1 - Judaïsme et franc-maçonnerie

L’Encyclopaedia Judaïca nous apprend que le blason de la Grande Loge d’Angleterre aurait été copié à partir d’un modèle réalisé par le cabaliste juif Jacob Judah Léon Templo, et que, pour les francs-maçons, la première loge maçonnique aurait été construite à Jérusalem pendant l'édification du Temple(1). 

Laurence Dermott est l’auteur de la constitution de la Grande Loge d’Angleterre de 1764 appelée Ahiman Rezon. Les écrits du rabbin Léon Templo (1602-1675) ont impressionné Dermott au point qu’il l’a cité en référence dans la constitution en l’appelant « The famous and learned Hebrewist architect and brother » et qu’il a incorporé son dessin du Temple de Salomon dans le sceau de l’obédience. Cela a été conservé par la Grande Loge Unie d’Angleterre.

Dans ces considérations, le lien entre certains rituels maçonniques et le judaïsme est évident. Au rite Français par exemple, la structure physique de la Loge est bâtie selon le schéma de la distribution des sephirot(2).

Mais entre la légende et la réalité, il y a toujours un écart. On considère que la Franc-Maçonnerie moderne date de 1717 lorsque la Grande Loge d’Angleterre a été fondée par le rassemblement de loges d’époque médiévale rejointes par des hommes de bonne volonté considérés comme maçons « acceptés ». Elle fut introduite en France en 1725.

La date de l'acceptation des Juifs en Franc-Maçonnerie est difficile à fixer. Plusieurs chercheurs de renom se sont penchés sur la question pour en arriver à des conclusions différentes. On peut nommer Daniel Beresniak, Lucien Sabah(3) et Pierre Yves Beaurepaire qui citent les dates de 1721 et 1732. Mais c’est chez Luc Nefontaine et Jean Philippe Schreiber(4) qu’on trouve le plus de détails :

Pour eux, des juifs ont été accueillis très tôt dans les temples, notamment en Grande-Bretagne.

La première allusion à un juif franc-maçon date de 1716 et fait référence à Francis Francia, peintre appelé « le juif jacobite(5) ».

On trouve dès 1723 des noms juifs dans les archives de la Grande-Loge. Anderson(6) cite plusieurs grands officiers juifs, la plupart séfarades.

Pierre Yves Beaurepaire fait référence au frère Daniel Dalvalle qui est "un très important marchand de tabac dont la loge Au Café Daniel " se réunit à Lombard Street, la rue des banquiers et des négociants(7).

On aurait compté six juifs dont cinq séfarades dans cette loge de vingt-neuf membres.

Mais cette tolérance ne fait pas l'unanimité. Si des Juifs sont admis en loge, les décisions discriminatoires se multiplient et de nombreux autres sont refusés.

Pour ce qui concerne la Franc-Maçonnerie de tradition « prussienne », elle a toujours refusé l’initiation aux profanes de confession juive au point d’amener, en 1848, l’intervention des obédiences françaises et britanniques pour faire cesser cet abus(8).

On raconte que des frères allemands, juifs, s’étant vu refuser l’entrée d'un Temple aux États-Unis, créèrent le B'naï-B'rith, organisation qui n’admet que des Juifs.

Cependant, les Juifs furent admis de plus en plus nombreux dans les Loges américaines, à l’exemple des maçonneries britannique et française. L’Encyclopaedia Judaïca évoque les noms des frères d’origine juive fondateurs de loges comme le frère Hays qui, avec les frères Morin, Francken et d’autres, introduit le Rite de Perfection en Pennsylvanie(9).

En France, l’avocat franc-maçon Adolphe Crémieux, ministre de la justice du Gouvernement provisoire de 1870, tint les rênes du Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté après avoir été initié au Grand Orient de France. Il combattit pour l'abolition de l'esclavage aux côtés de Victor Schoelcher. Il fut fondateur de l'Alliance Israélite Universelle avec d'autres frères parmi lesquels Charles Netter et le rabbin Élie Aristide Astruc.

En Angleterre, Nathan de Rothschild (1777-1836) et son fils James (1792-1868) furent initiés au Rite Ecossais Ancien et Accepté, de même que sir Moses Montefiore (1784-1885) maire de Londres, anobli par la reine Victoria.

Les frères évoqués ici méritent toute notre attention. Par leur action philanthropique, ils donnèrent à leurs coreligionnaires défavorisés la possibilité de s’instruire et de pouvoir « chasser les ténèbres de l’ignorance et de la superstition grâce aux lumières de la raison et de la science ».

En Palestine ottomane, le frère Moses Montefiore créa la première école de Jeunes filles de Jérusalem. Le frère Nathan de Rothschild fonda le village agricole de Petah-Tikva où les nouveaux immigrants et les Juifs de Jérusalem apprenaient le travail de la terre. Par leur activité dans le mouvement sioniste, Rothschild et Montefiore ont permis de dire que « sans la franc-maçonnerie britannique, il n'y aurait pas eu d'Etat d'Israël contemporain ». Le mouvement sioniste fut lancé au Royaume-Uni dans les années 1860.

Le frère Charles Netter créa en 1870, Mikve Israel, la première école d'agriculture en terre d'Israël.

Au commencement de Mikve Israël, l'enseignement était dispensé en français. Les premiers agronomes et horticulteurs y ont été formés. Cette institution forme toujours des milliers d'Israéliens à la vie agricole.Il fut toujours de bonne politique à l'Alliance Israélite Universelle, avec Charles Netter d’admettre des élèves et apprentis arabes. Dès le départ trois élèves musulmans, enfants des paysans du village contigu de Yazour, viennent étudier à Mikveh. En 1887, un des élèves est le frère du gouverneur de Jaffa.

Ben Gourion a déclaré en 1967 : « La création de l'Etat a été rendue possible grâce à la fondation de Mikve Israël ; si ce centre n'avait pas été créé, je doute que l'Etat d'Israël ait pu voir le jour. Tout a commencé à ce moment et nous ne sommes venus que pour terminer l'ouvrage sur le plan politique et national ».

C'est devant cette école que Théodore Herzl a rencontré l'empereur Guillaume II. Il lui a expliqué les aspirations du peuple juif à retrouver son ancienne patrie.

Par ailleurs, Charles Netter, toujours au nom de l’Alliance Israélite Universelle, chargea Nissim Behar de la fondation d’une école professionnelle à Jérusalem.

Comme ailleurs dans le réseau de l’Alliance, la langue d’enseignement était le français. Mais Nissim Behar confia à Eliezer Ben Yehouda l’enseignement de l’hébreu moderne et participa activement à la formation des instituteurs qui diffusaient l’usage de cette langue dans le système éducatif naissant(10).

Notes

1 - Lucien Sabah. 

2 - Les Sephirot en hébreu ספירות sont dix puissances créatrices énumérées par la Kabbale dans son approche mystique du mystère de la Création. Les traités de la Kabbale présentent souvent les Sephirot sous la forme d'un Arbre de Vie. (Wikipédia)

3 - Pour Lucien Sabah ("La Franc-Maçonnerie et l’antisémitisme", Revue des Etudes Juives, janvier 1996, Passim), la source ne donne ni le nom du premier frère juif initié ni le nom de la Loge juive ; (Beresniak avance cette initiation à 1721). Cette affirmation est niée par A. C. Mackey, Encyclopedia of Freemasonry and its kindred sciences, s. v°. "Anti-semitism and Masonry".

4 - Luc Nefontaine , Jean-Philippe Schreiber - Judaïsme et Franc-Maçonnerie, P. 25.

5 - Jacobite : partisan du roi catholique écossais Jacques II.

6 - James Anderson (1678-1739) fut pasteur et franc-maçon. C'est lui qui rédigea les Constitutions de la Franc-Maçonnerie.

7 - Pierre-Yves Beaurepaire : L’exclusion des juifs du Temple de la fraternité maçonnique – Revue Archives Juives n°43, 2ème semestre 2010.

8 - Lucien Sabah 

9 - Scottish Rite documents, The Builder, 1916. 

10 - Jean-Marie Delmaire, "De Jaffa jusqu’en Galilée. Les premiers pionniers juifs (1882-1904) ", Archives de sciences sociales des religions.