Pourquoi écrire, c’est s’évader?


Écrire, c’est vivre une autre vie que la sienne.

Une vie intérieure qui certes n’appartient qu’à nous, mais aussi un autre destin qu’on ne choisit pas davantage que la vraie vie, la réelle et matérielle. L’une comme l’autre dépendent de nos choix personnels, mais pas seulement. Il y a une grande part qui vient d’on ne sait d'où et qui nous tombe dessus au fur et à mesure. Étonnamment, dans le processus d’écriture, c’est très semblable. Bien sûr, on fait parfois des choix et on oriente l’histoire imaginée de façon volontaire et consciente. Mais juste après notre esprit est traversé par des idées qui viennent d’ailleurs, qui apparaissent comme ça, toutes seules et qui influencent aussi le cours du récit.

Comme dans la vie, on peut décider de prendre sa voiture pour faire les courses, volontairement et consciemment, souvent obéissant à un désir et une logique parfaitement identifiable et qui ne correspond qu’à soi-même. Mais si juste après, on a un accident, on sent bien que toutes ces envies et ces raisonnements qui correspondent à notre identité n’ont qu’une faible part dans ce qui construit notre destin. Cet accident est bien le plus puissant que sa propre volonté, personne ne se dit qu’il arrive à cause de ses choix personnels.

Même si on peut parfois penser, juste pour se torturer un peu ou imaginer reprendre la maîtrise de sa propre existence, que si on n’avait pas pris la voiture on n’aurait pas eu l’accident. On sent bien au fond que ce choix initial n’a pas grand-chose à voir avec ce qui s’est passé, car dans notre décision de départ n’était pas inclue celle d’avoir cet accident.

Lorsqu'on est en train d'imaginer une histoire, un récit, les idées qui traversent notre esprit et qui influencent le déroulement de cette deuxième vie intérieure sont d’origine externe, naissant d’un mécanisme chaotique qui nous échappe totalement. Même si un peu de psychologie suffit pour démontrer que ce mécanisme aléatoire nous est propre et qu'il est totalement influencé, entre autres, par notre vécu, notre mémoire, nos connaissances et nos souvenirs, notre caractère, cela nous en laisse totalement inconscients. Toute analyse est faite a posteriori, lorsque les idées nous viennent on ne sait pas d'où elles proviennent. Elles arrivent comme par accident !

Ainsi un monde se construit en nous, mais dans lequel on vit comme étant extérieur, dans notre imagination, mais qu’on sent comme vrai dans les émotions qu’il nous donne. On tombe amoureux d’un personnage qu’on vient d’inventer, on en vient à en haïr un autre, on voit défiler des paysages qui nous surprennent quand d’un coup ils apparaissent magnifiques ou au contraire sombres et angoissants. On a la chance d’avoir une double vie, chacune avec ses rebondissements inattendus, et les sentiments qui en découlent. On est transporté ailleurs, dans un monde qu’on ne choisit pas vraiment, mais qu’on aime certainement. Simplement parce qu’à la fin, il devient un objet qu’on regarde de l’extérieur, on en a accouché sur l’écran blanc de l’ordinateur, et ce texte, ce bébé, on l’aime de suite, dès sa naissance, simplement parce qu’il est de nous et qu’il est nous à la fois.