12 - l'Irak

Une première loge aurait vu le jour en 1889 à Bassorah sur la route des Indes. Elle aurait été installée par des membres de la British East India Company.

Comme souvent dans les pays en guerre avec la Grande Bretagne, la franc-maçonnerie en Irak s’est développée dans le sillage des loges militaires. A partir de la première guerre mondiale, les francs-maçons de l’Armée des Indes créèrent les premières loges civiles, Mésopotamia et Bagdad datent des années 1917 et 1920, mais la franc-maçonnerie s’est vraiment implantée pendant l’occupation du pays par les Britanniques. 

loge Basrah

Youssef al-Hajj(1853-1955). Ce journaliste libanais, grand voyageur, a été l'un des piliers de la littérature, de la poésie, de la presse ... et de la maçonnerie au Liban et au Moyen-Orient. Il avait été initié lors d’un voyage au Maroc en 1912, parrainé par un négociant juif nommé Joseph Lévy.

Youssef el Hajj avait lié des liens d’amitié avec le roi Fouad d'Égypte, la famille royale saoudienne et Khaz'al Khan, franc-maçon comme lui(1), prince arabe de Moḥammerah (actuellement Khorramshahr en Iran), importante ville du pétrole.

Fervent nationaliste, Youssef el Hajj s’est fait le porte-parole des nationalistes égyptiens, il était proche du leader nationaliste Saad Zaghloul, franc-maçon comme lui, rencontré lors d'un de ses voyages en Égypte en 1923. Il voulait « allumer au fond des loges la flamme de la liberté » a écrit Jean-Marc Aractingi, Grand Maitre du Grand Orient Arabe OEcuménique(2).

En 1923, Youssef el Hajj fut nommé par Ali Pacha, Grand Maître de la Grande Loge Nationale d'Egypte sous juridiction de la Grande Loge Unie d'Angleterre , Grand Maître Régional du 33e degré , Délégué pour la Syrie et la Palestine mandataires, la Mésopotamie et l'Arabistan (actuellement territoire se situant entre les confins de l'Irak et l'Iran). C’est lui qui développa la franc-maçonnerie en Irak.

Neuf loges régulières ont travaillé en Irak jusqu’aux les années 1950 sous l’égide de la Grande Loge Unie d’Angleterre, ces neuf loges étaient(3) :

Mésopotamia , Bassorah, créée en 1918 

Babel numéro 326,Bassora 1922 

Basrah numéro 5105 

Dar al Salam numéro 277, Bagdad 

al Faiha numéro 1311 

al Iraq numéro 4471, exclusivement réservé aux Anglais de la Lynch Company 

Kerkuk numéro 7079, de la société Iraki Petroleum Company 

Tigris numéro 7024 

Bagdad numéro 4022, Bagdad

La Société des Nations avait confié le mandat de l’Irak à la Grande Bretagne en 1920.

Le pays devint indépendant en 1932. La franc-maçonnerie était devenue secrète depuis les années 1930. Les historiens et sociologues pensent que c'était du fait de la propagande nazie puis de la propagande communiste. La franc-maçonnerie a été également interdite à ses croyants par l'Église catholique en Irak. Un parti nazi fut fondé par Rachid Ali al Gillani, des coups d’état ont eu lieu, leurs gouvernements furent éphémère. Ils prennent le pouvoir par un coup d'état en 1933, mais sont à leur tour renversés avant la fin de l’année.

Avec l’aide de l’ambassadeur d’Allemagne Fritz Konrad Grobba et du palestinien  Amine al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem, des milices furent créées sur le modèle nazi. Le premier avril 1941, un groupe de quatre colonels surnommé le Carré d’or renversa la royauté. Le premier mai 1942, un coup d’état nazi organisé avec le mufti de Jérusalem Amin al Husseini porta au pouvoir la dictature de Rashid Ali al-Gillani favorable à l’Allemagne nazie. Il fut renversé par les britanniques. Le mufti al Husseini fut exfiltré d’Irak par l’avion personnel d’Hitler. 

Pendant les hostilités eut le grand pogrom de Bagdad appelé Farhud (dépossession) qui coûta la vie à des centaines de juifs, les estimations vont de 120 à 600 et des centaines de blessés. Les magasins et entreprises juives furent détruits. Les milices et la population y prirent part. L’armée irakienne mit des jours avant d’intervenir. L’armée britannique, présente sur les lieux assista passivement au pogrom.

Une succession d’émeutes et de coups d’état eurent lieu en 1946, 1955 puis 1958 quand le parti Baas prit le pouvoir pour la première fois avec le renversement de la dynastie Hachémite. Après le coup d’état militaire de 1958, Il y avait toujours une dizaine de loges dépendant majoritairement de la Grande Loge d’Angleterre, une loi fut votée par le parlement irakien qui assimilait la franc-maçonnerie au sionisme. Elle fut accusée d’espionnage, criminalisée et interdite. Les franc-maçons qui ne purent ou ne voulurent pas s’enfuir furent exécutés par le régime d’Abdul Karim Kassan.

Nouveaux coups d’état en 1961, 1963, 1965, 1968, le général al-Bakr prend la présidence accompagné par son cousin Sadam Hussein. Celui-ci débarque son cousin en 1979 et prend la présidence. Avec lui il y eut la guerre Iran Irak de 1980 à 1988, puis la guerre du golfe en 1990 après l’invasion et l’occupation du Koweit avec l’opération « Tempête du Désert ». La deuxième guerre du a lieu en 2003. Sadam Hussein est condamné et exécuté par pendaison. Les américains se désengagent mais en 2013 éclate une nouvelle guerre civile sur fond religieux. Les minorités Chrétiennes et Yesidis sont menacées de génocide.

La franc-maçonnerie est réapparue en Irak en 2003, comme par le passé par les loges militaires, cette fois américaines. Land Sea and Air Lodge n°1 travaille depuis 2005 dans un aéroport militaire sous l’égide de la Grande Loge de New York. Une autre loge existerait à Bagdad, ses membres seraient irakiens et libanais. Un frère a témoigné d’une réunion hachée par les tirs sporadiques de mitrailleuses.

L’ancien premier ministre nazi Rachid al Gillani exilé au Liban était revenu en Irak en 1958, il est décédé en 1965. Le journal « le Monde » rapporte le 30 aout 2019, que le gouvernement irakien a décidé, pour l’honorer, de lui faire des funérailles nationales.

Juifs d’Irak

Dans l’antiquité, l’Irak a été appelé Mésopotamie ou Babylonie. En 587 avant notre ére, Jérusalem a été conquise par le roi Nabuchodonosor. Le premier Temple fut détruit et les Juifs exilés à Babylone. La communauté juive d’Irak est parmi les plus anciennes des communautés juives.

A l'époque de la domination Ottomane turque, les Juifs de Bagdad devinrent des dhimmi, une minorité discriminées. 

Le concept de dhimma qui s’applique aux juifs et aux chrétiens stipule un comportement de soumission envers les musulmans. Les dhimmi doivent respecter toute une série d’interdictions : ne pas porter d’arme, ne pas monter à cheval, ne pas construire de nouveaux lieux de culte, ne pas élever la voix lors de cérémonies ou ne pas s’habiller comme les musulmans. Ils doivent payer un lourd impôt, la jizya, qui leur est propre. 

Les Juifs vivaient en majorité pauvrement, toutefois, il y avait une classe de commerçants aisés. Sous le Mandat britannique, les Juifs obtiennent l’égalité légale avec les musulmans La situation ne s’améliore pas, mais certains font fortune et atteignent des rangs importants tels Menahem Saleh Daniel, sénateur et philanthrope où Sir Sassoon Eskell qui devient ministre des Finances du roi Fayçal Ier. D'autres prennent part au début du nationalisme arabe, comme les écrivains Murad Mikhael et Anwar Sha'ul , d’autres sont admis dans l’administration, d’autres enfin font du commerce dans un contexte économique favorable. Mais l’hostilité des musulmans grandit et les relations se gâtèrent au fur et à mesure qu'augmentait la détermination des Juifs à vouloir améliorer leur situation et s’intégrer. 

En 1948, il y avait 137.000 Juifs en Irak d’après le nombre de fidèles qui fréquentait les synagogues. A l'époque, le Quartier Juif représentait un quart de la ville de Bagdad. En 1958 ils n’étaient plus que 6.000. Devenu ministre en Israël Mordehaï Ben Porat a témoigné de son enfance en Irak. Une époque où les relations étaient différentes. Il évoque les échanges avec les enfants arabes, chrétiens et musulmans. C'étaient de vraies amitiés et on se rendait visite dans les familles les uns des autres. Il eut quantité d’aventures. Il fut chargé par le Mossad d’organiser l’exode des Juifs d’Irak. Cent cinquante personnes étaient prévues, ils furent 53.000. Il a été surnommé le James Bond israélien. Ben Porat témoigne d’un chauffeur de taxi irakien qui refusa de faire plus que de ralentir devantla dernière synagogue de Bagdad, craignant que l'endroit ne soit sous surveillance policière « Du taxi, nous pûmes voir que la synagogue isolée était entourée de murs de trois mètres de haut et de grilles de fer sinistres , sans âme qui vive aux alentours(4) ».

1948, naissance d’Israël. Le sionisme devient un « crime contre l’Etat ». Les journaux irakiens titrent : « Le destin des Juifs sera la tombe ou la mer ».

Entre 1949 et 1951, le gouvernement israélien lance les opérations « Ezra et Néhémie », exode de masse de 104.000 Juifs. Ils doivent renoncer à leur citoyenneté, leurs biens sont spoliés. Ils n’ont le droit d’emporter qu’une valise et 150 dollars, bien souvent volés avant leur départ.

Valises de l'exode au musée de Or Yehuda

Les Juifs qui restent sont contraints d’avoir une carte d’identité distinctive, jaune. Après la guerre des Six-Jours, ils perdent le droit à la propriété, leurs comptes bancaires sont gelés, leurs commerces doivent fermer, ils sont exclus de toutes les fonctions publiques. Les lignes téléphoniques sont coupées. Ils doivent se regrouper dans les villes, où ils sont assignés à résidence. Puis vient la période où la terreur s’intensifie, celle des « pendus de Bagdad », les Juifs accusés sans raison, sans preuves et sans procès d’espionnage.

En 1968, il restait 2.500 Juifs en Irak, ils étaient 100 en 2001, en 2016 ils n’étaient que 5. La fin d’une civilisation.

Les francs maçons Juifs.

La plupart des traces ont disparu, mais il fut un temps où les Juifs irakiens étaient majoritaires dans certaines loges maçonniques, à côté des musulmans, des chrétiens, des indiens et des britanniques.

Un des membres de la loge Basrah était un Juif célèbre nommé Shafiq Ades. C’était un homme d’affaires, millionnaire, connu comme le Juif le plus riche d’Irak. Ses affaires étaient florissantes, elles comprenaient la concession Ford du pays et de nombreux magasins. Pragmatique, il n’avait pas d’activités politiques, même s’il lui arrivait de rencontrer les dirigeants du pays, il ne soutenait absolument pas le sionisme. Il fut arrêté en juillet 1948, accusé d’être sioniste et communiste. Sans preuves, sans témoins et sans avoir droit à une défense, le juge était Abdullah al-Naasni, un nazi notoire qui le condamna à mort et à la confiscation de ses biens. Il fut pendu en octobre 1948. 12.000 personnes sont venus assister et ont applaudi à son exécution. A la fin du mois d’octobre, tous les 1500 Juifs qui travaillaient pour la fonction publique ont été limogés.

Salem Katan, le père du poète et juge Yoav Katan qui fut un des premiers volontaires de la brigade Golanj, était tuileur de la loge Basrah, le pharmacien Yakov Kivity y occupa plusieurs offices, l’avocat Abraham Batsri était de la loge al Fahhia, Ils fondèrent avec d’autres immigrants la loge Samson à Ashkelon(5).

Selim (Zughayir) Obadiah célèbre photographe et franc-maçon a survécu au pogrom de Farhud. Elias Dangoor fut coopté dans les années 50. Il était sur les parvis quand en 1958 le gouvernement interdit les obédiences et arrêta les francs-maçons. Le docteur Maurice Saltoun était sur les colonnes à Bagdad, il venait d’une famille de francs-maçons. Après son émigration forcée en Israël, il devint vénérable d’un atelier à Ramat Gan.

La ville de Or Yehuda possède un magnifique, terrible et émouvant musée consacré à la communauté juive de Babylone et d’Irak.

Notes :

1 - En ce qui concerne l'extrémisme religieux, Khaz'al a déclaré : "C'est le fléau de ce monde. Et si j'avais à revenir sur Terre après ma mort, je n'aurais rien à faire s'il n'e restait plus une trace de l'extrémisme religieux. Tous les humains sont frères, que l'on s'aime ou pas". (wikipedia)

2 - Publié par L'Observatoire de la Franc-Maçonnerie - Novembre 2010

3 - https://sites.google.com/site/vrijmetselarijmiddenoosten/

4 - Mitch Potter – Les derniers Juifs d’Irak, Lamed.fr 

5 - W. Bro. Yossef Kivity, PM Reuven Lodge # 1 Haifa : Free masons in Iraq.