10 ans après Oslo

Dix ans après Oslo. La stratégie de la « guerre populaire » de l’OLP et la riposte inadéquate d’Israël, par Joel S. Fishman

Date de la première parution : 1-15 Septembre 2003

Jerusalem Center for Public Affairs

Traduction française : Jean-Pierre Bensimon, revue et complétée par Menahem R. Macina.

Texte original anglais : http://jcpa.org/article/ten-years-since-oslo-the-plos- peoples-war-strategy-and-israels-inadequate-response/

• Israël et l’OLP se sont affrontés selon des modèles stratégiques complètement différents.

• Depuis la fin des années soixante, l’OLP a adopté un modèle stratégique, celui de la «guerre du peuple» qu’elle a continué d’appliquer, dans son action, même après la signature des accords d’Oslo en 1993.

• Selon le modèle de « guerre du peuple » emprunté à la tradition marxiste léniniste chinoise et vietnamienne, le conflit est mené simultanément sur les champs politiques et militaires. Cependant, pour des guérillas en situation d’infériorité militaire, l’aspect politique est le plus important, et particulièrement la délégitimation de l’adversaire et la division de sa société.

• Avant 1993, Israël donnait généralement une réponse militaire et non politique à la menace terroriste de l’OLP. Après 1993, quand l’OLP ̈a « renoncé » au terrorisme, Israël a fait confiance au leadership palestinien et ignoré les indices montrant que l’OLP était encore engagée dans une stratégie de guerre (incitation à la violence, répugnance de l’OLP à remplir ses engagements , votes à l’ONU, livres scolaires). Les gouvernements israéliens déploraient a posteriori la persistance de ces manifestations bellicistes sans en identifier les causes.

• Les traditions de l’establishment israélien mettent indûment l’accent sur une approche étroitement militaire au détriment de l’approche politique, qui rend Israël particulièrement vulnérable à une stratégie globale fondée sur la mystification de l’adversaire. Les responsables politiques israéliens doivent revoir les hypothèses sur lesquelles ils ont fondé leur stratégie politique et militaire des dix dernières années.

Méconnaissance de la stratégie de l’ennemi

Ce qui est d’une importance capitale, c’est de s’en prendre à la stratégie de l’ennemi.

(L’Art de la guerre Sun Tse) 1

Le 13 septembre 1993, le premier ministre Yitzhak Rabin et le président Yasser Arafat se serrèrent la main sur la pelouse de la Maison Blanche. Shimon Peres pour le gouvernement d’Israël, et Mahmoud Abbas (Abou Mazen) pour l’OLP signèrent la Déclaration de Principes (DP) paraphée par le président Clinton, le secrétaire d’Etat Christopher et le ministre russe des Affaites étrangères, Kozyrev. La Déclaration de Principes devait lancer un processus de paix entre l’Etat d’Israël et l’OLP. Dix ans ont passé depuis cet évènement porteur d’espoir, et Israël compte 1080 morts : 256 de la signature de la DP à septembre 2000 et 824 de septembre 2000 au 1er juin 2003 2. En proportion, cela représenterait pour les EU des pertes d’environ 49 000 citoyens. Pour Israël, le coût humain de l’aventure d’Oslo a dépassé celui de la Guerre d’Usure sur le canal de Suez (1968-1970). L’état de guerre prolongé a porté des coups dévastateurs à l’économie d’Israël. Il a scellé pour toujours de nombreux destins individuels et aggravé les tensions sociales. Tout cela nous oblige à nous poser des questions fondamentales. Pour s’être engagé dans ce processus, Israël va-t-il mieux ou moins bien? A-t-il essuyé un échec politique ? Si nous n’avons pas la paix, qu’est-ce que nous avons à la place et où tout cela nous mène-t-il ?

Les déboires d’Israël proviennent de son incapacité à comprendre les buts stratégiques de l’ennemi, ses moyens et ses méthodes. Il est évident, rétrospectivement, que le leadership israélien a gravement sous-estimé la détermination et la conviction de l’adversaire. Plusieurs dirigeants palestiniens, s’exprimant ouvertement et en public, avaient déclaré qu’ils s’engageaient dans le processus de paix, de mauvaise grâce 3. Un exemple suffira. Le défunt Faysal Husseini, présenté naïvement par les média comme un « palestinien modéré », soutenait, dans une interview au journal égyptien pro nasserien Al Arabi, le 24 juin 2001, que les accords d’Oslo étaient un « cheval de Troie », conçu pour mystifier l’adversaire. Il disait tout à fait clairement que l’OLP avait passé ces accords pour prendre pied sur la terre d’Israël, d’où elle pourrait lancer une guerre de guérilla capable de détruire l’Etat juif et de le remplacer par une Palestine arabe. A cette occasion, Husseini reformulait de façon cohérente la stratégie des étapes que l’OLP avait adoptée en 1974. Ce programme, connu sous le nom de « Stratégie des Étapes »

1 Sun Tzu, Art of War, Samuel B. Griffith, tr. and ed. (New York: Oxford University Press, 1963), p. 77. 2 Entre le 29 septembre 2000 et le 1er juin 2003, le Magen David Adom [MDA] a traité 5 456 victimes au total: 688 morts, 478 blessés graves, 685 moyennement graves et 3 605 blessés légers, dont 11 membres du personnel de la MDA 3 Voir, p. ex., Le discours d’Arafat, du 10 mai 1994, dans une mosquée de Johannesburg. Yossi Melman, “Don't Confuse Us with the Facts,”, Haaretz, 16 août 2002. Voir aussi Yael Yehoshua, “Abu-Mazen: A Political Profile,” MEMRI Special Report 16 (30 avril 2003).

était basé sur l’implantation d’un État palestinien sur une fraction quelconque du territoire qui pourrait être disponible, si nécessaire, à l’issue d’une négociation 4.

« Vous m'invitez à parler de ce que nous appelons nos buts "stratégiques", oo nos objectifs "politiques", ou nos objectifs échelonnés dans le temps. [l’auteur insiste sur ce point]. Les buts "stratégiques" sont les objectifs les plus "élevés", les objectifs "à long terme", ou encore les "objectifs irrévocables", qui sont enracinés sur les solides principes et sur les droits historiques des peuples arabes. Les objectifs "politiques", eux, sont définis sur une échelle de temps, qui prend en considération [les contraintes] de la situation internationale, le rapport des forces, nos propres aptitudes et d’autres paramètres qui "varient" d’une période à l’autre. » « Quand nous demandons aux forces et aux groupes palestiniens de considérer les accords d’Oslo et les autres accords comme des engagements "provisoires", ou des objectifs d’étape, cela signifie que nous précipitons les israéliens dans un guet-apens, que nous les mystifions [l’auteur insiste sur ce point]. » « Notre but ultime est [toujours] la libération de toute la Palestine historique, du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée], même s’il faudra le payer par un conflit pendant mille ans ou sur de nombreuses générations 5. « Nous n’avons aucunement l’intention de devenir des "partenaires pour la paix" ou de bons "voisins" ».

Il est remarquable que cette proclamation ouverte d’une entreprise de duperie n’ait pas provoqué une sérieuse discussion en Israël, ni un changement radical de la stratégie du pays. D’un coté les responsables politiques israéliens, faute de prendre de telles déclarations au pied de la lettre, ont fait la politique de l’autruche. De l’autre, le mode de fonctionnement de l’A.P. [Autorité Palestinienne] a été présenté comme la raison des discours de ce genre. Or, l’A.P. n’est pas une organisation démocratique mais plutôt un état totalitaire en gestation 6. Hanna Arendt a écrit qu’une des marques de ce type de régime, est de ne pas hésiter à exprimer ouvertement ses véritables objectifs tout en fonctionnant, à maints égards, comme une société secrète 7.

En dépit d’évènements troublants, comme des bombes dans des autobus ou la poursuite de l’incitation à la haine des Juifs, on considérait majoritairement qu’en signant la Déclaration de Principes de 1993, l’OLP était entrée dans une ère nouvelle, marquée par l’abandon de la terreur et l’édification d’un État. Les dirigeants israéliens et américains ne pouvaient pas tirer les leçons des manifestations périodiques du terrorisme, car ils les considéraient comme des catastrophes naturelles, des ouragans ou des tremblements de terre, contre lesquels on ne peut rien faire. Nul ne peut reconnaître formellement la « dérangeante réalité » du terrorisme, sans remettre en question le « processus de paix » dans son ensemble.

4 Yossef Bodansky, “Arafat's ‘Peace Process’,” ACPR Policy Paper 18 (1977): 4. 5 Memri : https://www.memri.org/reports/faysal-al-husseini-his-last-interview-oslo-accords-were- trojan-horse-strategic-goal. 6 L’A.P. n’a pas organisé d’élections générales depuis 1996. L’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Rive Occidentale et la bande de Gaza, signé à Washington le 28 septembre 1995, prévoit, au Chapitre I, Article III, Paragraphe 4 : « Le Conseil et le Président de l’Exécutif du Conseil doivent être élus pour une période transitoire qui ne dépassera pas 5 années, à compter de l’accord Gaza-Jéricho du 4 mai 1994. » On doit noter qu’en janvier 1996, Arafat fut élu avec 87,3% des voix, ce qui est exactement le même score que celui du parti communiste polonais en janvier 1947. Après sa prise de pouvoir en 1959, Fidel Castro promit aussi des élections démocratiques dans les trois ans. 7 Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, 2nd ed. (New York: Meridian Books, 1959), p. 378.

Si l’on veut prendre en compte la réalité, on doit adopter des orientations incompatibles avec le statu quo. C’est parce que les certitudes inébranlables du « politiquement correct » sont la règle, qu’on n’osa pas soutenir en public l’hypothèse que ces actes de terrorisme et de violence, perpétrés contre la société et la population civile d’Israël, étaient au coeur de la stratégie palestinienne, qu’ils étaient la règle plutôt que l’exception.

A l’époque de ce qu’elle définissait comme la phase de « Libération Totale » (1969– 1974), l’OLP avait trouvé sa place au sein des mouvements de libération anti- colonialistes d’inspiration socialiste 8. Comme l’a montré Barry Dubin, l’OLP désirait lancer une « guerre populaire », sur le modèle des guérillas marxistes-léninistes de Chine, de Cuba, et du Vietnam. Lubin décrivit les objectifs de la guerre populaire et la façon dont l’OLP comprenait ses buts stratégiques à cette époque. Les citations suivantes sont remarquablement cohérentes avec les analyses de Faysal Husseini développées plus haut.

« La cible de l’OLP en Israël, n’était pas simplement la mise en place d’un gouvernement, mais le peuple lui-même. Ainsi, puisque l’OLP était en guerre contre une société – et non pas l’armée ou l’occupation qui a suivi 1967 -, tous les aspects et tous les membres de la société israélienne devenaient des cibles légitimes. Le but de l’OLP "n’est pas d’imposer notre volonté à l’ennemi" expliquait le magazine Filastin al-Thawra en 1968, "mais de le détruire pour prendre sa place [...] non pas soumettre l’ennemi, mais le détruire". » 9

Les leçons des mouvements de libération socialisants

L’OLP prenait exemple sur les autres mouvements de libération dans l’intention de trouver des alliés, de l’expertise et des armes, surtout dans le camp socialiste. Les expériences de la Chine, de Cuba et du Vietnam revêtirent une importance particulière. L’OLP s’inspira aussi de l’expérience révolutionnaire de l’Algérie dont elle reçut des conseils avisés quand elle lui présenta son projet 10. Avant la consultation des Algériens, le thème principal de la propagande palestinienne était « jeter les Juifs à la mer ». Les Algériens conseillèrent d’employer une autre terminologie et de mettre en avant des thèmes de propagande nouveaux. Bien que l’armée française ait gagné sa guerre contre l’Algérie, « la victoire algérienne sur la France fut, pour une bonne part le résultat de l’opinion publique, en France même et dans la plupart des pays de l’OTAN. L’opinion fut retournée contre la présence de la France en Algérie à l’issue d’une campagne de propagande terriblement habile menée par le FLN » 11. On a là un exemple d’utilisation efficace de la propagande, comme outil de guerre politique (qui ressemble beaucoup au modèle vietnamien présenté par la suite). Après la guerre des 6 jours, Mohamed Yazid, qui fut ministre de l’information dans deux gouvernements algériens à l’époque de la guerre (1958-

8 Hussam Mohammad, “PLO Strategy: From Total Liberation to Coexistence”; (http:/pij.org/site/vhome.htm?g=a&aid=4282). Voir aussi Gerard Chaliand, The Palestinian Resistance, trans. Michael Perl (Harmondsworth: Penguin, 1972). 9 Barry Rubin, Revolution until Victory? The Politics and History of the PLO (Cambridge, Mass.: H.U.P., 1994), p. 24. 10 Raphael Danziger, “Algeria and the Palestinian Organizations,” in The Palestinians and the Middle East Conflict, Gabriel Ben-Dor, ed., (Tel Aviv: Turtledove, 1979), p. 348. 11 Ibid.

1962), enseignait les règles suivantes aux architectes de la propagande palestinienne :

« Finissez-en avec l’argument selon lequel Israël est un petit État donc l’existence est menacée par les États arabes, et avec votre façon de réduire le problème palestinien à un simple problème de réfugiés ; présentez plutôt la lutte palestinienne comme une lutte de libération comme les autres.

Cessez de donner l’impression [...] que dans la lutte entre les Palestiniens et les Sionistes, les Sionistes sont les opprimés. A présent, ce sont les Arabes qui sont opprimés et victimes dans leur existence, parce qu’ils ne sont pas seulement confrontés aux Sionistes, mais aussi au monde impérialiste. » 12 Dans les années 70 et 80, l’état major de l’OLP tissa des liens étroits avec l’Union Soviétique et les pays du bloc de l’Est, comme la République Démocratique d’Allemagne et la Roumanie 13. Les relations entre l’OLP et l’Union Soviétique furent de nature un peu différente, du fait de la volonté de Moscou de pénétrer dans la région et d’y accroître son influence 14. Bien que les relations entre l’OLP et l’URSS aient été établies dans les années 60, il fallut attendre 1974 pour que l’OLP ouvre une représentation à Moscou. En contrepartie de son aide, l’OLP s’aligna sur Moscou, en allant jusqu’à approuver publiquement, bien plus tard, l’invasion de l’Afghanistan en 1979 15. De nombreux palestiniens reçurent un entraînement militaire, apprirent l’espionnage et furent endoctrinés dans des pays communistes 16. Mahmoud Abbas (Abou Mazen) en est un exemple fameux. C’est l’Université du Monde Oriental de Moscou qui décerna son doctorat à l’actuel Premier Ministre de l’A.P., en 1982 17. Il n’est pas possible de décrire avec précision le type de formation que chaque individu a pu recevoir dans les pays socialistes, mais les militants concernés ont tiré de cette expérience collective un doctrine militaire commune, qu’ils continuent à partager.

En 1970, alors que les relations avec l’Union soviétique « étaient devenues distantes et empreintes de suspicion », la Chine et le Vietnam « tendirent le bras » en direction de l’OLP. Yasser Arafat et Abou Ayad furent invités à faire une visite discrète. Zou En Laï (Chou En Laï) les reçut et leur donna l’appui total de son pays 18. Au Vietnam, où ils restèrent deux semaines, leur hôte fut le général Vo Nguyen Giap (né en 1912), le grand maître de la guerre révolutionnaire de sa génération. On raconte que Abou

12 Ibid., pp. 364-365. Voir en particulier la sous-section, “Some Diplomatic and Propaganda Techniques, du chapitre de Richard Pipe, “Some Operational Principles of Soviet Foreign Policy,”, dans M. Confino and S. Shamir, The USSR and the Middle East (Jerusalem: Israel Universities Press, 1973), pp, 18-20. 13 Voir Baruch Hazan, “Involvement by Proxy: Eastern Europe and the PLO, 1971-1975,” ibid., pp. 321- 40. 14 Voir Ion Mihai Pacepa, “The Arafat I Know,” Wall Street Journal, January 10, 2002. 15 Neil C. Livingston and David Halevy, Inside the PLO (New York: Morrow, 1990), p. 141. 16 Yuval Arnon-Ohana, The PLO: Portrait of an Organization (Hebrew) (Tel Aviv, 1985), p. 107. « Muhammad A-Sha’ar, représentant de l’A.P.à Moscou, déclarait en février 1981, ‘plusieurs centaines d’officiers palestiniens du rang de commandants de division, sont diplômés des académies militaires soviétiques’ ». 17 Voir “Palestinian Leader: Number of Jewish Victims in the Holocaust Might be ‘Even Less Than a Million...’” MEMRI Inquiry and Analysis Series 95, May 30, 2002; (https://www.memri.org/reports/palestinian-leader-number-jewish-victims-holocaust-might-be- even-less-million-zionist). 18 Abu Iyad [Salah Khalaf] with Eric Rouleau, My Home, My Land, trans. Linda Butler Koseoglu (New York: Times Books, 1978), pp. 65-67.

Ayad demanda aux Vietnamiens pourquoi l’opinion publique occidentale tenait la lutte armée des palestiniens pour du terrorisme, alors que la lutte du Vietnam recueillait, elle, louanges et soutiens.

En guise de réponse, les Vietnamiens conseillèrent à l’OLP de se fixer des objectifs par étapes, de dissimuler leurs véritables buts selon la stratégie de mystification de l’adversaire, et de se donner une apparence de modération 19. Ils enseignèrent aussi aux Palestiniens les méthodes de manipulation des nouveaux média américains 20.20 Giap tança Arafat. « Combattez avec toutes les méthodes susceptibles d’aboutir à la victoire... Si c’est la guerre classique, faites-la. Si vous ne pouvez pas vaincre avec la guerre classique, ne l’engagez pas. La bonne méthode, c’est la méthode qui conduit à la victoire. Nous combattons par des moyens politiques et militaires, et avec un appui international. » 21 En quelques mots, le général Giap avait décrit l’essentiel de la guerre du peuple.

Ce ne fut pas la seule visite de Palestiniens de haut niveau au Nord Vietnam. En 1964, avant qu’il ne se transforme en OLP, le Fatah envoya Abou Jihad, qui devait prendre la tête des opérations militaires, en Chine et au Nord Vietnam, où il étudia les tactiques de la guerre de guérilla. Ce dernier a attesté que ces séjours avaient mis en cause ses certitudes en matière militaire acquises depuis des années, tant et si bien qu’il devint par la suite, l’apôtre de la « guerre populaire de libération ».22 On soulignera que le Fatah traduisit les écrits du général Giap en Arabe, mais aussi les œuvre de Mao et de Che Guevara 23. De même, le FPLP, qui adhèrera aussi à l’OLP, mettait déjà, dans les années 60, les écrits de Mao et de Giap dans les programmes de formation militaire des fedayin 24.

Selon le très influent stratège américain, Stefan Possony, une guerre populaire est un « choc de sociétés » qui inclut des dimensions politiques et militaires, avec des phases violentes et non violentes. Possony eut à l’époque une grande influence sur le président Ronald Reagan parce qu’il découvrit en quoi consistait la vulnérabilité stratégique de l’Union soviétique et comment on pouvait l’exploiter (voir Annexe).

19 Ibid., 69, and Yossef Bodansky, “Arafat's ‘Peace Process,’” p. 4. In June 1974, the PLO adopted the “Phases Program/PhasedPlan” in a series of resolutions at a meeting of the Palestine National Council held in Cairo. Bernard Lewis, “The Palestinians and the PLO; A Historical Approach,” Commentary 59 (January 1975):45, 48. 20 Abu-Iyad, p. 69, as quoted by Yossef Bodansky, p. 4. 21 Al-Dustur (Amman, Jordan), 14 avril 1970, cité par Cecil B. Currey, Victory at Any Cost; The Genius of Viet Nam's Gen. Vo Nguyen Giap (Washington: Brassey's, 1997), p. 277. Voir aussi Joseph Farah, “Vietnam All Over Again in Mideast?” WorldNetDaily, December 17, 2002;( http://worldnetdaily.com/news/article.asp?ARTICLE_ID=30025) . 22 Voir le début de Khalil al-Wazir dans Guy Bechor, ed., The PLO Lexicon (Tel Aviv: Ministry of Defense, 1991), p. 90. Voir aussi “Biography of Khalil al-Wazir (Abu Jihad),” Encyclopedia of the Palestinians, Philip Mattar, ed. (New York: Facts on File, 2000). 23 Y. Harkabi, “Al Fatah's Doctrine,” dans The Israel-Arab Reader: A Documentary History of the Middle East Conflict, Walter Laqueur and Barry Rubin, eds. (New York: Penguin Books, 1991), p. 395. 24 Chaliand, The Palestinian Resistance, p. 158.

Sa clairvoyance fut d’analyser « la "guerre populaire" comme un conflit politique, comportant des opérations militaires subordonnées au politique » 25.

Les moyens et les méthodes d’une guerre populaire sont probablement les plus adaptées dans un conflit asymétrique, où un mouvement insurrectionnel ne peut pas affronter directement un adversaire militairement supérieur. Il est d’une importance décisive que les responsables politiques israéliens en comprennent les principes et la doctrine opérationnelle, parce que c’est ce type de guerre que l’A.P. a engagée contre Israël. La signature des accords d’Oslo n’a pas mis un terme à la violence palestinienne passée mais ceux-ci ont plutôt démontré la continuité de ses objectifs, de ses modes de pensée et de sa tactique. Dans ce débat sur la guerre du peuple, il faudra accorder une attention toute particulière à l’évaluation, de part et d’autre, des forces et des faiblesses relatives 26.

Pour comprendre la nature de la guerre du peuple, il est indispensable d’en rappeler l’origine et l’évolution. La théorie de la guerre populaire constitue la base de la doctrine militaire soviétique à laquelle les stratèges asiatiques ont ajouté leurs propres apports. La victoire des communistes chinois sur les nationalistes et la naissance de la République Populaire de Chine résultent, en dernière analyse, d’une application réussie de cette doctrine. La génération suivante, celle du général Vo Nguyen Giap, qui a vaincu les Français et les Américains, y a introduit certains développements.

Harriet Fast Scott et William F. Scott ont étudié la théorie militaire soviétique (marxiste-léniniste) et sa terminologie originale 27. Ce corps de pensée fournit un cadre idéologique qui réunit en un tout les principaux objectifs politiques et leurs conditions militaires de réalisation. Dans la théorie soviétique, la catégorie conceptuelle la plus large, appelée « doctrine », est le fondement idéologique à partir duquel sont définies les politiques et leur mise en œuvre 28. Bien que ce système de pensée ait été appliqué dès le début des années 20, il est encore à la base de sa doctrine militaire, même après que l’Union soviétique soit devenue une superpuissance dotée d’un grand arsenal conventionnel et nucléaire. Même si le communisme soviétique n’est plus aujourd’hui une force à l’échelle mondiale, la filiation de sa doctrine militaire est bel et bien vivante. La doctrine militaire soviétique unifiée, qui bâtie sous l’influence de la pensée militaire allemande 29, se

25 Stefan T. Possony, People's War; The Art of Combining Partisan-Military, Psycho-Social, and Political Conquest Techniques (Taipei: World Anti-Communist League, 1970), p. 85 [Ci-après, P.W.]. 26 Voir Sun Tzu, Art of War, p. 84, “Offensive Strategy,” verset 31: « Je dis, par conséquent: ‘Connais ton ennemi et connais-toi toi-même et tu pourras engager cent batailles sans crainte’ ». 27 Harriet Fast Scott and William F. Scott, eds., The Soviet Art of War; Doctrine, Strategy and Tactics (Boulder, Colo.: Westview Press, 1982. Pour une histoire moderne et récente de l’Union soviétique, voir Mikhail Heller and Alexandr Nekrich, Utopia in Power; The History of the Soviet Union from 1917 to the Present, trad.. Phylis B. Carlos (New York: Summit Books, 1986). 28 Marshal A. A. Grechko a donné une définition de la doctrine militaire, « le système officiel de concepts d’un Etat donné et de ses forces armées sur la nature de la guerre, sur la façon de la conduire et sur la préparation à la guerre du pays et de l’armée » ; Scott, Soviet Art of War, p. 4. 29 Mikhail V. Frunze (1885-1925), qui devint chef d’état major de l’Armée Rouge en Mai 1924, a présenté la doctrine militaire unifiée dans une publication éditée pour la première fois en juin 1921. Scott rapporte qu’il a été très influencé par les écrits des généraux allemands Paul von Hindenburg

développe dans deux directions : politique et militaire, le politique ayant la priorité sur le militaire. Son principal objectif politique, on doit le répéter, était la victoire du communisme sur le capitalisme.

Quand, dans les années 20, l’Union soviétique exporta sa doctrine militaire, elle se proposait de mobiliser le soutien du prolétariat urbain. Cette approche n’était pas judicieuse pour la Chine où ce groupe social était peu nombreux. Le gouvernement nationaliste (KMT – Kuomintang), avait l’avantage d’une armée conventionnelle bien entraînée (avec des conseillers allemands). Il était en général capable de tenir les villes importantes. Après avoir essuyé des pertes sérieuses dans le Hounan, en août et septembre 1930, Mao Tse-Tung prit « l’unique décision réellement vitale dans l’histoire du parti communiste chinois ». Il s’affranchit de la ligne tracée par Moscou au profit d’une approche nouvelle 30. Étant incapable d’affronter ses adversaires par des moyens conventionnels, Mao Tse-tung résolut de mobiliser les paysans, transporta la guerre dans les campagnes et empêcha la destruction de ses forces en pratiquant la mobilité et la retraite tactique.

Mao était partisan de la guerre prolongée « parce qu’il n’y avait pas d’autres moyens dignes de confiance d’épuiser un adversaire plus puissant » 31. Ici, la dimension humaine devient capitale. Une bonne stratégie et une bonne tactique compenseraient une relative faiblesse, et les initiatives d’un général talentueux pourraient faire pencher la balance. A l’opposé, on a tendance à mesurer en Occident l’avantage militaire en termes de moyens matériels et de puissance de feu, lesquels ne sont pas toujours des indicateurs fiables de la puissance effective 32. Lin Piao (1907-1971), qui fut jusqu’à sa mort le successeur désigné de Mao, développa par la suite le concept de guerre du peuple en se faisant l’avocat de l’application de ses principes à l’échelle de la planète, à savoir l’encerclement des pays capitalistes par les campagnes du monde. Dans ce schéma, l’Amérique du nord et l’Europe de l’Ouest représentaient les villes du monde, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine, les campagnes du monde 33.

Les Vietnamiens, surtout à l’époque du général Giap, agissaient dans la tradition de la guerre de guérilla, mais en plus pragmatique. Giap ne souscrivait pas

et Erich Ludendorff, ibid., p. 28. Voir aussi, “Some Soviet Techniques of Negotiation,” dans Philip E. Mosely, The Kremlin in World Politics; Studies in Soviet Policy and Action (New York: Vintage, 1960), p. 40. Mosely écrivait en 1951: « Grâce à Lénine et à Staline, la pensée soviétique a pleinement intégré le principe de Clausewitz selon lequel la puissance de la nation et des alliances fortes déterminent l’efficacité de la politique nationale en temps de paix, et en temps de guerre, on ne doit jamais perdre de vue les but politiques pour lesquels les hostilités ont été engagées. » 30 Mao Tse-tung on Guerilla Warfare, trad. et éd., Samuel B. Griffith (New York: Praeger, 1961), p. 16-17, et Art of War, p. 47. Mao and Chu Teh, avec lesquels il créa l’Armée Rouge chinoise, prirent ensemble cette décision. 31 Stefan T. Possony, A Century of Conflict (Chicago: Regnery, 1953), p. 235. En ce qui concerne ce principe, Mao s’est inspiré de la pensée de Mikhail V. Frunze et Mikhail N. Tukhachevsky, Maréchal de l’Union Soviétique (1882-1945). 32 Scott, Soviet Art of War, p. ix. 33 “Lin Piao on ‘Strategy and Tactics of a People's War’” (1965), dans Martin Ebon, The Life and Writings of China's New Ruler; Lin Piao (New York: Stein and Day, 1970), pp. 228-29. On peut trouver ce passage dans le discours clé de Lin Piao sur la politique, « Longue vie à la guerre populaire » (1965) Sun Tzu a écrit : « Attaquer les villes est la pire des politiques. Il faut attaquer les villes si on n’a pas d’autre choix », Art of War, p. 78. Voir aussi les commentaires de Conor Cruise O'Brien's sur Lin Piao, On the Eve of the Millenium; The Future of Democracy Through an Age of Unreason (New York: Free Press, 1994), p. 138.

automatiquement à l’approche chinoise, ni à l’obligation idéologique de l’appliquer 34. Dans une interview portant sur l’histoire de la libération du Vietnam, il déclara que la guerre de guérilla n’était qu’un aspect de la guerre du peuple. Selon son interprétation personnelle, « une guerre populaire se définit par une stratégie qui n’est pas réduite à sa dimension militaire. On peut toujours trouver une expression synthétique de la stratégie. Notre stratégie était à la fois militaire, politique, économique et diplomatique, bien que la composante militaire soit la plus importante » 35.

Une des innovations de Giap touchait à la manipulation des nouveaux média occidentaux pour retourner, à son profit, la liberté et la vulnérabilité des sociétés ouvertes démocratiques. Il comprit que l’impact des évènements, vus à travers le prisme des média, pouvait être décisif. Par exemple, en 1954, les français perdirent seulement 4 % de leurs forces à Dien Bien Phu. Cependant, le choc de ce revers en France métropolitaine – sans rapport avec l’événement lui-même- anéantit le soutien du pays à l’effort de guerre français 36. Bien que l’offensive du Tet ait été une défaite du Vietcong et le taux de pertes américaines relativement faible, la manipulation des média eut un impact stratégique très comparable à celui de Dien Bien Phu 37. Plus tard, le général Giap utilisa de façon experte la télévision (avec l’aide enthousiaste de ses partisans américains) pour miner le soutien de l’opinion à la guerre de Vietnam. Il déclarait : « En 1968, j’ai compris que je ne pourrais pas vaincre les 500 000 hommes des troupes américaines qui étaient déployées au Vietnam ; je serais incapable de couler la 7ème Flotte et ses centaines d’avions, mais je parviendrais à introduire dans les foyers des Américains, des images qui leur donneraient l’envie de mettre un terme à cette guerre » 38.

Dans cet aperçu de la pensée militaire marxiste-léniniste, nous avons souligné la priorité du politique sur la doctrine militaire. Comme on l’a dit plus haut, le principal objectif du système qui produit ce type de guerre est d’assurer la victoire du capitalisme sur le communisme. Cependant, en 1988, l’Union Soviétique décida officiellement de modifier son image publique et de dissimuler ses principaux objectifs politiques. On ne devait plus parler de « lutte des classes ». A la place, une nouvelle formule élégante et trompeuse devrait s’imposer pour désigner la même chose : « la lutte pour la paix » 39.

La guerre populaire et sa doctrine opérationnelle

34 Currey, Giap, pp. 319-21. Pour l’arrière-plan historique, voir Ho Chi Minh, “The Party's Military Work among the Peasants; Revolutionary Guerilla Methods,”, dans Armed Insurrection, A. Neuberg [pseud.], éd. (New York: St. Martin's 1970), pp. 255-71. Ce livre a été d’abord publié en 1928 sous le titre de Der bewaffnete Aufstand. 35 “Interview with Vo Nyugen Giap, Viet Minh Commander,” (https://www.pbs.org/wgbh/peoplescentury/episodes/guerrillawars/giaptranscript.html). 36 Currey, Giap, p. 204. 37 « Quand il était à Hanoi, Abou Ayad reçut aussi une formation sur l’impact stratégique de l’offensive du Tet en 1968, une importante défaite militaire du Vietcong et du Nord Vietnam qui fut transformée en une victoire stratégique majeure par la manipulation habile des media et de l’opinion publique occidentale et en particulier américaine », Yossef Bodansky, “Arafat's 'Peace Process,” p. 4. 38 Raanan Gissin, “Low Intensity Conflict with High Resolution: Can We Win?”, Justice 31 (March 2002):15-16. 39 David Binder, “Soviet and Allies Shift on Doctrine”, New York Times, 25 mai 1988.

En 1970, Stefan Possony énonça de la façon suivante les caractéristiques de la guerre populaire 40 :

• La guerre populaire est une révolution de longue durée. Sa durée inévitable est exploitée par la guérilla pour anéantir l’adversaire, politiquement, moralement et économiquement 41. [...]. L’objectif pratique de la guerre de guérilla est de créer le chaos dans le pays-cible et de le rendre ingouvernable.

• Le concept clé d’une guerre populaire est l’édification d’un double pouvoir grâce à la guérilla. Un double pouvoir signifie qu’il existe deux instances de pouvoir, d’institutions, d’autorités et de gouvernement, fonctionnant côte à côte de façon concurrente.

• La transition du pouvoir du gouvernement 1 au gouvernement 2 est acquise par le transfert de la souveraineté sur la population, du gouvernement préexistant vers le pouvoir émergeant, ce qui lui confère instantanément sa légitimité. Cette transition est constitutive du processus révolutionnaire.

• La victoire signifie que le nouveau gouvernement a triomphé. La défaite signifie que l’un des deux pouvoirs (ou régime) disparaît [l’auteur souligne ce point]. Le transfert de souveraineté dépend, dans une bonne mesure, du succès des opérations violentes de la guérilla 42.

Les procédés tactiques courants de cette guerre comportent :

1. L’utilisation de la propagande pour priver l’ennemi de sa légitimité et de ses soutiens extérieurs [...] La propagande, surtout si elle s’accompagne de conquêtes, est la principale méthode par laquelle la légitimité est transférée à la nouvelle élite au pouvoir 43. Dans ce cadre, la propagande a un but particulier : « Comme la guerre fait rage durant des années, mais qu’elle surgit et disparaît de l’actualité périodiquement, l’opinion publique doit être conditionnée à croire que la victoire des rebelles est inéluctable. » 44 2. La destruction de l’économie de l’ennemi. 3. La promotion de l’antimilitarisme et l’encouragement des désertions et des mutineries dans l’armée 45. 4. L’utilisation du terrorisme de masse comme moyen psychologique pour affaiblir les forces morales de l’armée et renforcer la guérilla 46.

40 Stefan T. Possony, People's War. 41 Ibid., p. 86. 42 Ibid., pp. 87-88. « Dans ce sens, une guerre du peuple est moins une prise de pouvoir que la construction d’un pouvoir révolutionnaire et l’affaiblissement progressif, peut-être la destruction des forces contre-révolutionnaires, en particulier de sa puissance armée » (Ibid., p. 39). 43 Ibid., p. 44. Pour une information sur l’arrière-plan concernant l’objet de la propaganda, voir E. H. Carr, “Propaganda in International Politics,” Oxford Pamphlets on World Affairs 16 (Oxford: Clarendon, 1939); and Philip M. Taylor, “Propaganda from Thucydides to Thatcher,” (https://fr.scribd.com/document/57111621/Propaganda-From-Thucydides-to-Thatcher). 44 P.W., p. 44. 45 L'antimilitarisme inclut les violations de la discipline militaire, la désobéissance, la désertion et la mutinerie, ibid., p. 34. 46 Ibid., p. 21. Voir Richard Pipes, “Some Operational Principles of Soviet Foreign Policy,” pp. 13-15.

5. La collecte de renseignements et la privation de l’ennemi de ses sources d’information 47. Au-delà de ces procédés tactiques, un groupe révolutionnaire doit obéir à quelques principes de base : 1) ne pas être détruit ; 2) être en mesure de peser sur le rythme des affrontements et 3) sécuriser certains sanctuaires et garder son potentiel de mobilité. Le but principal d’une force rebelle, qu’elle utilise la violence ou non, est d’éviter l’annihilation, et pour cela, elle doit dissimuler son organisation, ses concentrations de forces et ses moyens de combat. Les rebelles ne recherchent pas des résultats immédiats ; ils cherchent à survivre et à croître sur le long terme – qu’on doit évaluer en décennies 48. Pour ce qui concerne le rythme du combat, « la guerre connaît des avancées et des reculs. La conduite stratégique des hostilités est plus efficace quand on alterne les phases, - escalade et désescalade, diversions nombreuses, changements de cible -, et quand on utilise à fond la dissimulation et la propagande. » 49

Le conflit actuel avec les Palestiniens présente les caractéristiques fondamentales d’une guerre populaire. C’est un aspect de la stratégie des étapes. Conçue sur le long terme, cette méthode se propose d’infliger une défaite à Israël en démoralisant ses citoyens, en réduisant sa capacité de combat, en attaquant ses arrières (la société civile), en détruisant son économie et en provoquant des affrontements intérieurs, le tout, finalement, pour désintégrer son moral et sa cohésion interne. Il faut donc analyser les divers effets de la guerre du peuple sur la société israélienne, et la capacité de celle-ci à résister à ce type d’insurrection.

L’utilisation de la guerre économique pour provoquer la faillite de l’adversaire

Si les difficultés attestant la détresse économique d’Israël sont étalées tous les jours dans l’actualité, on a trop peu conscience que ces difficultés ne proviennent qu’en partie de la crise économique mondiale ou des erreurs de politique économique, mais qu’elles sont plutôt l’effet d’une entreprise délibérée. Des rapports récents mettent en garde contre un effondrement du système de santé, tandis que le nombre de chômeurs augmente. Il y a dix ans, on pensait que le « processus de paix » produirait des interdépendances économiques qui ouvriraient la voie à un avenir de paix et de prospérité. La violence palestinienne, qui a débuté en septembre 2000, a eu de sérieuses conséquences économiques, avec des fermetures d’entreprises, un

47 Ibid., p. 22. 48 Stefan T. Possony, Waking up the Giant (New Rochelle: Arlington House, 1974), pp. 679-80. « Tous les principes directeurs des opérations militaires dérivent d’un principe de base: tout faire pour préserver ses forces et détruire celles de l’ennemi ». Selected Works of Mao Tse-tung, vol. 2 (Peking: Foreign Languages Press, 1967), p. 81. 49 P.W., p. 45.

quasi-effondrement du tourisme, et la ruine de projets d’investissement conjoints qui devaient fournir des moyens d’existence aux salariés palestiniens 50.

Terrorisme et mobilisation intérieure

Selon Possony, « le terrorisme vient en second dans les modes opératoires de la guérilla. Le terrorisme sélectif porte des coups aux muscles, aux nerfs et au cerveau de l’ennemi. Terroriser la population civile, dans sa masse, permet d’obtenir des collaborations, des appuis et de profiter d’un flux de nouvelles recrues. La terreur de masse est un procédé psychologique qui affaiblit les forces et le moral de l’ennemi, mais qui fortifie la guérilla. » 51

Lors de la mise en œuvre des accords d’Oslo dans les années 90, les Israéliens déploraient souvent les incitations à la violence des média palestiniens et la haine d’Israël qui suintait des manuels scolaires palestiniens. Dans l’optique de la « guerre populaire », l’incitation des média et des manuels scolaires à la violence sont des instruments pour mobiliser la société palestinienne dans une guerre de longue durée et la préparer aux sacrifices prévisibles. Les incitations palestiniennes à la violence et les manuels scolaires étaient donc la preuve que le leadership palestinien engageait un conflit sur la durée, qu’on n’avait pas affaire à une péripétie du processus de paix.

Dans les faits, le processus de paix ne mit pas fin au terrorisme. Selon le porte-parole de l’armée israélienne, entre septembre 2000 et la fin du mois de juin 2003, il y a eu 18 000 actions terroristes (y compris les actions qui ont échoué 52), soit en moyenne 18 opérations par jour. Si les cargaisons d’armes illégales capturées lors de l’arraisonnement du Santorini et du Karine A et d’autres envois d’armes étaient parvenus à leurs destinataires, les Palestiniens auraient été capables de neutraliser les tanks et certains type d’avions de combat, relayant ainsi la menace sous laquelle le Hezbollah a placé le nord d’Israël 53. Ce scénario du pire donne une idée concrète de la guerre qui a été épargnée aux Israéliens. Alors que les forces de guérilla sont capables de remporter des victoires décisives même avec des moyens de basse

50 Amos Harel, “Major General Yaakov Orr,” Haaretz, July 13, 2001. Voir J. S. Fishman, “The Broken Promise of the Democratic Peace: Israel and the Palestinian Authority,” Jerusalem Viewpoints 477, May 1, 2002. 51 P.W., p. 21. « La propagande est une partie intégrante de la ‘guerre psychologique’, mais la terreur l’est davantage encore. La terreur continue d’être utilisée par les régimes totalitaires, même quand leurs buts psychologiques sont atteints, ce qui fait son horreur car elle s’applique à une population totalement éteinte [...] La propagande, en d’autres termes, est un des instruments du totalitarisme, peut-être le plus important dans ses rapports avec le monde extérieur ; la terreur, au contraire, est l’essence profonde de cette forme de gouvernement. » Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, p. 344. 52 “Zochrim et Mitchell Techilah?” [Nous souvenons-nous de Mitchel d’abord?] Mekor Rishon, 27 juin 2003 (Hebrew). 53 Dans les années d’Oslo, la direction palestinienne était en infraction avec les clauses militaires des accords intérimaires, en tentant d’importer des armes comme le lance-roquettes SA-7, des missiles anti-aériens et en construisant des roquettes Kassam. Le cargo Karine A, rempli d’armes, contenait une tonne et demie d’explosif C4 de très grande puissance, des mortiers à longue portée (120 mm), et des roquettes Katyuska de 20 km de portée (122 mm). Dore Gold, “Defensible Borders for Israel,” Jerusalem Viewpoints 500 (15 juin-1er juillet 2003).

technologie, et elles en ont effectivement remporté 54, il faut voir que les capacités technologiques de l’A.P. se sont régulièrement améliorées.

Dans cette stratégie, la construction d’une armée conventionnelle est l’étape qui suit la guerre de guérilla. La guerre populaire a commencé en Chine et au Vietnam par des opérations de guérilla, mais ce sont des armées conventionnelles qui ont terminé le travail. La stratégie des étapes de l’OLP, en 1974, prévoyait qu’à l’étape finale, les États arabes se rassembleraient en une vaste coalition d’armées conventionnelles qui attaquerait Israël et lui infligerait une défaite. Il y eut une répétition de ce scénario quelques années plus tard. En 1982, avant la guerre du Liban, l’OLP organisa ses unités en formations régulières dans le sud du Liban. C’était le signe qu’elle était prête à passer de la guérilla à une organisation militaire conventionnelle 55. Les formations palestiniennes étaient intégrées à une coalition du Front de l’Est, avec la Jordanie, la Syrie et l’Irak. Des années 90 à aujourd’hui, les actualités télévisées montrent que l’A.P. a formé une armée, cette fois sous le prétexte de construire une force pour combattre le terrorisme. Les Palestiniens admettent qu’ils ont 39 000 policiers, soit bien plus que la limite de 30 000 qui avait été fixée, et il est probable que leur nombre réel soit bien plus élevé. Le commandant de la police palestinienne en Cisjordanie est Hadj Ismail, celui-là même qui dirigeait les troupes de l’OLP dans le sud du Liban au début des années 80. Les Américains et les Européens ont financé l’armement de l’A.P., la CIA a fourni l’entraînement, et, en définitive, le tout a été utilisé contre Israël et le sera encore demain, pour le compte de la guerre populaire palestinienne. (De ce point de vue, on doit avoir à l’esprit que les Américains ont eux-mêmes entraîné les combattants islamiques en Afghanistan).

Propagande

La délégitimation d’Israël a été le thème central de la propagande palestinienne dans les instances internationales, comme les Nations Unies. Cela a commencé avec le premier discours de Yasser Arafat à l’assemblée générale de l’ONU en 1974, au moment de la campagne pour l’adoption de la résolution scélérate, « Le sionisme est un racisme ». [Voir« Sionisme égale racisme: 21ème anniversaire d'une résolution scélérate de l'ONU » (https://www.academia.edu/29769697/Sionisme_égale_racisme_21ème_anniversai re_dune_résolution_scélérate_de_lONU]. Comme on l’a dit plus haut, le but du combat par la propagande est le transfert de la légitimité de l’Etat d’Israël à l’Etat palestinien, sous le nom de processus de « substitution ». Effectivement, dans ce premier discours à l’ONU, Arafat attaqua systématiquement la légitimité d’Israël décrit comme une « entité » raciste, fondée sur « les concepts impérialiste et colonialiste ». Il s’étendit ensuite de façon interminable sur la légitimité de l’OLP.

Tout cela rappelle un combat beaucoup plus ancien auquel le peuple juif a été confronté. Les pères de l’Eglise développèrent le concept de « substitution », le

54 « Jusqu’à la fin de sa vie, Giap rira d’une plaisanterie qu’Ho Chi Minh avait faite sur les résultats de la bataille. "A Dien Bien Phu, gloussait Ho, Giap n’a pas perdu un seul tank, ni un avion" », Currey, Giap, p. 204. 55 « Dans les quatre années qui conduisirent à la guerre de 1982 [au Liban], l’OLP renforça ses troupes du sud en nombre et en armement et les transforma en quelque chose de proche d’une armée régulière », Rashid Khalidi, Under Siege: PLO Decision-Making During the 1982 War (New York: Columbia University Press, 1986).

« Nouvel Israël » remplaçant « le Vieil Israël ». Selon leurs enseignements le peuple juif et sa religion étaient à présent obsolètes et son Alliance abrogée 56. L’ « Alliance de la Palestine », dont le but est de remplacer l’Etat juif, est une façon haineuse d’actualiser le principe de substitution. Paradoxalement, alors que les Eglises Protestante et Catholique ont désormais rejeté le principe de substitution et l’antisémitisme, les agitateurs palestiniens et leurs partisans se repaissent avidement de la culture de l’adversaire. La fabrication par les Palestiniens d’une version contrefaite de l’histoire, qu’il s’agisse de l’histoire ancienne ou plus récente, pour s’approprier la légitimité qui revient de droit au peuple juif, est une extension du concept de substitution 57.

Il était déjà évident en 1993, que l’OLP allait continuer sa guerre politique pour délégitimer Israël, sans tenir compte des accords passés entre les deux parties. Dans les trois mois qui suivirent la signature de la Déclaration de Principes, en 1993, l’OLP relançait son offensive contre Israël à l’Assemblée générale des Nations Unies, avec près de vingt résolutions anti israéliennes. Pour ceux qui poursuivaient une stratégie de guerre du peuple, les négociations n’étaient qu’une autre façon de poursuivre la guerre et non une chance d’aboutir à un rapprochement des deux peuples. Cette tendance se matérialisa à la conférence des Nations Unies contre le racisme à Durban (septembre 2001). Le principe de substitution joua un grand rôle dans la tentative des Palestiniens de délégitimer Israël en prenant sa place dans la référence à l’holocauste. Dans ce scénario, les Palestiniens souffriraient, sous la domination israélienne, d’une oppression de type nazi 58.

Antimilitarisme

Les mouvements pour la paix sont une expression légitime de l’opinion dans toutes les sociétés démocratiques. Le mouvement israélien pour la paix témoignait d’un intérêt béat pour l’OLP. Cependant, du coté palestinien, on voyait l’autre partie d’une façon bien différente. Tandis que les mouvements israéliens cherchaient à ouvrir un véritable dialogue pour explorer les voies d’un règlement du conflit, les leaders palestiniens admirent à de nombreuses reprises qu’ils attendaient de ces mouvements un renfort, pour répandre l’antimilitarisme et diviser la société de leurs adversaires israéliens. Mahmoud Abbas tenait le discours suivant aux Arabes israéliens, après le déclenchement de la violence palestinienne : « Si vous voulez nous aider, fournissez nous [l’A.P.] des ressources et [faites] des manifestations pacifistes avec les mouvements pour la paix israéliens 59.

Obtenir des renseignements et priver l’ennemi de sources d’information

Dans la conduite de la guerre populaire, un groupe rebelle doit se doter de très bons moyens de renseignement s’il veut agir efficacement. L’OLP a fait preuve d’une grande ingéniosité pour réunir des renseignements et comprendre de façon

56 Pour une définition de la substitution, voir James Carroll, Constantine's Sword; the Church and the Jews (Boston: Houghton Mifflin, 2000), p. 633, n. 1. 57 Sur l’enseignement antisémite des chefs des chrétiens palestiniens, voir Yitzhak Sergio Minerbi, “Palestinian Christians Ignite Religious Controversy” (Hebrew), Kivunim Hadashim 8 (avril, 2003):70- 82. 58 Anne Bayefsky, “Terrorism and Racism: The Aftermath of Durban,” Jerusalem Viewpoints 468 (16 décembre 2001). 59 “Abu Mazen in Gaza: Stop the Armed Operations,” MEMRI, Special Dispatch 449, décembre 2002.

approfondie les subtilités de la société israélienne 60. Elle a utilisé les services des politiciens arabes israéliens, comme Ahmad Tibi, qui devint conseiller de Yasser Arafat. Les dirigeants de l’OLP nouèrent des liens étroits avec les ONG israéliennes et d’anciens responsables israéliens des secteurs civil et militaire. A de nombreuses reprises, les dirigeants de l’OLP reçurent des conseils de ces Israéliens sur la meilleure façon de traiter avec les gouvernements d’Israël. En même temps, ils traitaient de façon impitoyable les Palestiniens suspects de « collaboration » qui étaient fréquemment exécutés, lynchés en public, par des factions comme les Tanzim, pour faire des exemples.

Zones de contestation de l’Autorité publique

L’A.P. tenta de saper la souveraineté israélienne par la mise en place d’instances concurrentes de l’Autorité publique, surtout dans zones urbaines et les villes de Galilée, territoires sous pleine souveraineté israélienne 61. De nombreuses cités de ces zones sont désormais dangereuses pour les Juifs et pour des raisons de sécurité, les services d’Etat ne peuvent souvent pas fonctionner 62. La vague de constructions illégales à Jérusalem, organisée en partie par l’A.P. avec le secours des Saoudiens pour couvrir les frais de justice des contrevenants, est une tentative du même ordre 63. Jusqu’à sa fermeture par le gouvernement israélien, la Maison de l’Orient servait quasiment de mairie de l’A.P. dans l’Est de Jérusalem, avec une sorte d’immunité et un service de sécurité propre. Elle donnait à l’A.P. une présence semi officielle où des personnalités étrangères étaient reçues, et elle servait de base pour l’entretien de relations avec les sympathisants israéliens.

Construction de sanctuaires et gains de mobilité

Les Forces de Défense d’Israël ont fait des efforts considérables pour empêcher l’ennemi de bâtir des sanctuaires et de gagner en mobilité opérationnelle. Ainsi, la fermeture de l’aéroport Dahaniya et du port de Gaza, l’édification d’une barrière de sécurité, la réduction du nombre de sauf-conduits pour les dignitaires palestiniens, comme l’utilisation à grande échelle de barrages routiers, ont été et demeurent déterminants pour la sécurité d’Israël. Ces mesures défensives qui ne sont pas sans dommages pour la population civile, devenaient indispensables à partir du moment où les dirigeants palestiniens ne remplissaient pas leurs obligations.

La réponse d’Israël à la « guerre populaire »

Si Israël a remarquablement fait face au défi militaire, ses résultats en matière politique ont été médiocres. Israël n’a pas de tradition politique d’excellence dans la conduite des affaires de l’Etat, ni dans le domaine des affaires étrangères, et il

60 A titre d’exemple des activités du [mouvement] La Paix Maintenant dans l’observation et l’information sur les implantations juives, voir Aviv Lavie, “No Mountain Too High,” Magazine Haaretz, 20 juin 2002, pp. 8-11. 61 Voir, par exemple, Etgar Lefkovits, “Five Held for Trying to Reestablish Jerusalem PA Security Force,” Jerusalem Post, 19 août 2003. 62 Moshe Katz, “It is Also Dangerous Here,” [C’est aussi dangereux ici] Mekor Rishon, Yoman Shevi'i, 4 juillet 2003 (Hébreu). 63 Justus Reid Weiner, “The Global Epidemic of Illegal Building and Demolitions: Implications for Jerusalem,” Jerusalem Viewpoints 498 (15 mai 2008).

s’est souvent conformé à l’aphorisme de Moshe Dayan : « Israël n’a pas de politique étrangère. Il a seulement une politique de défense » 64. Malheureusement, ses ennemis ont tiré parti de cette carence. La faiblesse la plus grave est l’absence de buts politiques bien définis et de talents politiques à la hauteur des capacités militaires. Cette situation provient en partie de l’idée révolue qui veut que la sécurité soit d’abord une question militaire. Alors que l’OLP engageait la lutte selon le modèle de la guerre populaire, en donnant la priorité à la lutte politique contre Israël à travers ses campagnes terroristes, la riposte israélienne demeura exclusivement militaire jusqu’à la signature des accords d’Oslo en 1993. Après 1993, le gouvernement israélien s’enticha de l’OLP parce qu’elle déclara qu’elle renonçait au terrorisme, alors qu’elle était encore engagée dans son programme politique de guerre contre l’Etat d’Israël.

Pendant les deux décennies qui précédèrent Oslo, l’OLP, avec l’assistance de politiciens socialistes comme le président autrichien Bruno Kreisky, s’efforça avec persévérance d’acquérir tous les attributs de la respectabilité politique. Le 13 novembre 1974, Yasser Arafat fit son discours à l’ONU, et en juillet 1979, Kreisky le reçut à Vienne comme un chef d’Etat. En décembre 1988, Kreisky organisa pour Arafat, avec le soutien tacite du département d’Etat américain, une réunion avec les dirigeants Juifs américains à Stockholm 65. Après 1993, Arafat devint un hôte régulier du Bureau Ovale et, en décembre 1994, il reçut le prix Nobel de la Paix avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres. En même temps, le prestige d’Israël paraissait s’améliorer dans le monde entier, ce qui s’avéra être seulement temporaire. Au moment où l’OLP choisit d’enfermer le processus de négociation dans une impasse, la position diplomatique d’Israël s’effondra, tandis que les Palestiniens accumulaient les succès.

Dans le même temps, la position politique d’Israël fut affaiblie par deux handicaps qu’il s’infligea lui-même : la décision de cesser de défendre la cause d’Israël à l’étranger et la réduction de ses relations traditionnelles avec la diaspora. Une décennie auparavant, le ministre des affaires étrangères, Shimon Peres, avait officiellement décidé de mettre un terme à la politique d’information qu’Israël aurait dû avoir 66. Israël réduisit alors ses maigres dépenses d’information tandis que les Palestiniens faisaient un usage efficace des savoir-faire remarquables qu’ils avaient acquis depuis des années. Saisissant cette opportunité, ils intensifièrent leurs efforts avec agressivité pour anéantir la légitimité d’Israël par la propagande, entendue comme « un instrument politique de la guerre ».

En outre, le processus d’Oslo conduisit à refuser le soutien de la diaspora juive. L’idée que la diaspora n’était plus importante pour Israël s’imposa, comme l’auteur israélien A.B. Yehoshua le dit vertement à des Juifs américains : « Nous n’avons pas besoin de vous » 67. De la même façon, le Dr Yossi Beilin du ministère des affaires

64 Conor Cruise O'Brien, The Siege (New York: Simon & Schuster, 1986), p. 508. 65 Sten Anderson révéla le rôle de Kreisky, qui détourna la politique suédoise en faveur de l’OLP dès la fin de 1974 et entraîna les Juifs américains dans des conversations avec Arafat. Moshe Yegar, Neutral Policy - Theory versus Practice; Swedish-Israeli Relations (Jerusalem: W.J.C., 1993), pp. 153- 54. 66 Yoram Hazony, The Jewish State; The Struggle for Israel's Soul (New York: Basic Books, 2000), p. 66. 67 Jerusalem Post, 5 avril 1996, cité par Steven T. Rosenthal, Irreconcilable Differences? (Hanover: Brandeis, 2001), p. 175.

étrangères, déclara à un public américain : « Vous désirez que je vienne en tendant la main et que je vous dise que nous avons besoin d’argent pour les pauvres gens. Israël est un pays riche. Je suis désolé de vous le dire » 68. Ce changement d’attitude, empreint de mépris, sapait un des piliers traditionnels du soutien à l’Etat juif. Presque dix ans plus tard, le professeur Steven Windmueller décrivait les effets de ce programme de liquidation.

A la suite des accords d’Oslo, une réalité nouvelle prit de l’importance. Des organisations communautaires et civiques juives entreprirent le démantèlement des structures institutionnelles qui s’adonnaient traditionnellement à la défense de la cause d’Israël. Les effets de ces changements structurels du milieu des années 90 peuvent être mieux appréhendés, si on les replace dans le contexte d’une génération entière de jeunes juifs américains incapables de défendre efficacement la cause d’Israël auprès de leurs pairs. Il y a pire, si c’est possible : la réduction du niveau d’engagement de cette génération de Juifs américains, de moins en moins désireux de considérer Israël comme une composante de leur identité juive et comme l’objet de leur commune responsabilité 69.

Une explication supplémentaire de la faiblesse politique d’Israël réside dans la surreprésentation des anciens généraux dans l’appareil de décision politique. Parmi eux, beaucoup n’ont jamais eu l’expérience d’une administration civile, des affaires, de l’université et n’ont jamais acquis les compétences, les connaissances, l’expérience, le niveau d’exercice des responsabilités requis pour des dirigeants politiques. Ayant passé leur vie d’adulte à faire la guerre, ces généraux retraités tentent désespérément de terminer leur carrière en hommes de la paix. Certains d’entre eux ont pris des initiatives personnelles, sans recueillir l’avis de personnalités politiques chevronnées. Il leur est aussi arrivé de faire preuve de mépris pour les procédures démocratiques.

Quand ils négociaient avec les Palestiniens, les dirigeants politiques israéliens focalisaient strictement leur attention, sur les aspects militaires de la menace à laquelle ils avaient à faire face, comme le démantèlement des infrastructures terroristes ou la collecte des armes à feu illégales. Ce faisant, les dirigeants israéliens ne répondaient pas au défi que l’A.P. continuait de poser avec sa stratégie des étapes. Les renseignements militaires israéliens lançaient périodiquement des avertissements sur le refus d’Arafat de démanteler le Hamas et le Jihad islamique. Mais, jusqu’au début de 2001, toute interrogation sur l’intention de l’OLP de conclure une véritable paix était tenue pour une opinion marginale. (Au contraire de 1974 où on attaquait l’OLP pour sa théorie des étapes, accusée de rechercher l’élimination d’Israël) 70.

68 Washington Post, 20 février 1994, cité par Rosenthal, Iibid. 69 Steven Windmueller, “September 11: Its Implications for American Jewry,” Jerusalem Viewpoints 492 (16 février 2003). Un des résultats du processus décrit plus haut, fut que de nombreux jeunes juifs, doués un sens aigu de la justice sociale, idéalistes, mais privés de références d’identification ont été des proies faciles pour les groupes pro-palestiniens, qui en avaient fait les cibles de leur recrutement. 70 Lt. Col. Jonathan D. Halevi, “Understanding the Breakdown of Israeli-Palestinian Negotiations,” Jerusalem Viewpoints 486, 15 septembre-1er octobre 2002. Dans la version originale en hébreu de cet article, qui parut dans le journal des questions militaires de l’armée, Maarahhot 383, de mai 2002, il est indiqué que cette analyse a été faite sur la base d’un document de l’armée, intitulé « L’autre point de vue », que l‘auteur avait écrit en août 2001.

Tout au long de la décennie écoulée, le grand espoir des responsables politiques israéliens était de parvenir à un règlement avec les Palestiniens, à tout prix, de préférer une « mauvaise paix » à une « bonne guerre », même au prix de « pénibles sacrifices » 71. Il semblait qu’ils avaient attribué à tout règlement, quel qu’il soit, les vertus d’une panacée. Par la suite, la politique israélienne, fondée sur des improvisations de court terme, ne prit pas en compte l’éventualité d’une « guerre prolongée » au moment où la théorie de la guerre populaire faisait un usage calculé et habile du facteur temps. En conséquence, dix ans plus tard, le capital économique et humain d’Israël a été réduit alors que l’ennemi augmentait sa puissance politique et militaire. En suivant cette politique, Israël perdit des positions favorables, renonça à de nombreuses initiatives pour d’autres, moins favorables, tandis qu’Arafat et son organisation suivaient un plan précis et démontraient la cohérence de leur entreprise 72. Dans ce contexte, Hanna Arendt apporte un éclairage de grande valeur : « Dans ses rapports avec les systèmes totalitaires, un des principaux handicaps du reste du monde, c’est d’ignorer la nature du système, donc de penser, d’une part que l’énormité de ses mensonges le conduit à sa perte, et de l’autre, qu’il est possible de prendre le Guide au mot et de le forcer à aller dans le bon sens, quelles qu’aient été ses intentions initiales. Malheureusement, le système totalitaire est immunisé contre un tel scénario et l’ingéniosité de son organisation lui permet de s’affranchir de la réalité quand ses mensonges sont mis à jour, ou quand il est acculé à ne plus pouvoir démentir ses faux-semblants » 73.

Le rôle des États-Unis, dans la situation difficile où se trouve Israël, mérite d’être évoqué. Tout au début de la présidence de Bush, juste après la fin de l’administration Clinton, Barry Rubin, présentait la politique américaine comme neutre dans le court terme mais, incapable à plus longue échéance de faire avancer la cause de la paix et de la stabilité dans la région :

Pour ce qui est de sa stratégie à long terme dans la région, on peut dire que les États- Unis se sont tenus à un rôle de médiateurs pour des accords de paix, en dépit des preuves innombrables que de tels accords ne pouvaient pas aboutir dans un avenir prévisible (et, si jamais ils sont conclus, on ne peut pas imaginer qu’ils soient respectés par les dirigeants avec lesquels Israël négocie actuellement) 74. La politique américaine de condamnation du « cycle de violence », de proclamations d’ « impartialité » et de « pression sur les deux parties » est un compromis moral. Cela revient à répandre des illusions seulement nécessaires pour conserver le processus en marche. Bien qu’on ne le reconnaisse jamais en public, le prix de cette

71 A l’opposé, Harold Nicolson, écrivain et diplomate, membre de la délégation britannique à Paris après la Première Guerre mondiale, écrivait : « une mauvaise paix est une paix qui ne résout rien. Nous devons bien voir cela, et donc, à l’issue de cette guerre, nous ne devons pas signer une mauvaise paix. Nous devons apprendre de l’expérience passée ». Why Britain is at War (Harmondsworth: Penguin, 1940), p. 113. 72 « Dans un tourbillon de voyages diplomatiques, après camp David, Arafat s’arrêta à Djakarta, le 16 août 2000, où le président Abdurrahman Wahid le pressa de mettre un terme au conflit avec Israël. Sa réponse ? "Arafat me confia que, dans cent ans, Israël aurait disparu. Pourquoi devrais-je me presser de le reconnaître?" ». Yediot Ahronot, 10 mai 2002, cité par David Makovsky, “Taba Mythchief,” The National Interest (Spring 2003):128. 73 Hannah Arendt, Origins of Totalitarianism, p. 384. 74 Barry Rubin, “From One U.S. Administration to the Next; Similarities and Differences in the Push for Arab-Israeli Peace,” AJC Israel/Mideast Briefing (3 juillet 2001).

approche, c’est la tolérance d’un « niveau acceptable » de victimes civiles israéliennes du terrorisme. Le principal bénéficiaire de cette politique est l’A.P., et non Israël, pour la raison simple qu’elle engrange les bénéfices d’une présentation truquée. Cela rappelle l’époque où les États-Unis pressaient Israël d’accepter les violations égyptiennes de l’accord d’armistice, quand l’Égypte mettait en batterie des rampes de lancement de missiles à proximité du canal de Suez, après la guerre d’usure, en 1970. L’administration américaine a suivi le même chemin avec les Palestiniens à l’époque d’Oslo 75.

Nous adaptons les expériences des autres peuples aux particularités de notre propre situation. La topographie n’est pas la même, ici, qu’en Algérie ou au Vietnam. Nous ne pourrions pas ignorer les limites qui nous sont imposées par les conditions naturelles, militaires et matérielles, mais nous pouvons les surmonter, et nous le ferons si nous adaptons notre stratégie à leur cas.

Yasser Arafat, (fin des années 60) 76. Depuis sa naissance et pendant la phase de « Libération Totale » (1969-1974), l’OLP n’avait pas la faculté de lancer une guerre de guérilla soutenue contre Israël. Le principal résultat des accords d’Oslo fut de donner à l’OLP une base territoriale permettant d’entamer une telle guerre, faite pour servir ses objectifs stratégiques. « La victoire, dans cette lutte », il faut le répéter, « signifie que l’un ou l’autre des deux pouvoirs s’impose. La défaite, c’est lorsdque l’un ou l’autre des deux pouvoirs disparaît » 77.

L’analyse de la situation actuelle rend indispensable le réexamen des hypothèses de base de la politique israélienne. Le fait qu’Israël est confronté à une guerre populaire signifie qu’il n’y a pas de « processus de paix » dans le sens que l’on donne habituellement à cette formule, ni un véritable règlement en perspective. Il n’y a pas d’accord à conclure. A la place, toutes les conditions d’une guerre prolongée sur des décennies ont été réunies dans le but d’affaiblir l’Etat juif avant de le détruire. Les négociations et les temporisations sont avant tout des tactiques subordonnées aux objectifs fondamentaux, et des moyens de prendre le contrôle de territoires sans livrer combat 78. Comme l’a écrit David Makovsky, les conséquences de ce genre de rencontres diplomatiques, comme les négociations de Taba, ont été d’accroître pour Israël le coût d’un règlement dans une négociation ultérieure. Cela s’appelle « accroître la base de concessions » 79. Les négociations fournissent aussi à l’autre

75 Dr. Steven Plaut, “The Third Worst Middle East War,” (27 novembre 2003); http://chronwatch.com/features/contentDisplay.asp?aid=961 (lien mort). 76 Danziger, “Algeria and the Palestinian Organizations,” p. 348. 77 P.W., pp. 87-88. 78 « Des négociation de ce type ne sont pas déclenchées par les révolutionnaires, pour parvenir à des arrangements amicaux avec leurs rivaux. Les révolutions font rarement des compromis, et quand elles en font, c’est pour servir leurs desseins stratégiques. Les négociations sont donc engagées dans le double but de gagner du temps pour consolider des positions (militaires, politiques, sociales, économiques) ou pour user, frustrer et accabler les adversaires » Griffith, Mao Tse-tung on Guerilla Warfare, Introduction, p. 16. 79 David Makovsky, “Taba Mythchief,” pp. 119-29.

partie l’opportunité de consolider ses gains et un surcroît de légitimité pour obtenu la compagnie de partenaires respectables.

En vertu de cette analyse, les responsables politiques israéliens ont gravement sous- estimé la détermination et les capacités de l’ennemi et ils ont donné trop d’importance au facteur matériel dans l’analyse du rapport des forces. Si on prend en compte la stratégie de l’adversaire et son intégration des doctrines politiques et militaires dans un tout, l’avantage d’Israël se réduit singulièrement. Si Israël veut assurer sa survie, il doit infliger une défaite à la stratégie de l’ennemi et à sa guerre du peuple. En particulier, il est urgent de réévaluer la menace à laquelle fait face Israël et d’empêcher l’ennemi d’accroître sa puissance et de déployer sa stratégie. Israël doit relever le défi en énonçant sa propre doctrine, avec des objectifs politiques et militaires définis et échelonnés. Certains d’entre eux devront être : 1) assurer la survie de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif et protéger ses citoyens ; 2) défendre activement la légitimité de cet Etat, et 3) achever la processus d’intégration de l’Etat juif dans le monde démocratique.

Annexe : La pensée stratégique de Stefan T. Possony

Ce texte s’est largement appuyé sur les écrits de Stefen T. Possony (1913-1995), auteur peu connu, mais stratège américain extrêmement importants. Né à Vienne en 1913, il obtint son doctorat d’histoire et d’économie en 1930. Il s’installa à Paris en 1938, l’année de la publication de son premier ouvrage d’importance, « La guerre de demain ». Il travailla comme conseiller en guerre psychologique au ministère français des Affaires Étrangères et comme conseiller auprès de l’armée française. Des unités de la Gestapo le capturèrent au moment de la chute de Paris, mais il s’évada rapidement, traversa les Pyrénées et arriva aux États-Unis en 1940. Il travailla d’abord à l’université de Princeton, aux cotés d’Einstein, à l’Institut des Études Avancées. Possony étudia de nombreux problèmes significatifs du XXème siècle, le communisme, la guerre psychologique, la détermination des cibles stratégiques 80. Lors du second conflit mondial, il était convaincu que le nazisme serait écrasé et que le communisme serait le problème suivant. Il joua un rôle clé dans l’entreprise de manipulation de l’empereur Hiro Hito pour qu’il accepte la capitulation du Japon, contre l’avis de la caste militaire de l’impérialisme japonais. Alors qu’il était directeur des études internationales et professeur associé à l’institut Hoover de l’université de Stanford depuis 1961, il imagina les systèmes spatiaux de défense anti-missiles et l’utilisation des armes à énergie activée depuis l’espace. Il retint ainsi l’attention de celui qui était alors le Gouverneur de Californie, Ronald Reagan. Ce dernier adopta ses concepts stratégiques quand il fut élu président, en 1980. (Possony et Jerry Pournelle, un auteur de science-fiction, sont co-auteurs de The Strategy of Technology qui inspira directement l’Initiative de Défense Stratégique 81). Un des élèves de Possony, Richard Allen, devint le Conseiller National

80 « Son travail sur la question des cibles stratégiques était d’avant-garde. Avant lui, presque tout ce qui concerne la définition des cibles dans la guerre aérienne était considéré comme relevant de la tactique. » . “Stefan Possony; Pioneered Air War Strategy in WWII,” Los Angeles Times, May 3, 1995. 81 « La politique de défense américaine de l’époque se réduisait à la dissuasion par la mise en œuvre de moyens offensifs écrasants qui devaient faire réfléchir deux fois plutôt qu’une les deux parties avant leur engagement. Elle était appelée justement, ‘mutually assured destruction’ (MAD) [(destruction mutuelle assurée’. Possony avança que cette stratégie n’était pas assez souple. Il

à la Sécurité, de Reagan en 1981. Il servit de lien entre Possony et la Maison Blanche 82. (Le chef d’Etat Major de la Maison Blanche et ancien Secrétaire d’Etat, Alexander M. Haig Jr, était un autre ancien élève de Possony.) Le président Reagan adopta les théories de Possony, basées sur l’utilisation de la supériorité technologique occidentale pour remporter la victoire dans la guerre froide 83. Les autres idées de Possony sont facilement reconnaissables dans la stratégie de déconstruction de l’Union Soviétique de l’administration Reagan 84. Son analyse de la guerre insurrectionnelle et de la doctrine militaire communiste a été d’une grande utilité pour ce texte.

L’auteur exprime ses remerciements à : Gregory Copley (Defense and Foreign Affairs Publications, the International Strategic Studies Association, Washington, D.C.); Cecil B. Currey (Lutz, Florida); Rivkah Duker Fishman; Manfred Gerstenfeld; Raanan Gissin (Prime Minister's Office); Amnon Lord; Zvi Marom; Moshe Yegar; Jerry Pournelle (Los Angeles); Michelle Ben-Ami, Librarian, American Jewish Committee, Jerusalem; l’équipe du Centre Culturel américain à Jérusalem; et à Linda Wheeler, Reference Librarian, Hoover Institution (Stanford, California).

écrivait : ‘Pour se tenir aux avant-postes de la guerre technologique, les États-Unis doivent arrêter de véritables option propres à leur assurer la survie.’ Bien que la technologie ait déjà été employée à un certain niveau, Possony introduisit la perspective d’une stratégie anti-missiles, avec des laser de haute énergie, tirés à partir de satellites militaires, des systèmes radar en orbite pour la détection précoce de la menace, et une batterie de leurres pour lesquels on avait pris du retard » « Stefan Possony » (Notice nécrologique.), The Times, 2 mai 1995. 82 Communication personnelle, Jerry Pournelle, 18 mai 2003. 83 Martin Walker, “Dark Dreamer of Star Wars; Stefan Possony” (notice névrologique), Guardian, May 5, 1995. 84 Voir, par exemple: Peter Schweizer, Victory; The Reagan Administration's Secret Strategy that Hastened the Collapse of the Soviet Union (New York: Atlantic Monthly Press, 1994).

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