Dissection et modélisation

Dissection et modélisation

Vincent Menuz, Haralambos Lemopoulos, Sébastien Rosset et Jean-Paul Derouette

I. Introduction

Les travaux pratiques (TP) font parties intégrantes des cours de biologie. Cependant, ils représentent souvent un écueil important pour un grand nombre d'élèves. En effet, il est souvent difficile pour ces derniers de faire le lien entre ce qu'ils observent (monde empirique) et les connaissances nécessaires à mobiliser (monde théorique) pour comprendre ces observations. Les schémas théoriques sont une illustration imparfaite de la réalité et sans un oeil exercé, il peut être difficile de reconnaitre des structures anatomiques dans leur contexte naturel (ex. reconnaitre un estomac lors d'une dissection). Il en résulte que, la plupart du temps, les étudiants comptent presque entièrement sur l'enseignant pour aligner leurs observations au regard de la théorie.

II. Objectifs d'apprentissage

A l'issu de la séquence d'enseignement, les élèves devraient être capables:

- d'utiliser un schéma théorique pour situer des organes lors d'une dissection et réciproquement

- d'allier "forme" et "fonction" d'un organe donné

- de faire preuve d'un certain degré d'autonomie dans la production du savoir pour eux-mêmes et leurs camarades

II. Difficulté didactique qu'un usage MiTIC cherche à dépasser

II.1 Problématique

L'enseignement de la biologie passe essentiellement par la modélisation de concepts complexes qui ne sont qu'une représentation simplifiée de la réalité. C'est pourquoi nous estimons que les TP sont si importants: ils nous permettent de montrer aux élèves cette complexité du vivant et de leur faire prendre conscience de la réalité. Cependant, le saut intellectuel nécessaire pour passer d'un modèle théorique (un schéma par exemple) à "ce qu'on observe vraiment" (ce qu'on dissèque par exemple) est souvent difficile et, la plupart du temps, les élèves comptent presque entièrement sur l'enseignant pour aligner leurs observations au regard de la théorie. Comment faire pour (i) rendre les élèves plus autonomes lors des TP (i.e., moins avoir besoin de l'enseignant) et (ii) faire en sorte de faciliter le lien entre théorie et pratique?

Nous pensons pouvoir autonomiser les élèves en leur dévoluant l'autorité scientifique. Pour ce faire, nous souhaitons créer des groupes de spécialistes qui travailleront sur un élément particulier du TP. Chaque groupe de spécialiste sera responsable de produire un document théorique (savoir) à l'attention de leurs camarades. Ce document servira à l'institutionnalisation des connaissances. La mise en place d'un tel dispositif de morcellement des TP devrait leur permettre de mieux assimiler la matière et de faciliter les liens entre modèle "théorique" et observations.

II.2 Conjecture et mesure de l'effet éducatif

1. Autonomisation

a. En délégant l'autorité scientifique aux élèves on les incite à s'approprier la matière et à vouloir la comprendre

==> Mesure de l'effet éducatif: motivation à vouloir répondre aux questions / qualité des productions des élèves (pertinence, justesse, etc)

b. En encourageant les groupes de travail à multiplier les sources théoriques leur permettant de mener à bien leurs objectifs, on les encourage à l'autonomie

==> Mesure de l'effet éducatif: vérifier la diversité des sources utilisées par les élèves / sollicitation de l'enseignant

c. La présentation des productions des différents groupes au reste de la classe permet (i) de favoriser les conflits socio-cognitifs et (ii) d'autonomiser l'ensemble de la classe sur les savoirs produits (i.e., validation par l'ensemble de la classe des productions des groupes)

==> Mesure de l'effet éducatif: qualité et pertinence des discussions des élèves entre eux lors des présentations

b. En fixant un objectif à atteindre aux élèves et en les laissant libre de mener à bien les réalisation de cet objectif, on favorise leur autonomisation

==> Mesure de l'effet éducatif: les interractions entre les membres d'un groupe donné sont cohérentes et structurées et permettent de mener à bien le projet

2. Lien théorie-pratique

a. Spécialiser les élèves sur un seul aspect du travail pratique facilite les liens entre théorie et pratique

==> Mesure de l'effet éducatif: qualité et pertinence des productions des élèves disponibles sur openclass

b. Une combinaison de "théorie", de dissection et d'un travail sur des photos prises par les élèves leur permet de faire des liens entre le terme, la fonction et l'aspect d'un organe (réel et modélisé, au sens de Britt Mari Barth).

==> Mesure de l'effet éducatif: les photos sont annotées de façon correcte et sont en cohérence avec le texte

II.3 Artefacts envisagés

1. Artefact #1 : Capture d'image avec un smartphone / tablette (application de type 'photos')

2. Artefact #2: Editeur d'image "Skitch - Snap. Mark Up" (https://appsto.re/ch/nCipD.i)

3. Artefact #3: Plate-forme virtuelle de partage d'images (http://www.openclass.ch)

III. Grandes lignes du déroulement de l'enseignement

Semaine 1: dans un premier temps, les élèves reçoivent une courte théorie générale sur un sujet (ex. Mollusques / Mousses / etc). Cette théorie peut être soit directement donnée par l'enseignant, soit par des documents théoriques sur lesquels les élèves doivent travailler. A l'issue de cette théorie, les élèves sont informés qu'ils devront (i) effectuer un TP la semaine suivante sur le sujet vu en classe et (ii), sur la base de ce TP, produire un document théorique - basé sur le TP - à l'intention de leurs camarades. Les élèves devront parcourir les documents et formuler des questions qu'ils se posent au fur et à mesure de leur lecture. L'enseignant rassemble les questions des élèves et les répartis en groupe de travail.

Semaine 2: les élèves reçoivent un protocole de dissection / observation, puis sont répartis en 3 groupes (selon les groupes de travail fixé par l'enseignant). Chaque groupe devra disséquer / observer l'ensemble de l'organisme, mais ne se verra attribuer qu'UN système / UNE caractéristique particulier(e) de l'organisme dont il devra comprendre le fonctionnement précis. Autrement dit, ils se verront attribuer une obligation de spécialisation sur un aspect donné de l'organisme. Leurs smartphones leur servira pour prendre des images qui permettront d'illustrer le document qu'ils devront produire à l'intention de leurs camarades. Ils devront faire attention à bien répondre aux questions que l'enseignant leur transmettra.

3 documents seront mis à disposition des élèves :

    • Une théorie

    • Un protocole de dissection précis

    • Un questionnaire qui va susciter les réflexions

Pour la semaine suivant ils doivent tous répondre à toutes les questions de réflexion en se basant sur le travail des autres groupes. (motive les élèves à bien faire le travail puisque )

Semaine 3: chaque groupe de spécialiste devra avoir fait en devoir: (i) une édition des images prises lors du TP (via une appli internet, voir ci-dessous), (ii) un texte explicatif détaillé de la caractéristiques particulières de l'organisme dont ils sont les spécialistes et (iii) le chargement des images éditées + du texte explicatif sur un serveur de partage d'images-informations (voir ci-dessous). Ces documents seront validés par l'enseignant (hors classe). Tous les élèves reçoivent une liste de questions (1 question par système par exemple). Par groupe, ils répondent aux questions les productions théoriques de leurs camarades. Ensuite, chaque groupe devra présenter une réponse dont il n'est pas le spécialiste à l'ensemble de la classe. L'enseignant n'intervient pas du tout, il est assis avec les élèves. Les spécialistes sont là pour expliquer / corriger / etc. But: instaurer conflit socio-cognitif. En principe, des questions vont émerger. Elles pourront ensuite être reprise par l'enseignant sous forme de discussion et institutionnalisation.

Les élèves devront faire une brève présentation sur la base de leur document posté sur www.openclass.

IV. Productions attendues et vérification des conjectures

Dans un premier temps, au cours du TP, les élèves prennent des photos de certains éléments de la dissection avec leurs smartphones. Chaque groupe de spécialiste sélectionne une série d'images jugées pertinentes pour produire un document théorique à l'intention de leurs camarades. Dans un deuxième temps, les élèves doivent légender les photos avec "Skitch". Ils peuvent à la rigueur les imprimer, les annoter et les scanner. Chaque groupe de spécialistes doit charger (uploading) sur une page web dédiée au cours: (i) une sélection d'images légendées et (ii) un court texte descriptif de l'image (ex. définition et fonction des organes observés). Les élèves doivent également tous répondre par écrit à des questions rédigées par l'enseignant. Ces questions sont dérivées des productions des élèves. Les élèves doivent présenter une réponse à une question à l'ensemble de la classe. Il s'ensuit des discussions pour valider / infirmer les propositions de réponses. Au cours des échanges entre les élèves, l'enseignant doit rester attentif et doit relever, notamment les questions qui émergent des discussions et qui peuvent conduire des hypothèses à tester.

V. Résulats et discussion

a. Résultats

L'ensemble des productions des élèves sont consultables aux adresses suivantes:

Sébastien

http://openclass.ch/rossetbio01/

http://openclass.ch/rossetbio02/

http://openclass.ch/rossetbio03/

http://openclass.ch/rossetbio04/

Vincent

http://www.openclass.ch/Menuz202/

http://www.openclass.ch/Menuz203/

http://www.openclass.ch/Menuz205/

Jean Paul

http://www.openclass.ch/derouette1003/

http://www.openclass.ch/derouette1006/

http://www.openclass.ch/derouette1071/

L’ensemble de ces productions d'élèves constittuent les résutlats de notre étude. De façon générale, les élèves ont remarquablement bien joué le jeu. En effet, ils ont très rapidement pris en main les outils proposés (smartphone, Skitch et www.openclass.ch). Ils ont multiplié l'acquisition d'images pour s'assurer qu'ils auraient le choix lors de la rédaction du travail final. Certains groupes ont choisi de se répartir certaines tâche: un élève s'occupait directement de noter les légendes au fur et à mesure de l'acquisition des images, alors que les autres disséquaient. Les productions attendues remplissent les attentes de l’enseignant.

b. Discussion

Le choix de nos artefacts est avant tout motivé par la simplicité de leur usage ainsi que leur accès libre (gratuit), smartphone excepté. S'il n'est pas donné à tout le monde d'avoir un smartphone, ces appareils sont de plus en plus répandus et il nous semble peu probable que nous ne puissions pas faire en sorte que chaque groupe ait accès à au moins un smartphone ou à une tablette. De plus, il est intéressant d'intégrer ces appareils dans une séquence d'enseignement afin que les élèves utilisent leur téléphone différemment qu'ils le font dans leur quotidien.

Skitch - le logiciel de retouche d'image que nous avons choisi d'utiliser est proposé sur les postes du DIP - est gratuit et nous pensions qu'il était facile d'accès. Cependant, il semble que plusieurs élèves aient eu de la peine à l'utiliser et ont choisi d'opter pour une retouche d'image "à la main" (impression du document et annotation directement sur l'image, puis scan de l'image retouchée). Les objectifs d'apprentissages étant généralement atteints, nous nous sommes longuement penché sur l'utilité de forcer les élèves à utiliser ce programme. En effet, en obligeant les élèves à utiliser un programme qui leur parait compliqué, nous risquons de les empêcher d'atteindre les objectifs d'apprentissage fixés pour un gain minime (maitrise d'un logiciel). En outre, en laissant les élèves atteindre leur objectif par d'autres moyens que ceux que nous proposons, nous les encourageons à l'autonomie. Par conséquent, il nous semble qu'une autorité pédagogique trop stricte sur ce point n'est pas nécessaire. Nous pensons dorénavant proposer "Skitch" comme logiciel de retouche de façon optionnelle, en explicitant clairement aux élèves qu'ils peuvent s'en passer du moment qu'ils atteignent les objectifs visés.

Openclass est une plateforme d'échange. En vue d'une interdépendance positive (non formulée d'ailleurs dans nos conjectures, voir le point ci-dessous la concernant), nous devons obliger les élèves à l'utiliser. Puisque notre objectif est de créer un document avec toute la classe, il nous semble évident que toute la classe doit publier sur la même plateforme. Cette interface nous semblait aisée d'utilisation. Cependant, certaines élèves n'ont pas su l'utiliser, ce qui a prétérité l'atteinte des objectifs. Nous avons pu constater, parfois, que cela pouvait entrainer une interdépendance négative. En effet, certains groupes d'élèves entraient dans une sorte de spirale négative concernant l'outil (i.e., "Monsieur, c'est nul ce programme, ça marche pas"), ce qui les entrainaient à rejeter globalement leur rôle de producteur de connaissance. Il est probablement nécessaire de dédier une partie du cours à l'apprentissage de l'artefact www.openclass.ch.

Un grand nombre de nos conjectures visent à l'autonomisation des élèves. Comme nous l'avons vu à plusieurs reprises lors des Séminaires et Ateliers, l'autonomisation des élèves peut passer par la dévolution. Cette dévolution nécessite de l'enseignant qu'il garde fermement l'autorité pédagogique. En effet, en imposant ainsi un cadre propice à l'apprentissage, les élèves peuvent se consacrer pleinement à l'atteinte des objectifs fixés par l'enseignant. Cependant, cette remarque doit être nuancée pour des élèves du Cycle d'Orientation (CO). Nous avons constatés que ces élèves focalisent leurs compétences majoritairement dans la réussites des démarches imposées par l'enseignant. Autrement dit, ils souhaitent tellement réussir la dissection, qu'ils en oublient les objectifs d'apprentissages fixées par l'enseignant. Ceci prétérite la bonne marche de cette séquence d'enseignement sous sa forme actuelle. Il est important de noter qu'à l'origine, cette séquence avait été prévue par Sébastien, Vincent et Haralambos pour des élèves du post-obligatoire. Jean-Paul est venu plus tard et s'est retrouvé avec la difficile tâche de transposer cette séquence pour des élèves du CO.

VI. Conclusion

a. Retour sur les conjectures

On constate une bonne qualité des productions des élèves (openclass), les directives ayant été respectées malgré les différents petits obstacles techniques. Ceci s’est aussi vérifié lors des travaux écrits (évaluations). Les élèves ont pris au sérieux leur rôle: ils ont posé des questions, sollicité de l’aide, été chercher des supports théoriques supplémentaires, etc. Nous avons également observé des discussions de qualité lors des présentations orales. Les interactions entre les groupes étaient pertinentes. En cas d’erreur, les autres élèves posaient des questions ou se permettaient de corriger leurs camarades. Nous pouvons en déduire que les élèves ont oeuvré à une bonne acquisition des savoirs enseignés. En outre, les discussions ont permis d'institutionnaliser les éléments pertinents de savoir. La spécialisation des élèves a également bien fonctionné dans l’ensemble (voir production des élèves sur openclass).

b. Limites

Openclass.ch nécessite un minimum de connaissances pour pouvoir être exploité correctement. Nous avons ainsi constaté plusieurs écueils: (i) certains groupes avaient mal copié l'adresse internet d'openclass. Ils ont donc choisis eux mêmes de créer une nouvelle page de projet sur le site (par exemple, pour le groupe 4 de Sébastien, 3 adresses ont été utilisées: http://openclass.ch/rossetbio04/, http://openclass.ch/rossetdf04/ et http://openclass.ch/rossetdf4/). (ii) Vincent a du contacter plusieurs fois l'administrateur du site pour demander de corriger certains bugs qui sont apparu lorsque les élèves utilisait la plate-forme. (iii) Une élève de Sébastien l'a contacté affolée le jour lorsqu'elle s'est rendue compte qu'elle venait d'effacer toutes ses photos. (iv) Le travail demandé n'est pas habituel. Du coup certains élèves peuvent perdre beaucoup de temps sur l'aspect technique, au détriment de la qualité du reste du travail.

Une autre limite se situe au niveau de l'évaluation de la démarche. Etant donné qu'on se base surtout sur la production finale pour l'évaluation, on ne peut pas vraiment juger la "démarche" mise en œuvre par les élèves pour mener à bien ce qui leur est demandé. Pour maintenir la dévolution, il ne faut pas corriger, mais bien indiquer à l'élève s'il est dans le "juste" ou dans le "faux". Or ceci est très coûteux en temps. Il faut pouvoir donner un retour à l'élève et lui laisser encore le temps d'améliorer sa production.

c. Idées de conjectures futures

a. familiariser les élèves avec les outils internet que l'on veut utiliser (ex. www.openclass.ch) évitera les problèmes rencontrés

b. l'usage répété du smartphone lors de l'enseignement permet de démystifier l'utilisation de cet outil à des fins pédagogiques