L'angoisse de la page pleine

Évidemment qu’on doute ! On est seul face soi-même, c’est quand même pas rien ! J’avais lu beaucoup sur l’angoisse de la page blanche, c’était impressionnant et redoutable, je m’y étais préparé. Eh bien non, je ne l’ai toujours pas connue. Par contre, l’angoisse de la page pleine me parait particulièrement violente. "Le roman est terminé" que je m’étais dit, à deux doigts de boire le champagne ! Bien mal m’en eut pris... Rien n’était fini, c’était juste la première bataille dans cette infinie guerre des mots…

Face à son texte, on est aussi face à soi-même. Face à ses erreurs, à sa médiocrité, à son incompétence. Et chaque page nous torture et nous enfonce. On a beau parfois sortir la tête de l’eau, un peu d’air pour ne pas mourir, heureusement, au tournant de quelques belles tournures dont on peut être fier, d’un bon rebondissement qui nous montre un peu de génie, on retombe de suite après dans les sables mouvants d’une écriture qui vous aspire vers le bas. C’est extrêmement dur à vivre. Le plus désespérant, le plus gluant qui nous colle sans cesse, c’est qu’on a beau relire, corriger et réécrire dix fois le même passage, à chaque fois qu’on y revient, on y retrouve un défaut. Tous les auteurs le disent, la réécriture peut ne jamais terminer. Alors on angoisse aussi de savoir qu’il faudra bien prendre, à un moment, la décision de s’arrêter… J’ose à peine y penser…

Bien sur le principal conseil, c’est de se faire aider, de trouver les fameux beta-lecteurs que tous les auteurs chassent parmi leurs amis et connaissances, ou braconnent au hasard sur internet. Mais lá aussi, côté angoisse, c’est pas mal non plus ! Déjà, il faut avoir les couilles d’envoyer son texte. Sévèrement burné pour se dire que ça y est, il est assez avancé pour être soumis, à la bêta lecture. C’est du même ordre de dire que la relecture est terminée alors que la dernière fois on est encore tombé sur deux fautes d’orthographe, une mauvaise tournure et une incohérence ! Alors on se rassure piteusement en se disant que rien ne se joue d’important, le bêta lecteur n’est pas tout à fait le lecteur, c’est juste un cobaye, de la chair à canon… On sacrifie ses meilleurs amis, mais bon, c’est pour la bonne cause !

Les gentils, ceux qui sont plus enthousiastes à l’idée d’appuyer un projet qu’à le critiquer, ne nous rassurent pas plus que les méchants avec leurs ondes négatives pour nous pilonner et nous envoyer par le fond. Ben oui, les gentils, ils sont trop gentils. Ça fait du bien sur le moment, un peu de pommade sur le désespoir, un petit massage tantrique de l’égo, mais au fond, on doute ou on n’y croit pas ! Les méchants, eux par contre, si… ceux qui savent bien mettre le doigt ou ça fait mal, le défaut qu’on connait de soi et qu’on espérait passé inaperçu, ou pire le défaut qu’on n’imaginait pas, la faiblesse de l’œuvre qu’on n’avait pas vue. Oui, les méchants, eux, ils font bien du dégât ma bonne dame !

Alors on se rassure et finalement on continue ! On se dit que la seule façon de progresser c’est de souffrir, que si on est arrivé jusque-là c’est déjà un succès qu’il faut poursuivre, qu’avec tout le temps et l’énergie que l’on a investis, il est impossible de renoncer et de tout perdre.