6 - La franc-maçonnerie en Turquie

Turquie. Une révolution laïque pour « turquifier » le pays.

En 1738, le journal londonien Saint-James Evening Post écrivait des articles à propos de la présence de la franc-maçonnerie en Turquie « les loges de Smyrne et d'Alep ont pris une extension considérable et que plusieurs Turcs de haut rang ont été initiés ».

Une loge dont on ignore le nom aurait travaillé près des Tours de Galata à Istanbul sous le règne du sultan Osman III (1703-1730).Cette loge aurait été fondée, en 1721, par des « Levantins », européens venus chercher fortune. C'est sous le règne de ce sultan que juifs et chrétiens ont été contraints de porter des signes distinctifs ou des vêtements particuliers.

La première loge attestée fut située à Alep en 1748. Il s’agit de la İskenderun Lodge. dépendant de la Grand Loge d’Ecosse(1). La loge Aleppo aurait été établie peu de temps après par Alexander Drummond, consul d'Angleterre, vers 1751. Elle accueillait les membres de la communauté britannique. La franc-maçonnerie concernait essentiellement les diplomates et les militaires chrétiens, mais on ne dispose vraiment de documents sur les loges qui ont existé dans les principales villes de l’Empire Ottoman, Smyrne, Istanbul, Salonique qu’à partir de 1762. Ces loges dépendaient de la Grande Loge d’Angleterre et de la loge marseillaise Saint-Jean d’Écosse. Leurs membres comprenaient de nombreux négociants et diplomates, chrétiens en majorité protestants, grecs, arméniens et quelques juifs et musulmans qui étaient juste tolérés.

Le premier maçon turc connu fut Sait Çelebi Pacha, ambassadeur en Suède, puis en France où il fut probablement initié en 1741. Il devint plus tard Grand Vizir. Il y eut aussi le comte Claude Alexandre de Bonneval, officier français officier qui avait fui la France pour avoir intrigué sous le règne de Louis XIV. Il se réfugia en Turquie et réorganisa l’armée ottomane sous le nom de Humbaraci Ahmet Pacha. Également Müteferrika Ibrahim, astronome, géographe et philosophe qui participa à la création en 1729 de la première imprimerie utilisée par les sujets musulmans de l'Empire Ottoman. La Franc-Maçonnerie fut excommuniée en 1748 par le pape Clément XII. Influencé par les chrétiens, le sultan Mahmud 1er interdit, en 1758, la Franc-Maçonnerie dans l'Empire ottoman. Il fit condamner à mort un traducteur pour appartenance à la franc_maçonnerie.

De 1853 à 1856, la guerre de Crimée opposa la Russie expansionniste à l’Empire ottoman déclinant, lequel était allié à la France, l’Angleterre et le royaume de Sardaigne. Le conflit se termina par la défaite de la Russie à la bataille de Sébastopol. Le maintien de l’intégrité la Turquie fut confirmé par le Traité de Paris en 1856 et approuvé par 52 pays. La France et l’Angleterre devinrent populaires et influentes en Turquie. Les Turcs identifiaient la franc-maçonnerie aux pays qui les avaient soutenus et beaucoup d’hommes politiques importants adhérèrent.

En 1857, une éphémère Grande Loge de Turquie fut créée à Izmir par le Grand Orient de France. Les archives montrent le développement des loges à partir des années 1860. Le prince Murad, qui deviendra sultan en 1876 fut initié en 1872. Namik Kemal, poète, écrivain et journaliste, jeune turc acquis aux idées de la Révolution Française ouvrit sa loge, le Progrès, aux musulmans et traduit les rituels en langue turque. Les Grands Vizirs (premiers ministres) Mustapha Rachid Pacha, Midhat Pacha, Hussein Avni Pacha et Mehmet Ruşdi (Ruchdi) Pacha furent initiés de même que le dignitaire religieux cheikh al Islam Khaïr Ullah. Les élites juives et musulmanes désormais admises rejoignirent en nombre les loges, particulièrement à Salonique appelée « la Jérusalem des Balkans » où la population juive était majoritaire. La franc-maçonnerie favorisa à cette époque le dialogue entre chrétiens, juifs et musulmans.

L’Empire Ottoman, surnommé « l’homme malade de l’Europe » par le tsar Nicolas 1er avait perdu, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, un grand nombre de guerres et la plupart de ses colonies en Europe : Bulgarie, Roumanie, Balkans, Caucase de Russie, Albanie, Grèce, etc. Les populations musulmanes avaient majoritairement fui vers la Turquie qui était à l’époque un état multiethnique et multiconfessionnel regroupant des populations très diverses.

Ces transferts de population dans l’Empire ottoman ne furent pas sans conséquences sur les populations autochtones dont les réactions furent violentes.

- Contre les Juifs avec l’affaire de Damas. Un moine italien d’origine française avait disparu (on ne l’a jamais retrouvé). Le consul de France, le comte Ulysse de Ratti-Menton, a fait courir une rumeur de crime rituel totalement imaginaire contre les Juifs de Damas. L’affaire s’est répandue dans l’Empire ottoman et sur le pourtour de la Méditerranée. Il s’en est suivi de nombreux pogroms contre les communautés juives.

En France, Adolphe Crémieux a dénoncé les agissements du consul de France. Adolphe Thiers, Président du Conseil, a soutenu la position incendiaire du comte Ratti-Menton.

Les francs-maçons Moïse Montefiore et Adolphe Crémieux sont intervenus auprès du sultan pour faire cesser les violences contre les juifs.

Le professeur Frenkel de l’Université Hébraïque de Jérusalem a démontré l’impact profond de cette affaire dans les relations entre les Juifs, les Turcs et les Européens(2).

- Contre les chrétiens maronites. Dans l’Empire ottoman, en 1860, les Sunnites en Syrie et les Druzes au Liban ont massacré par milliers les chrétiens maronites sous le regard passif, sinon bienveillant, des Turcs.

L’émotion fut grande parmi les catholiques français. Ils pressèrent le gouvernement d’agir. Napoléon III intervint par l'envoi d'un corps expéditionnaire. Ce fut sans doute la première manifestation du droit d'ingérence.

Les évaluations de ces massacres vont de dix mille à vingt-deux mille victimes. L'émir Abdel Kader, exilé à Damas, a sauvé la vie de nombreux chrétiens ; il les a accueillis dans son palais et fait protéger par sa troupe de soldats algériens.

Depuis la guerre de Crimée, le prestige de la France était important dans la franc-maçonnerie turque et celle-ci était vue favorablement par les autorités ottomanes. Mais l’intervention française en faveur des chrétiens lui fit perdre son influence.

- Contre les Arméniens. En prélude au génocide de 1919 eurent lieu à partir de 1894, les massacres hamidiens. Abdülhamid II, surnommé le « Sultan rouge » ou le « Grand Saigneur » fut à l’origine de ces massacres qui firent plus de deux cent mille victimes arméniennes et touchèrent également les chrétiens syriaques orthodoxes comme dans la ville de Diyarbakır ou on dénombra vingt-cinq mille victimes. Les massacres exécutés par les troupes turques et kurdes étaient censés renforcer le nationalisme. Abdulhamid voulait imposer le panislamisme et réaliser l’unité politique et religieuse de l’Empire en imposant l’Islam et la langue turque. En avril 1909, Jean Jaurès a déclaré : « L’humanité ne pourra vivre éternellement avec dans sa cave le cadavre d’un peuple assassiné. ».

Les Jeunes-turcs

A partir de 1908, les Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman investirent massivement les loges. La franc-maçonnerie est devenue le Cheval de Troie de leur parti, le Comité Union et Progrès, construit sur le modèle du mouvement révolutionnaire des Carbonari italiens. 1908 fut l’année de création du Grand Orient de Turquie. L’année 1909 est admise comme étant celle du commencement d’une Franc-Maçonnerie indépendante et souveraine en Turquie. Ceux qui allaient devenir les plus hautes personnalités de l’état y furent initiés. Leur révolution fut préparée, grâce aux privilèges des « capitulations », à partir des loges italiennes et françaises de Salonique(3). Le franc-maçon Refik Bey, premier ministre de Turquie de janvier 1939 à juillet 1942 a déclaré : « Nous nous y réunissions (dans les loges) comme maçons parce qu'en effet un grand nombre d'entre nous sont francs-maçons ; mais, en réalité, nous nous y réunissions pour nous organiser. En outre, nous choisîmes une grande partie de nos camarades dans ces Loges, qui servaient à notre Comité comme filtre, en raison du soin avec lequel elles faisaient leurs enquêtes sur les individus(4) ».

Les sabattéens.

Salonique qui a retrouvé son ancien nom, Thessalonique, rattachée en 1912 à la Grèce, était la quatrième ville de l’Empire ottoman. Ce fut le centre du mouvement messianique juif de Sabbataï Zvi qui s'était autoproclamé Messie en 1648. Il s’était finalement converti à l'islam en 1666. Les descendants de ses disciples qui s’étaient convertis à sa suite sont appelés sabbatéens, en turc «Dönmeh», terme péjoratif qui signifie converti, travesti ou apostat. Bien qu’intégrés, les sabbatéens occupaient et occupent toujours une place à part dans la société turque. Très discrets - ils seraient aujourd'hui environ 60 000 en Turquie - les sabbatéens ont gardé la mémoire de leurs coutumes juives. Leurs pierres tombales portent souvent l'inscription : « J'ai caché, je n'ai pas dit mon souci, je l'ai fait dormir » évoquant leur ancienne religion pratiquée en secret.

A l'Etoile de Thessalonique (début 20ème)

Il faut rappeler le souvenir d’Emmanuel Carasso, juriste, membre d’une influente famille juive séfarade de Salonique.

Vénérable de la loge italienne de Salonique Macedonia Risorta,il fut un des pionniers du mouvement maçonnique dans l’Empire Ottoman et membre du Comité Union et Progrès dont les sympathisants se rencontraient dans les loges. Carasso en était l’un des rares responsables non musulmans. Il devint député de Salonique mais refusa les postes ministériels qui lui furent proposés.

Carasso faisait partie du comité qui négocia le traité qui mit fin à la guerre italo-turque en 1912. Il organisa la conférence des organisations juives de Turquie.

Il est enterré au cimetière juif d’Istambul. Emmanuel Carasso était l’oncle d’Isaac Carasso, fondateur du groupe Danone.

Salonique, ville de naissance de Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque, a une longue tradition révolutionnaire. Les sabbatéens et leur ville ont fortement contribué à l'essor de la franc-maçonnerie en Turquie. Ils ont souvent participé activement au mouvement « Jeunes-Turcs ». Quatre loges de Salonique ont eu une influence particulière sur la révolution, Macedonia Risorta, Labor et Lux du Grand Orient d'Italie, Veritas du Grand Orient de France et Perseverensia du Grand Orient Espagnol.

Parmi les loges qui apportèrent leur soutien à Mustafa Kemal(5), père de la Turquie laïque et moderne, il y avait l'Etoile du Bosphore, qui intervint également en faveur des Juifs de Perse(6).

Considérés comme crypto-juifs, les Dönmeh continuent d’être accusés par les médias et les gouvernements islamiques d'agir, dans l'ombre, en faveur d'Israël dans le monde arabe.

Les 3 pachas, les génocides. 

En 1908, l’insurrection militaire porte au pouvoir les jeunes turcs du Comité Union et Progrès, L’assassinat du Grand Vizir Mahmout Chevret Pacha le 21 juillet 1913 servit de prétexte au triumvirat, Talaat Pacha (grand vizir et ministre de l'Intérieur), Enver Pacha (ministre de la guerre) et Djemal Pacha (ministre de la Marine), pour instaurer d’une part une véritable dictature militaire avec la signature le 2 août 1914, d'un accord secret confiant le haut commandement de l’armée turque au « grand frère » allemand(7). Ce triumvirat dirigea l'Empire ottoman jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918. La période de 1908 à 1918 en Turquie a été qualifiée par l'historien Thierry Zarcone d'état maçonnique. Néanmoins cette période fut celle du génocide des chrétiens de Turquie. Il s’agissait réduire le poids démographique des minorités et de « turquifier le pays ».

L’Empire ottoman à son apogée 

Une violente campagne de turquisation se chargea d’éliminer les populations non islamisées considérées comme des citoyens de seconde zone (dhimmis) et de les remplacer par les immigrations musulmanes venues des pays perdus par l’Empire. 

1° Génocide Assyrien. Un million d’Assyriens, chrétiens qui vivaient dans ce qui est aujourd’hui le sud-est de la Turquie et en Mésopotamie. Les trois quarts ont été massacrés entre 1914 et 1920 par l’armée turque. 750.000 victimes aujourd’hui quasiment oubliées du monde entier. 

2° Génocide arménien. D’avril 1915 à juillet 1923, la population arménienne de l’Empire ottoman à été victime de massacres et déportations par des « marches de la mort ». Au moins un million et demi d’Arméniens furent exterminés dans d’atroces conditions. 

3° Génocide Grec Pontique. La région du Pont est située au Nord-Est de la Turquie. La ville la plus importante est Trébizonde. Pendant et après la première mondiale, environ cinq cent mille grecs orthodoxes y furent exterminés par les Turcs.

4° Juifs. Du fait de la faible importance de la population, la Palestine ottomane a été relativement épargnée par les grands massacres turcs. Mais au printemps 1917, les autorités turques publièrent l’ordre de déportation des Juifs de Tel Aviv. Le gouverneur turc de Jaffa commença à appliquer aux Juifs la politique de nettoyage ethnique. Aaron Aaronsohn, fondateur de Nili, une organisation clandestine juive, envoya le 28 avril 1917 un message urgent à Londres: « Tel-Aviv a été mis à sac. 10.000 Juifs de Palestine sont maintenant sans foyer ou nourriture. L’ensemble du Yishouv est menacé de destruction. Djemal Pacha a déclaré publiquement que la politique arménienne va maintenant être appliquée aux Juifs ». La Campagne de Palestine lancée par les Anglais contre les Turcs a sauvé les Juifs de Palestine d’un sort identique aux Arméniens.

Le complotisme antisémite, en Turquie, se consolida ultérieurement en plusieurs étapes avec l’aide du Royaume-Uni qui a alimenté la thèse du complot juif durant la Première Guerre mondiale. De 1915 à 1917 ses services de renseignement ont imprimé et diffusé depuis le Caire des tracts qui comparaient les Jeunes Turcs au sionisme afin de les déstabiliser. Le nationalisme turc pro-nazi entretint ensuite cette thèse en se fondant sur les Protocoles des Sages de Sion. Cette thèse continue d’être soutenue par la droite islamiste autour du président Erdogan(8).

Les victimes de cette « turquisation » furent évidemment spoliées, leurs biens saisis. Comble du cynisme, le ministre demanda même à l’ambassadeur américain, Henry Morgenthau de lui faire parvenir les assurances-vie des Arméniens pour que l’État ottoman les encaisse au motif qu’ils étaient morts sans laisser d’héritiers. Ces génocides firent plus de trois millions de morts(9) dans d’atroces conditions. Talaat Pacha, un des trois pachas qui ont gouverné la Turquie était franc-maçon. Il fut un des leaders du mouvement Jeunes-Turcs. Il a déclaré : « On m'accuse d'être maçon. Oui, je suis maçon. J'ai accepté la franc-maçonnerie pour le bonheur de l'humanité, tout comme j'ai embrassé le bektachisme(10) en tant que voie de choix nationaliste… ».

Grand Maitre du Rite écossais ancien et accepté, il fut en tant que ministre de l’Intérieur le principal organisateur du génocide arménien. On lui attribue l'ordre de « tuer tous les hommes, femmes et enfants arméniens sans exception ». Les Arméniens l'appellent le Hitler turc. Il fut aussi un des responsables de l’entrée en guerre de la Turquie lors du premier conflit mondial. 

Condamné à mort par une cour martiale turque, il s’enfuit en Allemagne. Il fut tué en public à Berlin, d'un coup de revolver, le 15 mars 1921, par un Arménien, Soghomon Tehlirian. Lors de son procès, ce dernier fut acquitté, la cour reconnaissant la responsabilité de Talaat Pacha dans l'extermination des Arméniens. Encore aujourd'hui, Taalat Pacha est honoré en Turquie. Un mausolée lui est dédié à Istanbul ainsi qu'un important quartier, de nombreux boulevards et avenues de Turquie portent son nom pour lui rendre hommage. Hannah Arendt compare l'acte de Tehlirian à celui de Samuel Schwartzbard qui assassina Simon Petlioura à Paris en 1925, pour venger son rôle dans les pogroms anti-juifs en Ukraine. Selon elle, Tehlirian et Schwartzbard ont chacun « insisté pour être jugés », afin de « montrer au monde et grâce à l'exposition judiciaire que des crimes commis restaient impunis (11)». 

Ataturk 

La défaite des Empires Centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie et Empire ottoman) puis le traité de Lausanne de 1923 ont porté à la tête de la nouvelle Turquie la révolution Kémaliste.

Le modèle de Mustapha Kemal Atatürk(12), était la France des Lumière. Il mit en place un état laïque anticlérical. L’école devint obligatoire sur le modèle républicain de Jules Ferry. Le califat fut abandonné, les femmes obtinrent l’égalité et le droit de vote. L’Islam ne fut plus considéré comme religion d’état. Mais le pouvoir restait autoritaire et s’appuyait sur l’armée. Malgré les échanges de populations avec la Grèce, il restait des minorités ethniques qui avaient toujours des revendications religieuses. Les révoltes des Kurdes, auxquels le Traité de Sèvres de 1920 avait promis l’autonomie, encouragées et armées par l’Angleterre, furent durement réprimées.

Ataturk

En 1935, à l’aube de la seconde guerre mondiale, la franc-maçonnerie fut interdite en Turquie. Cette mise en sommeil forcée durera 13 ans.

Elle fut autorisée à nouveau en 1948. Les années 1950-1960 furent l’âge d’or de la franc-maçonnerie turque. Depuis le retour en Turquie d’un régime autoritaire et islamique, l'anti-maçonnisme est redevenu virulent.

Nous avons peu de nouvelles loges turques et nous sommes inquiets. Les États autoritaires et religieux n’ont jamais fait bon ménage avec la franc-maçonnerie.

La franc-maçonnerie turque comptait en l’an 2000 environ trois cents loges dans huit villes et 20.000 membres.

Elle est composée par trois obédiences principales :

- La Grande Loge des Maçons Libres et Acceptés de Turquie, obédience régulière avec plus de 14.000 membres dans plus de 260 loges travaillant dans une douzaine d’Orients, en turc évidemment mais aussi en anglais, français, allemand et grec. Des loges affiliées en Israël, Roumanie, France, Allemagne, Azerbaïdjan, Etats-Unis, et à Chypre travaillent soit en turc, soit au « Rite Turc ».

- La Grande Loge Libérale de Turquie, qui a 3000 Frères travaillant dans une cinquantaine de Loges et dans huit Orients.

- La Grande Loge Féminine de Turquie, avec environ 1000 Soeurs, travaillent dans une douzaine de Loges et dans cinq Orients(13).

Le n°8 de la revue Killwinning de 2016 présente l’attachement toujours présent de la franc-maçonnerie turque à Atatürk et à la laïcité, en dépit des menaces obscurantistes du président national-islamiste Recep Tayyip Erdoğan.

Devant le Mausolée d’Atatürk à Ankara, le 07 Novembre 2015, les dignitaires des obédiences turques ont présenté la déclaration suivante en la mémoire du “Grand Leader, Mustafa Kemal Atatürk”

« Tu avais dit : “La paix dans la patrie, la paix dans le monde.” De nos jours, on s’est accoutumé à la mort… Aucune valeur ne peut être plus importante que la vie humaine et c’est notre sublime devoir de travailler pour que les valeurs de paix et de concorde règnent dans notre pays et dans le monde.

Tu avais dit : “Le plus fiable guide dans la vie est la science.” De nos jours, on s’est habitué à des paroles sans fondement... Il est de notre devoir sublime de travailler à la recherche de la vérité dans le processus d’évolution de la connaissance scientifique et de la diffusion des résultats du progrès humain.

Tu avais dit : “Mon caractère, c’est l’indépendance.” De nos jours, on s’est habitué à l’influence des forces globales… Le respect de soi et la dignité au niveau individuel, institutionnel et national nous est indispensable. Il est de notre devoir sublime de travailler à la promotion de la liberté.

Tu avais dit : “Mon corps se transformera en poussière mais les valeurs de la République turque resteront toujours présentes.” Il est de notre devoir sublime de travailler pour la République et pour ses valeurs fondatrices.

Au nom des trois puissances maçonniques de la Maçonnerie Progressiste de Turquie, et suivant le chemin de tes principes et de tes révolutions, sans faire de distinction de race, de langue, de religion ou de sexe, nous promettons de travailler avec force et vigueur pour la prospérité du peuple et pour le progrès de l’Humanité tout entière. »

07. 10. 2015

Signataires : Mehtap İnce, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de Turquie. Doğan Cantekin, Très Respectable Grand Maître de la Grande Loge Libérale de Turquie. Hüseyin Özgen, Très Puissant Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil pour la Turquie du Rite Écossais Ancien et Accepté.

Aujourd’hui, la Turquie refuse toujours de reconnaître la réalité des génocides dont elle s’est rendue coupable. La justice punit ceux qui contredisent la version officielle turque : le nouveau Code pénal, censé rapprocher la Turquie des standards européens en termes de droits de l’homme, a été dénoncé par plusieurs organisations internationales, notamment à cause de son article 305 qui punit de trois ans à dix ans de prison et d’une amende tous « actes contraires à l’intérêt fondamental de la nation » ; la peine peut être étendue à quinze ans de prison si cette opinion est exprimée dans la presse. Si officiellement le gouvernement turc nie toujours le génocide contre toute évidence et réalités historiques, des adeptes des théories du complot en accusent les sabbatéens, les juifs et les francs-maçons. Ce déni ne s’est jamais tu depuis l’exécution des massacres, y compris au Grand Orient de France. 

Témoins cette séance du convent du 20 septembre 1920. Le Frère Vanzelle prenant la défense des Turcs francophiles, déclara entre autres « Ne tombons pas, tant que cela sur les Turcs, oui, il y a eu des massacres dans l'Arménie, ce sont de malheureux Arméniens qui ont été tués, mais la cause où est-elle ? Elle n'est pas du tout dans les questions de religion ou de race, les Arméniens étaient les usuriers des Turcs. C'est ce qui est la cause du mal ». Les négationnistes turcs actuels ne s'exprimeraient pas autrement(14). 

Témoin également la thèse du général Evren accusant les Arméniens de génocide envers les Turcs dans un discours prononcé à Amasya le 12 juin 1982. Le général Kenan Evren était à la tête du putsch militaire de 1980 qui démit le président Suleïman Demirel démocrate et franc-maçon(15). Il prit le pouvoir, supprima les libertés publiques, fit arrêter des centaines de milliers de personnes, les exécutions et la torture furent généralisées. Evren fut condamné en 2012 pour crime contre l’État.

L'anti-maçonnisme reste toujours présent de nos jours en Turquie. De nombreux ouvrages sont encore édités avec succès qui fustigent l’Ordre maçonnique et les Juifs, comme « La Franc-Maçonnerie cancer de l’humanité », « La maçonnerie, religion de Satan », et bien sûr le « Protocole des sages de Sion »(16).

La terreur est également présente : le 10 mars 2004, une attaque à la bombe a visé une loge d’Istanbul faisant un mort et six blessés.

Ishak Alaton

Il est l’un des hommes d’affaires les plus en vue du pays, Il a décidé qu’il était temps de dire la vérité aux Turcs.

«Je suis un juif sépharade, mes ancêtres expulsés d’Espagne en 1492 ont fini par s’installer à Ankara en 1820. Mon père, juif de Turquie, était un grand admirateur d’Ataturk. Il n’était pas du tout religieux. Malgré le pogrom de Thrace (1932), il regardait l’avenir avec confiance, raconte Ishak Alaton. Pourtant de 1933 à 1939, Hitler est au faîte de sa gloire et le fascisme des nazis et de Mussolini est en train de devenir un modèle pour Ankara. L’hostilité à l’égard des juifs, la xénophobie et le nationalisme prospèrent.»

Ishak Alaton est franc-maçon. Son parrain et associé Üzeyir Garih a été assassiné, poignardé dans le cimetière musulman d’Ejup. Officiellement, les motifs de ce crime n’ont toujours pas été élucidés(17).

La Turquie en crise cherche des bouc-émissaires. Le mythe du complot judéo-maçonnique est florissant, Pour preuves l’assassinat du dentiste Yahia Yasef –«parce qu’il était juif» a dit son auteur– et en novembre 2003, le double attentat, perpétré contre deux synagogues, Neve Shalom et Beth Israël, qui ont fait plusieurs dizaines de morts.

Notes :

1 - Grand Lodge of free and accepted mason of turkey - http://www.mason.org.tr/en_history.htm 

2 - Jonathan Frankel - The Damascus Affair: "Ritual Murder," Politics, and the Jews in 1840. Ed. : Cambridge University Press, 1997.

3 - Quatre loges de Salonique ont eu une influence particulière sur la révolution, Macedonia Risorta, Labor et Lux du Grand Orient d'Italie, Veritas du Grand Orient de France et Perseverensia du Grand Orient Espagnol. 

4 - Refik Bey - interview au journal français « Le Temps » du 20 août 1908.

5 - Des rumeurs, mais ce ne sont que des rumeurs, prétendent que Mustafa Kemal aurait été initié à Salonique ou dans une loge militaire en Picardie, en France, alors qu’il participait à des manoeuvres militaires en 1909 en tant qu’officier de l’Armée Ottomane.

6 - Archives du Grand Orient de France, lettre à Mirzah Mohsen Khan.

7 - Armand Sammelian - Les Jeunes Turcs, Juillet 2015

8 - Le Moyen-Orient du secret, colloque du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient, le 26 octobre 2016. Intervention de Mme Stiegler.

9 - Si on ne se contente pas des chiffres officiels communiqués par la Turquie. 

10 - Ordre religieux proche du soufisme, le bektachisme peut être représenté comme une variante libérale et progressiste de l’Islam. Les Bektachis ont joué un rôle important dans l'expansion militaire, scientifique et culturelle de l'Empire Ottoman et dans l'islamisation de l'Anatolie et des Balkans. 

11 - Hannah Arendt. Eichmann à Jérusalem - Rapport sur la banalité du mal.

12 - Ataturk était-il Franc-maçon ? Des rumeurs disent qu’il a été initié en 1907 à la loge Vedeta de Salonique, d’autres que c’était en Picardie dans une loge militaire. Rien ne l’atteste, aucun document, aucun témoignage. Il apparaît que ces rumeurs viendraient des complotistes anti-kémalistes. Les mêmes affirment qu’il était Donmëh, ou pire, Juif.

13 - Celal Bayar- l’histoire de la franc-maçonnerie en Turquie

14 - Rapporté par Edouard Hatabian - Nouvelles d'Armènie Magazine (octobre 2003). On peut trouver le texte intégral du convent précité dans le n° 53 des Chroniques d'histoire maçonnique publiées en 2002 par Denis Lefebvre

15 - D’après Jean-Marc Aractingi, Grand Orient Arabe - La franc-maçonnerie en Turquie.

16 - Thierry Zarkone : La Franc-Maçonnerie dans l’Empire Ottoman. Cahiers de l’Orient n°69 - 01 2003, P.86.

17 - Ariane Bonzon, Ishak Alaton – Slate.fr