3 - Mare Nostrum

La chute de l’Empire romain s’est accompagnée de la fin de la Pax Romana. Depuis, la Mare Nostrum des romains est devenue la mer de la peur. Exactions des croisades, guerres incessantes de conquêtes et de religions, razzias, piraterie, on n’était en sécurité ni sur terre, ni sur mer.

On a appelé Reconquista la reconquête par les rois catholiques de la péninsule Ibérique occupée par les arabes. Elle s’acheva par la chute de Grenade, le dernier bastion musulman maure, tombé le 2 janvier 1492. 1492, appelée l’année cruciale dans l’histoire espagnole vit l’expulsion, la conversion ou l’assassinat de 160.000 à 200.000 juifs séfarades au nom de la pureté du sang espagnol. Pour compléter cette purification ethnique, l’expulsion des Maures en 1502 qui s’est poursuivie jusqu’en 1614 a mis fin à la présence musulmane en Espagne.

Chassés d’Espagne, c’est à partir de l’Afrique du Nord que les arabes poursuivirent la guerre qui se déroula désormais dans tout le bassin méditerranéen.

Pour tenter de pacifier la mer et sécuriser les échanges commerciaux de leurs ressortissants respectifs, les États riverains de la Méditerranée, dont la Turquie, accordèrent alors des lettres de commission dites aussi de course à des navigateurs civils, les corsaires(1), les autorisant en temps de guerre à attaquer les navires battant pavillon ennemi. La France, l’Espagne et l’Italie étaient particulièrement visés. La guerre était permanente et les corsaires considéraient comme ennemi tout navire représentant une prise intéressante. Au 18ème siècle les pirates barbaresques et les corsaires de tous bords ravageaient le bassin méditerranéen. Ils attaquaient les navires de commerce des ennemis ou ceux considérés comme tels. Les pirates et les corsaires, se livraient au pillage, à la capture d’esclaves pour les vendre. Les marines des pays riverains étaient largement équipées de galères. Les condamnations aux galères des tribunaux ne suffisaient pas à approvisionner ces vaisseaux en rameurs. Les marchés aux esclaves de Livourne, de Gênes ou de Malte étaient prospères car ils y pourvoyaient, entre autres pour les marines royales(2). La peine des galères a été, en principe, supprimée sous Louis XV, le 27 septembre 1748 remplacée par le bagne, mais sous la Révolution on a encore condamné aux galères. Les femmes capturées finissaient souvent dans les harems orientaux, les esclaves de familles ou communautés qui avaient les moyens de payer étaient, si possible, revendus aux leurs.

La Méditerranée mer de la peur ? On cite en exemple, mais ils furent loin d’être les seuls, les frères Barberousse qui s’emparèrent d’Alger. Les soixante navires dont trente-cinq galères de leur flotte algérienne écumaient les mers. Le Bénédictin Diégo de Haedo qui fut captif à Alger à la fin du 16ème siècle y estimait à 25 000 le nombre des esclaves, un habitant sur trois. Le père François Dan, trinitaire(3) français recensait 35 000 esclaves dans le Maghreb barbaresque(4). Alger, Tunis et Tripoli en Afrique du Nord et les ports de l’Empire ottoman au Levant étaient les principales places du côté musulman du commerce des esclaves. Mais comme on l’a vu, on s’y livrait aussi à Livourne et Malte, villes chrétiennes.

La domination de la Méditerranée et de son commerce fut la cause d’une véritable course à l’armement et de conflits entre l’Espagne, l’Italie, la France, l’Angleterre, la Hollande et la Turquie. L’Autriche, la Russie et les États-Unis d’Amérique intervinrent également, c’est la prise de nombreux navires américains qui sera à l’origine de la création de l’US Navy.

On peut mentionner les Guerres Barbaresques, déclenchées par les Etats-Unis, en 1801 et 1815, lorsqu’ils considérèrent que le coût des destructions et des rançons empêchaient la pratique de leur commerce. Egalement la conquête de l’Algérie par la France de Charles X dont une des raisons fut l’éradication de la piraterie en Méditerranée. Le roi de France avait obtenu l’approbation de nombreux pays victimes de cette piraterie. La suite fut une autre histoire avec le développement de la colonisation.

De nos jours, des changements se sont-ils produits ? Sur le pourtour de la Méditerranée, si les guerres ne font pas rage, elles menacent toujours au Proche-Orient et au Machrek, entre autres. Le terrorisme est plus que jamais actif. La prise du paquebot Achille Lauro en 1985, piraterie et terrorisme maritime entremêlés en est la preuve.

La situation actuelle du Proche Orient est la conséquence de plusieurs facteurs qui découlent de l’importance de ce lieu de passage entre l’Orient et l’Occident, de l’état de guerre permanent et des transferts de populations qu’on appellerait aujourd’hui migrations. Le démembrement de l’Empire ottoman et l’immigration musulmane, le sionisme et l’arrivée des réfugiés juifs, la colonisation anglaise et française avec les mandats sur l’Egypte, la Jordanie et la Palestine d’une part, la Syrie et le Liban d’autre part.

Les embarcations de fortune des réfugiés tentent plus que jamais de traverser la Mer Méditerranée au prix de nombreux naufrages. Les boat-people ont toujours risqué leur vie pour la sauver, les musulmans des colonies turques libérées, les Grecs, les Arméniens, aujourd’hui les Africains, les Syriens, les Libyens. Les Juifs rejetés de partout après la Shoah y ont aussi payé leur tribu, plus de 106.000 réfugiés Juifs ont été transférés illégalement(5) sur quatre-vingt bateaux en Palestine ou à Chypre parmi lesquels l’Exodus. Tous ne sont pas arrivés tel le Struma torpillé avec ses sept cent quatre-vingt-cinq réfugiés juifs dont de nombreux enfants, l’Egoz disparu en mer ou le Patria coulé par les britanniques faisant 267 victimes parmi les réfugiés sont les principaux.

La Mare Nostrum est toujours la mer de la peur.

Notes

1 - Nombre d’entre-eux étaient francs-maçons, tel Surcouf qui fut initié à Port Louis, le 22 mai 1796 dans la loge "La Triple Espérance". 

2 - Les galériens étaient des condamnés de droit commun, des protestants qui avaient refusé de se convertir et des esclaves turcs ou considérés comme tels, achetés sur les marchés. 

3 - La plus ancienne des institutions officielles de l'Église catholique. Elle est consacrée au service de la rédemption sans armes à la main. Elle fut fondée par les français Jean de Matha et Félix de Valois pour racheter les chrétiens captifs des Maures.

4 - La Méditerranée occidentale au 17ème siècle : actes du colloque de 1989, Paris – Sorbonne. P. 21.

5 - Ce mouvement porte le nom d’Alyah Beth.