13 - Palestine ottomane et mandataire

C’est un cas particulier dans la région. Trop pauvre pour qu’un comptoir des Échelles et une loge de Saint-Jean d’Ecosse s’y installent, la vocation de la maçonnerie y a été plutôt humaniste.

Aux 14ème et 15ème siècles, comme toute la région du Levant, la Palestine ottomane a été frappée par la peste noire. Les deux tiers de sa population furent décimés. Contrairement à l’Europe frappée du même mal, des réveils périodiques de la peste, de la malaria et autres pandémies empêchèrent tout repeuplement. De surcroît, dans l’ensemble du bassin méditerranéen, la réapparition, au 16ème siècle et jusqu’au 19ème d’un « petit âge glaciaire » accompagné d’inondations bouleversa l’agriculture et le mode de vie de la population survivante. Les marais(1) ont fait refluer les habitants des terres basses vers des villages en hauteur. Il restait selon les recensements, 250.000 âmes vers 1850, dans une région qui comprenait la Syrie du Sud, Israël, la Jordanie et les Territoires palestiniens. 3 habitants au km2. La région de Palestine ottomane quasi-désertique était devenue à la fin du 19ème siècle une terre d’immigration. « Terre sans peuple pour un peuple sans terre(2) » comme l’a qualifiée le pasteur Alexander Keith, en 1843 lors d’un voyage en Orient. 

En témoigne aussi Mehmet Akif Ersoy appelé le « Poète de l’islam » dans son célèbre poème Shark (Orient):

" On me dit : qu’as-tu vu, tu as beaucoup voyagé dans l’Orient ? 

J’ai vu : Ici et là 

Des villes en ruine, des monuments par terre, des peuples (umma) sans leader, 

Des ponts écroulés, des canaux défoncés, des routes sans voyageurs, 

Des dos courbés, des cous amaigris, des sangs sans vie (kaynamaz kanlar), 

Des têtes sans pensée, des coeurs durs, des âmes rouillées : 

Des insurrections, des esclavages, des dictatures, des abjections, 

Des hypocrisies, des obsessions dégoûtantes, des maladies ; 

Des foyers sans fumée couverts de toiles d’araignée, des forêts brûlées, 

Des champs sans culture, des maisons envahies par l’herbe, des moissons pourries ; 

Des imams sans fidèles, des visages sales, des têtes sans prosternation ; 

Des coreligionnaires impitoyables tuant leurs frères au nom de la ‘Guerre Sainte’ ; 

Des demeures inhabitées ; des villages vides ; des toits écroulés ; 

Des jours sans travail ; des soirées sans réflexion !... "

Au milieu du 19ème siècle, l’Empire ottoman est démantelé par la Russie, l’empire austro-hongrois, la France et l’Angleterre. C’est ce qu’on a appelé «la question d’Orient». 

Pendant tout ce processus, des millions de musulmans, venus des Balkans, de Bulgarie, du Caucase, de Grèce et de Moldavie, quittèrent leur pays pour venir se réfugier dans l’Empire ottoman(3). Les Algériens venus avec Abdelkader se retrouvaient au milieu des Bosniaques(4), des Tchétchènes et des Tcherkesses, des fellahs égyptiens qui avaient fui la conscription militaire en Égypte et des agriculteurs égyptiens implantés en 1834 après la révolte paysanne(5), des Juifs qui se réfugièrent après les pogroms de Pologne et de Russie et des chrétiens d’une secte évangélique appelés Templiers(6).

La première vague d’alyah en 1881(7) de juifs Russes fuyant les pogroms choisit la terre d'Israël comme destination. Malgré des conditions invivables, mais grâce à l'aide des francs-maçons juifs et philanthropes : Montefiore, Rothschild, Amzallak et Valero ils réussirent à créer des villages, les assainir et les rendre viables(8), L'Alliance Israélite Universelle, créée par des frères parmi lesquels Adolphe Crémieux, Charles Netter et le rabbin Astruc, les aida à obtenir une auto-suffisance alimentaire avec la fondation de l’école d’agriculture Mikve Israël. Ben Gourion a déclaré en 1967 : « La création de l'Etat a été rendue possible grâce à la fondation de Mikve Israël ; si ce centre n'avait pas été créé, je doute que l'Etat d'Israël ait pu voir le jour. Tout a commencé à ce moment et nous ne sommes venus que pour terminer l'ouvrage sur le plan politique et national ».

La société en Palestine était strictement cloisonnée. La règle absolue était la non-transgression, tribus et clans en composaient la structure(9). La cohabitation des communautés, repliées sur elles-mêmes, n’était pas toujours évidente, les incidents étaient fréquents. Ils opposaient la plupart du temps des arabes guerriers et armés qui rackettaient les paysans musulmans, chrétiens et juifs désarmés. Le massacre de la communauté chrétienne du Mont de l’Espoir, le 11 janvier 1858, en est un exemple. Cette communauté de Templiers a été attaquée par une bande d’Arabes, pillée, les femmes violées et parmi les hommes assassinés le grand père de John Steinbeck, prix Nobel de littérature qui s’inspira de ce drame pour son roman « A l’est d’Eden »(10). La multiplication de ces d’incidents a conduit la communauté juive à recruter une milice tcherkesse(11) pour se protéger, puis à créer une force d’auto-défense « Hachomer », En hébreu le gardien. L’insécurité régnait mais elle était due au banditisme, pas au racisme ni aux questions religieuses, ethniques et territoriales.

Paradoxalement, cette région si défavorisée va connaître un développement extraordinaire sur tous les plans, et en particulier sur le plan maçonnique.

En 1860, Robert Morris, Américain, Grand Maître d'une obédience du Kentucky prend au pied de la lettre le mythe maçonnique écrit par Anderson et Desaguliers(12) et vient chercher des traces des constructeurs du Temple de Salomon. Évidemment, il n'a rien trouvé, mais il a rencontré des maçons en déshérence, diplomates, fonctionnaires, hommes d’affaires et militaires. Il a alors décidé de fonder la maçonnerie en Terre Sainte. Il organisa la première réunion maçonnique du pays, en 1868. La première loge de Palestine fondée à Jérusalem en 1873, Royal Solomon Mother Lodge était née sous la juridiction de la Grande Loge du Canada.

La Grande Loge de Turquie et la Grande Loge Nationale d'Égypte se sont ensuite implantées puis en 1891 des ingénieurs français francs-maçons, qui après le Canal de Suez construisaient la ligne de chemin de fer de Jaffa à Jérusalem(13) ouvrirent à Jaffa Le Port du Temple de Salomon, relevant de l'obédience Misraïm, cette obédience fut mise en sommeil en 1904.

En 1906, Maurice Schönberg(14) obtint l'autorisation du Grand Orient d’ouvrir une loge. Cette loge constituée avec les anciens membres de Misraïm s'est appelée « Barkaï » l'aurore en hébreu(15). Le charismatique César Araktingi, chrétien libanais, vice-Consul de Grande Bretagne s'affilia en 1906. Il fut élu Vénérable Maître de la loge, il le resta 23 ans, il fit de sa loge une référence dans la région. Les questions religieuses et ethniques ne se posaient pas ; en 1915, sur 157 frères connus on estime qu'il y avait 70 musulmans, 52 chrétiens et 34 juifs.

Barkaï comprenait beaucoup de personnalités, maires, directeurs de banque, commandants de police, avocats, médecins, professeurs, ingénieurs, diplomates(16). Alexandre Howard (Iskander Awad), un franc maçon arabe, un des hommes d’affaires les plus importants du pays hébergeait la loge. Il avait fait vers 1900 graver sur sa maison une plaque en arabe et en hébreu : « La Paix soit sur Israël ». On peut encore la voir aujourd’hui rue Raziel à Jaffa.

                                                                               Le banquier Valero                 Carte maçonnique du F. Rubin

L’activité sociale y fut intense : établissement d'un lycée laïque, ouverture d'une clinique, création d'une société pour la construction du tramway électrique et l’éclairage de Jérusalem.

Du fait de la faible importance chrétienne, la Palestine a été relativement épargnée par les grands massacres turcs. Mais au printemps 1917, les autorités turques publièrent l’ordre de déportation des Juifs de Tel Aviv. Le gouverneur de Jaffa, subordonné de Djemal Pacha (gouverneur militaire turc) commença à appliquer aux Juifs la politique de nettoyage ethnique. Aaron Aaronsohn, fondateur de Nili(17), une organisation clandestine juive qui renseignait les Britanniques envoya le 28 avril 1917 un message urgent à Londres: « Tel-Aviv a été mis à sac. 10.000 Juifs de Palestine sont maintenant sans foyer ou nourriture. L’ensemble du Yishouv, La communauté juive de Palestine est menacé de destruction. Djemal [Pacha] a déclaré publiquement que la politique arménienne va maintenant être appliquée aux Juifs »(18).

Nili fut particulièrement efficace. Plusieurs de ses membres étaient francs-maçons(19). C’est grâce à leurs renseignements que le général Allenby a pu remporter la campagne de Palestine. Mais les agents du réseau furent pour la plupart pris et exécutés par les Turcs. L'un d'eux, Avshalom Feinberg s'enfuit dans le Sinaï, il fut tué par un bédouin. 50 ans plus tard, pendant la guerre des six jours, les Israéliens sont entrés dans le Sinaï. Un bédouin vint leur dire qu'il savait où était enterré un Juif. Il les mena à une oasis. Les soldats creusèrent au pied d'un palmier et trouvèrent le corps. La poignée de dattes qu’Avshalom avait gardées dans sa poche pour se nourrir avait germé, et donné naissance à cette oasis(20). 

En 1917, L'armée britannique lança une offensive contre les Turcs alliés de l'Allemagne. Ce fut la campagne de Palestine. Malgré de lourdes pertes, les troupes du général Allenby prirent Bersheva et Jérusalem puis toute la Palestine(21). Cette campagne sauva les Juifs de Palestine d’un sort identique à celui des Arméniens. L'armée anglaise comprenait un régiment néo-zélandais parmi lequel des francs-maçons. Ils organisèrent le 6 avril 1918, avec la coopération de l’imam, lui-même initié, la seule réunion maçonnique qui ait jamais eu lieu sur le Mont du Temple(22), dans une salle du Dôme du Rocher(23).

La déclaration Balfour favorable à la création d’un foyer national juif en Palestine fut publiée le 2 novembre 1917. Les Français défendirent ardemment le projet Balfour ; en témoignent les déclarations des francs-maçons du Grand Orient de France Alexandre Millerand, Président de la République, de René Viviani et de Léon Bourgeois à la Société des Nations. La Conférence de San Remo en 1920 eut entre autres objectifs celui d’établir en Palestine un foyer national pour le Peuple Juif. Le mandat fut confié par la SDN à la Grande Bretagne, tandis que la France obtenait mandat sur la Syrie et le Liban. Le mandat sur la Palestine s’étendait sur une superficie de 120.466 km2. Israël s'étend actuellement sur 20.770 km2.

Lawrence d’Arabie a vaincu les Turcs à la tête de l’armée des tribus bédouines. Pour convaincre ceux-ci d’intervenir dans le conflit, il leur a fait des promesses de terres et de royaumes au nom de l’Angleterre. Ces promesses ne furent pas tenues. Deux distingués diplomates, Sykes et Picot, l’un représentant la Grande-Bretagne, l’autre la France, ayant déjà négocié en secret le partage du Moyen-Orient entre ces deux pays. Un siècle après, ce découpage n’a toujours pas été digéré.

Les Anglais ont toujours été particulièrement doués pour créer des situations inextricables : Juifs et Arabes en Palestine, Musulmans et Hindous en Inde, Turcs et Grecs à Chypre, Protestants et Catholiques en Irlande, ouvriers et patrons en Angleterre…sans parler de l’Afrique ! Après avoir découpé le Levant, faisant fi des frontières naturelles et des populations, la perfide Albion, a écrit Antoine Sfeir(24), va essayer de susciter des troubles dans les pays tombés dans l’escarcelle française. La politique conjuguée de l’Angleterre et de la France ne laissera que guerres et destructions, comme à Chypre, en Palestine, en Irak, au Kurdistan, au Liban et en Syrie. 

L’Eglise y apporta sa contribution en Palestine. Elle escomptait assurer la domination sur les lieux saints. A ce sujet l’échange épistolaire entre Youssouf Ziya al-Khalidi, ancien maire de Jérusalem, et Théodore Herzl, par l’intermédiaire du grand rabbin de France, Zadok Kahn, est particulièrement intéressant : « Qui peut contester les droits des Juifs en Palestine ? Mon Dieu, historiquement, c’est vraiment votre terre », écrit al-Khalidi. Selon lui, en théorie, l’idée sioniste est « tout à fait naturelle, juste et bonne ». Mais, il fait part de son inquiétude : « Certes, les Turcs et les Arabes sont généralement bien disposés envers vos coreligionnaires. Cependant, il y a parmi eux aussi des fanatiques... En outre, il y a en Palestine des chrétiens fanatiques, qui, considérant la Palestine comme devant appartenir à eux seuls, sont très jaloux des progrès des Juifs dans le pays de leurs ancêtres et ne laissent passer aucune occasion pour exciter la haine des musulmans contre les Juifs ». Herzl répond directement à l’ancien maire de Jérusalem, en évoquant l’amitié traditionnelle des Juifs pour les musulmans et en affirmant que la colonisation juive ne pourra que bénéficier économiquement à l’ensemble du pays. (Benny Morris, Victimes, histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Paris, Complexe-CNRS, 2003, p. 51 et Henri Laurens, La Question de la Palestine, Paris, Fayard, 2002, tome I, p. 204).

Machiavélique, l’Angleterre mit de l’huile sur le feu pendant toute la durée du conflit. Elle prit alternativement le parti des uns et des autres. Comme aux Indes, sa politique de « diviser pour régner(25) » fut catastrophique pour les relations entre les communautés et les populations.

Un simple exemple :

Le Décret du Mur Ouest ou Mur des Lamentations(26), signé au Palais de Buckingham, le 19 mai 1931 par Sa Majesté le Roi (Georges VI), disait : « C'est aux musulmans seuls qu'est reconnue la propriété du mur ouest, c'est à eux seuls qu'appartient le fonds qui, avec l'enceinte du lieu saint, est un tout indivisible ; cette enceinte est un bien wakf… ». Cela montre clairement la volonté de l’Angleterre de transformer ce conflit en guerre de religion.

Hommes et femmes priant ensemble en 1908

La France qui voulait sa part et ne manquait pas une occasion de nuire à l’Angleterre a envenimé la situation, l’Italie, l’Allemagne et la Russie n’ont pas été de reste.

En Palestine, l'armée britannique assurait la gestion du territoire. Ses sentiments à l'égard du mouvement sioniste étaient très ambigus. Le Colonial Office qui craignait une alliance judéo-arabe, a fait capoter l’accord de coopération Fayçal-Weizmann(27), et a décidé de s’allier au clan Husseini(28). Celui-ci a fait assassiner le roi Abdallah de Jordanie qui considérait, comme Fayçal que : « c’était la Providence qui avait dispersé le peuple juif à travers le monde occidental, pour lui permettre d’assimiler la culture européenne et de la rapporter au Moyen-Orient afin de redonner vie à cette partie du monde »(29).

Petit retour sur les relations judéo_arabes, une entente n'a pas toujours été impossible :

L’année 1913 qui fut une étape importante dans le démantèlement de l’Empire ottoman fut également un tournant dans les relations judéo-arabes. On vit, chose inimaginable aujourd’hui, des Arabes de premier plan suggérer que Juifs et Arabes fassent cause commune contre les Ottomans, qu’ils aient un avenir commun.

— Début 1913 : Daoud Barakatle directeur du quotidien égyptien Al Ahram écrit : « Il est impératif qu’une entente voie le jour entre Arabes et sionistes, car cette guerre des mots ne peut qu’être néfaste. Les sionistes recherchent le bien du pays. Les capitaux qu’ils apportent, leurs connaissances et leur intelligence ainsi que la diligence qui les caractérise conduiront indubitablement à la régénération du pays ».

— Printemps 1913 : les dirigeants à Beyrouth du Parti de la décentralisation et du Progrès envoyèrent aux sionistes (sans doute Nahum Sololow) des représentants chargés de les informer du désir des Arabes de trouver un arrangement. Rafiq Bey a’Azm déclara : « Nous apprécions trop bien ce que la précieuse combinaison du capital juif, de la main-d’œuvre et de l’intelligence juive peut nous apporter pour le développement de nos provinces pour ne pas commettre l’erreur de les refuser ».

— Juin 1913. Le premier Congrès arabe se tient à Paris en présence d’une délégation sioniste. Le président du Congrès, le syrien Abd al-Hamid al Zahrawi, s’entretient en privé avec Samy Hochberg, leader de la délégation sioniste, de la nécessité de parvenir à un accord, y compris sur l’immigration juive en Palestine. Il déclare : « Les Juifs sont en fait des Syriens émigrés… Nous sommes tous, musulmans et chrétiens animés des meilleurs sentiments envers les Juifs. Nous sommes même sûrs que nos frères juifs sauront prêter leur concours tant pour faire triompher notre cause commune que pour le relèvement matériel de notre pays commun ».

— À la conférence de Versailles en février 1917, le délégué syrien Chekri Ganem : « La Palestine est incontestablement la partie méridionale de la Syrie. Les sionistes la revendiquent. Nous avons trop enduré de souffrances semblables aux leurs pour ne pas leur ouvrir largement les portes. Qu’ils s’établissent en Palestine, mais dans une Palestine autonome, liée à la Syrie par les seuls liens d’une fédération. S’ils y forment la majorité, ils seront les maîtres ».

— Le 3 janvier 1919, à la conférence de paix de Paris après la Première Guerre mondiale, un accord fut signé entre l’émir Fayçal ibn Hussein, futur roi de Syrie, d’Irak et du Hedjaz, et Haïm Weizmann, futur président de l’Organisation sioniste mondiale et de l’État d’Israël. Cet accord devait entamer une coopération judéo-arabe pour le développement d’un foyer national juif dans la région de Palestine et d’une nation arabe sur la plus grande partie du Moyen-Orient.

— Certains partis allèrent jusqu’à proposer une alliance islamo-juive, tels le Comité pour l’Union et le Progrès de Jérusalem et l’Entente Libérale.

— Ragheb Nashashibi, député et maire de Jérusalem, palestinien, nationaliste modéré refusait un état sioniste mais acceptait l’idée d’un « foyer juif » en Palestine.

Le journaliste et écrivain Paul Giniewski a parlé d’un « véritable philosémitisme arabe » à l’époque d’avant le mandat britannique.

On pourrait multiplier les exemples. Le journal Falastin, créé en 1911 par les cousins Issa et Youssef el-Issa pour lutter contre la colonisation britannique, avait, au moins au début, pour le sionisme, une position considérée comme « neutralité positive ».

Si ces intentions arabes s’étaient réalisées, la région Palestine serait aujourd’hui prospère, certainement une des premières puissances parmi les pays arabo-musulmans.

Que s’est-il donc passé ?

En 1920 Hajj Amine el Husseini a fait irruption sur la scène palestinienne

Le haut-commissaire, Sir Herbert Samuel libéra de prison Amine el Husseini qui avait servi en tant qu’officier turc pendant le génocide Arménien(30), contribué au coup d'état nazi(31) en Irak et organisé des violences contre les Juifs de Hébron, Jaffa et Jérusalem. Bien qu’il n’en n’ait pas eu les qualifications religieuses et qu’il ne soit arrivé qu’en deuxième position aux élections, Sir Samuel le nomma Grand Mufti de Jérusalem, autorité religieuse et politique suprême, à la place du consensuel député-maire de Jérusalem, Ragheb Nashashibi(32), franc-maçon de Barkaï, chef du clan rival, nationaliste palestinien modéré. Il est manifeste que nommer Al Husseini à ce poste représentait encore une stratégie britannique pour transformer en guerre de religion la lutte entre les Arabes et les Juifs(33) de Palestine.

Cette nomination fut une catastrophe. Elle a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui. 

Le muftî lança la rumeur qui accusait les Juifs de vouloir détruire les lieux saints musulmans (elle a toujours cours de nos jours). Il appela à la violence contre les juifs, les francs-maçons et les familles palestiniennes rivales. Il y eut des émeutes contre les Juifs et les Anglais, et des massacres notamment en 1921, 1929(34) et 1936, à Jérusalem, Jaffa, Hébron, Tibériade et dans tout le pays, les premiers bus sautèrent avec leurs passagers, des temples maçonniques furent incendiés, de nombreux francs-maçons juifs et arabes furent assassinés par le clan Husseini, parmi eux Ahmed Nahif, Mohamed Saïd al-Chanti, Mustapha Darwish et Haïm Zelikow, Walter Mouftah, Jacob Eliahu Mizrahi, Abraham Arwatz.

C’est à cette période que se forma une alliance contre les nazis en Palestine entre les juifs et les modérés arabes qui formèrent les « Unités Nashashibi » appelées aussi «bandes de paix ». Elles furent arrêtées et désarmées par les Anglais(35). Parmi les assassinats contre le clan Nashashibi(36) qui comprenait beaucoup de francs-maçons, Fakhri, chef des bandes de paix, fut tué par les Husseini(37). Les hommes de main des Husseini pendirent et mutilèrent les francs-maçons arabes, laissant exposés leurs cadavres avec un écriteau « Vendu aux Juifs ». Les loges se mirent en sommeil pendant ces périodes de troubles qui firent 5 800 tués, 15 500 blessés et 112 condamnés à mort exécutés par les Anglais.

La deuxième guerre mondiale éclata en Europe le 3 septembre 1939. En France, le Grand Orient fut dissous le 7 août 1940 par Arthur Groussier président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient.

Les Juifs combattirent massivement dans la célèbre Brigade Juive. Beaucoup d’Arabes s'engagèrent aux côtés des nazis, à l’image d’Amin al-Husseini qui créa une division de Waffen SS et déclara en arabe sur radio Berlin - le 1er Mars 1944 : «Tuez les Juifs partout où vous les trouverez. Cela plaira à Dieu, l'histoire et la religion ». Al Husseini rencontra Hitler, il fut nommé premier ministre du gouvernement panarabe basé à Berlin. Il visita Auschwitz qu’il admira et en projeta une réplique à Naplouse avec l'aide du führer, dans le but d'exterminer les Juifs du Proche Orient(38).

La défaite de Rommel à el Alamein mit un terme à ce projet. El Husseini fut poursuivi après la 2ème guerre mondiale comme criminel de guerre mais il se réfugia en France, accueilli par de Gaulle comme « réfugié politique d’honneur », avant de rejoindre l’Égypte où il put reprendre ses activités criminelles. Avec lui, l’Égypte de Nasser accueillit de nombreux nazis(39) qui prirent en main l’armée, les industries militaires, la propagande et préparèrent à nouveau le génocide(40).

En 1942, Barkaï est passée sous les auspices de la Grande Loge Nationale de Palestine-Eretz-Israë(41).

Notes : 

1 - Au début du XXe siècle, il y avait en Palestine 18.000 hectares de marécages où régnait la malaria. 

2 - Ce slogan serait apparu en 1843 dans un livre du pasteur écossais Alexander Keith : The Land of Israel According to the Covenant with Abraham, with Isaac, and with Jacob (Edinburgh : William Whyte and Co., 1843), p. 43.

3 - Slimane Zeghidour, rédacteur en chef à TV5 Monde et chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques.

4 - Des mercenaires bosniaques sont également venus en nombre renforcer l’armée ottomane.

5 - Razzak Abdelkader : Le conflit judéo-arabe. P. 34.

6 - Le nom de cette secte provient des Actes des Apôtres dans le Nouveau Testament, ceux qui suivent Jésus sont des « pierres vivantes » du temple de Dieu. Cela n’a pas de lien avec les Templiers du Moyen-âge.

7 - L’Alya, montée des Juifs en terre d’Israël. La première Alya eut lieu en 1881, quinze ans avant le projet sioniste d’Herzl.

8 - L’importation d’eucalyptus d’Australie qui assèchent les marais y est pour beaucoup, mais les pro-palestiniens français considèrent cette implantation d’arbres qui ne sont pas originaires de la région comme un crime colonialiste. 

9 - Rina Cohen-Muller, professeur à l'INALCO : La Palestine ottomane, une province sans intérêt ? - décembre 2002.

10 - Lior Friedman : The Mountain of Despair. Haaretz, 5 avril 2009.

11 - Les Tcherkesses ou Circassiens sont un peuple musulman du Caucase qui a été conquis par les Russes en 1864. Ils ont été déportés en masse, un million et demi se sont réfugiés dans l’Empire ottoman, des milliers d’entre eux en Palestine ottomane. Ils sont parfaitement intégrés en Israël et y font même le service militaire, souvent dans des unités d’élite.

12 - Anderson, pasteur presbytérien et Désaguliers, protestant français réfugié en Angleterre. Ils rédigèrent les mythes de la franc-maçonnerie, fondée en 1723 par des membres de la Royal Society (l’académie des sciences britannique) à la tête desquels Isaac Newton.

13 - André Combes – Le Grand Orient de France en Palestine. Chroniques d’Histoire maçonniques 2001.

14 - Maurice Schönberg était l’horloger qui a érigé la Tour de l’Horloge, célèbre monument de Jaffa. Il était hostile aux nouveaux immigrants. Ami de Issa el Issa, un des premiers nationalistes palestiniens, il lui a fourni des informations confidentielles sur le Yishouv, l’implantation juive.

15 - On traduit généralement le nom la loge Barkaï, (Shafaq en arabe) par l’Aurore en référence au journal de Clémenceau qui a publié le J’accuse de Zola. C’est en réalité l’aube, le moment où apparaissent les premières lueurs du jour, avant le lever du soleil.

16 - Voir http://frblogs.timesofisrael.com/galerie-de-portraits-de-francs-macons-en-palestine-1850-1950/ 

17 - Netzah Israël Lo Yeshaker (« L'éternité d'Israël ne mentira pas »), verset tiré du Livre de Samuel I (15/29). Nili est le nom d'un réseau d'espionnage Juif de Palestine créé en 1915 durant la Première Guerre mondiale, son but est l'espionnage des Turcs au service des Britanniques. Il y a un musée Nili à Zichron Yakov.

18 - Collectif VAN, Vigilance Arménienne contre le Négationnisme. Professeur Yaïr Auron. Juillet 2013.

19 - Dont Raphaël Abulafia, qui devint vénérable de la loge Hermon, de la loge Hiram puis fut élu Grand Maître de la Grande Loge de l’État d’Israël.

20-  Lorsque le 3 juillet 1976 un avion d’Air France fut détourné par les Palestiniens et les passagers juifs pris en otage à Entebbe, un raid fut monté par Israël pour les libérer. Tous revinrent sauf le colonel Yoni Netanyahou qui fut tué dans l’opération et une dame âgée, Dora Bloch, qui avait été emmenée à l’hôpital et assassinée. Dora Bloch était la petite fille d’Avshalom Feinberg.

21 - Pendant cette guerre les Turcs expulsèrent 80 000 arabes de Gaza.

22 - Le Mont du Temple est un site sacré pour la franc-maçonnerie également. Une résolution de l’Unesco votée le 11 octobre 2016 dit que le Mont du Temple s’appelle désormais « l’Esplanade des Mosquées ». Les francs-maçons néo-zélandais auraient-ils risqué leur vie pour une tenue sur l’Esplanade des Mosquées ?

23 - Un article d’Haaretz du 23 septembre 2016 raconte la découverte archéologique d’un restaurant dans le second Temple. L’article dit que ce restaurant est situé à côté d’une « salle des francs-maçons » (sic).

24 - Antoine Sfeir : L’Islam contre l’Islam. Grasset, 2013.

25 - Gordon Levett a démontré comment l’Angleterre a strictement appliqué ce principe - Le ciel t'aidera (1989).

26 - Louis Massignon : Documents sur certains Waqfs des lieux saints de l’Islam, principalement sur le Waqf Tamimi à Hébron et le Waqf tlemcénien Abû Madyan à Jérusalem (1951). REPORT of the Commission appointed by His Majesty's Government in the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, with the approval of the Council of the League of Nations, to determine the rights and claims of Moslems and Jews in connection with the Western or Wailing Wall at Jerusalem. December, 1930. Page 53.

27 - Cet accord signé en 1919 marque l’approbation de l’émir pour la déclaration Balfour et pose les jalons d’une coopération entre les Juifs et les Arabes au Proche-Orient, mais l’émir Fayçal y mit une condition : que la grande nation arabe soit formée. Or les territoires arabes du Levant ne seront jamais réunifiés. Britanniques et Français ont dépecé la région à la conférence de San Remo d’avril 1920 et au Traité de Sèvres d’août 1920. Ayant récupéré le mandat sur la Syrie et le Liban, les Français chassèrent l’émir Fayçal de Damas.

28 - La société palestinienne est une structure tribale. C’est une hiérarchie basée sur la famille, le clan et la tribu. Les tribus étaient souvent rivales, pouvant aller jusqu’à la guerre. Globalement, face aux juifs, les tribus ont eu des attitudes différentes, les Husseini par exemple étaient antisémites et partisans du panarabisme et de l’hitlérisme, les Nashashibi étaient modérés et recherchaient le compromis, les Abu Gosh ont privilégié leurs terres que voulaient s’approprier les Husseini. Ils ont aidé le jeune état israélien. (Hélène Jaffiol – Slate, 24 mai 2012).

29 - Golda Meir : Ma vie - Robert Laffont, 1975. Elle avait longuement négocié avec le roi Abdallah et noué avec lui une amitié. Abdallah considérait qu’Husseini était l’ennemi commun, l’avenir a prouvé qu’il avait raison. 

30 - http://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/. A son retour en Palestine, Amin Al-Husseini ramène avec lui la leçon du génocide et la vision de diriger un Empire Panislamique, où Juifs et Chrétiens ne seraient pas tolérés. « Le grand muftî venait d’une famille féodale dont les terres avaient été vendues aux Juifs. Chef incontesté du nationalisme palestinien anti-juif, l’Angleterre l’a transformé en chef suprême de l’antisémisme arabe » (Razzak Abdelkader P.103).

31 - Ce coup d’Etat fut appuyé par quatre généraux irakien surnommés « le Carré d’or », ils voulaient s’allier avec l’Allemagne nazie et rejoindre l’axe. L’Angleterre intervint, le coup d’Etat échoua. Amin el Husseini qui partageait leurs convictions nazies était parti soutenir le putsh. Il fut bloqué sur place, Hitler envoya son avion personnel pour l’exfiltrer.

32 - Ragheb Nashashibi était favorable à une fédération jordano-palestinienne qui incluait le foyer juif. Il avait été initié à Barkaï le 26 avril 1914. Maire de Jérusalem entre 1920 et 1934. Il est décédé en 1951. Une rue de Jérusalem porte son nom, étrange coïncidence, au n.15 de cette rue se trouve le consulat britannique.

33 - Cette stratégie avait déjà été employée par Lawrence durant la révolte Arabe, il avait choisi les Hachémites comme chefs, car ils étaient descendants du prophète (Les mémoires de Issa al-Issa – p.114).

34 - Albert Londres – Le juif errant est arrivé, 1930. 

35 - Le soutien britannique au muftî était réel : dès juin 1936, plus de 9 internés sur 10 du camp d’internement du Sinaï étaient membres du Parti de la défense, fondé en 1934 par le clan des Nashashibi, alors que les proches du clan Husseini étaient systématiquement relâchés.

36 - Il y en eut également contre les Abu Gosh qui s’opposaient à la domination des Husseini et avaient de bonnes relations avec les Juifs. Abu Gosh est aujourd’hui une ville palestinienne prospère près de Jérusalem en Israël.

37 - Fakri el Nashashibi était le leader du parti de l’opposition bourgeoise libérale et du dialogue avec les Juifs. Il devait être éliminé. 38 Source : http://www.jpost.com/Opinion/Op-Ed-Contributors/The-Grand-Muftis-Nazi-connection-347823 et Procès-verbal de la rencontre entre Adolf Hitler et le Grand Mufti Haj Amin al-Husseini – 1941.

39 - Parmi lesquels Wolhelm Voss, le dr. Ernst Springer, le général Otto Remer, Aloïs Brunner, Otto Skorzeny, etc…

40 - Selon le témoignage d’un diplomate français résidant à Beyrouth, « le Muftî avait ses entrées auprès des ambassades des pays occidentaux à Beyrouth (USA, Royaume-Uni, France, Pays-Bas, etc.). Son large train de vie n’était sûrement pas assuré uniquement par la fortune de sa famille ; il y avait l’argent de Nasser après son coup de force et les mauvaises langues disaient que les occidentaux l’entretenaient aussi…

En outre, il a été un excellent agent de recrutement des anciens militaires allemands pour l’armée égyptienne et surtout des ingénieurs d’armement qui avaient travaillé pour le régime nazi. Enfin, ce sale individu, même après 1945 et après que le monde ait connu la barbarie n’a jamais exprimé le moindre regret de son rapprochement avec le régime nazi et n’a jamais condamné ce qui a entaché l’histoire du 20ème siècle à jamais. »

41 - Eretz Israel signifie en hébreu : la terre d’Israël