La confrérie des mots: extrait 2

― [...] Ta position et ta mission ne te permettent pas de m’aimer. Je suis l’exact contraire de la femme qu’il te faut. Je suis une sauvageonne, comme dit Algaïs. Je n’ai rien d’une damoiselle au balcon, soumise aux moindres mots d’amour poétiques de son prétendant à genou dans la cour d’un château. Je vis dans la réalité, pas dans la littérature. Je vibre, dans mon corps, du désir que ton corps lui transmet. Je ressens simplement les choses, directement, physiquement, par la pureté de la nature, sans détours ni grandes phrases. Peut-être avons-nous tous deux des sentiments d’amour l’un pour l’autre, mais les tiens brulent en ton âme alors que les miens embrasent mon corps.

De Vacqueyras lui lâcha le bras et recula d’un pas. Comme pour voir dans son ensemble cet être hors du commun. Jamais il n’aurait pu concevoir l’existence d’une femme si différente de toutes les autres. Devant elle, il était hors du monde, sans repère, sans possibilité de jugement, et paradoxalement ce désarroi renforçait ses sentiments. Maintenant, il fallait qu’il se décide, elle le mettait au pied du mur. S’il voulait l’aimer, il fallait qu’il abandonne tout ce qu’il connaissait et qu’il fasse courageusement un grand saut dans l’inconnu. Elle était imprévisible, il ne la comprenait pas. Elle était insaisissable par les moyens normaux de la cour qu’on fait aux dames, insensible à l’amour courtois si cher à ses yeux de troubadour. Elle lui demandait de tout lâcher, de se rendre en laissant les armes, de capituler pour passer nu et sans défense la porte de son monde à elle