Utilisation d'une simulation pour s'approprier le modèle moléculaire

La Pression :

une simulation pour s’approprier le modèle moléculaire

S. Cucciarelli, V. Giangiobbe, M. Pivk, V. Previtali

Introduction

Le modèle moléculaire est abordé dès la 11ème du Cycle d'Orientation. C'est un modèle où l'on représente les molécules par des sphères rigides qui peuvent se déplacer les unes par rapport aux autres, en étant plus ou moins liées entre elles. Ce modèle est extrêmement riche puisqu'il permet d’interpréter, de comprendre, de prévoir de nombreux phénomènes tels que la pression dans les gaz, la diffusion, les changements d'états ... Il permet également de donner une interprétation microscopique de la pression et de la température.

De façon traditionnelle (sans l'usage des MITIC) on peut présenter le modèle moléculaire aux élèves par des schémas (représentation des molécules pour les trois états de la matière) en tentant d'illustrer le mouvement des molécules à l'aide d'analogies (personnes dans une foule, billes en verre ...).

Les objectifs

Les objectifs poursuivis sont que les élèves arrivent à utiliser, prédire ou même explorer les aspects suivants du modèle moléculaire (modèle institutionnalisé) :

      • la pression d'un gaz est due aux chocs des molécules sur une surface (ou, plus concrètement, sur une paroi),

    • l'intensité et la fréquence des chocs déterminent l'intensité de la pression,

afin de faire, à partir d'une interprétation microscopique (mouvement des molécules), des prévisions sur ce qui se passe à notre échelle (variations de pression et de volume) :

    • si on augmente la densité des molécules (à température constante) ==> la fréquence des chocs des molécules sur la paroi augmente ==> la pression augmente (et viceversa);

    • si on augmente la température d'un gaz (à volume constant) ==> l'intensité et la fréquence des chocs des molécules sur la paroi augmentent ==> la pression augmente (et viceversa).

La problématique

La théorie constructiviste nous enseigne que chaque individu construit une série de modèles mentaux qui lui permettent d'interpréter la réalité [1,2]. C’est en même temps un fait désirable (la construction de nouvelles connaissances se fonde souvent sur les connaissances précédentes) et un problème (la connaissance acceptée par la communauté scientifique est parfois très différente des conceptions initiales des élèves).

Face à une nouvelle expérience, l'être humain a tendance à interpréter ce qui s’est passé suivant ses propres modèles mentaux :

  • s'il réussit, le procédé que Piaget appelle “assimilation” a lieu,

  • parfois le modèle à disposition n'est pas capable d'expliquer les nouveaux phénomènes : dans ce cas là, un “conflit cognitif” se produit.

Pourtant générer un conflit cognitif ne suffit pas pour activer un changement conceptuel. Pour arriver à abandonner un modèle mental erroné, il faut que l'individu soit insatisfait de son ancien modèle mais aussi que le nouveau soit compréhensible, compatible avec les expériences passées et qu’il puisse résoudre des problèmes auxquels l'ancien ne pouvait pas répondre [4,5].

En particulier, parmi les nombreuses difficultés que les élèves rencontrent dans l'apprentissage du modèle moléculaire, la pression représente un des sujets les plus difficiles à appréhender. Une préconception erronée très répandue concerne la force d'aspiration du vide [4], ce qui peut effectivement expliquer une multitude de phénomènes dans la vie quotidienne. Il est plus intuitif pour les élèves d'utiliser ce modèle naïf plutôt que d'adopter le modèle moléculaire, beaucoup plus complexe à se représenter, dans lequel un gaz se compose d'une multitude de molécules en mouvement désordonné. Nous pensons que les animations apportent un support visuel qui peut aider les élèves à se représenter le mouvement des molécules. Dans cette optique, nous souhaitons réfléchir ici sur l'organisation d'une séance d'enseignement où les élèves seraient amenés à utiliser des simulations les poussant à confronter leurs modèles avec le modèle à institutionnaliser.

Notre conjecture (effets éducatifs attendus) :

Hypothèse :

Même si le modèle moléculaire a déjà été présenté aux élèves, ceux-ci ont du mal à l’adopter/utiliser pour interpréter les phénomènes liés à la pression, car il est difficile pour eux de se représenter le mouvement d’un grand nombre de molécules. Il est donc plus simple pour eux de conserver leur modèle initial (préconception).

Thèse :

Faire travailler les élèves avec une simulation du modèle moléculaire où ils peuvent modifier les paramètres en ayant immédiatement un retour visuel de ce qui se passe, peut rendre le modèle plus intelligible et favoriser le changement conceptuel.

Notre conjecture sur l'apport des MITIC pour étayer le passage des élèves d'un modèle naïf au modèle institutionnalisé a été étudiée dans deux phases distinctes de la leçon :

  • cas 1 : comme introduction au cours sur la pression. Dans ce cas, même si le modèle moléculaire a déjà été présenté aux élèves, un grand nombre d'entre eux n'ont pas encore assimilé ce modèle au point d'être capables de l'utiliser pour interpréter une situation nouvelle (effet de la pression). Ils en restent donc à leur modèle initial naïf où le vide a une force d'aspiration (préconception). Une activité expérimentale permet d'introduire la nouvelle notion (la pression dans les gaz) : les élèves sont confrontés à une expérience qu'ils ne peuvent pas expliquer simplement à l'aide d'un modèle initial erroné. Nous pensons que les faire travailler avec une animation qui simule le modèle institutionnalisé et où ils peuvent modifier les paramètres en ayant immédiatement un retour visuel de ce qui se passe, peut aider les élèves à activer le changement conceptuel qui les conduira à adopter le modèle moléculaire.

  • cas 2 : comme activité de renforcement. Nous sommes conscients du fait que, même après le cours sur la pression où plusieurs expériences-maître ont été montrées, il y aura toujours des élèves qui auront conservé ou qui seront retournés à leur modèle initial erroné, ou qui auront adopté un modèle hybride. En effet, même si le conflit cognitif a été activé, les élèves auront besoin de temps et de répétitions avant de pouvoir s'approprier le modèle institutionnalisé (modèle moléculaire). Pendant cette activité de renforcement les élèves sont confrontés à des situations où ils doivent utiliser le modèle institutionnalisé de la pression des gaz, qu'ils connaissent à présent : nous pensons que la présentation d'un contre-exemple suivie de l'utilisation d'une simulation où ils peuvent avoir immédiatement un retour visuel de ce qui se passe (les molécules vont plus vite, ou sont plus serrées, ou s'entrechoquent davantage) peut aider tous les élèves à réactiver les connaissances déjà abordées en classe et aussi à s'approprier l'explication fournie par le modèle moléculaire.

Prérequis pour le premier cas :

  • Les élèves connaissent les hypothèses du modèle moléculaire, les propriétés des molécules dans les trois principaux états de la matière (solide, liquide et gazeux) et ils savent dessiner les trois états dans leurs représentations graphiques.

  • Ils ont appris la notion de température, comme la mesure de l'agitation moyenne des molécules. Il s'agit du premier concept où les élèves doivent s'approprier l'aspect dynamique de la représentation de la matière dans le modèle moléculaire et utiliser le mouvement pour expliquer des phénomènes physiques comme la diffusion ou la dilatation.

Prérequis pour le deuxième cas :

  • Les mêmes listés ci-dessus.

  • Les élèves ont déjà appris la pression dans les gaz à travers des démonstrations expérimentales et des phases de cours magistral : ils devraient être capables d'interpréter la pression dans les gaz comme le résultat des chocs des molécules de gaz sur une surface.

L'artefact envisagé et sa justification

Atelier Théorie Cinétique des Gaz: Il s'agit d'une simulation permettant de visualiser le mouvement des molécules dans deux compartiments séparés par une paroi mobile (piston) ou d'une paroi trouée (diffusion). On peut modifier le nombre et la nature des molécules dans chaque compartiment. On peut également imposer une température différente dans les deux compartiments.

L'aspect graphique très minimaliste de l'artefact n'est probablement pas très attractif pour les élèves, mais il a l'avantage de les aider à se focaliser sur la tâche, sans trop de distractions. Cet élément pourrait constituer en lui-même une conjecture que nous avons faite, sans pour autant la tester (en effet aucun autre artefact n'a été utilisé).

Les modalités d'observation de ces effets

Une feuille de travail : une série de questions/exercices est fournie à l'élève pour le guider dans la découverte et dans l'utilisation du logiciel. Cela devrait nous fournir une indication sur la capacité des élèves à utiliser le logiciel pour faire le lien entre le modèle moléculaire et la réalité. Cette expérience pourrait également nous montrer les difficultés des élèves.

Grandes lignes du déroulement

Esquisse de la séquence :

Nous avons suivi, dans les grandes lignes, la séquence suivante :

  1. On présente une situation expérimentale : une bouteille bouchée contenant de l'air dans les conditions de la salle est placée sous la cloche d'une pompe à vide. Le fonctionnement de la pompe à vide est explicité aux élèves. Les élèves doivent prévoir ce qui se passe une fois la pompe allumée et le formuler par écrit (situation 1). Ensuite, on active la pompe et on observe que le bouchon saute. Les élèves doivent alors donner par écrit une explication du phénomène (nous nous attendons à ce qu'une partie des élèves mentionne la "force d'aspiration du vide").

  1. Ensuite, on répète la même expérience avec la bouteille complètement remplie d'eau (situation 2) : cette fois-ci le bouchon ne saute pas. Cela devrait permettre de faire ressortir la préconception erronée, et de générer le conflit cognitif : si le vide aspire, il devrait aussi aspirer le bouchon de la bouteille pleine d'eau.

  1. Travail en salle d'informatique avec l'artefact. Les élèves ont une feuille de travail qui les guide dans l'utilisation de l'artefact et la réalisation des différentes tâches qui constituent une progression (étayage) qui devrait amener les élèves à simuler à l'aide de l'artefact la situation observée en classe.

    • exercice 1 : tout au début, une tâche simple est proposée aux élèves dans le but de les familiariser avec l'artefact : définir le type de molécules, leur nombre et la température ...

    • exercice 2 : un exercice guidé est présenté aux élèves pour les aider à rentrer dans la problématique. Face à une situation où les deux volumes sont remplis avec les mêmes molécules et une densité différente : pourquoi la paroi mobile se déplace ? Elle se déplace dans quelle direction ? Quelle est la/les condition(s) pour que la paroi s'arrête (ou ne bouge pas) ?

    • exercice 3 : réaliser une modélisation de la bouteille bouchée avec de l'air à l'intérieur :

      • avant d'actionner la pompe à vide,

      • après avoir actionné la pompe à vide.

Observables et productions attendues

Comme il a été mentionné au début, l'interprétation des phénomènes physiques au niveau microscopique est difficile pour les élèves, notamment l'interprétation de la pression qui demande une représentation dynamique du modèle. Nous attendons que notre usage des MITIC permette aux élèves, d'une part, d'acquérir ou de consolider les connaissances mentionnées dans les objectifs et, d'autre part, que ces connaissances soient mobilisées dans l'interprétation d'une autre situation.

  • Afin d'observer les effets éventuels de l'usage de l'artefact, nous faisons travailler les élèves sur le document ActivitePressionSimulation.pdf, décrit ci-dessus.

  • Après avoir introduit la problématique à travers une situation expérimentale, nous attendons que les élèves fassent leur prédiction avant d'observer l'expérience (situation1). A ce stade nous pouvons récolter les conceptions initiales des élèves au sujet de la pression dans les gaz.

  • La situation 2 est censée introduire un conflit cognitif face à la préconception du vide qui aspire, parce que les élèves sont confrontés à une expérience qui n'est pas explicable avec cette préconception. Les réponses des élèves nous permettent d'analyser leurs réactions.

  • Finalement les réponses aux trois exercices proposés nous permettent de tester notre thèse concernant l'artefact.

En plus des productions écrites des élèves, nous utilisons nos observations sur les réactions des élèves, leurs questions et leurs attitudes dans l'usage de l'artefact que nous proposons.

Résultats

Modalités d'observation

Le plan de la séquence que nous avons proposée aux élèves est documenté dans le fichier PlanDeLaLecon.pdf. La passation a eu lieu au CFPT (8 élèves) et au CO (62 élèves de profil LS et LC).

Réaction à l'expérience en classe

Les élèves prédisent correctement que, dans le cas où la bouteille contient de l’air, le bouchon va sauter. Pour le cas 2, cela signifie qu'ils se souviennent de l’expérience similaire avec un ballon : cette connaissance là est donc réactivée. Cependant, lorsqu'on demande aux élèves d'expliquer pourquoi, ceux-ci répondent fréquemment que l'air à l'intérieur de la bouteille "veut sortir".

Très peu d’élèves pensent que le bouchon va sauter également avec la bouteille remplie d’eau, contrairement à ce qu'on attendait. La réponse est donc juste et il n'y a pas eu de conflit cognitif généré, puisqu'effectivement, le bouchon ne saute pas lorsque l'on active la pompe à vide. En revanche l'explication n'est pas, ici aussi, satisfaisante. La majorité des élèves répondent « il n’y a pas d’air dans l’eau » ou « l’eau ne peut pas se compresser ». Même si ces deux affirmations sont correctes en elles-mêmes, elles ne sont pas pertinentes et ne permettent pas d'expliquer le phénomène observé.

Simulation de la situation observée en classe

L’artefact se révèle en fait ne pas être très intuitif. Les élèves posent de nombreuses questions et il est nécessaire de passer auprès de chacun pour commencer doucement par un exemple simple en détaillant chaque donnée. Il s'est également avéré nécessaire de bien montrer, en dessinant au tableau, que le schéma de l’artefact est une représentation de la bouteille couchée. Le bouchon se trouve sous la forme de la paroi mobile, comme représenté ci-dessous :

Une fois l'utilisation de l'artefact maîtrisée, pour le cas de l’air, les élèves donnent une explication à la situation observée plus en adéquation avec le modèle moléculaire. L'agitation moléculaire, le mouvement des molécules, le nombre de chocs sur la paroi sont enfin évoqués.

Toutefois, seule la simulation avec de l’air peut être effectuée. L’expérience avec la bouteille pleine d’eau ne peut en effet pas être reproduite. Donc, pour le cas de l’eau, les élèves répètent ce qu’ils ont dit dans leur prédiction de départ, confirmée par l’expérience en classe.

Artefact utilisé librement

Quand l'exercice 3 demandé est terminé, les élèves ont la possibilité d'utiliser l'artefact librement, en entrant les paramètres qu'ils veulent (température, nombre de molécules). On observe que cela les aide à avoir une représentation beaucoup plus claire de l’agitation des molécules. Ils « voient » enfin ce dont on leur a parlé depuis plusieurs semaines lors des cours et visualisent les molécules sous forme dynamique pour la première fois pour la plupart.

Beaucoup s'amusent à tester les limites de la validité de l’artefact et mettent « 10’000 molécules » et « 10’ 000 K »; souvent, cela provoque un bug … ce qui les ravit.

Conclusion

L’artefact s’avère donc utile pour que les élèves se représentent ce qui se passe au niveau du modèle moléculaire dans un gaz. Même si la préconception que nous avions imaginée pour les élèves du "vide qui aspire" n'est pas ressortie de manière généralisée, d'autres explications bancales comme "les molécules veulent sortir" ont été amoindries à l'aide de l'artefact. La simulation visuelle a ainsi permis de rendre plus concret le phénomène d'agitation des molécules et l'idée que ce sont leurs chocs contre la paroi (ou le bouchon) et la différence de pression de part et d'autre de cette dernière qui en active le mouvement. Les explications des élèves ont été améliorées et plus en adéquation avec le modèle institutionnalisé.

Discussion et commentaires

Trouver un cas, une expérience qui puisse mettre en défaut la préconception du "vide qui aspire" est très difficile. L'expérience avec la bouteille remplie d'eau est un bon exemple, mais n'a pas servi dans notre cas et, en tout cas, n'est pas reproductible avec l'artefact choisi. A posteriori, cette préconception n'est pas ressortie de façon aussi explicite que nous attendions, en conséquence la situation 2 qui avait pour but de générer un conflit cognitif a perdu son sens. De plus, le fait de présenter une situation qui ne pouvait pas être simulée avec l'artefact a peut-être introduit un élément perturbateur dans l'usage de l'artefact.

Cette préconception reste tenace car elle marche très bien dans tous les cas de la vie de tous les jours et est simple à expliquer et à justifier. C'est d'ailleurs le propre des préconceptions erronées en générale : on a du mal à s'en débarrasser car c'est facile, pratique et malheureusement efficace d'y faire référence.

Quelques retours de la discussion qui a suivi la présentation :

  • (Alessandro Conti) Nous nous sommes concentrés sur une seule préconception initiale, alors que les élèves en ont probablement une multitude qui coexistent. Une amélioration de notre travail serait de lister un ensemble plus complet des préconceptions des élèves, afin d'en avoir une vue d'ensemble.

  • (Francois Lombard) La réponse plus répandue des élèves à la situation expérimentale 1 "les molécules dans la bouteille veulent sortir, une fois qu'il y a le vide dans la cloche", montre une vision quelque part "animiste" de la science qui ressort assez souvent chez les élèves. Il s'agit en effet d'un aspect intéressant, une conception initiale qui concerne plusieurs domaines scientifiques que nous pourrions approfondir.

  • (Francois Lombard) Le fait que les élèves se trouvent face à une évidence expérimentale qui invalide leur préconception initiale, n'est pas nécessairement une raison suffisante pour susciter un conflit cognitif. Les élèves (et les humains en général) ont tendance à considérer vrai ce qui est utile et à la fois facile à comprendre. Sur la base de cette hypothèse [7], les enseignants devraient concentrer leurs efforts non seulement pour proposer des modèles fondés sur l'évidence expérimentale, mais aussi des modèles qui se révèlent utiles et satisfaisants pour les élèves.

Références

[1] G. De Vecchi, “Aider les élèves à apprendre”, Hachette éditions, 1992

[2] M. Crahay, Psychologie de l'éducation, Edition PUF ,1999

[4] J.R. Reed, "Children's Misconceptions and Conceptual Change in Science Education", 2006

[5] E. F. Redish, "Implications of cognitive studies for teaching physics", Am. J. Phys. 62(9) 796-803, 1994

[6] R. Zimrot, G. Ashkenazi, "Interactive lecture demonstration: a tool for exploring and enhancing conceptual change", Chemistry Education Research and Practice 8(2) , 2007

[7] S. Ohlsson, "Beyond Evidence-Based Belief Formation: How Normative Ideas Have Constrained Conceptual Change Research", Frontline Learning Research 2, 70-85, 2013