Vieille dame centenaire, cette école a vu passer dans ses murs plus de 8 000 élèves, médecins, pharmaciens, techniciens, civils et militaires, ayant acquis sur les bancs de ce centre de formation tous les savoirs nécessaires avant d’aller exercer outre-mer.
Le Pharo en 1905
L’extension de l’empire colonial français, conduit le ministère de la guerre à proposer qu’une école soit créée afin d’y mettre en œuvre un enseignement pratique et complet en médecine tropicale.
Dès 1900, la Ville de Marseille manifeste son intérêt pour l’installation d’une école dédiée à l’enseignement de la médecine tropicale. On évalue en effet à plus de 7 000 par an le nombre de fonctionnaires qui viennent s’embarquer à bord des paquebots appareillant pour les colonies. Un temps envisagée dans une aile du Palais impérial du Pharo, le conseil municipal décide en 1904 d’aménager l’école dans un bâtiment spécialement construit dans le parc.
Le 3 octobre 1905, est promulgué le décret n°119 portant création et organisation de l’École d’application du Service de santé des Troupes coloniales. Ce décret constitue le véritable acte de naissance de l’École du Pharo.
Les stages cliniques ont lieu à l’hôpital militaire Michel-Lévy, rue de Lodi. L’architecte Muller conduit les travaux terminés à la fin de l’année 1906, aménageant même à l’entrée du parc un pavillon pour le directeur de l’École. Le médecin principal de 1re classe Albert Clarac est nommé directeur et le premier état-major comprend 13 officiers.
La première promotion d’élèves, forte de 42 médecins et 4 pharmaciens, arrive à l’école le 1er février 1907. Les professeurs ont été choisis sur la qualité de leurs travaux et sur leur renommée : Clarac vient de rédiger un volumineux précis de pathologie exotique avec Grall, Simond a démontré le rôle de la puce du rat dans la transmission de la peste tandis que Kerandel possède une expérience importante en matière de trypanosomiase.
À la veille de la fin du stage, le 29 septembre 1907, a lieu l’inauguration officielle de l’École à laquelle participent M. Matier préfet des Bouches du Rhône, M. Olivier et le docteur Quiérel, directeur de l’école de médecine.
Inauguration du Pharo en 1907.
Les élèves qui ont donné à leur promotion le nom de “La Marseillaise” entonnent un chant prémonitoire :
«...Partir, je vais partir pour l’autre bout du monde,
Des noms étincelants éblouissent mes yeux ;
Tahiti, ce joyau des eaux, la perle blonde,
Madagascar et le Niger mystérieux... »
C’est ensuite le grand départ par les ports de Bordeaux, Marseille et Saint-Nazaire vers l’Afrique noire, la Guyane, les Antilles, Madagascar ou l’Indochine.
De hautes personnalités du monde scientifique et militaire viennent à Marseille témoigner de l’intérêt porté au Pharo : le général Joffre, futur vainqueur de la Marne, en 1908, Sarraut, gouverneur général de l’Indochine, en 1911.
De 1905 à 1914, 258 élèves sont formés à l'École, mais l’élan est brisé par la guerre de 1914-1918. La mobilisation générale oblige alors à la fermeture.
A la fin de la guerre, 10 des 39 médecins de la première promotion sont décédés.
4 après la fin de la guerre, en 1922, l’école ouvre à nouveau ses portes. Le sénateur-maire de Marseille, le docteur Flaissières, s’adresse aux participants présents lors de la cérémonie : « ...cet admirable corps médical est des plus précieux éléments de contact qui s’établit entre la France et ses colonies. Il va porter au loin parmi nos frères d’une autre couleur les bienfaits de la science médicale et de l’hygiène... ».
En 1928, le rôle des élèves durant la première guerre mondiale est consacré par la remise à l’école de la Croix de guerre qu’accompagne une citation à l’ordre de l’armée.
L’année 1930 est marquée par la tenue à Alger d’un important congrès scientifique sur le paludisme. Témoignant de l’intérêt porté au Pharo, les délégations de l’Institut Robert Koch de Berlin, de l’Institut colonial d’Amsterdam, de l’école de médecine tropicale de Bruxelles vont s’arrêter à Marseille pour saluer leurs confrères français.
En 1936, les pharmaciens créent un centre de documentation et d’études dotant la bibliothèque d’ouvrages de référence dont plusieurs sont écrits par les enseignants eux-mêmes.
La déclaration de guerre en 1939 entraîne une nouvelle fois la fermeture de l’école. Elle réouvrira le 8 février 1941 puis, réquisitionnée par les Allemands en 1943, attendra la libération de Marseille pour se réinstaller dans ses locaux en 1945.
A partir de 1955, les laboratoires vont s’orienter vers l’étude de la nutrition et des ressources alimentaires en pays tropicaux.
La triple mission du Pharo prend forme : enseignement, recherche et expertise.
L’accession à l’indépendance des États d’outre-mer, au début des années 1960, est l’heure d’un premier bilan. L’action des élèves du Pharo offre aux jeunes nations indépendantes plus de 4 000 formations sanitaires dont 41 hôpitaux. Les écoles de médecine créées et dirigées par des médecins militaires permettent la naissance des facultés de médecine. La récolte scientifique a été féconde. Finalement, de cette œuvre, le professeur Payet ancien doyen de Dakar devait dire : « Qui a fait mieux, et où ? ».
La décolonisation aura, bien évidemment, des répercussions sur le service de santé colonial et son école de formation. En 1962, le service de santé colonial rejoint les services de santé des autres armes.
En 1968, l’École du Pharo devient l’ESSSATIPE, École de spécialisation du Service de santé pour l’Armée de terre et Institut de pathologie exotique.
Puis en 1975, le Pharo devient l'IMTSSA, Institut de médecine tropicale du Service de santé des armées , appellation qu’il garde jusqu'à sa fermeture.
Le mode de recrutement des médecins militaires va également évoluer. Il s’effectue toujours après le baccalauréat mais devient commun aux deux écoles de Lyon et Bordeaux et, à partir de 1973, est accessible aux candidats de sexe féminin.
Après les indépendances, la France va garder des relations privilégiées avec les nouveaux États. La politique de coopération sanitaire de substitution se justifie par le manque de personnel autochtone formé malgré les écoles mises en place et par les difficultés rencontrées au plan organisationnel et économique, par les nouveaux États pour maintenir le système existant.
Si en 1940, 700 officiers du service de santé étaient en poste outre-mer, en 1980 ils sont encore près de 800. Les médecins remplissent des missions extrêmement variées, mais très proches de celles de leurs anciens : omnipraticiens, ils sont à la fois médecin, chirurgien, pédiatre, obstétricien, et souvent enseignant et administrateur. D’autres, spécialistes hospitaliers, travaillent dans des hôpitaux, des dispensaires, des centres sociaux ou des instituts spécialisés (Instituts Pasteur...). D’autres encore, participent aux actions de santé publique dans des secteurs d’hygiène mobile et de prophylaxie ou des secteurs de grandes endémies. Ils poursuivent la lutte contre les grandes maladies tropicales : paludisme, lèpre, bilharziose, onchocercose, maladie du sommeil...
Pour être efficace sur le terrain, le jeune médecin doit avoir des connaissances pratiques multidisciplinaires. L’enseignant du Pharo, qui en a une expérience personnelle, transmet ce savoir-faire par une formation proche du compagnonnage.
De 1905 à 1968, le Pharo a déjà formé 2308 médecins, 266 pharmaciens et 96 officiers d’administration. Véritable plaque tournante des missions médicales outre-mer, l’enseignement a été évolutif et s’est nourri d’expériences renouvelées en permanence par des professeurs qui viennent d’exercer la médecine tropicale sur le terrain. Depuis sa création, l’École a vu se succéder 117 professeurs titulaires de chaires, 38 professeurs adjoints et 169 professeurs agrégés.
Cette base de formation commune, quelle que soit l’orientation ultérieure de sa carrière, prépare ainsi le médecin à sa première affectation : l’enseignement du Pharo forme les médecins à un exercice professionnel orienté vers l’exercice en poste isolé mais aussi à une véritable médecine de santé publique, intégrant des facteurs environnementaux et socio-économiques.
Les deux temps forts de ce stage sont représentés par le choix des postes avant le premier départ outre-mer et la cérémonie de clôture, débutant par une leçon magistrale. C’est l’occasion pour un professeur de présenter, à travers une conférence historique ou médicale, un aspect particulier de l’exercice du médecin militaire.
Dans les années 1960, la tâche restant immense et la pénurie en personnel importante, il est proposé à un certain nombre de médecins civils et à quelques pharmaciens d’effectuer un service militaire particulier en coopération.
À la demande du ministère de la coopération, ces médecins reçoivent avant leur départ une formation en médecine tropicale au Pharo. En 1966, un premier stage d’initiation est organisé à leur profit avant leur premier poste : médecin d’un centre de protection maternelle et infantile à Yaoundé, biologiste au centre national de transfusion à Abidjan, anesthésiste à l’hôpital général de Libreville ou médecin des grandes endémies à Fort-Archambault, au Tchad. Sous l’appellation de VSNA (volontaires du service national actif) puis CSN (coopérants du service national), plus de 2 000 médecins seront ainsi formés au Pharo de 1966 à 2000. Parallèlement, dans le cadre de la politique de coopération, des échanges vont peu à peu se mettre en place avec les services de santé des États africains et asiatiques. Depuis 1982, l’Institut a formé 11 professeurs agrégés à titre étranger. Mais ce sont aussi des médecins militaires ou des techniciens qui viennent se former au Pharo.
Avec la fin de la coopération de substitution, le Pharo a perdu ses grosses promotions de médecins en position hors-cadre sur tous les continents. Lors de la création de l’École d’application du Service de santé des armées (EASSA) au Val-de-Grâce en 1992, le Pharo retrouve une fonction d’institut de spécialisation des futurs médecins de l’armée de terre. Les forces de souveraineté dans les DOM-TOM, les forces stationnées dans certains pays en vertu d’accords de coopération et les unités en mission de courte durée représentaient en 2005 plus de 20 000 hommes présents en zone tropicale.
Une centaine de personnes, civiles et militaires, travaillent au Pharo en 2005, en étroite synergie avec l’hôpital d'instruction des armées Alphonse Laveran de Marseille dont les spécialistes constituent la majorité des enseignants de l’Institut.
En 2005, la recherche en parasitologie comporte deux unités : l’unité de recherche en physiologie et pharmacologie parasitaires (UR3P) et l’unité de recherche en biologie et épidémiologie parasitaires (URBEP). Ces deux unités disposent d’un plateau technique très moderne pour la culture parasitaire et cellulaire, la biochimie analytique et le dosage des antipaludiques, la biologie moléculaire, la protéomique, ainsi que des laboratoires de sécurité biologique de niveau 2 (LSB2) et 3 (LSB3).
L’Unité de virologie tropicale dispose d’un plateau technique complet pour la biologie moléculaire, le sérodiagnostic, la culture cellulaire ainsi que d’un Laboratoire de niveau 3 (LSB3) qui permet la manipulation des échantillons dans les meilleures conditions de sécurité. Depuis les années 80, ses activités se sont orientées vers les études sur les arbovirus.
L’unité du méningocoque, seul laboratoire de bactériologie de l’Institut, est Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1964, laboratoire de référence pour les forces armées et les laboratoires africains francophones. Elle travaille en relation étroite avec les hôpitaux des armées, l’assistance publique des hôpitaux de Marseille et le CERMES (Niamey, Niger). En sa qualité de centre de référence pour les laboratoires africains participant, sous l’égide de l’OMS, à la surveillance renforcée des méningites, elle collabore tout particulièrement avec le Niger, le Burkina Faso, le Bénin et le Tchad, pays situés dans la ceinture de la méningite de Lapeyssonnie. Ancien département dit de médecine des collectivités (MedCo), le département d’épidémiologie et de santé publique est composé de quatre unités : surveillance épidémiologique, veille sanitaire, recherche épidémiologique et entomologie médicale.
Le Centre de documentation de l’IMTSSA regroupe la bibliothèque, la cellule communication et la revue Médecine Tropicale. L’Ecole du Pharo s’est dotée en 1941 d’une revue médicale et scientifique – la revue Médecine Tropicale - délivrant six fois par an, en plus de 100 pages, un panorama d’articles originaux et de communications scientifiques. Cette revue descend en ligne directe des Archives de médecine navale dont l’origine remonte à 1864, puis des Archives de médecine navale et coloniale créées en 1890 avec l’avènement du Corps de santé des colonies et pays de protectorat.
Depuis 1994, chaque année au mois de septembre, l’Institut organise une rencontre scientifique dénommée “les Actualités du Pharo” qui rassemble un public international dans un colloque qui est la plus importante manifestation de médecine tropicale de langue française. Près de 300 participants viennent échanger connaissances et expériences sur des thèmes renouvelés chaque année. Ainsi, durant plus de 100 ans le Pharo a poursuivi sa mission au profit des élèves et des stagiaires qui sont venus y acquérir des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Tout au long de son histoire séculaire, l’Institut a tissé des liens étroits avec différentes structures militaires et civiles, marseillaises, françaises et étrangères, principalement dédiées à la médecine tropicale, à l’enseignement et à la recherche.
Et puis, pour des raisons diverses de restructuration de la formation et de la recherche au sein du Service de santé des armées et d'économies budgétaires, vint le temps de la fermeture de l'Ecole. Elle ferme ses portes en juin 2013. Ne reste alors derrière les grilles centenaires qu'une plaque loin des yeux des promeneurs du jardin du Pharo, rappelant qu'en ces lieux plus de 8 000 médecins, pharmaciens, et personnels de santé appelés à servir outre-mer sont passés pour parfaire l'apprentissage de leur art médico-tropical.