Itération cognitive avec une simulation de la poussée d'Archimède

L’itération cognitive à l'aide d'un mitic :

une véritable plus-value didactique ?

Retours d'expériences dans des séquences sur la poussée d’Archimède

Louis Antognazza, Collège De Staël

Edmond Koller, Collège Voltaire - CFPT

Laurence Lyard, ECG Ella Maillart

I. Introduction

La poussée d'Archimède (PA) est un phénomène ressenti, observé et expérimenté dans la vie quotidienne (objets qui flottent comme les bateaux, natation dans une piscine, montgolfière, ....). Ainsi en se basant sur leurs observations les élèves ont élaboré des modèles explicatifs solidement ancrés dans leur esprit. Mais ces modèles sont parfois inappropriés ou limités : ils ne permettent pas de prédire et d'expliquer certaines situations et/ou ne correspondent pas aux modèles à institutionnaliser. Ces modèles élaborés par les élèves sont donc emprunts de préconceptions telles que (la liste n'est pas exhaustive mais comprend ce que nous attendons) :

  • la PA dépend de l'étendue d'eau,

  • la PA dépend de la profondeur de l'eau,

  • la PA dépend de la profondeur d'immersion de l'objet,

  • la PA dépend de la masse du corps,

  • la PA dépend de la masse volumique du corps,

  • la PA dépend de la flottabilité (propriété intrinsèque du matériau qui flotte),

  • la PA dépend de la forme du corps immergé,

  • la PA dépend du volume du corps,

  • la PA ne dépend pas de la nature du fluide,

  • la PA dépend du fond de l'eau.

Nous nous proposons ainsi de les faire évoluer pour amener les élèves à construire par eux-mêmes un modèle prédictif et/ou explicatif à institutionnaliser sur la poussée d'Archimède à l'aide d'aller-retours socio-cognitifs utilisant des artefacts.

Le choix des artefacts sous forme de simulations a été guidé par la possibilité de faire une multiplication d'aller-retours cognitifs entre les préconceptions exprimées et les résultats des simulations. Ceci permettra de faire évoluer progressivement les modèles des élèves. De plus, les simulations permettront de tester un grand nombre de paramètres et donneront de nouvelles opportunités par rapport aux expériences difficilement réalisables en classe (bateau en béton,....).

II. Objectifs d'apprentissage, problématique et conjecture

II.1. L'objectif d'apprentissage visé lors de cette passation est de savoir identifier les paramètres pertinents, influençant la poussée d'Archimède (masse volumique du fluide, volume du solide immergé, accélération de pesanteur) dans différentes situations.

II.2. La problématique

Comment amener les modèles naïfs sur la poussée d'Archimède (prédictifs et/ou explicatifs) des élèves vers le modèle à institutionnaliser à l'aide d'aller-retours socio-cognitifs utilisant les artefacts ?

II.3. Conjectures sur les effets attendus sur l'apprentissage de cet usage particulier dans la séquence.

  1. La multiplication des aller-retours cognitifs entre les préconceptions exprimées et les simulations permettra de faire évoluer progressivement les modèles des élèves.

  2. La possibilité de multiplier facilement et rapidement les simulations permet aux élèves de confronter plus efficacement leurs modèles et de les faire évoluer.

  3. En incitant les élèves à sélectionner et tester clairement un seul paramètre à la fois, ce qui est inhérent à une démarche scientifique, on leur permettra d'identifier précisément l'influence de ce paramètre.

  4. La simulation elle même pourra révéler de nouvelles conceptions aux élèves.

III. Brève présentation des artefacts, motivation du choix

III. 1 Artefact principal "Buoyancy playground"

Le premier (et principal) artefact utilisé est le logiciel de simulation "Buoyancy playground" ( sur le site PhET). Il s'agit d'un logiciel permettant de tester la flottaison de différents corps en faisant varier différents paramètres telles que la nature du fluide, la nature du corps, la masse corps, le volume du corps. Il permet aussi de visualiser la valeur de la poussée d'Archimède.

Le choix de cet artefact a été guidé par certains éléments spécifiques du design liés aux conjectures. En effet, il est facile d'utilisation, possède une assez grande palette de paramètres correspondants aux préconceptions facilement et rapidement testables (allers-retours, itérations facilités) et enfin, il offre la possibilité de tester un seul paramètre à la fois.

Nous nous attendons donc à observer les effets éducatifs suivants : une plus grande motivation, engagement dans la tâche et une confrontation directe à leur préconception.

III.2. Artefacts vidéo

En complément de la simulation, nous avons sélectionné quelques films courts permettant de mettre en évidence l'influence de certains paramètres sur la poussée d'Archimède. Ces films interviennent en approfondissement de la simulation ou traitent de paramètres que la simulation ne permet pas de tester.

Le premier artefact permet de tester de manière quantitative des préconceptions telles que la PA dépend de la masse du corps, du volume du corps et de la nature du fluide.

Il ne permet pas de tester des préconceptions comme la PA dépend de la profondeur de l'eau, de l'étendue de l'eau, de la nature du fond et surtout de la forme de l'objet immergé.

Pour approfondir la préconception que la PA ne dépend pas de la nature du fluide, on peut utiliser la vidéo suivante :

http://www.canal-u.tv/video/tele2sciences/un_ballon_qui_monte_a_la_demande.8967

Pour discuter la préconception concernant la dépendance de la PA en fonction de la forme de l'objet, nous n'avons pas trouvé d'artefact de simulation mais nous avons identifié une vidéo :

http://www.canal-u.tv/video/tele2sciences/faire_flotter_de_la_pate_a_modeler.9701

Enfin, ce dernier artefact vidéo permet de tester la compréhension des élèves à la fin de la séquence. On peut envisager de stopper la vidéo avant la fin (stabilisation du bouchon) et interroger les élèves sur ce qu'il va se passer.

http://www.canal-u.tv/video/tele2sciences/le_bouchon_qui_flotte.9703

IV. Dispositif d'observation des effets de l'artefact, grandes lignes du déroulement de la séquence et productions attendues

IV.1. Dispositif d'observation

Afin de mesurer l'évolution continuelle des préconceptions des élèves, nous avons tout d'abord envisagé de soumettre des questionnaires systématiques à chaque itération. Mais face à la lourdeur de cette procédure, il nous a semblé judicieux de :

- soumettre un questionnaire initial (cf document1 ou document3),

- prêter une attention particulière à la pratique des élèves lors de la simulation. Ainsi, en observant les essais faits par les élèves et en leur demandant une production écrite (sous forme de fiche guide - cf document2), on pourra évaluer la progression des conceptions,

- soumettre un questionnaire final (cf document3).

Ces questionnaires se présentent sous la forme de tests ou de dessins formatifs et/ou conceptuels.

La production orale ou écrite des élèves leur permet d'exprimer leurs préconceptions ou l'évolution des préconceptions initiales. Cette production est guidée par des questions ciblées sur les conceptions testées. Comme le souligne Hattie, J., & Yates, G. (2013) [1], guider les élèves sur la démarche libère leur esprit pour confronter leurs modèles.

IV.2 Grandes lignes du déroulement

La séquence se déroule en 2 phases. Seule la seconde phase utilisera l'artefact. La 1ère phase est une introduction de la poussée d'Archimède et ne sera pas traitée dans l'analyse.

1ère phase : Existence de la poussée d'Archimède

- Expression individuelle des préconceptions des élèves sur l'existence de la poussée d'Archimède.

- Mise en commun et émergence de plusieurs préconceptions.

- Discussions basées sur des expériences de la vie courante pour confronter ces préconceptions.

2ème phase : Paramètres de dépendance de la poussée d'Archimède

1. "Initialisation des itérations cognitives" :

- Expression individuelle des préconceptions des élèves sur les paramètres de dépendance de la poussée d'Archimède guidée par un questionnaire (cf document1).

- Mise en commun et émergence de préconceptions et/ou contradictions. Discussion globale et premier filtre des conceptions "exotiques". Listage des conceptions testables (par l'expérience réelle et/ou la simulation).

- Expérimentations réelles et/ou simulations-modèles avec l'artefact de toutes les conceptions qui ont émergé dans la classe. Lors de ces expérimentations/simulation, une production écrite avec une fiche guide (cf document2) indiquant le but du test (que voulez-vous tester?), les hypothèses, la démarche, les résultats et les écarts entre les résultats du test et les conceptions sera faite. Dans cette phase, l'enseignant veillera, dans la mesure du possible, à redistribuer les hypothèses à tester à d'autres groupes que ceux qui les ont émises. En effet, la régulation des conflits cognitifs épistémique ou plutôt que relationnelle améliore les apprentissages selon Darnon, Butera et Mugny (2008) [2].

- Mise en commun en classe (chaque groupe présentera ses conclusions devant l'ensemble de la classe). Mise en évidence des points de désaccord. Lors de cette phase, l'enseignant note l'évolution des conceptions des élèves.

2.1ère itération :

- Reformulation individuelle de leurs préconceptions sur les mêmes paramètres de dépendance de la poussée d'Archimède guidée par le questionnaire initial (cf document1 ou document3).

- Mise en commun, émergence des évolutions des préconceptions, listage des conceptions sujettes à désaccord et nécessitant à nouveau d'être testées.

- Expérimentations réelles et/ou simulations-modèles avec l'artefact des conceptions rémanentes en utilisant à nouveau la fiche guide (document2).

- Mise en commun en classe (chaque groupe présentera ses conclusions devant l'ensemble de la classe). Mise en évidence des points de désaccord. Lors de cette phase, l'enseignant note l'évolution des conceptions des élèves.

3. 2ème itération : identique à la 1ère itération si nécessaire jusqu'à converger vers le modèle à institutionnaliser.

4. Institutionnalisation

5. Test final : questionnaire (cf document3) de mise en situation s'appuyant éventuellement sur la vidéo sur le bouchon.

IV.3 Productions attendues

Durant les différentes étapes de la passation, nous nous attendons à des productions écrites suivantes.

- Expression des paramètres (corrects ou non) de dépendance de la poussée d'Archimède à l'aide du document1.

- Conception des expériences réelles pour tester les paramètres compte tenu du matériel à disposition ou utilisation des simulations si l'expérience n'est pas faisable. Production écrite à l'aide du document2.

- Convergence vers les paramètres pertinents, intervenant dans la loi physique (la poussée dépend de la masse volumique du liquide, du volume immergé et de l'accélération de pesanteur).

- Questionnaire final (document3).

V. Résultats et discussion

V.1. Observation sur l'usage de l'artefact en classe

Nous avons relevé les points forts et les points faibles de l'artefact durant la passation (à partir des commentaires et de l'observation de l'usage faits par les élèves).

Les points forts :

- dans les établissements pauvres en matériel, il permet d'effectuer les tests,

- —il possède une prise en main facile (user friendly),

- —son ergonomie est simple,

- —l'animation est agréable et visuelle,

- —les interactions socio-cognitives sont favorisées,

- —une évolution est observée durant la passation.

Points faibles :

- il a été nécessaire de cadrer l’usage pour éviter les dérives ludiques ,

- il est possible d'effectuer un changement de plusieurs paramètres simultanément soit de manière contrôlée, soit de manière indirecte (parfois sans que les élèves ne s'en aperçoivent),

- les —unités utilisées par le logiciel ne font pas partie du système international.

V.2. De l'émission des préconceptions des élèves... aux émissions testables par l'artefact

Les préconceptions émises par l'ensemble des élèves ont été listées ci-dessous. Les préconceptions testables par l'artefact sont cochées en vert et représentent un peu moins de la moitié des préconceptions totales :

- Le poids de l’objet ✓

- La masse de l’objet ✓

- Le volume (ou la grosseur) de l’objet ✓

- La forme de l’objet ✗

- La quantité d’air que l’objet contient ✗

- La pression de l’objet sur le liquide ✗

- La nature du liquide ✓

- La quantité de liquide ✗

- La profondeur de liquide ✗

- L’écoulement du liquide ✗

De plus, pour des préconceptions considérées comme simples, les élèves élaborent un protocole clair et adaptée

Pour les préconceptions plus complexes, ils présentent des difficultés à élaborer un protocole et font parfois varier plusieurs paramètres simultanément sans s'en apercevoir.

V.3. Evolutions des préconceptions - Apport de l'artefact dans la séquence d'enseignement

Le questionnaire du document3 a été posé soit uniquement en fin de passation soit au début et en fin de passation.

Les taux de réussite (en %) aux questions sont présentés dans le tableau ci-dessous :

On observe un fort taux de réussite aux questions 4 (nature du fond) et 3 (quantité de liquide)

Mais ces préconceptions avaient été très peu émise dans la production 1. De plus, elles n'ont pas été testées par l'artefact et l'on peut se demander si les concepteurs de l’artefact ont volontairement omis ces paramètres.

On observe un faible taux de réussite aux questions 7 et 8 (forme de l'objet). Cette préconception a également été très peu émise et elle n'est pas testable par l'artefact. Elle pourrait faire partie d'une évolution de celui-ci. De plus, on peut noter qu'en pratiquant une expérience avec de la pâte à modeler, la préconception évolue.

Enfin, un certain nombre de questions demeurent fortement évolutives grâce à l'artefact ou sans lui.

La question 5 (profondeur d'immersion), n'est pas testée par l'artefact mais est émise dans les préconceptions des élèves. Elle évolue fortement grâce à l'expérience et il serait intéressant (et il nous semble faisable) de l'ajouter à l'artefact.

Les questions 1 et 6 (nature et masse volumique du fluide) sont testées par l'artefact, émises dans les préconceptions des élèves et évoluent grandement grâce à l'artefact. Elles constituent les paramètres les plus influencés par la simulation.

La question 2 (masse de l'objet) est testée par l'artefact, émise dans les préconceptions des élèves et évolue significativement.

VI. Retour sur les premières conjectures et ouverture à des nouvelles conjectures

Au regard de ces observations, nous pouvons effectuer un retour réflexif sur la pertinence de nos conjectures.

La conjecture n°1 : « La multiplication des aller-retours cognitifs entre les préconceptions exprimées et les expériences et/ou simulations permettra de faire évoluer progressivement les modèles des élèves » est confirmée au vu des résultats du questionnaire. L'évolution est constatée sur les paramètres testables par l'artefact.

La conjecture n°2 : « La possibilité de multiplier facilement et rapidement les simulations permet aux élèves de confronter plus efficacement leurs modèles et de les faire évoluer » est confirmée lors de la passation.

La Conjecture n°3 : « En incitant les élèves à sélectionner et tester clairement un seul paramètre à la fois, ce qui est inhérent à une démarche scientifique, on leur permettra d'identifier précisément l'influence de ce paramètre » est partiellement infirmée lors de la passation. —Certains paramètres (volume, ….) sont intrinsèquement liés. Les élèves ne s’en rendent pas forcément compte sur l’artefact.

Enfin, la conjecture n°4 : « La simulation elle-même pourra révéler de nouvelles conceptions aux élèves » est infirmée lors de la passation. L'artefact a été uniquement utilisé par les élèves pour atteindre leur but. Ils n'ont pas effectué d’ouverture dans le questionnement.

Nos observations effectuées lors de la passation nous conduisent à formuler 2 nouvelles conjectures :

1. "—Le caractère informatique de l’artefact amplifiera la motivation et donc l’implication dans la tâche de l’élève ".

2. "Le caractère informatique de l’artefact permettra un gain d’autonomie des élèves".

VII. Limites et améliorations

VII.1. Pour le dispositif d'observation

Il nous semblerait intéressant de reformuler les questions du document3 (questionnaire) pour éviter les réponses au hasard (oui/non sans justification). Ainsi, nous pourrions envisager de faire des QCM et/ou de demander des justifications (éventuellement des justifications à choix multiples).

VII.2. Pour l'artefact intrinsèquement

En ce qui concerne l'artefact lui-même, il nous semblerait intéressant de pratiquer les évolutions suivantes :

- utiliser les unités du S.I.,

- ne permettre de tester qu'un seul paramètre à la fois (ou mettre en évidence la variation des paramètres),

- tester le volume immergé de manière directe, en suspendant l’objet à un dynamomètre,

- tester l’effet de la profondeur d’immersion,

- combattre l'incrédulité des élèves (ne font pas confiance à la programmation – meilleur confiance en l’expérience)

VII.3. Pour l'utilisation de l'artefact

L’artefact (simulation) seul ne suffit pas. Il est nécessité de le corréler à des expériences ou à des films.

Les infrastructures peuvent être peu adaptées à l’utilisation : il est nécessaire d’aller en salle d’informatique et il en existe peu et/ou elles sont éloignées. De plus, ces salles informatiques ne sont pas équipées pour des expériences : il n'y a pas de couplage simulation-expérience possible.

Il aurait pu être intéressant pour contrecarrer ces problèmes de déplacement en salle informatique d'utiliser les smartphone. Mais ces appareils nous semblent trop petits pour visualiser correctement l'artefact.

Ainsi, l'achat et l'usage de tablettes serait une amélioration intéressante.

Références :

[1] Hattie, J., & Yates, G. (2013). Visible learning and the science of how we learn (1. publ. ed.): Routledge.

[2] Darnon, C., Butera, F., & Mugny, G. (2008). Des conflits pour apprendre: Presses universitaires de Grenoble.