Au nom de l'identité

Au nom de l’identité.

L’identité en question, une affaire personnelle. Mon nom ! Remarquons que mon et nom sont des anagrammes et que l’expression mon nom est un palindrome. Voilà qui autorise bien des errances. L’identité civile est labile, je naquis Rossinski puis fut Rossin pour finalement, ici, me nommer Rozinsky. Je suis pourtant le même du point de vue du patrimoine génétique ; je reste le fils de ma mère Marie-Claire et aussi de mon père Bernard. L’identité qui se construit jour à jour, peut être libre mais elle est parfois imposée, les nazis avaient imposé des prénoms aux Juifs et finalement ne les identifiaient plus qu’avec des numéros ; ils décidaient des identités des autres. Ils n’étaient en fait pas innocents du changement de Rossinsky à Rossin. Il y a quelque chose d’essentiel à creuser dans la question du nom de l’identité.

L’identité est une séparation, comme l’est la naissance.

La Bible est une magnifique ligne directrice, sur cette question.

A l’image du rabbin célèbre qui demandait qui a une question, qui a une question, j’ai une réponse, voici ma première réponse : l’identité en hébreu se dit zehout et l’identique ZE-E s’écrit, zaïn-hé-hé. Deux hé ! Deux souffles (les Hé) et un outil, le zaïn. Zaïn l’épée, la lame et aussi le sexe masculin ; la lame pour séparer les deux hé, les identités, et le sexe pour leur permettre de se reproduire. Nouvelle question : se reproduire à l’identique ?

Reprenons le texte : Au commencement, quand le monde n’était qu’un magma d’ondes, la fameuse soupe d’énergie des astrophysiciens, était-ce une lame qui sépara dans  le père,  l’aleph du bet ; la lame qui fait cette brit milah-là ? L’aleph reste dans son silence éternel et le bet, la maison qui s’ouvre à sa gauche, libère l’histoire A VENIR. Le temps de l’Histoire. L’identité du monde qui nait se place d’emblée dans l’avenir. C’était la première séparation identitaire. Ce qui reste à droite du Bet d’où sort l’univers est nommé LE NOM, Hashem, l’Eternel, c’est son identité imprécise. On remarque que le graphisme Shin-Mem signifie à la fois le nom et « là-bas »… Identité abyssale.

Il y eut d’autres séparations dans ce texte mythique. D’abord, Il dit que la lumière soit[1] et évidemment la lumière fut. Un grand éclair, pas un Big Bang puisqu’il n’y avait encore aucune atmosphère pour transmettre le son. Avec la lumière naquirent vraiment les ténèbres. Passons sur les amphibologies de ténèbres et lumière et pourtant c’est central dans la pensée.

Ténèbres associées, pour certains à solitude : tohu et bohu[2]. Personne ne sait  vraiment traduire cette expression mais on peut remarquer que Tohu commence par la dernière lettre de l’alphabet et Bohu par la première lettre de Berechit d’où il était la fin  etle début ! Le début et la  fin : Bet Tav, la maison encore s’il s’y s’intercale le iod divin… la boucle est bouclée dans la cohérence du texte.

Il y eut aussi la séparation des eaux d’en bas sur la terre, de celles d’en haut[3], le là-bas l’eau, sham-mayim, le ciel. Deux sortes d’eaux sont ainsi identifiées, les océans et le ciel. On remarque d’emblée que les identités de ces variétés d’eaux (de même composition chimique mais sous forme liquide ou gazeuse) sont différentes, similitude et identité ! C’est le cycle de l’eau, le miracle de la vie donc, qui est ainsi décrit ; une rupture de la poche des eaux, la naissance de la vie.

Que faisait-Il en créant ces identités ? Il jouait, Il tentait. Pour preuve qu’il s’agit d’une tentative, Il voit que le résultat est « bon ».  Avant d’essayer,  Il ne savait ce que ça donnerait !

Il avait suffi qu’Il ait dit pour que cela fût ; la nomination fait l’identité. Quatre longs jours plus tard, il crée un être mythique, à son image est-il écrit, image pas identité ! Un hermaphrodite qu’il séparera en êtres mâle et femelle, une potentialité de reproduction de laquelle une confusion nait puisque le nom de la partie mâle est identique à celui de l’hermaphrodite primordial. La partie femelle quant à elle se nomme isha, femme, un générique. Elle ne prendra son identité définitive, Eve, source de vie, qu’après avoir partagé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et être sortie du jardin d’Eden. Eden : Ain-Dalet-Noun, A-D-N, acide désoxyribonucléique. Ils venaient de s’arracher à l’animalité et savaient qu’ils étaient nus. Elle n’eut un nom propre, une identité propre que lorsqu’elle fut en capacité de dire l’éthique… Abyssal !

Voilà, un homme et une femme pour inscrire une généalogie qui pourvoira des identités à venir. Ces deux êtres sont similaires, ils sont les os et la chair l’un de l’autre, mais leurs identités sont manifestement différentes et ils se reconnaissent.

Quelle identité peut avoir un être dans la solitude ? Il faut encore qu’il y ait un regard, un face à face, un panim al panim. Panim est toujours un pluriel comme pour indiquer que la solitude est impossible à l’identité.

Le face à face, Avram et Saraï : pour pouvoir, vraiment très tardivement d’où il ne faut jamais perdre espoir, pour pouvoir avoir enfin un enfant, doivent changer leurs noms en Abraham et Sarah, ils ont chacun introduit un Hé dans leurs noms[4], c’est (Zé) les deux Hé de l’identité… l’enfantement apportera à tous les trois la joie et le rire  dans ces souffles d’identité qui fait naitre leur histoire sous les yeux hagards de la mère d’Ischmaël.

Il ne peut y avoir d’identité sans société, même réduite à sa plus simple expression. Voilà un panorama succinct des identités du monde et des êtres

Deux éléments donc, le temps et la société. Les deux termes vont s’inverser, le temps et la société va devenir la société et le temps. L’histoire des hommes peut avancer.

Société et histoire. Le même texte nous raconte les errements  des sociétés que les Hommes créent. Les sociétés, identités de regroupements humains. Dans la marche de l’histoire, le mythe de la Tour de Babel[5] est symptomatique des drames sociétaux à venir. Ces hommes-là, se donnent une mission : construire une ville avec une tour très haute, un gratte-ciel, et pour cela, ils se mettent tous du même côté (safa) et disent (davar) la même chose (davar) dans la même langue (safa encore) pour faire la même chose (davar encore) ; ils deviennent plus davar que bavards. Pour insister le texte dit qu’ils fabriquent des briques et mortient du mortier… Plus personne ne prête attention à l’autre, l’œuvre commune s’est érigée en pensée unique, évidemment la pensée unique est inique parce que totalitaire. Ils croyaient créer une identité, et nous nous ferons un nom (verset 4), ils croyaient fortifier une identité, ils la détruisaient. Plus de face à face, pas d’objection. Ils étaient Ba-bel, dans le rien. (Bel est un ancêtre biblique de bli !). La fin de l’épisode  Babel est l’histoire de la guérison de l’identité par la multiplicité des langues afin que les êtres, unis en courants de pensées, fassent l’effort de se comprendre. La pensée unique est étouffoir de l’identité, l’identité suffoque en Europe.

Après la Genèse, l’histoire d’une famille, l’Exode, celle d’un peuple. L’Exode en hébreu s’appelle Shemot, les noms. Nuance intéressante sur le plan de l’identité. Par ailleurs, l’Exode n’a pas vraiment existé puisqu’ils sont allés d’Egypte en Egypte, le pays de Canaan était égyptien en ces temps-là.

Bien que n’ayant pas de GPS, Global Positionning Sionisme, Moïse se prit à guider à travers le désert toute une société nouvelle d’êtres insatisfaits de leur sort de travailleurs indifférenciés, c’est-à-dire uniquement définit par leur fonction. Les Egyptiens ne parlaient pas de leurs noms ! Un peu comme Patrick Mc Goohan dans le prisonnier  (série britannique culte de 1967) qui n’est pas le numéro 6 mais un homme libre et surtout, plus gravement, beaucoup plus gravement, les numéros tatoués dans les camps de la mort nazis.

Quittèrent l’Egypte pharaonique, des descendants de cette famille hébreue de la Genèse et aussi avec eux, le texte le précise, de nombreux Egyptiens. Une mosaïque de peuples. Errants dans le désert, se sentant poursuivis, démunis malgré les richesses emportées, ils racontent avoir été gratifiés pour se nourrir de la fameuse Manne[6]. C’est à dire qu’à chacun fut attribué le même produit alimentaire pour des êtres du même peuple enfin libres et égaux. Cette Manne avait un goût unique pour chacun, pour chacun un goût différent, similitude et identité. La Manne signifie qu’est-ceci[7]

C’est cet ensemble disparate qui fera une Nation en se dotant d’une Loi à laquelle ils donneront une force divine. Cette loi définit d’abord la Liberté puis le rôle de la généalogie et encadre l’ensemble avec l’Altérité. Elle définit des valeurs transmissibles et identitaires. Une incroyable innovation.

Au mont Horeb, le peuple vit la Voix et ce qu’il vit l’effraya[8] ; constituer sur ces bases une Nation, une identité nationale, n’était pas une mince affaire. La liberté est un choix effrayant. Malgré la peur, le peuple continue sa voie.

Il organise sa société sur cette Loi et la précise, des autorisations et des interdits ; une loi dans laquelle le problème du rapport identité/similitude est central ; ce rapport rend possible le tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Eternel[9]. Cette Nation se construit sur le mythe de la Libération et elle continue à le scander avec force tous les Pessah, l’an prochain à Jérusalem en homme libre ! Des chevaliers de l’identité non perdue.

Bien entendu, quand une idée religieuse apparait, se lèvent toujours des hommes de pouvoir qui veulent annihiler la liberté à leur profit, ils affirment connaitre la pensée de Dieu dont ils n’ont pas même le numéro de portable. Ils veulent imposer, en invoquant son nom, leur vision sociétale et jusque, probablement, des traditions récentes qui imposeraient le chapeau de fourrure au Moyen Orient. Ce n’est pas une idée originale, le christianisme a agi de la même manière et l’Islam continue de le faire.

Voilà pour l’identité et la similitude des êtres au sein d’un peuple. Qu’en est-il des Nations ?

Ce qui fonde une Nation ce sont : la langue commune, les pensées et les valeurs inhérentes acceptées, la loi qui organise la société, la terre dont l’amour est partagé, restent à examiner l’histoire et l’avenir.

Le peuple juif a construit son identité sur l’idée originale des notions d’altérité et de libération. Beaucoup d’autres peuples ont défini leur identité sur une image magnifiée d’eux-mêmes (le nazisme) ou sur une idée d’un dieu et d’une foi (le califat) ou sur une dogmatique qui fait disparaitre l’individu dans la société (le marxisme) ou encore une idée d’hégémonie (les impérialismes). A l’opposé de la notion de libération, sont les nations de l’Islam qui signifie soumission, soumission dans laquelle elles s’ignifient. Les sociétés post chrétiennes paraissent aujourd’hui à la dérive.

Ce qui se discute là, est le rapport démocratie/identité. S’engager dans la défense des Droits de l’homme, c’est s’engager en faveur de la démocratie, de la liberté et au droit de les défendre (Natan Sharansky, Définir l’identité). Ce rapport démocratie/identité est une problématique que la Nation juive connut il y a bien longtemps. Lorsque les envahisseurs Pelesht, venus de Crète, mirent en danger la communauté sous domination égyptienne, le peuple exigea du prophète Samuel une royauté à laquelle celui-ci s’opposait avec force. Paradoxe historique étonnant puisque c’est cette invasion philistine qui apporte la possibilité de l’émergence d’un royaume hébreu que ni les Hittites, ni les Egyptiens n’auraient sinon toléré. Si l’émergence d’une royauté éloigne la démocratie, il y avait néanmoins des garde-fous : le roi, même s’il est oint, n’est pas de droit divin, il est flanqué du grand Prêtre gardien du texte de la Loi et d’un Prophète maitre de l’interprétation de la Loi ; le roi est assujetti à la Loi. L’histoire a montré que d’un côté, l’identité nationale se renforce et que de l’autre la royauté ne durera pas.

Ce qui signifie que certes le passé participe de l’identité mais ce qui fait une Nation c’est surtout la volonté commune de faire de l’Histoire, de la continuer. Là, nous entrons au cœur des troubles qui agitent bien des pays qui détissent leur identité avec des soubresauts parfois inquiétants. Est-il nécessaire de renoncer à son passé voire à sa langue pour avancer dans l’histoire ? La tolérance qui tolère l'intolérable n'est plus de la tolérance, mais une complicité avec les ennemis de la tolérance qui profitent de celle-ci écrivait Sir Karl Popper (La Société ouverte et ses ennemis).

Il n’y a pas de fin de l’Histoire, du moins tant qu’il y aura des hommes. Les histoires peuvent infléchir leurs courses mais mieux vaut que les hommes sachent où ils veulent aller, qu’ils aient des objectifs ou alors ils s’abandonnent aux envahisseurs toujours prompts à les absorber.

C’est là que les dialogues et controverses sont fondamentaux et sains. Il est bon que les hommes débattent et échangent librement. C’est ce qu’on appelle la démocratie. Elle comporte un paradoxe : laisser la parole à ses opposants, même ceux qui veulent la détruire… sinon elle n’est plus la démocratie. Si le vote est une de ses expressions il n’est, à lui seul, absolument pas une preuve de démocratie ; puis-je rappeler que Bachar el-Assad fut élu à l’unanimité par la mort de son père ? Le peuple syrien vit-il en démocratie ? Abbas est à la quinzième année de son mandat de quatre ans, dirige-t-il une démocratie ? Et le Venezuela ? Etc.

La démocratie est une exception que les Etats s’ingénient à grignoter partout.

La démocratie, c’est les libertés au pluriel, de vivre, de s’exprimer, de publier, de voyager, de commercer, de défendre ses opinions jusque contre l’Etat. Tout ceci est définit dans les déclarations des droit de l’Homme dont les logos ne cessent d’être celui des Tables de la Loi. Ces textes qui tendent vers une idée du multiculturalisme qui est un mélange des cultures avec leurs apports divers et qui se mue, aujourd’hui, devant nos yeux effarés, en multi communautarisme, l’assassin direct de l’échange et de la démocratie.

La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire (Winston Churchill)

L’idée force de l’identité d’une Nation c’est la volonté, s’appuyant sur l’histoire commune de la continuer. C’est l’idée de futur commun qui forge l’identité nationale.

L’individu est, bien sûr, libre de s’identifier ou non à une Nation, il peut aussi tenter d’en infléchir l’histoire, c’est dire l’à-venir, mais est-il libre de la détruire ? C’est à la Nation elle-même, à l’assentiment de l’ensemble de ses membres, de le dire, mourir ou vivre.

       Amant libre de Sion, Vice-Président de Shibboleth Israël, Ancien Secrétaire Général de MSF, cofondateur de Médecins du Monde, ancien Vice-Président de l’Académie Européenne de Géopolitique.

[1] G 1,3.

[2] G 1,2.

[3] G 1,7.

[4] G XVII, 5 à 15. Des Hé sont donnés aux noms pendant qu’un retranchement, la Brit Milah, est commandé.

[5] G XI, 1 à 9.

[6] Exode XVI.

[7] Exode XVI, 15.

[8] Exode XX, 15. Le chapitre des 10 paroles qui fondent une société éthique.

[9] Lévitique XIX, 18.

Richard Moshé Rozinsky dit Richard Rossin