"Alexandre Lacassagne n'est pas un homme, c'est un monde" (Attribué à Alphonse Daudet)
Strasbourg l'a accueilli en 1864 dans la huitième promotion où figurait également Alphonse LAVERAN, futur prix Nobel. Il avait alors 20 ans et venait de quitter son Quercy natal, sa famille, son père qui tenait l'Hôtel Impérial à Cahors, sa mère laquelle il vouât une véritable vénération et ses deux frères. Il devint interne des hôpitaux et s'initia à la médecine légale comme préparateur du professeur TOURDES. Il restera tout au long de sa vie très attaché à ses années de formation dans cette École qu'il retrouve 1 an après sa thèse soutenue en 1867 sur les effets psychologiques de l'anesthésie par l'éther et après son passage à l'École d'Application du Val de Grâce. Il y est nommé répétiteur de pathologie générale et médicale et le restera jusqu'en 1872 alors que la capitulation de Strasbourg en 1870 va contraindre les élèves et cadres de l'École à se replier auprès de la faculté de Montpellier. Souvent, en la désignant sous le terme affectueux de alma mater, il aura plaisir à se rappeler ses années de formation mais aussi les affres du siège de la ville.
L'École du Service de Santé militaire étant définitivement dissoute, le parcours de Lacassagne devenu médecin-major va prendre des allures plus chaotiques. Le voici tout d'abord en Algérie à Sétif dans un régiment de «joyeux». Sur ces soldats qui n'étaient pas au mieux avec la justice, il va débuter une étude sur les tatouages et leur signification mais aussi se lancer dans l'anthropologie en réalisant des travaux de mensurations sur des centaines d'entre eux. Il exploitera plus tard ces résultats. Il prépare en même temps le concours d'agrégation du Val de Grâce qu'il va réussir en 1874 dans la chaire d'hygiène et de médecine légale. Au bout de ses 5 années d'enseignement il est de retour sur la terre algérienne à Aumale puis à Médéa. Ses dons et ses goûts d'enseignant n'y trouvent pas leur plein épanouissement. Il postule pour un recrutement de professeur de faculté, tout d'abord à Alger puis à Lyon où il sera titularisé en 1880. Il cumule alors pendant 10 ans des fonctions hospitalières militaires dans le service des maladies contagieuses de l'hôpital de la Nouvelle Douane devenu hôpital Desgenettes en 1888 avec les fonctions de professeur de médecine légale.
En 1890, le médecin major de 1ère classe LACASSAGNE quitte définitivement le service actif et se voit affecté dans l'armée territoriale. En 1903 il est promu médecin principal de 2e classe et mis à la disposition du gouverneur de Lyon à la mobilisation. Enfin il fut de 1914 à 1918 délégué du Directeur du Service de Santé auprès des Hospices Civils de Lyon. Dès 1913 il avait quitté ses fonctions d'enseignant et était entré dans ce qu'il célébra comme la «verte vieillesse». En 1924, victime d'un accident de la voie publique, il décéda quelques mois plus tard et fut autopsié ainsi qu'il l'avait souhaité. Il avait 81 ans.
Il aurait pu être algérois, montpelliérain c'est lyonnais qu'il fut, Alexandre LACASSAGNE devint donc lyonnais et même un notable lyonnais. Il raconte qu'il s'était déjà arrêté au bord du Rhône en 1870 au cours de l'évacuation d'un convoi de blessés du siège de Strasbourg par la Suisse. Son retour en terre lyonnaise, il le dut d'abord à sa notoriété, à des appuis extérieurs efficaces dont celui de Léon GAMBETTA et à la transformation du paysage universitaire. Aux trois facultés de médecine existant en France : Paris, Montpellier et Strasbourg, réduites à 2 après la chute de Strasbourg en 1870, vinrent s'ajouter un certain nombre de facultés mixtes de Médecine et de Pharmacie dont celle de Lyon en 1877. Ni l'autorité militaire ni le milieu universitaire lyonnais n'applaudirent vraiment à cette arrivée ; cependant, malgré de nombreux prétendants, le voilà installé dans la chaire de médecine légale.
Désormais il va vaincre toutes les résistances et prendre une place éminente dans la faculté et dans la ville de Lyon. Il sera d'abord un enseignant mais aussi un médecin d'expertise, et tout à la fois homme public et grand érudit. Enseignant il le fut en médecine légale et en criminologie par ses cours très appréciés aussi bien au Val de Grâce que plus tard à la faculté, par les nombreux congrès auxquels il a participé et par les Archives d'Anthropologie Criminelle qu'il fonda en 1886 et dirigea pendant 29 ans. Il inspira pas moins de 225 thèses, rédigea de nombreux ouvrages fondamentaux souvent réédités. Il devint en fait le maître à penser de la médecine légale en France faisant en particulier front aux thèses de l'Ecole italienne qui derrière Cesare Lombroso, autre médecin militaire originaire de Vérone, affirme que l'«homme criminel» peut être identifié grâce à des anomalies anatomiques. Alexandre LACASSAGNE et l'école française vont insister résolument sur le rôle prépondérant de l'environnement social dans la survenue de la délinquance criminelle. Il est l'auteur du célèbre aphorisme «les sociétés ont les criminels qu'elles méritent». N'oublions pas l'hygiène, domaine privilégié où il administra également la preuve de ses qualités éminentes de pédagogue.
Il fut dans le même esprit un médecin expert de tout premier plan et certains de ses rapports prennent parfois l'allure de bestseller du roman noir, ainsi la macabre affaire Gouffé où sa rigueur scientifique sut se montrer exemplaire dans le recueil des indices et la conduite de l'argumentation pour éclairer la marche de la justice. L' assassinat de Sadi CARNOT à Lyon le 23 juin 1894 contribuera avec bien d'autres événements à mettre son nom sous les feux de l'actualité. Sur ce métier d'expert, il a laissé de précieuses réflexions qui n'ont rien perdu de leur pertinence. Citons le : «il faut surtout que le médecin-expert soit pondéré, sachant douter, ayant pour guide la raison et la science, ces deux maîtres de notre conscience
En 1882, il épousa la veuve d'un chirurgien major de l'Antiquaille. Ils eurent 3 enfants : une fille qui devait épouser un ancien élève et futur directeur de l'École de l'avenue Berthelot, Albert POLICARD et 2 fils, médecins éminents l'un en dermatologie et l'autre en cancérologie.
Il fut à travers ses prises de position et ses écrits une voix avisée souvent sollicitée par les responsables de la cité, le projet de la création d'une morgue en est un exemple. Mais surtout il s'impliqua pour le choix de Lyon comme site de la nouvelle École en témoignant qu'il a pu «être utile dans la préparation de l'accord qui est survenu en 1888 entre la municipalité et le ministère Il participa à la vie artistique de la ville, et fut très connu comme amateur d'art fréquentant assidûment les antiquaires. Il se trouva ainsi à la tête d'importantes collections dont une partie fut regroupée dans le musée d'histoire de la médecine qu'il créa. Il ne rassembla pas moins de 12.000 ouvrages et manuscrits dans sa bibliothèque dont il fit don à la ville de Lyon. Il participa activement à la vie et parfois à la création de nombreuses sociétés scientifiques ou littéraires tant au niveau lyonnais que national. En 1900, il est promu officier de la Légion d'honneur, en 1902, élu membre associé de l'Académie de médecine.
Son goût de la littérature, en particulier latine, transparaît à travers ses citations, son ex-libris ou même ses travaux sur les empereurs romains. Cette quête profondément humaniste alliait le souci de la justice, la finesse de l'analyse psychologique et la curiosité toujours en alerte de l'investigateur. On le verra par exemple s'interroger aussi bien sur la responsabilité médicale que sur la relation des médecins militaires avec la clientèle civile ou l'origine bourgeoise des médecins.
Il y a déjà une centaine d'années, parlant de la place de la femme dans la société, il écrivait prévoir toute la part croissante qu'elle allait prendre «avec une éducation qui tend à devenir semblable à celle de l'homme».
Dans le très grand mouvement de sa vie professionnelle et sociale, LACASSAGNE n'avait pas perdu le souvenir ému de ses années de Strasbourg. Il n'hésitait pas à témoigner, non sans humour, de ce que la médecine militaire avait pu lui apporter : «d'abord elle m'a imposé, au moment de la fougue, une discipline dont j'avais besoin. Plus tard, elle m'a procuré les loisirs qui permettent de préparer les concours et d'effectuer les travaux personnels."
(Biographie extraite du discours du MGI Seigneuric lors du Bâptème de Promotion)
La Promotion 1999 l'a choisi comme Parrain.