Egypte

Franc-maçonnerie en Egypte, réformisme, nationalisme, djihadisme.

 

Une première loge dépendant de la Mère Loge Écossaise a vu le jour en Égypte, à Alexandrie en 1748. C’était une obédience d’origine marseillaise composée principalement de négociants, armateurs et diplomates. Elle étendit son réseau dans tous les ports importants de la Méditerranée, les Echelles du Levant. Mais la franc-maçonnerie s’est développée et ouverte surtout à partir de 1800, avec le général Kléber, à la suite de l’expédition de Bonaparte qui voulait couper à l’Angleterre la route des Indes. Plusieurs obédiences furent créées et de nombreux ateliers virent le jour. On a compté plus de 500 loges égyptiennes qui, en plus de l’arabe, ont travaillé en anglais, français, grec, italien et hébreu.

Selon un rapport de la police autrichienne de 1818, il aurait existé une organisation maçonnique la « Société Secrète Égyptienne ». Dirigée par Drovetti (consul général de France en Égypte), elle aurait conspiré contre l’Empire ottoman en faveur du pacha Méhmet Ali[1]. Cette Société comptait deux loges (au Caire et à Alexandrie) qui semblent correspondre à deux ateliers créés en 1811 et 1812 par la Mère Loge Écossaise de France.

La franc-maçonnerie égyptienne a  attiré des membres de la famille royale et un grand nombre de personnalités, les princes Halim et Mehmet Ali en ont été membres, des notables et des parlementaires comme Idris Bey Ragheb, et des officiels anglais tels Lord Kitchener, commandant de l’armée d’Égypte et Sir Reginald Wingate, haut-commissaire britannique.

Comme dans tout l’Empire ottoman, grâce aux lois de capitulations, les loges devinrent en Égypte le lieu de regroupement des révolutionnaires qui souhaitaient éliminer les potentats locaux, des nationalistes et des panislamistes. A la fin du 19ème siècle, des grands penseurs musulmans à la fois nationalistes et religieux comme Jamal el Afghani, Mohamed Abduh, Adib Ishaq et Abd al-Rahman al-Kawakibi ont été précurseurs du mouvement « An Nahda », la renaissance culturelle et politique du Monde arabe. Ils recherchaient la « purification » de l’Islam, ils demandaient un retour aux « salafs », les pieux ancêtres, ils furent à l’origine de la salaftyya, un projet religieux d'organisation de la société avec ses implications sociales et politiques. Leur projet était subversif dans l’Égypte soumise aux colonisateurs anglais et aux despotes régionaux. Pour développer ce projet ils se servirent de la franc-maçonnerie et des avantages liés aux « capitulations », en particulier l’extra-territorialité des loges françaises, italiennes et anglaises.

Jamal El Din el Afghani (1839-1897). Il est appelé le « savantissime ». Il est l’un des penseurs les plus importants de l’Islam du 19ème siècle. Chiite d’origine, influencé par le soufisme, il prêchait pour un Islam rationaliste. Il pensait que la franc-maçonnerie qui prônait la justice devait l’aider dans son combat contre l’impérialisme britannique. Il fut initié à la loge Nil puis devint vénérable de la loge Eastern Star[2].

El Afghani écrivit sur la libre-pensée qui ne touche que les élites et sur le pouvoir qu’exerce la religion sur l’humanité.

« La première chose qui m’a incitée vers l’action dans la Franc-Maçonnerie fut un mot d’ordre impressionnant et grandiose : Liberté, Égalité, Fraternité dont le but m’a semblé être, pour le bien de l’humanité, la destruction des constructions anciennes et l’édification de monuments pour la justice absolue. C’est pourquoi j’ai cru que la Franc-Maçonnerie signifiait un guide de conduite, de respect de soi-même et de dédain pour la vie dans la cause du combat contre l’injustice ».

Il exprime déjà le dédain pour la vie, la sienne et celle d’autrui. Ce dédain qui sera mis en pratique par ses successeurs.

Des Juifs participèrent en Égypte au mouvement d’Afghani. Parmi ceux-ci il y eut Yaqub Sannu (James Sanua), nationaliste, franc-maçon, journaliste, écrivain, auteur de théâtre. Il était un dessinateur satirique influent, pionnier de la caricature égyptienne, rédacteur du journal « Abou Naddara », le « Canard enchaîné » égyptien de l’époque, qu’il avait créé. Il est considéré comme celui qui a inspiré la révolution égyptienne de 1919. Il est l’auteur de la formule « l’Egypte aux Égyptiens ». Avec Yaqub Sannu il y eut René Qattawi, sénateur, et Mourad Farag, auteur d'un poème intitulé « L’Égypte, ma terre natale, ma patrie ». Il tenté de concilier le sionisme et le nationalisme arabe. 

La franc-maçonnerie a déçu el-Afghani en n’intervenant pas en politique pour lutter contre l’oppression. Afghani a été pourchassé par les Anglais. Il a malgré cela été accusé, par ses coreligionnaires, d’être un pseudo savant, un agent anglais, un virus de l’Islam chargé de réformer la religion musulmane[3]. Les francs-maçons ne l’ont pas soutenu.

Exilé, il s’est réfugié à Paris chez son ami juif, Yaqub Sannu. Il a débattu, en France, en 1883, de la réforme de l’Islam avec Ernest Renan pour le « Journal des débats ».

El-Afghani est mort d'un cancer de la gorge le 9 mars 1897 à Istanbul.

Mohamed Abduh (1849-1905) et Adib Ishaq (1856-1886). Ils ont été les disciples les plus proches d’Afghani. Mohamed Abduh[4] qui devint Grand Mufti d’Egypte a été fondateur du Mouvement pour le Modernisme Islamique avec Adib Ishaq, intellectuel catholique libanais. Ensemble ils fondèrent le Parti National Libre dont les mots d’ordre étaient l’abolition du despotisme, l’instauration d’un régime constitutionnel, la lutte contre les colonisateurs anglais et français et la solidarité islamiste. Ils dénonçaient les deux extrêmes, le despotisme des Princes d’Orient et la violence des communistes et des socialistes[5]. Leur journal « la Jeune Égypte » périodique anti-britannique, rédigé en arabe et en français était l’organe officiel de leur parti, et officieux de la franc-maçonnerie.

La pensée de Mohammed Abduh correspondait à la fois aux thèses traditionalistes à celles des libéraux modernistes de la fin du 19ème siècle. Il était convaincu que l’Islam peut répondre aux exigences de la modernité. Le Mutazilisme[6] fut au 8ème siècle le mouvement qui tenta d’instituer le recours à la raison comme clé fondamentale dans l’interprétation des textes sacrés. Mohamed Abduh a repris son débat sur la nature du Coran, le considérant comme « créé » alors que pour la majorité des exégèses il était « incréé ». Mohammed Abduh représente le réformisme, de la civilisation musulmane appelé néo-mutazilisme.

Le réformisme formulé par al-Afghâni, Abduh et Ishaq visait à concevoir un islamique qui échapperait au traditionalisme puritain et qui se démarquerait d’une imitation de l’occident,  tout en s’inspirant aux principes de ces deux tendances, à savoir l’islam des origines et la modernité européenne, ils ont cherché à trouver une attitude de conciliation et de synthèse entre l’authenticité musulmane et les points jugés positifs et bénéfiques de la modernité occidentale. Abduh voulait que la raison soit l’outil du renouvellement de l’islam et de la société arabo-musulmane.[7]

Adulés, Aghani, Abduh et Ishaq sont vus par de nombreux musulmans comme des « revivificateurs de la religion ». Cependant, ils sont contestés par beaucoup d’autres. L’imam Mûqbil et ses disciples les appellent les revivificateurs de l’égarement du fait de leur appartenance à la franc-maçonnerie, condamnée par de nombreuses fatwas. La première fatwa recensée par Hervé Hasquin[8] date de 1911, la plus connue est promulguée par l’organisation de la Conférence Islamique le 15 juillet 1978 à La Mecque : « La franc-maçonnerie est une association politique secrète qui a pour but d'éradiquer les religions et les bonnes moralités et de les remplacer… Par conséquent, quiconque des musulmans devient membre de la franc-maçonnerie tout en connaissant sa réalité et ses secrets profonds, ou qui participe à ses évènements et qui célèbre également ses rituels, est considéré comme mécréant de qui on exige le repentir. S'il ne s'exécute pas, il doit être tué, et s'il meurt sans s'être repenti, il sera rétribué de la rétribution des mécréants ».

Abd al-Rahman al-Kawakibi (1849-1902). Il est le premier théoricien du nationalisme arabe.

Après des études à la grande Mosquée d’Alep, al Kawakibi a occupé des fonctions dans l’administration ottomane en Syrie, puis il a été exilé en Égypte.  Précurseur de l’arabisme et du panarabisme, du réformisme musulman, il a publié « Les caractéristiques du despotisme et le renversement de l’esclavage ». Il prônait l’abolition de la supériorité de la religion sur la politique et l’instauration d’un régime constitutionnel. Pour lui, le despotisme, avait des conséquences désastreuses sur la religion, le savoir, l’économie, la morale, l’éducation et le progrès. Il préconisait l’instauration d’un régime fondé sur la liberté de conscience, l’égalité entre tous les citoyens et la séparation des pouvoirs législatif et exécutif en restant respectueux  de la religion[9]. Référence des démocrates arabes et des défenseurs des droits de l’homme, il a souvent été une source pour les « printemps arabes » qui se sont soulevés contre les dictatures des pays arabo-musulmans[10]. Par ailleurs, s'adressant à tous les arabophones sans distinction, al Kawakibi s'est adressé aussi bien aux musulmans qu'aux chrétiens et aux juifs arabes. Il n'a pas fait de différences entre eux. Cette idée des musulmans, des chrétiens et des juifs arabes travaillant ensemble était alors en train de gagner du terrain en dépit de la naissance du sionisme. Elle s’est effacée sous l’influence conjuguée de Rachid Rida et des Frères Musulmans.

L’arabisme s’est développé contre l’Empire Ottoman. Arabes contre Turcs, al Kawakibi voulait renverser le despotisme ottoman du sultan Abdul-Hamid II et rétablir le califat avec la Mecque pour capitale. Al Kawakibi était franc-maçon, pour son fils c’était banal en Orient à l’époque[11]. Il est mort au Caire en 1902, vraisemblablement empoisonné par des agents turcs.

Rachid Rida (1865-1935), père spirituel de « l’intégrisme islamique arabe moderne »[12], fut un théologien et propagateur de la réforme de l’Islam. Pour continuer l’œuvre d’Afghani et d’Abduh il a fondé en 1898 le journal « Al Manar » (le Phare), une revue islamique qui s'intéresse à l'ensemble des questions liées à la réforme religieuse, civile et politique. La revue répondait à deux objectifs : défense et propagation de l'Islam, et appel à l'union des musulmans[13].

Pendant trente-sept ans, il a publié dans sa revue des commentaires du Coran d’Abduh et émis des fatwas. Après la révolution Jeunes-Turcs il a rejoint le mouvement nationaliste arabo-islamique qu’il a associé en 1916 au panarabisme pour combattre l’influence occidentale. Il était convaincu de la supériorité religieuse des arabes. Rida était conservateur, il s’opposait au soufisme, qu’en dépit de l’influence d’Afghani il présentait comme une franc-maçonnerie musulmane. Il a préconisé le djihad personnel. C’est lui qui a initié le rapprochement entre le salafisme et le wahabisme. C’est à lui aussi que l’on doit la  théorie du complot judéo-maçonnique en terre d’Islam. Dans un texte qui fait suite aux émeutes de 1929, il reprend les thèses des « Protocoles des sages de Sion[14] » en les combinant aux arguments les plus hostiles aux juifs de la tradition musulmane.

Le réformisme conservateur salafiste de Rida est à l’origine de la création des Frères musulmans. Rachid Rida est mort en 1935. Le dernier verset commenté dans sa revue est le verset 101 de la sourate Youssouf : « Ô mon Seigneur,… tu es mon maître, ici-bas et dans l’au-delà. Fais-moi mourir en parfaite soumission et fait moi rejoindre les vertueux ».

Hassan al Banna (1906-1949). Nourri par les enseignements des réformistes de son époque, il a fondé la confrérie des Frères Musulmans en 1928[15]. Cette société secrète avait pour objet dans un premier temps, la libération de l’Égypte sous le joug de la colonisation anglaise puis le déclenchement de la révolution islamique par le djihad et enfin l’établissement d’un système de gouvernement à parti unique pour l’islamisation du droit et une application stricte de la charia qui englobe toutes les affaires privées et publiques. Le manifeste des Frères Musulmans préconise l’interdiction de laïcité, de la danse, la censure des livres et des films. Il réclame des programmes scolaires distincts pour les filles et les garçons et même une politique vestimentaire imposée aux citoyens par une police des mœurs.

Al Banna admirait Hitler, il a entretenu avec lui une correspondance dans les années 1930. Il a collaboré avec le mouvement « Jeune Égypte » directement inspiré des chemises brunes nazis. Nasser et Sadate en ont fait partie.

L’expansion de la confrérie est très rapide, en 1948, elle comptait deux millions de membres. Les Frères Musulmans qui avaient ouvert pour la population de nombreuses écoles des syndicats, des associations caritatives et des dispensaires pour la population étaient devenus très populaires.

Après des assassinats commandités contre le gouvernement, les Frères Musulmans sont accusés de comploter contre l’état égyptien et sont dissous le 8 décembre 1948. Hassan Al Banna a été assassiné le 12 février 1949, vraisemblablement par les services de sécurité égyptiens.

Tariq Ramadan, petit-fils d’Al-Banna prétend que les Frères Musulmans sont un mouvement dans la lignée d’al-Afghani , Abduhd et Rida. C’est un retour aux sources du texte sacré et de la tradition du prophète avec le pragmatisme du réformateur social dit-il.

Très rapidement après leur fondation, les Frères Musulmans ont déployé une structure transnationale pour faire triompher l’instauration du califat islamique dans le monde. D’après Alexandre Del Valle[16] le credo officiel des Frères musulmans est: « Dieu est notre but, l’Envoyé est notre modèle, le Coran est notre loi, la guerre sainte est notre chemin, le martyre est notre désir ». Ils sont présents dans toutes les guerres et les révolutions du monde arabo-musulman et sont également actifs dans le monde occidental. A côté de leur branche politique officielle, ils ont crée une force militaire. Les écrits des Frères Musulmans font partie des références de Daesh, le sinistre Etat Islamique.

 

Les Frères Musulmans ont une structure opaque très organisée et hiérarchisé[17]. Ils ont mis en place un réseau d’associations et de fédérations administrés par un Conseil de Direction.

La force militaire des Frères Musulmans a fait ses premières armes contre les Britanniques et les Juifs en Palestine mandataire. Ils ont envoyé des troupes participer avec le grand Mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini à l’insurrection arabe de Palestine de 1936.

En 1945, Le gendre et héritier spirituel de Hassan al Banna, Saïd Ramadan, futur père de Hani et Tariq Ramadan est missionné pour créer une branche armée du mouvement à Jérusalem, elle a été active lors de la guerre israélo-arabe de 1948. Cette branche des Frères Musulmans prit en 1950 le nom de Hamas à Gaza, elle publia une charte appelant à la mort des Juifs, des Israéliens et des francs-maçons. Financé par l’Arabie Saoudite, Saïd Ramadan est parti pour l’Europe dans les années 1950, pour y fonder la Société islamiste d'Allemagne et le  Centre islamique de Genève, puis la Ligue musulmane mondiale. Un document déclassifié des services secrets suisses, daté du 29 juin 1967 révèle que Saïd Ramadan était leur agent[18]. Il aurait même travaillé pour les Anglais et les Américains[19].

Sayyid Qutb (1906-1966). Dès 1942, Sayid Qutb commença à écrire dans « Al Taj al Masri » (La Couronne Égyptienne), magazine maçonnique, organe de la Grande Loge Maçonnique Egyptienne. Sur la première page du journal il est inscrit: « Édité par les Francs-Maçons Hauts Gradés ». Qutb y écrivit l’éditorial d’ouverture « Pourquoi suis-je franc-maçon ? J’ai senti que dans la franc-maçonnerie, il y avait un remède pour les blessures de l’humanité, j’ai frappé aux portes de la franc-maçonnerie afin de me nourrir l’âme de la philosophie et la sagesse…. Et afin d’être un moudjahid (combattant) aux côtés des moudjahidines et que j’oeuvre aux côtés de ceux qui travaillent …». Pour l’ancien Grand Maître du Grand Orient Arabe Œcuménique, Jean Marc Aractingi, cela signifiait qu’il était parmi les plus hauts gradés de la franc-maçonnerie égyptienne!

 

Instituteur de profession, il fut envoyé en 1949, en voyage d’études sur l’éducation aux Etats-Unis. Ce qu’il y a vu a provoqué chez ce musulman un rejet violent de la société occidentale. A son retour en 1951, il s’est engagé dans les Frères Musulmans, il en devint l’idéologue.

Son œuvre est monumentale, il est le père du djihadisme politique. Plusieurs de ses 30 volumes énoncent les principes jihadistes qui placent la violence au cœur de sa stratégie, la présentant même comme une obligation religieuse.

Il insiste dans ses écrits sur le rejet de la jahiliya, le monde pré-islamique, et appelle, concept salafiste, à la guerre civile contre les gouvernements impies qui n’obéissent plus aux vraies lois de l’islam. Il faut non seulement protéger la communauté contre les non-musulmans, mais avant tout lutter contre les mauvais musulmans.

 

Ses idées subversives et son influence le rendent dangereux pour le nouveau régime de Nasser, il fut pendu le 29 août 1966, dans une prison du Caire.

Amine al Husseini (1896-1974). Comment considérer le grand mufti de Jérusalem ? Il fut l’héritier et dirigeant d’une des plus grandes familles palestiniennes de Jérusalem. Doté d’un grand charisme, il fut surnommé le Glaive de l’Islam. Dans la lignée de Rida, de Qubt et des Frères Musulmans, il a été présent et influent dans tout le Proche-Orient de la première partie du 20ème siècle.

Pendant la deuxième guerre mondiale Amine el Husseini fut nommé Premier Ministre du Gouvernement  Panarabique par le régime Nazi et recruta plus de 20 000 soldats musulmans qui se livrèrent à d’effroyables atrocités[20].

Après la guerre, recherché pour crimes de guerre, Amine el Husseini se réfugia en France, accueilli par le général de Gaulle comme réfugié d’honneur[21] Puis malgré la surveillance dont il faisait en principe l’objet, il partit tranquillement en avion pour gagner l’Égypte[22], avec l’aide des Frères Musulmans. Il a aidés de nombreux responsables nazis[23] à se réfugier dans les pays arabes et leur permis d’obtenir des postes importants dans l’armée, les industries militaires et la propagande[24].

Amine al Husseini fut le mentor de son petit neveu, Yasser Arafat[25] qui commença à travailler pour lui à l’âge de dix sept ans, il a installé les membres de son clan à la tête des organisations palestiniennes. Amin al-Husseini « était très violent, cruel et impitoyable. Il a tué tous ses rivaux au sein de la société palestinienne. Il considérait toute opinion différente de la sienne comme une trahison et y répondait par la violence », se souvient Uri Avnery, leader de l’extrême gauche israélienne.

Avec la naissance de l'état d'Israël en 1948, l’état égyptien accusa la Franc-Maçonnerie de connivence avec Israël. La Grande Loge de France, et le Grand Orient de France, signalèrent le climat hostile aux étrangers.

La Grande Loge Nationale d'Égypte, forte de ses soixante-seize loges, subit elle-même le contre coup de cette guerre quand des dissidents fondèrent une obédience « Grande Loge de la Vallée du Nil » avec l'appui, dirent-ils, de l'obédience Syro-Libanaise.

Parallèlement,  des mesures vexatoires furent prises à l'encontre des frères juifs participant aux travaux des loges égyptiennes.

Les ateliers de la  Grande Loge de France, obédience largement représentée en Égypte, et du Droit Humain préférèrent cesser toutes leurs activités en prenant acte du climat de xénophobie qui se développait.

Les deux loges du Grand Orient de France différèrent leur décision.

En 1951, alors que l'armée anglaise contrôlait encore le Canal de Suez, le président du Conseil égyptien, Mustafa al-Nahhâs Pacha soumit le 8 octobre au Parlement un projet de loi pour dénoncer unilatéralement le traité anglo-égyptien de 1936, base des relations entre l'Égypte et la Grande-Bretagne.

Cette proposition d’abrogation fut accueillie avec enthousiasme par la population égyptienne qui espérait la fin de la tutelle anglaise sur l’Égypte. Nul n’ignorait que c’était une manœuvre du cabinet Nahhâs pour raffermir son autorité chancelante, distraire le peuple de sa situation misérable et retarder la mise en œuvre de réformes sociales très attendues. Pour autant, celle-ci répondait également à un désir profond de la population égyptienne. 

La foule descendit dans la rue à l'appel des communistes et des Frères Musulmans pour crier sa haine des Britanniques. C'est ce que l'on a nommé la « Guerre du Canal ». Les troupes britanniques intervinrent. Il y eut des morts[26] à Ismaïlia et Port Saïd.

La fermeté de la réaction anglaise à cette crise s’explique aussi par la position de l'Égypte sur la guerre de Corée. L’Égypte a adopté une position favorable à l'URSS qui inquiétait les occidentaux.

La Grande Loge Nationale de la Vallée du Nil envoya le 25 octobre 1951, à toutes les obédiences, un courrier signés du Grand Maître et du secrétaire. Intitulé : « A tous les frères Maçons du Monde. Sauvez l'Honneur, la Justice et l'Humanité »[27]. Il visait à détourner l'attention sur Israël. Il y était écrit : « Un groupe de juifs pratiquant le sionisme qui vise à rétablir le royaume de Jérusalem en Palestine s'est armé de plaintes amères et de multiples appels pour les sauver de l'oppression allemande. Ils ont réussi à gagner à leur rang un monde qui ignorait leurs desseins et leurs crimes préparés par leurs dirigeants. A peine délivrés des souffrances qu'ils subissaient, ils se sont retournés contre un peuple paisible, lui faisant endurer le martyr qu'eux-mêmes avaient souffert…

… Ceux qui soutiennent les sionistes oublient qu'ils exposent le monde à l'instabilité et au désordre. »

En octobre 1955, la Grande Loge Nationale d'Égypte décida « d'exclure de leurs droits maçonniques les loges et les frères de confession israélite ».

La quasi-totalité des loges se mit en sommeil, y compris, par solidarité, certaines loges d'expression arabe.

La Grande Loge Nationale d'Égypte cessa d'être reconnue par les autres obédiences tandis qu'elle diffusait un idéal nationaliste qui contrastait avec l'ancienne Maçonnerie égyptienne[28].

L'affaire de Suez, en 1956, mit un terme brutal à la présence de toutes les loges dont le président Gamal Abdel Nasser ordonna la fermeture et la confiscation de leurs propriétés. La Franc-Maçonnerie est encore interdite en Égypte aujourd'hui[29], toutefois, il semble qu’une loge y serait en activité[30].

A l’origine de cette évolution en Égypte, il y eut des nationalistes musulmans, francs-maçons, salafistes qui voulaient retrouver les anciennes traditions de l’Islam, qui luttaient contre le colonialisme de la Grande Bretagne et les potentats. C’étaient Jamal el Din el Afghani, Mohamed Abduh, Adib Ishaq et Kawakibi. Ils donnèrent naissance à l’Islam radical et à l’antisémitisme de Rachid Rida, au djhihadisme politique de Sayyd Qutb et des Frères Musulmans, et enfin avec Amine el Husseini à la branche arabe du nazisme.

Le débat fait rage aujourd’hui sur l’Islam de France (ou en France). Comment ne pas penser à l’Égypte en considérant les musulmans réformistes Mohamed Arkoun ou Malek Chebel auxquels s’opposent les inconditionnels de la soumission, radicaux du CFCM et des Frères Musulmans (toujours eux) de L’UOIF, soutenus par des politiques et les institutions comme Mediapart[31] et Pascal Boniface[32] qui voient là un moyen d’augmenter leur audience et leur électorat, ou d’inciter à la lutte des classes.

[1] Sur ordre de Napoléon

[2] En arabe «Kawkab Al Charq».

[3]  Chroniques de Genç Osman – Francs-maçons et agents anglais.

[4]  Mohamed Abduh a été initié franc-maçon, en 1868. Son nom figure parmi les membres de la loge "Concordia", de la Grande Loge unie     d'Angleterre au Caire. Il y a côtoyé Adib Ishaq et el Afghani.

[5]  Mustapha Khayan. Un disciple libre penseur de Al-Afghani : Adib Ishaq – Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 1989  - N° 1  pp. 138-149.

[6]  Apparu vers 750, le mutazilisme est devenu en 827 la croyance officielle à la cour du califat abbasside.  Supplanté par le sunnisme au 13ème siècle, il a été interdit, ses livres brûlés.

[7]  Kalthoum Saafi Hamda : thèse de doctorat en sociologie : Vers une plateforme de modernisation de la pensée islamique, une nouvelle alternative à travers la pensée de Abdelmajid Charfi, Mohammed Arkoun et Nasr Hamid Abou Zeid.

[8]  Hervé Hasquin : Les Pays d’Islam et la franc-maçonnerie

[9]  Abd al-Rahmân al-Kawâkibi : despotisme et autres textes -  ed. Actes Sud

[10] Cahiers du Mouvement social n°3. Mouvement ouvrier, communisme et nationalismes dans le monde arabe: études publiées par René Gallissot.

[11] Thierry Millet, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman d'Aix-en-Provence le confirme dans Le Tablier et le Tarbouche, Francs-maçons et nationalisme en Syrie mandataire. Ed. Classiques Garnier.

[12]  Gilbert Achcar, chercheur et professeur franco-libanais.

[13]  Nadia Elissa-Mondeguer, « Al-Manâr de 1925 à 1935 : la dernière décennie d’un engagement intellectuel », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 95-98.

[14]  Document antisémite forgé en 1915 par Mathieu Golovinski, informateur de l'Okhrana, la police secrète de l'Empire russe pour convaincre le tsar Alexandre III de ne pas améliorer la condition des juifs en Russie. C’est un texte plagié d’un roman de Maurice Joly  Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, publié à Bruxelles en 1864. Golovinski a simplement remplacé Napoléon III par « Les Juifs ». C’est devenu le livre antisémite de référence dans l’Allemagne nazie et dans le monde arabo-musulman.  

[15]  Sources : Shaikh Ayid As-Shimmari : L’héritage de Hassan Al-Banna et les flèches de ses héritiers ; Zeghal Malika : Islamisme, réformisme et violence politique : comment interpréter l'histoire des Frères musulmans. In: Archives des sciences sociales des religions. N. 108, 1999. pp. 25-28. ; Point de bascule : Zeghal Malika. Islamisme, réformisme et violence politique : comment interpréter l'histoire des Frères musulmans. In: Archives des sciences sociales des religions. N. 108, 1999. pp. 25-28. ; Wikipedia.

[16]  Alexandre del Valle : La stratégie de conquête des Frères musulmans, 21 octobre 2016.

[17]  Pour Thierry Meyssan, les Frères musulmans sont en Islam, l’équivalent de la franc-maçonnerie.  Algerie patriotique, le 8 Décembre 2012.

[18]  La rédaction de Mondafrique, le 5 septembre 2015, affirme que ce document est en sa possession.

[19]  Sylvain Besson, « When the Swiss Protected Radical Islam in the Name of Interests of State », Le Temps, (Genève), 26 octobre 2004.

[20]  La croix gammée et le turban, La tentation nazie du grand mufti, documentaire diffusé sur Arte le 11 décembre 2012.

[21]  Bien qu’Amine el Husseini fut considéré par le gouvernement français comme le cerveau de l'espionnage allemand dans tous les pays  musulmans.

[22]  Tsilla Hershco, Le grand mufti de Jérusalem en France : Histoire d'une évasion - Revue Controverses, no 1, mars 2006.

[23]  Parmi lesquels Wolhelm Voss, le dr. Ernst Springer, le général Otto Remer, Aloïs Brunner, Otto Skorzeny, etc…

[24]  http://www.europe-israel.org/2016/10/les-anciens-responsables-nazis-devenus-conseillers-de-chefs-detats-arabo-musulmans/

[25]  Son nom complet était en réalité Mohammed Abder Rauf Arafat Al Kudwa Al Husseini.

[26]  Cahiers de la Méditerranée

[27]  Courriers transmis par Claude Samet

[28]  Georges Odo - La Franc-Maçonnerie en Afrique francophone (1781,2000) - AMHG 2010

[29]  Léon Zeldis : Loges en Palestine

[30]  Interview de Pierre Lambicci, Grand Maître du GODF, dans le Jérusalem Post le 31 août 2009.

[31] «L’islamisme n’est pas en soi une chose grave», a déclaré la journaliste de Mediapart, Jade Lindgaard, dans l’émission «C à vous» du samedi 11 novembre 2017.

[32] Le Hamas n’est pas terroriste. « Ni la Russie, ni le Brésil, ni l’Afrique du Sud, ni la Chine et donc certainement pas l’ONU ne le considèrent comme tel ». Géopolitique de la France ou obsession de l’islam - pascalboniface.com