L’engagement de ce jeune étudiant en médecine civile bordelaise lors de la drôle de guerre n’est pas le fruit du hasard.
Georges Léon Hyppolite ARMSTRONG, né à Bordeaux en 1917, hérite d’un lourd patrimoine familial, son père ayant été médecin militaire, passé par Santé Navale. Il est également porteur d’une double culture anglo-sénégalaise, qui rappelle l’histoire coloniale. Cette identité prend racine dans l’union de ses ancêtres : John Armstrong, éminent chirurgien anglais installé à Saint-Louis, au Sénégal, et Jacqueline d’Erneville, issue d’une famille sénégalaise de longue date. Son engagement est donc le fruit de cet héritage riche et significatif.
ARMSTRONG fit le choix de suivre la voie tracée par son père : devenir médecin ! Mais il choisit de devenir médecin civil, à la différence de son père. Il entre en 1937 à la faculté de médecine de Bordeaux. Lors de sa rentrée en troisième année de médecine, le feu s’abat sur l’Europe, la Seconde Guerre mondiale éclate… En septembre 1939, il est mobilisé en tant qu’élève officier de réserve, mais rapidement il se voit nommé médecin auxiliaire, qui était l'équivalent d’un grade d’adjudant pour les étudiants qui s’engagent. Pour le début de la guerre, ce jeune étudiant, arraché au banc de la faculté, sera affecté à l'hôpital d’orientation et d'évacuation n°5 de Vittel. C’est à ce moment que Georges ARMSTRONG fit sa première rencontre avec l’uniforme qu'il portera de la France occupée à l’Indochine, durant sa captivité. Le bonnet de police, les brodequins et les bandes molletières sont de sortie.
Il est par la suite affecté au 64ème bataillon de chars de combat mais il eut à peine le temps de défaire son paquetage que l’Armistice du 20 juin 1940, la reddition du maréchal Pétain face à la Blitzkrieg, était signé. Pour continuer le combat, ARMSTRONG rejoint le 43ème régiment d’infanterie coloniale et rejoint la Tunisie courant décembre 1940. Il sera démobilisé en 1941, la volonté de devenir médecin ne l’ayant pas quitté, il reprend ses études à Alger mais en fin 1942 il sera à nouveau appelé pour servir une France en danger. Il rejoint la Compagnie saharienne méhariste des Ajjers et du Hoggar, puis il ira rejoindre le général Leclerc en Tripolitaine, qui est l’actuelle Libye, pour rejoindre la légendaire colonne Leclerc. Il est par la suite muté au 13e régiment des tirailleurs sénégalais avec lequel, à l'automne 1944, il débarque dans un premier temps à Ajaccio, puis il débarque sur la célèbre île d’Elbe en juin de la même année. Son engagement et sa bravoure seront récompensés par la croix de guerre 39-45 avec palme, mais aussi la médaille militaire, qui est une récompense exceptionnelle pour un simple médecin auxiliaire, récompensant un dévouement qui mérite d’être tout particulièrement cité.
Ensemble des officiers du 3ème BCCP (ARMSTRONG 2ème rang, 4ème depuis la gauche)
« Débarqué en première vague le 17 juin 1944 dans l’île d’Elbe, et alors que l’unité qu’il accompagnait se trouvait clouée au sol par un feu particulièrement violent dans un champ de mines très dense, n’a pas cessé de ramener et de soigner de nombreux blessés, sauvant plus de vingt d’entre eux d’une mort certaine… »
Insigne du 23 RIMA
En août 1944, il remonte vers les Vosges en passant par Toulon. Il sera affecté au 23ème régiment d’infanterie de marine, avec lequel il participe à la libération de Lutterbach (Mulhouse). Il sera alors blessé à la main, mais l’appel du devoir a poussé le jeune médecin auxiliaire à ignorer la douleur pour sauver ses camarades en refusant de se faire évacuer avant que chacun de ses patients ait été pris en charge et sous les ordres de plus en plus insistants de ses supérieurs. Cette abnégation remarquable se fera remarquer et ARMSTRONG sera cité une seconde fois à l’ordre de l’armée et obtiendra donc une seconde palme sur sa croix de guerre 39-45.
«S’est de nouveau distingué au cours de la Campagne de France, le 20 janvier 1945, au début de l’offensive d’Alsace. A été grièvement blessé à Lutterbach alors qu’il donnait ses soins aux blessés sur un terrain soumis à des feux intenses. A refusé de se laisser évacuer. N’y a consenti que sur l’ordre formel de ses chefs et après que tous les blessés eurent reçu ses soins.»
Le drapeau de l’ESSM porté par George ARMSTRONG, est décoré de la croix de guerre 39-45 avec palme. (1946)
La résistance, les alliés et le peuple français sont vainqueurs de la libération de la France et de l'Europe. À l'issue de cette guerre, George ARMSTRONG eut un second appel du devoir ; il voulait devenir médecin civil, mais au vu de son expérience de médecin soldat, sans oublier la voie tracée par son père, il sera médecin oui, mais médecin militaire ! Il rejoindra l’école du service de santé militaire pour la rentrée de 1945. Fort de son expérience, il est un élément leader. Il sera reconnu par ses pairs et choisi pour porter le drapeau de l’école pour son engagement, notamment du fait qu’il faisait partie des élèves les plus décorés, mais aussi lorsqu’en 1946 le drapeau de l’ESSM fut décoré de la croix de guerre 39-45 avec palme. Il aura même l’honneur de défiler au 14 juillet en tant que porte-drapeau, sous le regard du président Hô Chi Minh, le destin est parfois joueur…
Il aura une année de battement avant de pouvoir rejoindre l’école du Pharo. Cette année permettra à ce jeune diplômé de découvrir la vie en régiment, dans un autre contexte que la guerre… Il ira notamment au 5e bataillon parachutiste d’infanterie coloniale, puis à la 3e compagnie médicale de Fréjus. En septembre 1947, Georges ARMSTRONG, fort de son passé militaire, est choisi pour partir avec la 2ème compagnie médicale déployée à Madagascar en pleine insurrection pour trois mois. Il pourra ensuite réaliser le stage en médecine tropicale au Pharo. Une fois les études terminées, le médecin capitaine ARMSTRONG choisira son affectation : le 3e BCCP (bataillon colonial de commandos parachutistes, actuellement le 3e RPIMA), où il sera breveté parachutiste (n°28242).
Il partira en Indochine avec le 3e BCCP, après trois semaines de voyage, puis trois mois d'acclimatation à ce climat hostile. Le médecin capitaine Georges Léon Hippolyte Armstrong débarque au Tonkin où il sacrifiera cinq ans de sa vie. Ce jeune médecin, à peine sorti d’école, réalisera de nombreuses missions à la fois terrestres mais aussi aériennes, dont cinq sauts opérationnels, dont deux sur la tristement célèbre Route Coloniale 4. Comme en 39-45, le feu ennemi n'effraie pas ARMSTRONG, et ses sauvetages sous le feu et ses actes de bravoure lui vaudront d’être cité deux fois à l’ordre de l’armée, avec attribution de la croix de guerre des TOE (Théâtres d’Opérations Extérieures) avec palme. Il reçoit, pour l’ensemble de ses actes depuis son engagement en 39-45 jusqu'à ses sauts sur la RC4, la croix de la Légion d’honneur le 8 mai 1950 à Hanoï.
Insigne du 3 BCCP
L’évolution de la situation dans le nord Tonkin se dégrade avec l’intervention de la Chine communiste qui assiste et arme les Vietminhs. Le 3e BCCP est envoyé pour soutenir les unités qui se replient après l’abandon de Cao Bang. "Le médecin du 3" sautera le 8 octobre avec son équipe sur That Khê. Ce sera son sixième et dernier saut opérationnel. Le 3 sera sous le feu pendant huit jours de combat, mais la détermination ne suffira pas à venir à bout des Vietminhs, qui connaissent le terrain. Il sera fait prisonnier le 15 octobre 1950.
Dû aux origines d’ARMSTRONG, ses geôliers lui proposeront la libération immédiate en le reconnaissant comme un frère victime du colonialisme français. Ce à quoi le médecin capitaine ARMSTRONG refuse en disant : “Je suis officier français” et demandera à être enfermé au même titre que ses hommes, à leurs côtés. Mais il sera enfermé dans le camp n°1, avec les autres officiers.
“Je suis officier Français”
Durant sa captivité, Armstrong détourna son bob qui lui servira alors à la fois de pot de chambre, couvre-chef et même de moyen de transporter son riz pour le repas. Il transformera également ses rangers US en sandales. Il tentera bien, avec les autres médecins captifs, de faire valoir leurs connaissances pour obtenir de quoi soigner leurs camarades, mais leurs demandes seront refusées. Ces médecins, qui exercent par leur simple savoir et sans aucun outil ni laboratoire, diviseront par trois la mortalité dans le camp numéro 1 en prônant des conseils d'hygiène élémentaire (avec 15 % de décès dans le camp 1 comparé aux 50 % des autres camps).
Médecin capitaine ARMSTRONG à gauche, capitaine DUBOIS à droite et lieutenant THALMANN dans le fond. Quelques instants avant de tomber dans une embuscade et le décès du capitaine.
Le médecin capitaine sera libéré parmi les derniers, en septembre 1954, après avoir été "bien traité" durant ses dernières semaines de captivité pour faire bonne figure lors de sa libération et son arrivée à Saigon. Hospitalisé quelques jours, il aura la mauvaise surprise de découvrir son nom inscrit et mal effacé sur le monument aux morts. Il fut notamment marqué par la perte de ses camarades, dont certains étaient des camarades de promotion de Lyon ou du Pharo. En 1954, il sera à nouveau cité à l’ordre de l’armée avec attribution d’une troisième palme sur sa croix de guerre TOE et promu officier de la Légion d’Honneur.
Monument aux morts de Saigon avec le nom de ARMSTRONG mal effacé
Photo d’ARMSTRONG aux côtés de Cyril BONDROIT lors du vernissage du livre sur sa captivité, écrit avec Cyril.
ARMSTRONG, épuisé par ses quatre années de captivité, passera par le 3e régiment d’infanterie de marine et au 23e R.I.Ma. Il finira sa carrière comme médecin lieutenant-colonel au dispensaire de Metz. Il se mariera tardivement avec son épouse, également médecin. Ils s'installeront à l’est avant de terminer sa carrière à Paris. Modeste et discret sur sa carrière et sa captivité, sans aucune rancœur pour ses geôliers, il sera énormément investi et attaché à ceux qui ont franchi “la portière”, admis dans le Club des chefs de section parachutistes au feu dès sa fondation. En 1995, il sera promu commandeur de la Légion d'Honneur pour l’ensemble de sa carrière. Il meurt le 6 novembre 2005 à 89 ans. La promotion de l’école du service de santé des armées “Route Coloniale 4” lui rendra hommage à son enterrement. Armstrong avait pris le soin de résumer sa captivité dans le livre : "Rapport sur l'activité du médecin-capitaine Georges ARMSTRONG."
Il sera choisi par la promotion 2022 de l’école de santé des armées pour être son parrain de promotion, inspirée par les traces de ce médecin dévoué et engagé, qui a su aller où la patrie et l’humanité l’ont appelé, au-delà des mers et toujours au service des Hommes.
Texte adapté de la biographie rédigée par l'AM Gabin de la Promotion MLC Armstrong
Chant de la promotion MLC George ARMSTRONG :
Couplet 1 :
Jeune étudiant pour la France engagée,
De l'exemple de vos aînés vous êtes inspiré.
Lorsque sur l'Europe s'abat le feu ennemi,
De vos camarades vous sauvez la vie.
Une âme sans peur et sans faille,
Qui ne se soumet malgré la mitraille.
Le treizième des tirailleurs s'en souviendra,
Lueur d'espoir dans l'enfer des combats.
Refrain :
Dans l’obscurité coulent le sang, les larmes.
Pour Saint Michel et vos frères d’armes.
Défiant la mort à travers l’Histoire,
Notre promotion ravive votre mémoire.
Dans les limbes de la peur, quand les têtes se baissent,
Colonel Armstrong, un officier se dresse.
Couplet 2 :
Depuis la Provence où vous avez débarqué,
Vous combattez sans cesse pour une France libérée.
Blessé vous continuez à soigner vaillamment,
Les soldats se jetant dans le feu et le sang.
Vous refusez de quitter les combats.
Dans cet engagement, trouvez votre voie.
De notre école vous portez le fanion.
Puisse votre exemple élever la promotion.
Couplet 3 :
Médecin capitaine jetant l’ancre à Saïgon,
Vénérable Santard vous déchirez le ciel.
Dans la jungle souveraine fort de votre vocation,
Vous prenez nombre de mutilés sous votre aile.
A contre-courant sur la route sanglante,
Officier exemplaire, para en amarante.
Engagé dans cette honorable lignée,
De la Légion d’Honneur vous êtes décoré.
Couplet 4 :
L'enfer de la prison et la haine de l'ennemi
Face à votre volonté, n'auront pas suffi.
Le Viet vous soudoie mais pour la France vous restez droit,
Refusant la fuite, vous nous montrez la voie.
Partout ailleurs la mort se déchaîne,
Sur la route du sang, sauvez à perdre haleine.
Résistez jusqu'à votre libération,
Digne héros, fierté de la nation.
Coda :
Honneur aux trois couleurs que vous avez portées.
Hommage à votre nom dans le ciel étoilé.