibles de 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende (article 222-13 du code pénal).

Le principe de l'aggravation des peines s'applique également lorsque l'infraction ne concerne pas les atteintes à l'intégrité physique de la personne mais les atteintes à ses biens : il en est ainsi pour le vol, l'extorsion et l'escroquerie.

Les poursuites judiciaires consécutives aux préjudices portés aux personnes particulièrement vulnérables en 2001

Le garde des Sceaux a apporté les informations suivantes :

« 36 infractions prévoient la vulnérabilité de la victime comme élément constitutif ou comme circonstance aggravante. En 2001, ces textes ont servi de fondement à 1.818 poursuites devant une instance de jugement. A 612 reprises, les juridictions ont prononcé des peines d'emprisonnement ferme.

« Les infractions les plus réprimées, puisqu'elles représentent 470 poursuites, sont constituées des violences sur personnes vulnérables avec une incapacité n'excédant pas 8 jours. Les vols facilités par l'état de vulnérabilité de la victime représentent 280 poursuites. Les abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou à une abstention représentent 499 poursuites.

Ces trois délits ont donné lieu à 414 peines d'emprisonnement ferme, avec un quantum moyen de 6 mois d'emprisonnement prononcé. Cette circonstance aggrave sensiblement le quantum des peines, pour les porter, en matière correctionnelle, à 10 ans d'emprisonnement.

« La loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice élargit les possibilités d'utilisation de la procédure de comparution immédiate. Les affaires de maltraitance entrent dans ce champ. »

En termes d'infraction, la protection particulière dont bénéficiaient jusqu'à présent les seuls mineurs a donc bien été étendue à l'ensemble des « personnes vulnérables ».

Concernant le cas particulier des personnes accueillies en établissement, il faut également souligner que la notion d'abus d'autorité constitue soit un élément constitutif de l'infraction, soit un élément d'aggravation de la peine.

Le code fait également une place particulière aux responsables sociaux chargés d'une mission de service public. Or, si les juges administratifs, en l'absence de prérogatives de puissance publique confiées aux établissements, ne reconnaissent pas aux associations gestionnaires une « mission de service public », l'appréciation des juges répressifs pourrait être plus étendue.

Il reste que, comme le soulignait M. Hervé Auchères, juge d'instruction, le cumul des circonstances aggravantes que sont la vulnérabilité de la victime et l'abus d'autorité de l'auteur de l'infraction n'est possible qu'en matière de délits et non de crimes : « J'attire votre attention sur le fait qu'en matière de viol, il n'existe pas de cumul possible des circonstances. Contrairement à ce qu'il advient en matière de délit, le fait qu'une personne handicapée soit violée par la personne ayant autorité sur elle ne fait pas augmenter la peine. Il peut exister deux ou trois circonstances aggravantes, il n'empêche que la peine d'emprisonnement restera plafonnée à vingt ans de réclusion criminelle. »

Ainsi, alors que le cumul des circonstances aggravantes sera possible pour toutes les agressions sexuelles autre que le viol, il sera interdit dans ce dernier cas. De même, le cumul sera paradoxalement accepté pour toutes les violences à l'encontre d'une personne vulnérable, sauf lorsque celles-ci auront entraîné la mort.

S'il est vrai que ce principe du code pénal est applicable à l'ensemble des crimes et délits, qu'ils concernent ou non les personnes vulnérables, il reste que cette distinction est difficilement compréhensible pour les victimes et leurs familles.

2. La qualification juridique de « personne vulnérable » dépend de l'appréciation du juge

L'état de vulnérabilité qui est retenu par le code pénal comme motif de protection particulière ne saurait être apprécié de façon systématique. En effet, sa définition comme sa portée relèvent de l'appréciation du juge. L'étude de la jurisprudence pénale montre que trois caractéristiques sont recherchées par le juge pour admettre l'état de vulnérabilité :

- celle-ci doit être apparente ou connue de l'auteur de l'infraction : cette condition est notamment précisée en matière d'aggravation des peines ;

- elle est spécifique à une situation donnée : la vulnérabilité n'est pas inhérente à la condition de telle personne en général. Ainsi le fait d'être reconnue handicapée ne fait pas de la personne une « personne vulnérable » de manière certaine et définitive dans tous les cas. Il en est ainsi, en particulier, lorsque le code précise que la personne vulnérable est celle qui n'est pas en mesure de se protéger. Par conséquent, une personne handicapée ne sera considérée comme vulnérable que si elle n'a pas les moyens d'assurer elle-même sa propre sécurité ;

- les causes de la vulnérabilité peuvent varier d'une incrimination à l'autre : ainsi l'expression « déficience physique ou psychique » employée en matière d'obligation de signalement et d'aggravation des peines est-elle plus restrictive que celle d'« état physique ou psychique » utilisée pour délier du secret les professionnels qui y sont astreints.

Qui sont les « personnes vulnérables » ?

Les incertitudes du droit pénal

« La question a été posée de savoir si toutes les personnes sollicitant une participation des services sociaux n'étaient pas, par définition, des personnes vulnérables. Cette généralisation aurait pu avoir pour conséquence, le cas échéant, d'obliger les professionnels du travail social à informer les autorités des mauvais traitements concernant toutes les personnes à même de se défendre personnellement et surtout, en cas d'abstention, de les faire tomber sous le coup des sanctions prévues. Ainsi, l'article 434-3 du code pénal, qui concerne l'obligation de signalement des mauvais traitements et les sanctions qui s'y rattachent, mentionne-t-il la notion de déficience physique ou psychique. Cette notion est, à notre avis, plus limitative que le fait de parler d' « état » qui est plus général. (...)

« S'il est laissé le soin aux professionnels d'évaluer la déficience psychique d'un homme maltraité, en dernier recours, la qualification des faits relèvera toujours de l'appréciation d'un magistrat. »

Source : La responsabilité civile, administrative et pénale dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux » Jean-Marc Lhuillier, professeur à l'ENSP.

Si la question de la connaissance du handicap de la victime par l'auteur de l'infraction ne se pose a priori pas pour une personne handicapée accueillie dans un établissement, l'appréciation de la capacité de la personne à se défendre par elle-même doit, elle, s'effectuer au cas par cas.

En témoigne l'analyse de l'article 223-3 du code pénal relatif au délaissement qui figure au jurisclasseur :

« L'incapacité de se protéger en raison de l'état physique ou psychique de la victime vise le délaissement des personnes handicapées physiquement ou mentalement qui se trouvent dans un état de dépendance à l'égard d'autrui. Le législateur a voulu, là aussi, les protéger contre le danger physique résultant de leur solitude.

« Tout devrait alors dépendre de la nature du handicap : une personne hors d'état de se déplacer physiquement n'est pas délaissée du seul fait qu'elle est laissée seule, mais à côté d'un téléphone ; en revanche, un handicapé mental, même physiquement autonome, pourra être considéré comme délaissé dès lors que les circonstances ne lui permettent pas, pour des raisons psychologiques (débilité, panique...), d'assurer sa propre sécurité ou d'appeler à l'aide. »46(*)

Le nouveau code pénal, en remplaçant la référence à l' « incapacité » par la notion de « personne hors d'état de se protéger », a donc certes potentiellement élargi le champ des personnes protégées au-delà des seules personnes soumises à une mesure de protection (tutelle ou curatelle) mais il a, en contrepartie, fait entrer un élément d'incertitude quant à la définition exacte de la vulnérabilité.

* 44 Le code précise que celle-ci doit être « apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse. »

* 45 Cet article a été créé par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 46 F. Dreifuss-Netter, « Délaissement d'une personne hors d'état de se protéger », Jurisclasseur pénal, articles 223-3 et 223-4, II, 1994.

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