2 - Islam et franc-maçonnerie

La franc-maçonnerie appelée spéculative, c’est-à-dire philosophique fait référence aux corporations de bâtisseurs dont elle a hérité la tradition « initiatique ». Cette structure en fraternités est dite franc-maçonnerie opérative. Elle existe en occident depuis le douzième siècle.

En Islam, la Futûwa est une forme d'organisation des métiers artisanaux qui se développe, notamment dans les grandes villes du Proche-Orient. Elle apparaît comme une nécessité sociale dans la nouvelle société, née de la conquête arabe. Elle est sans doute issue de traditions pré-islamiques ; mais elle va se donner un patronage musulman pour s'insérer dans le nouveau système idéologique. La Futûwa, espèce de chevalerie du travail, est tout à la fois un système d'apprentissage du métier, d'entraide et d'initiation(1). Les confréries se sont répandues dans tout le monde arabo-musulman.

Ceci explique peut-être pourquoi la franc-maçonnerie s‘est implantée sans difficulté en terre d’Islam, d’abord avec les relations commerciales puis dans le sillage de l'expansion coloniale des puissances occidentales. Elle attira les milieux diplomatiques et la noblesse, les militaires et les négociants, et se développa à la suite du cosmopolitisme d'Abd-el-Kader et de la politique de libéralisation de Mehmet-Ali(2). La Franc-Maçonnerie est alors apparue comme un lieu de dialogue et de réconciliation entre l'Orient et l'Occident. Elle renouvela et diversifia son recrutement, tout en demeurant largement tributaire d'une allégeance aux juridictions maçonniques européennes. Les grandes obédiences anglaises, françaises et italiennes ont rivalisé, fortes de leurs conceptions antagonistes de la maçonnerie, pour s'y réserver une influence prépondérante.

Des membres de l’élite culturelle et religieuse musulmane ont fait partie de la franc-maçonnerie. Certains ont eu un rôle déterminant dans les mutations politiques que connurent l'Egypte en 1905, l'Iran en 1906, la Turquie en 1908 et la Syrie et le Liban dans les années 1920.

Mais en Islam, la religion toujours présente, domine la vie quotidienne, la culture et la politique. La franc-maçonnerie ne pouvait que provoquer la méfiance des autorités religieuses. Le rejet de la franc-maçonnerie s’explique avant tout, dit Jean-Philippe Schreiber(3), par le refus par l'Islam de ce qu'il considère comme la culture judéo-chrétienne de l'Occident et l'idéologie des Lumières qu'elle a suscitée.

La franc-maçonnerie ne s'est donc jamais réellement développée dans les pays d’Islam. Pire ! L'hostilité n’a fait que croître, alimentée, d'abord, par l'assimilation de la maçonnerie au judaïsme et au sionisme, puis par la montée en puissance du radicalisme islamique et ses condamnations religieuses.

La première fatwa antimaçonnique, recensée par Hervé Hasquin(4), date de 1911, d'autres vont se succéder.

La plus connue des fatwas suivantes est celle qui fut promulguée en 1978, à La Mecque, à l'occasion d'une réunion de l'Organisation de la Conférence Islamique présidée par le roi Fayçal d'Arabie. Elle démontre au mieux une ignorance de ce qu'est la Franc-Maçonnerie, plus vraisemblablement une manipulation digne des Protocoles des Sages de Sion.

Elle déclare dans son introduction(5) : « Les membres de l'Assemblée de jurisprudence ont effectué une étude approfondie sur cette dangereuse organisation, et ils ont examiné attentivement tout ce qui a été écrit de récent ou d'ancien sur cette organisation, ainsi que ce que ses membres et ses chefs ont publié comme documents, livres ou articles dans les magazines qui parlent en leur nom ». Elle conclut : « Celui qui adhère à cette organisation tout en connaissant sa réalité et ses objectifs, est considéré comme mécréant, et non pas comme musulman ».

Le collectif de « savants » qui a élaboré ce texte était conduit par des personnalités illustres de l’Islam tels qu'Abdullah ibn Humayd, qui dirigeait le Conseil de la Haute Magistrature du Royaume d' Arabie saoudite, Muhammad Alî Al-Harkan, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale et Abdul-Azîz ibn Abdillah Ben Baz, président de l'Administration des recherches islamiques et de l'Iftâ du Royaume d' Arabie saoudite.

Voici l'intégralité de cette fatwa édifiante.

« Le Collège de Jurisprudence dans sa première session qui s’est tenue à la ville sainte de La Mecque le 10 août 1398 de l'ère de l'Hégire, correspondant au 15 juillet 1978, a étudié le dossier de la Franc-Maçonnerie et de ceux qui y adhèrent et la position de la loi islamique sur la question, après avoir effectué une étude approfondie sur cette dangereuse organisation, et examiné attentivement tout ce qui a été écrit de récent ou d’ancien à son sujet, ainsi que ce que ses dirigeants ont publié comme documents, livres ou articles de magazines.

De la totalité de ces textes et écrits, il s’est dégagé les conclusions suivantes :

I. La Franc-Maçonnerie est une organisation secrète qui tantôt se cache et tantôt se dévoile suivant les circonstances de temps et de lieu. Cependant, les principes de bases sur lesquels elle s’est fondée sont un mystère sur tous les plans, que nul ne peut connaître même ses membres, sauf les plus initiés d’entre eux, qui sont assignés au plus haut rang dans cette organisation.

II. Elle a établi une relation entre ses membres dans tous les coins du monde, sur un principe qui sert de paravent pour tromper les ignorants. Ce principe est une prétendue fraternité entre tous les adhérents de cette organisation sans distinction de religion, croyance ou doctrine.

III. Elle attire des personnalités très importantes qui la rejoignent par intérêt personnel, et aussi grâce au fait que tout frère franc-maçon est à la disposition de son frère franc-maçon dans chaque coin du monde, l’aidant dans ses besoins, ses objectifs et ses problèmes, l’aidant à atteindre ses objectifs surtout s’il a des ambitions politiques. Il lui dévoue également son aide dans les situations critiques quelle que soit leur ampleur, que leur cause soit vraie ou fausse, qu’il ait tort ou qu’il ait raison. Ceci représente le plus grand atout par lequel cette organisation attire les gens de différentes catégories sociales vers elle en leur imposant des cotisations énormes.

IV. Une cérémonie est organisée avec protocole en l’honneur de chaque nouveau membre pour l’impressionner, et afin qu’il voue une obéissance totale à cette organisation, qu’il ne désobéisse pas aux ordres des supérieurs.

V. Les membres ordinaires sont laissés libres de leur culte, et l’organisation profite d’eux dans les domaines qui servent leurs intérêts, et ceux-là restent au bas de l’échelle. Pour ce qui est des athées parmi eux et ceux qui ont opté pour renier toute croyance, ils sont destinés aux plus hautes fonctions, mais ils seront soumis à des multiples expériences selon leurs capacités et leurs dispositions à se dévouer aux plans et aux principes de cette organisation.

VI. L’organisation a des objectifs politiques, et elle est impliquée de façon visible ou invisible dans la plupart des bouleversements politiques ou des coups d’État militaires.

VII. Cette organisation a des racines juives ; sa direction générale mondiale est contrôlée par les juifs et elle a des activités sionistes.

VIII. Son objectif réel et secret est d’être contre toutes les religions, et elle agit pour les détruire toutes d’une manière générale et pour détruire l’islam dans l’esprit des musulmans.

IX. Elle tient à choisir ses adhérents parmi les personnalités les mieux placées sur le plan financier, politique, social, scientifique ou autre, pour exploiter leurs situations à sa faveur. C’est pour cette raison que cette organisation tient beaucoup à ce que ses membres soient des présidents, des ministres ou des cadres importants dans les différents États.

X. Elle possède des ramifications dans le monde sous des noms différents pour détourner les regards et tromper les gens. Cela lui permet donc d’exercer ses activités si elle rencontre quelques oppositions à son vrai nom de Franc-Maçonnerie. Ces noms sous lesquels elle existe sont : le Lions Club et le Rotary Club ; sous leur couvert elle développe d’autres activités qui sont en totale contradiction avec les principes fondamentaux de l’islam.

Il apparaît clairement au Collège qu’il existe une relation entre la Franc-Maçonnerie et le sionisme mondial. En outre, cette organisation a réussi à contrôler les décisions d’un grand nombre de chefs d’État des pays arabes au sujet de l’affaire de la Palestine ; elle interfère donc dans la question palestinienne, dans l’intérêt des juifs et du sionisme international.

Sur la base de tout ce qui a été dit et sur d’autres faits concernant les activités de la Franc-Maçonnerie, son grand danger et ses objectifs vicieux, le Collège de Jurisprudence considère la Franc-Maçonnerie comme l’une des organisations les plus dangereuses et les plus destructrices de l’islam et des musulmans. D’autre part, celui qui adhère à cette organisation tout en connaissant sa réalité et ses objectifs, est considéré comme mécréant, et non pas comme musulman. »

L’argumentaire de cette charge antimaçonnique, antisémite et antisioniste fut repris dix ans plus tard dans sa charte constitutive, par le mouvement terroriste islamique Hamas, branche palestinienne des frères Musulmans.

La charte du Hamas est un texte de combat contre les infidèles, francs-maçons, juifs et chrétiens. La totalité de cette charte est à considérer mais plusieurs articles attirent plus particulièrement l’attention, notamment l’article 8 qui exprime sa philosophie et l'article 22 qui met en cause la Franc-Maçonnerie :

« Article 8 : Allah est son but, le prophète son modèle, le jihad sa route et la mort pour la cause d’Allah son plus haut souhait.

Article 22 : Depuis longtemps déjà, considérant les causes agissantes sur le cours des choses, les ennemis ont dressé des plans et les ont adoptés pour parvenir là où ils sont arrivés actuellement. Ils ont travaillé à rassembler des fortunes matérielles considérables et dont l'influence est grande qu'ils ont affectées à la réalisation de leur rêve. Grâce à l'argent, ils règnent sur les médias mondiaux, les agences d'informations, la presse, les maisons d'édition, les radios, etc. Grâce à l'argent, ils ont fait éclater des révolutions dans différentes régions du monde pour réaliser leurs intérêts et les faire fructifier. Ce sont eux qui étaient derrière la révolution française, la révolution communiste et la plupart des révolutions dont nous avons entendu et entendons parler de-ci de-là. Grâce à l'argent, ils ont créé des organisations secrètes qui étendent leur présence dans toutes les parties du monde pour détruire les sociétés et réaliser les intérêts du sionisme, comme la Franc-Maçonnerie, les clubs Rotary et Lyons, le B'nai B'rith, etc. Ce sont toutes des organisations qui se livrent à l'espionnage et au sabotage. Grâce à l'argent, ils sont parvenus à prendre le contrôle des états colonialistes et ce sont eux qui les ont poussés à coloniser de nombreuses régions pour en exploiter les richesses et y répandre leur corruption. »

Actuellement, la franc-maçonnerie a quasiment disparu de la terre d’Islam, souvent par la violence comme en Iran où l’ancien premier ministre du shah, Abbas Hoveyda, a été condamné et fusillé ; parmi les chefs d’inculpation figurait son appartenance à la Franc-Maçonnerie.

Il subsiste encore des loges en Turquie et au Maroc ou elles sont sous tutelle et au Liban ou les frères se sentent en insécurité(6).

La question demeure : comment concilier les pouvoirs religieux ou autoritaires qui dominent dans la région avec les idéaux maçonniques qui prônent la liberté, la justice sociale et l'égalité entre les citoyens ?

Notes :

1 - Gérard Galtier. Paru dans « Les Cahiers de lʼAilleurs », n° 5, septembre 2014, pp. 109-122. La « Futûwa » ou compagnonnage arabo-musulman.

2 - Mehmet Ali – officier ottoman s’empare du pouvoir en Égypte en s’appuyant sur les ulémas et la population du Caire qui ne veulent plus de la domination des Mameluks. Le 18 juin 1805 Le gouvernement ottoman désigne Mehmet Ali comme pacha d’Égypte. Il est considéré comme le réformateur de l’Egypte.

3 - D’après un texte publié sur le site de l'Observatoire des religions et de la laïcité lundi 22 avril 2013 par le professeur Jean-Philippe Schreiber, directeur de recherches au CIERL de l'Université libre de Bruxelles. 

4 - Hervé Hasquin, Les pays d'islam et la Franc-Maçonnerie, L'Académie en Poche, Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2013.

5 - www.touriadamoussi.com/article-presence-de-la-

franc-ma-onnerie-dans-le-monde-musulman-ceux-qui-y-adherent-et-la-position-de-la-loi-106979523.html

6 - Rapport du Conseil de l’Ordre du GODF, 2019.