Problématique
Comment l’utilisation d’un artefact qui mesure l’accélération d’un corps peut aider les élèves à assimiler que tout corps en chute libre possède une accélération constante et égale à l’accélération de la pesanteur ?
Conjectures
En étant eux-mêmes l’objet de la chute libre, les élèves devraient mieux comprendre la chute libre et ainsi améliorer leur capacité à utiliser le modèle de la chute libre.
Les différents types de sauts demandés devraient permettre, suite à la mise en commun, de montrer le caractère universel de la chute libre et donc de renforcer le modèle de la chute libre.
L’usage de l’artefact, qui permet d’avoir accès à l’accélération rapidement, doit permettre aux élèves d’ancrer leur apprentissage dans leur expérience sensible et ainsi de mieux se l’approprier.
Artefacts
Nous avons choisi deux artefacts différents, un pour la réalisation de la chronophotographie (Vernier Video Physiscs) et l’autre pour la visualisation des graphiques (Vernier Graphical Analysis). Les deux applications ont été installées sur des tablettes mises à disposition par le Département de recherche en science de l’éducation de l’UNIGE.
Activité
Les élèves de 2ème année du collège (DF et OS) utilisent des tablettes avec des applications qui permettent une chronophotographie du saut de l’élève.
● Les élèves filment et analysent leur propre saut et vérifient le modèle de la chute libre dans de différentes conditions (saut avec un sac, depuis une chaise …) en négligeant les frottements de l’air
● L’artefact permet l’acquisition des données (y, t), la visualisation de graphiques de y(t) et de vy(t)et le calcul de l’accélération via le fit de la vy(t)
Justification du choix des artefacts
Atouts :
Limites :
Éléments du design utilisés
Prérequis :
○ MRU, MRUA et les trois lois de Newton
○ Le MàI (la chute libre : a=g), travaillé avec des exercices classiques.
○ Aisance dans l’interprétation de graphiques de position, vitesse et accélération en fonction du temps
Activité proposée en 2 périodes :
1. Le modèle explicatif de la chute libre est explicité en début d’activité : « un objet est en chute libre lorsqu’il n’est soumis qu’à son propre poids »
2. Activité en groupe de trois (socioconstructivisme)
○ Prédictions par écrit :
■ quelles sont les phases de chute libre ?
■ quelle est l’accélération pendant la chute libre ? MRUA ?
■ quelle est la vitesse pendant la chute ? tracer son allure v(t)
● Situations proposées, qui font l’objet des prévisions puis de la phase expérimentale :
○ saut vers le haut depuis le sol
○ saut vers le haut depuis une chaise
○ saut vers le bas depuis une table
○ saut vers le haut depuis le sol avec un sac à dos lourd
○ saut vers le bas depuis une table avec un sac à dos lourd
● Retour aux prédictions après chaque saut pour autocorrection.
3. Mise en commun et institutionnalisation
Éléments du design à améliorer
● Absence du calcul de l’erreur :
Cette trace explique bien le problème :
« La valeur de l’accélération du saut avec le sac est de -9,128m/s -- cette valeur est très proche de la valeur de l’accélération du saut sans le sac -10,977 m/s2 »
mais il s’agit quand même d’une différence de 17% entre une valeur et l’autre. Les élèves ont de la peine à interpréter les résultats en l’absence d’une estimation de l’erreur.
● Temps limité :
Le protocole originaire de cette activité a été modifié afin de raccourcir sa durée et de pouvoir prévoir un nombre plus élevé de sauts et de prévisions. Cependant, suite aux observations menées pendant l’activité, nous avons réalisé que ce protocole contient encore trop d’informations : l’élève est “noyé” dans la quantité d’instructions à suivre et n’arrive pas à se focaliser sur l’objectif principal. Par conséquent, certains élèves étaient très stressés.
Une solution serait de prolonger l’activité sur une troisième période (voir une quatrième, en fonction du programme). De plus, avant de programmer ce laboratoire sur la chute libre, il faudrait permettre aux élèves de se familiariser avec les deux logiciels nécessaires via des activités plus simples (Video Physics et Graphical Analysis offrent en effet de nombreuses applications pour les laboratoires de physique).
● Lecture graphique :
Le logiciel Graphical Analysis ne guide pas les élèves dans l’interprétation des graphiques. Les élèves doivent donc comprendre par eux-mêmes comment le référentiel a été choisi et comment il influence l’allure des courbes (vitesse et accélération négatives ou positives, croissantes ou décroissantes...). Dans les classes de 2DF en particulier, nous avons remarqué que beaucoup d’élèves ne savent pas comment tenir compte du référentiel soit dans les prévisions soit dans l’interprétation des résultats, ce qui nécessite de fréquentes interventions de la part de l’enseignant qui encadre.
Nouvelles conjectures (suite à l’analyse des traces écrites et orales)
Traces qui justifient le choix des nouvelles conjectures
CJ1 (En étant eux-mêmes l’objet de la chute libre, les élèves devraient percevoir le lien entre la réalité et le MàI (modèle de la chute libre, a = g) et augmenter leur engagement dans l’activité.)
● Remarque : L’activité est intéressante pour la plupart des élèves, ils se sont montrés engagés et participatifs, et cela même si le labo n’était pas noté. Toutefois, on a remarqué une différence d’engagement par rapport au genre : les garçons ont été nettement plus actifs et à l’aise, alors que les filles étaient plus en difficulté.
● Remarque : des élèves étaient tout de même surpris de trouver dans leurs calculs que a = g.
● Constat : la limite du labo est qu’il n’est pas possible d’estimer l’erreur sur la mesure. Soit les élèves ne comprennent pas si la valeur obtenue pour l’accélération est bonne, soit ils affirment qu’une mesure est bonne alors que l’écart avec la valeur théorique de g est relativement grand.
« Oui. Elle s’en rapproche beaucoup. Notre valeur n’est pas exacte à cause d’erreurs d’incertitude ».
Commentaire : dans ce labo on ne traite pas les erreurs de mesure et les élèves ne peuvent pas comprendre si la mesure est à l’intérieur de l’intervalle de l’erreur ou pas.
CJ2 (Les différents types de sauts demandés devraient permettre aux élèves de mieux utiliser le MàI.)
● Remarque : Au deuxième type de saut, une bonne partie des élèves arrivent à bien modéliser l’expérience avec un référentiel adapté. Certains prédisent correctement que la poussée ne change pas les caractéristiques principales du saut. Le raisonnement séquentiel offert par ces artefacts les aide à s’approprier du rôle d’expert pendant l’activité.
Prévision de l’allure de la vitesse lors du premier saut (saut vers le haut depuis le sol) :
La vitesse initiale de la chute libre est nulle, puis elle atteint une valeur maximale pour ensuite décroître jusqu’à une valeur nulle. Cette allure ressemble plutôt à la trajectoire du corps et non pas à sa vitesse : en effet, les élèves mélangent souvent (surtout en 2DF) la vitesse et la position d’un mobile lorsqu’ils représentent graphiquement les équations horaires.
Prévision de l’allure de la vitesse lors du deuxième saut (saut vers le haut depuis une chaise) :
La vitesse est cette fois correctement représentée, dans le respect du référentiel utilisé par Graphical Analysis.
Commentaire : le fait d’effectuer plusieurs sauts à la suite permet vraisemblablement à ces élèves d’écarter la fausse idée que la vitesse initiale est nulle et que la trajectoire et la vitesse doivent avoir impérativement la même allure. Ici on arrive à mettre en évidence que le rôle du référentiel est très important.
Commentaire : ces traces peuvent aussi soutenir la validité de la CJ3.
« En sautant, l’élève mettra toujours autant de force, mais vu que sa masse a augmenté, il y aura plus de force l’attirant vers le bas. De ce fait, il sautera moins haut, mais son accélération ne changera pas. Durant la montée, sa vitesse sera d’ailleurs moins importante. »
Commentaire : excellente considération lors de la prévision du deuxième saut avec sac à dos ! Ces élèves ont bien saisi que la force de la poussée n’influence pas la chute libre et que, surtout, l’accélération ne change pas.
● Remarque d'une enseignante : Après avoir rendu sa copie, une élève m’a demandé si les questions étaient faites exprès pour les perturber. Je lui ai répondu que non. J’ai demandé si elle avait été perturbée, et pourquoi. Elle m’a répondu qu’après avoir lu la deuxième question, du coup elle avait dû réfléchir si elle avait bien répondu à la première, et qu’elle s’était questionnée si sa réponse était cohérente.
CJ3 (L’usage de l’artefact, qui donne accès à la mesure de sa position et sa vitesse, permet aux élèves de comprendre quand ils sont en chute libre et comment tenir compte du référentiel.)
● Discussion entre élèves sur les différents instants du saut et la correspondance entre le tracé du graphique et la réalité : « Ici c’est quand tu étais au maximum … là, tes pieds touchaient … ».
« C’est un MRUA, une décélération. »
Commentaire : ses élèves effectuent un deuxième saut, cette fois depuis une table et prédisent, malgré l’analyse d’un premier saut, que la vitesse est nulle à l’arrivé (graphique de gauche) ; même après avoir analysé les données de (vitesse de plus en plus négative), ils insistent que le corps ralentit pendant la chute. Ils n’arrivent apparemment pas à comprendre le référentiel (problème récurrent en 2DF).
« La valeur de l’accélération trouvée (-8,95 m/s2) s’avère être proche de celle prédite, étant la valeur théorique -9,81 m/s2. Le graphique vy(t) est cependant différent de notre prédiction. En effet, la courbe ne remonte pas, mais continue de descendre lorsque le corps tombe vers le bas. Notre graphique prédit était donc faux (nous avions oublié de prendre en compte le sens positif allant vers le haut). L’accélération (-8,95 m/s2) étant proche de la valeur théorique (-9,81 m/s2), le mouvement est une chute libre. »
Commentaire : ces élèves par contre arrivent bien à s’autocorriger déjà après l’analyse de leur premier saut. L'accès rapide aux graphiques et la comparaison immédiate avec les graphiques tracés lors de la prévision les auront marqués quant au rôle essentiel du référentiel.
CJ4 (À travers les exercices conceptuels, nous nous attendons à repérer de fausses conceptions.)
« La force que l’on exerce sur le sol va nous être renvoyée et nous décollons. Donc nous aurons une vitesse supérieure à la force de pesanteur »
Commentaire : Confusion entre vitesse et force (fausse conception).
« L’accélération ne devrait pas être modifiée, la vitesse finale un peu, car le temps en chute libre diminue. »
Commentaire : Contraste entre des degrés de compréhension différents :on affirme que l’accélération ne change pas, mais les représentations initiales persistent (avec le sac lourd, on tombe plus vite).
« L’accélération négative -g n’agit pas instantanément, la vitesse de la poussée vo diminue de manière constante. »
Commentaire : Manque de compression de l’effet de l’accélération g (pas instantanément parce qu’on est en train de monter ?).
« L’accélération ne sera pas modifiée, effectivement, la force de pesanteur est la même. Il est vrai que le poids de l’objet joue sur la masse de l’élève, mais l’impulsion sera la même. »
Commentaire : confusion entre accélération, force de pesanteur (poids), masse ...
Conclusions
Suite à la passation de l’activité et grâce aux traces écrites et orales récoltées, nous avons constaté comment cette activité peut être très efficace dans le repérage des fausses conceptions de l’élève autour de la dynamique de la chute libre.
D’un autre côté, cette activité semble aussi augmenter l’écart entre les élèves qui ont déjà une bonne compréhension du phénomène et ceux qui sont encore peu à l’aise avec les nouvelles notions. Les premiers arrivent à bien maîtriser le protocole et l’interprétation des résultats au bout des deux périodes (en profitant donc pleinement du rôle d’expert et de la variété des sauts proposés), les deuxièmes n’arrivent pas à utiliser de manière complètement autonome les logiciels et, dans certains cas, à interpréter correctement les graphiques. Concernant cette deuxième catégorie, présente surtout dans le niveau 2DF1, une meilleure compréhension du rôle du référentiel dans la lecture graphique peut être constaté, mais les élèves n’ont pas le temps d’aller plus loin dans l’analyse de la chute libre. Le risque concret est que, au sein d’une même classe, puisse se créer un énorme écart en terme de connaissances. On considère donc que cette activité, en l'état actuelle, pourrait être proposée aux classes 2os ; elle nécessite de quelques modifications structurelles (durée, guidage renforcé, groupes de travail hétérogènes, séance préliminaire de rappel de la lecture des graphiques) pour les classes 2DF.
Compte tenu des difficultés dans l’utilisation des logiciels, cette activité doit être menée seulement lorsque les élèves ont déjà utilisé plusieurs fois les deux programmes (ou du moins Video Physics).
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