Ne faut-il pas être déshumanisé ?

« Ne faut-il pas être déshumanisé ?[1] »

Résumé

Inhumain est aujourd'hui synonyme de mal. Cela révèle comment nous identifions l’humain et le bien. Ce culte de l’homme qui se traduit en moralisme garde de la religion sa tendance à confondre le registre des faits et celui des valeurs. A l’inverse une perception différente de ce qui n’est pas humain ouvrirait la culture à se décentrer davantage d’elle-même.

I. L’inhumain, forme moderne du mal

« Inhumain » a en français une signification péjorative, il ne désigne pas de façon neutre ce qui est autre qu’humain, mais ce qui manque d’humanité. Il dénote avant tout la cruauté[2]. Quel mot est aujourd'hui plus fort pour qualifier ce qui doit être combattu, ce qui mérite l’opprobre ? Cet usage révèle ainsi en creux ce qui est devenu le critère déterminant de ce qui vaut : il présuppose que l’humain soit le bien. Ainsi pourrait être défini un humanisme par opposition aux conceptions antiques qui voyaient davantage l’homme comme un transgresseur par rapport à un ordre établi avant et sans lui. La philosophie grecque situait le Bien dans l’ordre du cosmos, au-dessus des caprices et passions qui animent le monde humain[3]. La pensée moderne au contraire est humaniste en ce sens qu’elle place le Bien du côté de l’homme, en opposition à un adversaire – naturel ou surnaturel – qu’il faut combattre : le bien est l’humain, on défend cette cause sacrée contre « l’inhumain ».

Dans cette situation, deux questions se posent : d’abord, si le Bien est défini par rapport à l’humain, l’est-il par les humains eux-mêmes ? Le renversement humaniste suppose que les hommes assument et revendiquent de fonder l’éthique, de posséder la liberté de décider eux-mêmes ce qui est bien. Une deuxième question se pose alors : les humains dans cette position seront-ils des législateurs, arbitres visant une impartialité, ou bien seront-ils de simples acteurs défendant leurs intérêts ? Dans les deux cas la figure de l’homme transgresseur passe au second plan, derrière celle du juge, ou bien de l’avocat et de la victime innocente.

Si l’utilisation du mot « inhumain » rompt avec la philosophie grecque, elle garde toutefois de celle-ci une conviction optimiste, cette de l’identité de l’être et du bien : l’idée que « le mal n’est rien[4] », un non-être, l’absence du bien qu’est l’ordre juste de l’univers, et qu’il tient uniquement à l’ignorance où nous sommes de la réalité fondamentale. Bref, la conviction que mal serait une simple illusion. Quand nous donnons au mal le visage de l’inhumain, nous laissons en effet encore penser que ce mal est une négativité, un manque d’humanité : défendons l’humain, laissons-le se développer, et le mal disparaîtra de lui-même, comme l’ombre en plein midi…

Cet optimisme humaniste reprend et prolonge celui des Grecs, que le christianisme a exprimé sous forme de « théodicée » quand il a fallu faire face aux objections que la découverte de l'histoire et du monde ambiant fit soulever : la théodicée défendait la justice de Dieu, et l’innocentait de toute accusation portée à partir du mal observé. Elle consacrait la conviction commune à la philosophie antique et à la Bible et qu’on associe généralement au monothéisme : un seul dieu bon, et pas d’autre puissance. Notre culture a ainsi exorcisé les forces de mal. L’humanisme historique qui s’est développé en Europe occidentale à partir du XVIe siècle s’est accompagné d’une régression de la figure du diable. Le christianisme a écarté le dieu méchant, et, dans le sillage optimiste des Lumières, différentes formes d’athéisme ont poursuivi le travail. La même promotion de l’ordre juste[5] a animé le combat pour Dieu contre les dieux puis la lutte pour l’homme contre Dieu : sans doute ce Dieu avait-il trop ressemblé aux dieux disparus ? Dieu cruel, culpabilisant, arbitraire, injuste, inhumain… Une anthropodicée a remplacé la théodicée, au service d’une même justice, de la puissance d’une culture contre ce qui blesse son orgueil. Si Dieu est rationalisé, si le seul dieu est logos, plus rien à craindre : avec le culte de la raison divinisée, il s’agissait de continuer l’antique assèchement rationnel des fantasmes entrepris par Épicure comme par les stoïciens. Mais ce culte idéaliste projetait plus ou moins inconsciemment le bon sur le réel : la raison n'est-elle pas le produit de notre désir d'ordre ? La lutte rationnelle contre le Dieu des traditions n'est-elle pas celle d'un désir d'échapper à l'ambivalence, à ce qui est effrayant dans notre imaginaire et donc aussi dans la réalité qu'elle informe ? Nous a-t-elle évité de voir le cosmos en ce qu'il est inhumain, suprahumain, irréductible à de l'humain… et les hommes en ce qu'ils sont eux-mêmes inhumains, irrationnels, hors normes ?

La philosophie de l'histoire qui a régné depuis deux siècles en Occident a été une défense optimiste de l’homme acteur succédant à celle du Dieu Providence. Elle nie le mal, et d’autant plus quand le réel est désormais de plus en plus imputable aux hommes. Elle tend à occulter ou minimiser la violence, la méchanceté, la volonté de faire le mal pour le mal : déjà les Grecs ne voyaient dans le mal qu’une ignorance, et la pire ignorance s’ignore elle-même, elle n’est donc pas coupable[6].

Toute idéologie tend à censurer et reconfigurer le réel selon ses normes, en référence à un absolu, un point fixe qui n’est pas lui-même mis en perspective. Elle met à part un sacré. Ainsi « l’homme, source de droit et de fraternité dans la philosophie humaniste, se trouve en quelque sorte mythologisé et divinisé dans l’idéologie humaniste, où il accède à une dignité surnaturelle[7]. » Cela ne s’exprime-t-il pas dans notre obsession à mettre entre nous et les animaux une différence de nature, ontologique ?

L’inhumain est la nouvelle figure du mal dès lors que le bien s’identifie à l’humain. Il est la forme moderne que prend le mal, comme énigme et scandale, dans une culture fondée sur la bonté de l’homme et sa présomption d’innocence. Il est ce qui pour elle ne mérite pas d’être. Cette culture exige qu’on s’indigne de ce que les choses ne soient pas comme elles doivent être, que le monde ne soit pas « humain » à souhait[8]. Or que se passe-t-il ? Comme déjà au temps de Bayle[9] l'histoire démentait la providence divine, elle met à mal au vingtième siècle notre idée du bien : Dieu certes en tant qu’il serait encore un « seigneur de l'histoire[10] », mais maintenant aussi l’homme lui-même. Le plus effrayant c’est, là où doit être défendue la frontière de l’humain, ce qui est barbare : là où s’arrête la culture, celle de celui qui porte le jugement. C’est au plus près du bien que prend forme le pire mal, dans ce qui lui est contigu, là où le frottement engendre les étincelles du conflit, là où il faut exorciser la réalité d’un autre humain. Car la barbarie a « visage humain ». On ne parle plus aujourd'hui de barbare sinon à propos des civilisés eux-mêmes, c'est-à-dire à l’intérieur de ce qui était censé porter le bien : scandale de l’inhumain en l’homme, dans le symbole–fétiche de la culture moderne, et en réalité dans ses idéaux. Ce qui est barbare, ce n’est plus une société, un individu, mais plus fondamentalement l’idéal lui-même auquel on croyait et qui révèle une capacité inattendue de produire du mal.

II. L’inhumain au cœur du divorce entre faits et valeurs

Si le mal est l’écart entre ce qui est et ce qui doit être, entre le réel et l’ordre de la civilisation, la culture moderne fait de la place pour cet écart, elle l’apprivoise. Elle travaille à distinguer ce qui est de l’ordre des faits, constatables avant et en dépit de tout jugement moral porté sur eux, et ce qui doit être dans l’ordre des valeurs, irréductible à tout ce qui pourrait s’imposer de fait. En séparant le positif de l’axiologique, le scientifique de l’éthique, elle ouvre à la pensée que ni l’un ni l’autre ne peut être suffisant ou totalisant. Elle rend possible qu’il y ait deux registres différents et autonomes, valables chacun dans son ordre. D’un côté ce qui est, de l’autre ce qui devrait être.

Ce clivage moderne affecte la façon d’appréhender l’homme : celui-ci peut être confessé et proclamé comme valeur, dans la perspective humaniste. Mais il peut aussi être étudié objectivement, scientifiquement, comme un fait parmi d’autres, ce qui introduit une tension avec l’humanisme[11]. Le développement des sciences humaines a correspondu à cette visée non axiologique, dans le prolongement des sciences de la matière et de la vie.

Ce clivage permet de comprendre le paradoxe qui caractérise l’attitude moderne par rapport à l’homme : d’un côté elle le sort de sa situation centrale, de l’autre elle l’y met davantage. On connaît la triple blessure que Freud diagnostiquait et qu’il revendiquait dans la postérité de Copernic et Darwin[12] : la science moderne déshumanise le monde, expulse l’homme de son piédestal, en fait un élément parmi d’autres dans l’univers. Il « n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature… mais c’est un roseau pensant[13] » : ce que Pascal exprime comme apanage de la pensée s’est aujourd'hui prolongé en domination technique, en véritable humanisation du monde. La modernité a imposé avec la science un effacement de l’humain, et avec la technique un règne de l’humain. Moins d’humain dans la réalité connue, plus d’humain dans l’action sur le monde, tel est le paradoxe.

Cette humanisation par la technique est toutefois microscopique et dérisoire à l’échelle de l’univers, elle est davantage une réalité culturelle que cosmique, et existe dans nos têtes plus que dans la réalité. Le règne de l’humain, certes efficace dans nos vies quotidiennes, nous enveloppe d’une bulle de rêve qui nous console de l’humiliation imposée par la raison scientifique. Il nous conforte dans notre croyance en la supériorité de nos désirs et leur légitimité à se réaliser sans limite. Se renforcent ainsi mutuellement la confiance en la souveraineté de notre agir et l’illusion que le monde serait désormais sous la maîtrise de l’homme. L’humain doit certes consentir à être objet au sein d’un monde d’objets, mais tous ces objets n’existent que face au sujet que l’homme est à présent pour être enfin lui-même.

Michel Foucault, dans Les mots et les choses, a montré la genèse de cette diffraction de l’homme en sujet et objet qui en fait une « vérité à la fois réduite et promise », positive et eschatologique, et qui conduit à « la mise en doute de la récente évidence de l'existence de l’homme[14]. » Les évidences ont toutefois la vie dure, et celle de l’homme n’échappe pas à cette règle. Car ce à quoi nous tenons est justement ce à quoi nous accordons « l'existence », « l’être le plus grand[15] », cette correspondance magique et mystérieuse entre culture et réalité, que nous l’appelions « Dieu » ou « Homme ».

C’est en effet aujourd'hui en l’homme que se concentre avec le plus d’acuité le problème de l’écart entre fait et valeur. L’ambivalence de l’humain est occultée par l’emploi du même mot dans les deux registres[16] ; nous ne savons souvent pas en effet si nous utilisons le mot « homme » comme objet de constat ou comme référence d’une norme : il est, et il doit être. En privilégiant le seul langage de la valeur, la notion d’inhumain risque de faire oublier l’autre type de langage, celui qui regarde les faits. Elle perpétue ainsi l’indistinction dans l’humain entre les deux approches, et l’illusion de prendre nos désirs pour la réalité.

L’homme n’est pas seulement un fait mais la valeur. Les deux lignes se recoupent et s’articulent ici, comme elles se recoupaient en Dieu. Aussi, ce qu’elle a dû affronter avec ce dernier, la modernité va le retrouver avec l’homme. Celui-ci remplit la même fonction qu’exerçait Dieu dans la culture classique : fonder la norme, obliger, et justifier l’obligation. Combler l’effrayant fossé entre l’être et la valeur. Rendre possible et nécessaire que ce qui est doive être : raison d’être, providence, cours de l’Histoire. Rendre possible et nécessaire que ce qui doit être soit - fondé dans l’être : métaphysique, scientisme, loi de nature.

C’était la fonction de l’origine dans les mythes d’assurer cet accord primordial qui prévenait toute déchirure entre réalité et valeur, entre ce qui a été développé par les modernes comme du constatif et du normatif. On pourrait ainsi appeler rétrospectivement[17] « religion » cette unité ou simplicité première, qui nie que la norme soit construite et postule qu’elle est déjà depuis toujours dans les choses. Le processus de sortie de cette religion est toujours partiel et provisoire, tant demeure forte au cœur même de la modernité l’aspiration de parfaite réconciliation de l’humain et de son environnement, de l’humain avec soi-même, c'est-à-dire de ce qu’il est avec ce qu’il devrait être. Ainsi le mythe des Droits de l'Homme instaure-t-il une origine antérieure à toute distinction entre ce qui doit être et ce qui est : « Les hommes naissent libres et égaux en droit ». Le mot « droit » peut en effet toujours être compris comme un attribut ou une possession, surtout s’il est décliné au pluriel, sous forme de droits acquis à défendre. En tant que nouveau sacré, la philosophie des Droits de l'Homme ressortit à la volonté de combler le fossé entre le réel et souhaitable, de remplir le vide du fondement de la morale, d’éradiquer a priori ce qui la contrarie.

En parlant d’inhumain, la religion de l’homme continue à nier cet écart, et la distinction même. Elle doit donc à son tour faire l’épreuve de la contrariété du réel et des événements. Quand c’est l’homme désormais qui est censé faire l'histoire, il se retrouve dans la même position que le dieu de la théodicée, à devoir se dédouaner de toute culpabilité[18]. En diabolisant Dieu, l’athéisme peut le remplacer par l’homme tout en gardant le même fonctionnement religieux qui sacralise une morale ou une politique. Dieu était innocent, l’homme doit l’être tout autant. L’humanisme doit donc trouver d’autres coupables, et fabriquer des boucs émissaires, des ennemis, de façon manichéenne - la société, telle ou telle catégorie, Dieu, la religion -, plutôt que d’assumer les limites de la vertu éducative, de la science ou de la politique. Quand Dieu se retire, les humains doivent eux-mêmes remplir la fonction. Mais ils peuvent le faire inconsciemment, de façon encore religieuse, ou bien assumer et gérer de façon responsable cette fonction.

Les figures de l’inhumain ont changé : elles étaient autrefois celles des dieux, ennemis des hommes, instruments d’un destin cruel et insondable face auquel cultes et rites restaient largement impuissants. Le monothéisme nous en a délivrés. Puis ce fut le tour du Dieu chrétien, accusé d’être normatif, trop hétéronomique pour être conciliable avec la liberté de l’homme moderne. Dieu écarté, reste « la société », accusée de contrainte totalitaire, ou quelqu’une de ses composantes érigée en personne morale.

Ordre contre chaos, Dieu contre Diable, Progrès contre obscurantisme : le manichéisme revient sans cesse sous diverses formes. Comment penser le mal en l’absence d’ennemi, et comment le rendre visible ? Il devient difficile à identifier dès lors qu’on sort du dualisme. Le manichéisme théologique a disparu progressivement sous l’effet du christianisme, au profit d’une théodicée : tout est bien, plus de figure objective du mal. Mais théodicée et anthropodicée ne sont pas plus réalistes que les manichéismes.

La pensée d’un mal non manichéen suppose qu’on entre dans la perception de l’ambivalence. Celle de Dieu a hanté l’évangélisation menée par l'Église pour tenter de convertir un visage souvent éloigné de celui que Jésus annonçait. Elle ne pouvait devenir consciente qu’en venant à bout de la figure du Diable comprise comme une sorte de double divin permettant d’extérioriser et expulser le mal que Dieu pouvait receler. Une fois le Diable effacé, on s’en est pris à Dieu comme l’incarnation du mal[19]. Une fois Dieu décrédibilisé à son tour, l’ambivalence demeure pourtant : faute d’un bouc émissaire, il faut assumer le mal dans le bien, quelle que soit la figure qui le porte. Si l’humain est la figure contemporaine du bien, il doit être aussi celle du mal. Seul l’humain peut être inhumain.

III. Le règne du moral

Qu'est-ce qui est inhumain ? Non plus les dieux, ni le cosmos, mais l’homme lui-même. Ne sont pas inhumains les animaux, mais ceux qui les maltraitent… On ne dira pas non plus que des enfants sont inhumains : ils ne sont pas moralement accusables, capables d’être coupables. Parler d’inhumain c’est adopter un point de vue moral sur le mal. C’est mettre en exergue l’humain à la fois comme victime et comme auteur du mal.

Cependant ce point de vue moral n’est le plus souvent qu’un point de vue moraliste, en deux sens différents. D’abord parce que la morale n’y est vécue que sur le mode de l’accusation d’autrui. Car qui se dit lui-même inhumain ? Qui s’indigne contre sa propre inhumanité ? Cette morale ne se fait pas en première personne, elle donne bonne conscience sur le dos d’un bouc émissaire. Elle privilégie le point de vue de l’humain en tant qu’objet d’une action indigne de lui. Aussi le jugement de l’inhumain révèle-t-il souvent une posture de victime - l’inhumain c’est toujours l’autre humain -, qui occulte l’humain coupable en nous : le langage tenu sur l’inhumain est en réalité immoral quand il sert à se défausser de sa propre conscience, interrogative sur soi. Il revient alors à rejeter le mal hors de l’humain, à ne plus rien considérer d’humain dans l’inhumain. Or l’inhumain passe au cœur de ce qui est le plus humain, le plus caractéristique de l’homme. Non dans ce qui en lui serait animal, ou corporel ou passionnel, mais dans ce qui au contraire est le plus précieux : l’intelligence, l’imagination, la raison, la capacité d'organisation, la liberté, l’utopie, la volonté de bien, la culture… Notre culpabilité s’enracine dans nos motivations profondes, nos solidarités, nos relations, nos idéaux mêmes. C’est ce que refuse de voir notre moralisme, au nom de la défense de ces idéaux, attaché qu’il est à dresser autour d’eux – et de lui – une barrière séparant l’humain de l’inhumain : sera alors inhumain simplement ce qui ne respecte pas l’homme, selon les critères qui font consensus hic et nunc. Cependant, au lieu de sacraliser l’humain comme fondement des valeurs, dans une pure morale de conviction, il serait possible de le reconnaître comme acteur ambivalent, du côté d’une morale de responsabilité : l’inhumain est en chacun, il guette tous nos comportements.

Parler d’inhumain peut tenir à une seconde forme de moralisme, qui consiste à absolutiser la morale. L’éthique donne-t-elle en effet le seul critère de jugement valable ? Le bien est-il le seul réel digne d’être ? Et se réduit-il à l’intérêt des hommes ? Différencier l’inhumain et le non humain, c’est reconnaître d’autres valeurs que morales : du non-humain vaut, et mérite considération par sa beauté, ou simplement sa vérité. La sagesse antique n’enfermait pas le bien dans l’agir, mais elle était ouverte à une dimension de contemplation.

Ce point touche le problème de la justification de l’écologie : la nature a-t-elle valeur en elle-même ou seulement en fonction de l’homme et de son utilité ? Faut-il combattre l’écologie dans sa pente antihumaniste[20] ? Ou bien faut-il introduire dans l’intérêt de l’homme une dimension de gratuité[21] ? Est-il « intéressant » pour les humains de vivre dans un monde entièrement humanocentré ? À moins que ce qui est vraiment humain, ce soit de vivre en relation bonne avec l’autre, un non-humain qui ne soit pas domestiqué et asservi ? Ce plaisir de vivre au milieu de non-humains n’est peut-être pas moral, mais il développe d’autres dimensions de l’humain, plus gratuites, vis-à-vis en tout cas des critères de la morale. Plutôt que de chercher à moraliser la relation avec l’animal, il conviendrait d’en développer les dimensions non morales - pas immorales ! L’omniprésence du droit, des catégories juridiques et morales, est l’indice d’un moralisme qui veut tout réduire à ses propres normes. Est-il même moral de ne prendre en compte que la morale ?

Se poursuit avec l’humain une sacralisation de la morale qui s’était faite au nom de Dieu. Le Dieu-homme ou l’homme-Dieu[22] risquent de rabattre l’un sur l’autre pour une même clôture de la culture. Qu’on légitime l’apologie de l’humain par une volonté divine, ou qu’on voie en celle-ci une projection de l’humain véritable, le résultat est le même : théisme et athéisme[23] partagent la même conception d’un dieu qui devrait être conforme en tous points à la morale ambiante, le premier en en faisant un prescripteur et un juge, le second en l’accusant de ne pas être à la hauteur de sa fonction. C’est celle-ci qui est au fond sacrée pour l’un et l’autre, au service de l’essentiel, la morale.

Or le fondement de la morale est béant : comment l’assurer à partir de ce qui est ? Et comment expliquer que ce qui doit être ne soit pas ? Le moral ne commande pas absolument la réalité. Ce qui arrive démentit l’ordre juste. A cela les sagesses ont rétorqué que le temporel était illusoire, et que les vraies valeurs étaient au-delà. La foi a attendu de Dieu la justice au dernier jour. Mais le temps lui-même est-il moral ? Le temps de Dieu est-il le temps des hommes ? Est-il enfermé dans leurs utopies ? L'histoire n’est pas régie par la rétribution[24].

La source de cette difficulté est dans ce qui constitue la démarche morale : celle-ci est rupture vis-à-vis de ce qui est, exigence de transformation. La norme qu’elle instaure est hétérogène par rapport à ce qu’elle juge. La valeur est irréductible au fait qu’elle permet d’évaluer. Entre les deux, il y a hiatus, qui vient de l’irruption de la règle dans le monde qu’elle évalue. La loi est extérieure et étrangère à ce qu’elle prend comme objet. C’est ce qu’exprime l’hétéronomie[25], mise en valeur dans la religion : le monde est jugé au nom d’un Autre. La religion manifeste cette antériorité, cette extériorité et cette irréductibilité du juge par rapport au jugé, c'est-à-dire cette hétérogénéité fondamentale de l’expérience humaine où s’effectue un arbitrage dans le réel.

En même temps la religion tente de compenser, de neutraliser cette hétérogénéité, de combler ce hiatus : elle légitime la morale, l’intègre symboliquement dans cela même qu’elle vient évaluer et fracturer, la réconcilie avec ce qu’elle vient juger. Elle vient faire penser que la démarche éthique pourrait trouver un fondement en dehors d’elle-même, alors que tout ce qui est disponible en tant que fondement possible est soumis à son jugement. La religion postule une « homogénéité de l’être[26] » : elle assure que ce qui est doit être, et réciproquement. Elle donne cohérence entre être et valeur. Elle unifie cosmos, polis et psyché dans un même ordre sacré.

Cet enjeu, qui encore une fois ne s’arrête pas aux frontières de ce qu’on appelle habituellement « religion », habite la question de la place de l’humain dans l’univers. Nos deux traditions, grecque et juive, ont postulé une cohérence fondamentale entre le destin de l’homme et le monde, soit par la référence à un logos, soit dans la relation à une volonté de salut. Métaphysique et théologie ont fait penser l’être à la hauteur de la norme. La science moderne, à l’inverse, permet de penser un réel hors de cette norme, amoral. Mais elle ne peut le faire qu’en mettant en œuvre un régime normatif nouveau, qui exige de chercher une vérité indépendante de toute autre règle que l’honnêteté intellectuelle.

Cependant la modernité n’a pas supprimé le besoin de cohérence[27], et l’aspiration à un sens global. La théodicée postulait que le monde était pour l’homme, elle homogénéisait l’univers entier et le bonheur humain. L’humanisme tend à faire de même. Cette croyance que l’univers a pour but l’humain, et que nous nommons aujourd'hui « principe anthropique » quand elle se pare d’un vernis scientifique, n’est que l’explicitation d’un sentiment communément partagé : nous continuons à faire comme si le monde était à l’échelle de l’homme, comme si nous étions encore dans la cosmologie médiévale, avant les révolutions de Galilée et Darwin. Ainsi, quand nous nous demandons ce que nous ferons quand le soleil s’éteindra dans quatre milliards d’années[28], nous perdons le sens des échelles, parce que nous absolutisons notre situation dans l'histoire de l’évolution biologique, mais aussi dans celle des formes culturelles. Nous confondons fin du monde et fin de notre civilisation, menace sur la planète et menace sur l’espèce humaine, disparition des hommes et disparition de notre culture. C’est alors celle-ci que nous absolutisons, en gommant les disparités d’échelles, en gonflant notre identité, de notre culture à l’espèce, de l’espèce à la planète, de la planète au système solaire et jusqu’aux confins de l’univers. C’est ainsi à un véritable récit de création que nous nous livrons de façon plus ou moins consciente. Que deviendra l’humain au fil des mutations et sélections ? Il ne disparaîtra pas aussi facilement que notre civilisation, que ce que nous appelons « la civilisation »… Son devenir est un grand point d’interrogation, insondable. Sans mesure avec nos moyens d’action, il ne nous appartient pas. Mais cela est difficile à entendre dans une culture humaniste qui met l’homme au centre.

Dire que l’humain est le sens, c’est garder le contenu de la théologie qui interprétait déjà ainsi la parole de Dieu. De ce point de vue la modernité reste toute entière à l’intérieur de la perspective chrétienne. Mais elle en accentue la clôture anthropocentrique par déséquilibre de l’interprétation, en privilégiant davantage l’humain contre le cosmique. La suppression du théocentrisme pour défendre la cause de l’autonomie humaine perpétue en substituant l’humain au divin le processus de sacralisation de l’idéal culturel. Cette métaphysique de l’humain devient le point d’appui, et le critère pout tout juger - même l’ordre, Dieu et le progrès - comme inhumains.

IV. L’humain décentré

Plus il y a d’humain, et plus il y a d’inhumain, comme l’ombre de l’ordre qu’il établit. Seul l’humain peut être inhumain. Si le bien est l’humain, le mal aussi. L’inhumain serait-il le mal dans le bien ? Serait-il la nouvelle figure du diabolique, qui jette un doute sur le bien ? Cette perspective ferait échapper au manichéisme, à un nouveau dualisme faisant de l’inhumain un pur négatif opposé à l’être positif et bon de l’homme. Le mal n’est ni l’humain ni le non-humain, il n’est pas un être ni dans un être plutôt que dans un autre, mais il est relationnel. Ce qu’on qualifie d’inhumain, c’est un mode de relation, qui ne peut être chosifié comme une figure objective, mais qui empêche que cette relation soit humanisante, c'est-à-dire permette ce qui est considéré comme vital pour des humains.

Or qu’est-ce qui est vital ? Est-ce que l’homme occupe le plus de place, toute la place ? Est-ce qu’il y ait le plus d’humains possibles ? L’inhumain ne se définit pas en termes quantitatifs, comme un retrait ou un effacement de l’homme par rapport à d’autres êtres. Se reproduit ici ce qui se jouait par rapport à Dieu dans la Bible : le salut n’était pas de donner plus de place au divin par rapport à l’humain, mais de changer la relation entre eux, dans le sens de la possibilité de choix et de liberté là où régnait le rapport de forces.

L’humain en effet ne se caractérise-t-il pas par son ouverture à ce qu’il n’est pas ? N’est-il pas constitutivement écart par rapport à lui-même, désir et creusement d’altérité ? « L’homme passe infiniment l’homme[29] », en reconnaissant en soi du manque, de l’incomplétude, de la non-suffisance. Il cesserait d’être humain en ne vivant que par soi et pour soi. Quelque chose en lui le décale par rapport à sa nature, pour chercher « un dieu perdu[30] ». Ce qui est humain en l’homme, c’est sa relation à un non-humain, sa capacité de se décentrer de lui-même, à cause de ce qui chez lui est imaginaire et désir, sociabilité et mimétisme, langage et culture. Le sens de l’humain est ailleurs, hors de lui, dans un non-humain qui n’est pas l’inhumain. L’appellera-t-on divin ?… Cela ne garantit pas le respect de cette transcendance, car la divinité a servi aussi à légitimer un ordre cosmique, ou social, ou psychique[31].

Cette idéologie religieuse continue avec l’humaniste qui aplatit la transcendance en en faisant un ordre culturel clos, absolutisant un idéal intellectuel, moral, politique, emboîtant dans une même loi ou volonté ce qui est vécu par l'individu, ce qui est organisé socialement et ce qui arrive cosmiquement. Cependant la religion peut aussi cultiver le sens d’une certaine transcendance : en empruntant à psyché, polis et cosmos quelque chose de leur gratuité, de leur irréductibilité, de leur écart à la norme et à toute norme commune, elle y puise de l’inspiration[32] et de la légitimité pour ouvrir sur de l’altérité[33]. Elle tempère ainsi l’homogénéisation en entretenant dans le rapport à l’absolu de l’ambiguïté, et même plus consciemment une ambivalence : Dieu est-il humain ?

On a vu dans l’humanité de Dieu une caractéristique centrale du christianisme, puisqu’il est focalisé sur la figure d’un dieu fait homme : figure paradoxale, car elle va à l’encontre du désir de séparer la divinité et de préserver son éloignement. Mais ce désir n’est-il pas lui-même humain ? Un Dieu homme peut être une force de contestation de la façon de comprendre l’humain. Cela est d’autant plus vrai quand on prête attention à la figure humaine qui est privilégiée dans le christianisme : celle d’un homme en croix, objet de scandale du point de vue des normes de pureté ou de valorisation sociale ambiantes, religieuses ou politiques.

« Dieu n’est pas devenu homme selon nos idées sur ce que devrait être un être humain. Il est devenu un homme tel que nous voudrions ne pas l’être, un rejeté, un maudit, un crucifié. Ecce homo ! Voici l’homme ! Ce n’est pas une affirmation résultant de la ratification de notre existence humaine et faite sur le principe : « Le semblable est connu par le semblable », c’est une confession de foi, qui reconnaît l’humanité de Dieu dans le Christ « déshumanisé » en croix. La confession dit donc en même temps : Ecce Deus ! Voici Dieu en croix ! L’Incarnation jusqu’à la mort de la croix n’est donc pas finalement un voile derrière lequel Dieu se cache, mais une humiliation par laquelle il se dépouille de lui-même et totalement en l’autre, en l’être qui n’est plus homme[34]. »

Jésus ne déprécie pas l’humain face à un dieu qui le jugerait, ni ne le magnifie dans la ligne des mythes de sacralisation d’un roi ou d’un prêtre. Le titre de messie, qu’il a probablement lui-même refusé, est réinterprété dans le Nouveau Testament à l’envers des attentes de souveraineté puissante. L’essentiel de l’Évangile se joue là, dans l’ambiguïté de ce titre et de la relation à Dieu qu’il recouvre, sous la forme des tentations de Jésus : quoi de plus humain que de vouloir manger, posséder, et repousser la mort ? Mais cet humain a tôt fait de se faire surhumain, quasi-divin par désir de toute-puissance. L’humanité de Dieu dans le christianisme ne sacralise donc pas l’humain mais au contraire instaure une relation qui le décentre de lui-même ; si elle valorise l’humain, c’est en la libérant des idolâtries qui en font un prétendant à la divinité. L’humain qui se révèle en Jésus déroge aux conceptions de l’homme et de Dieu qui concouraient à la sacralisation d’un ordre culturel correct.

Un même décentrement affecte Dieu et l’homme, pour faire sortir d’un jeu de rivalité et balance où la position haute de l’un ferait contrepoids à l’abaissement de l’autre. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. La vie de l’homme, c’est de voir Dieu[35]. » L’anthropocentrisme moderne n’a retenu que la première des deux propositions, en rétrécissant ainsi la doctrine chrétienne du salut pour ériger l'existence et le bonheur de l’homme en volonté divine suprême. On peut interpréter la citation dans le sens d’une identification statique de Dieu et de l’homme, ou au contraire d’une double dynamique de révélation et conversion : la gloire de Dieu n’est pas l’homme tel qu’il est. La vie de l’homme n’est pas de connaître Dieu comme la projection de ses désirs mais de le découvrir dans ce que nous dirions aujourd'hui inhumain. Au déplacement du divin répond celui de l’humain, à l’humiliation de Dieu répond celle de l’homme : une même « kénose[36] » les vide d’une prétention à absolutiser ce qui vaut. Dire que l’homme a un sens n’équivaut pas à dire qu’il est le sens. Car il gagne à se percevoir du point de vue de l’autre.

Le Nouveau Testament met en question le règne de l’humain en le débordant à la fois par le bas et par le haut : croix et gloire, mort et résurrection, non séparées mais tenues ensemble dans leur antagonisme, font pressentir une réalité qui ne se réduit pas à un ordre humain. Car ni l’univers (cosmos), ni la socialité[37] (polis), ni les hommes individuels eux-mêmes (psyché) ne sont « humains » et n’obéissent parfaitement à ce critère que nous voulons imposer à ce qui est. La réalité tient du fascinans et du tremendum[38], elle n’est pas à notre mesure. Elle n’est ni convenue ni convenable, elle n’obéit pas à notre critère du « digne ». Le Dieu de l’Évangile vient dans l’indigne. Et il est lui-même rejeté comme indigne[39] : indécent, irrecevable. Autrement inhumain.

Ce texte a été publié dans la revue Mélanges de Science Religieuse tome 69, 2012, n°1 pp. 61-74.

[1] Nietzsche, Fragments posthumes 32 [14], in Humain, trop humain, éd. Gallimard 1968 p. 377.

[2] Dictionnaire Littré de l’Académie française 6e édition.

[3] On s’est ainsi souvent mépris sur la célèbre phrase attribuée à Protagoras : « L’homme est la mesure de toutes choses ». Elle ne signifiait pas en effet qu’il fallait placer l’homme au centre de tout, mais qu’il y avait là de quoi ruiner la visée du vrai.

[4] Selon le mot de Boèce, cité in J.-L. Blaquart, Le mal injuste, éd. du Cerf 2002 p.45.

[5] Sur cette orientation fondamentale de notre culture, cf Le mal injuste.

[6] On ne peut reprocher sans contradiction à quelqu'un d’être dans l’illusion, puisqu’une illusion consciente n’est plus une illusion. L’illusion n’a de sens que comme ce qu’on s’attribue à soi-même en en sortant.

[7] E. Morin, La méthode IV, Les idées, éd. du Seuil 1991 p. 143.

[8] Nietzsche, Le Gai savoir, § 346.

[9] P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, 1697.

[10] H. Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, trad. fr. éd. Rivages 1994 p. 13.

[11] L’œuvre de Michel Foucault et particulièrement la notion de « mort de l’homme » ont mis en lumière cette tension.

[12] S. Freud, Introduction à la psychanalyse, éd. Payot 1969 p. 266.

[13] Blaise Pascal, Pensées (1660), fragments 347-348, Éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1976, pp. 1156-1157.

[14] M. Foucault, Les mots et les choses, éd. Gallimard, Paris 1966 p. 331.

[15] L’argument ontologique du Proslogion.d’Anselme de Canterbury explicitant cette identification de ce qui vaut le plus et de ce qui est le plus.

[16] J’ai proposé d’écrire le mot avec ou sans majuscule pour distinguer ces deux registres de sens.dans Repenser l’humain, La fin des évidences, éd. L’Harmattan 2010 p. 171.

[17] Seulement rétrospectivement, car cela ne pouvait être perçu comme tel quand l’évidence rendait impensable qu’il en aille autrement. La perception moderne d’un tel « religieux » est indissociable d’un commencement de séparation entre faits et valeurs.

[18] Odo Marquard, « Questions à la philosophie de l’histoire, ou dans quelle mesure la philosophie de l’histoire peut-elle être irrationnelle », La Pensée politique, 1, Gallimard/Le Seuil, 1994, p. 211.

[19] Proudhon, Misère de la philosophie (Exposition du mythe de la Providence. Rétrogradation de Dieu), Cinquième époque, tome 2.

[20] Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, éd. Grasset 1992.

[21] Cf mon article « Gratuité et transcendance : du bon plaisir antique à l’autonomie moderne », in Mélanges de Science Religieuse tome 66 n°2, avril 2009, pp. 5-20.

[22] Luc Ferry, éd. Grasset 1996.

[23] J. Moltmann, Le Dieu crucifié, tr. fr. éd. du Cerf 1974 ch.6.

[24] Cf. Le Mal injuste.

[25] Et chez Kant le caractère impératif a priori de l’obligation morale.

[26] C. Castoriadis, « Institution de la société et religion », in Religion, société et politique, mélanges en hommage à J. Ellul, éd. PUF 1983 p. 8.

[27] J.-L. Blaquart et S. Deprez, Religion et science sont-elles antagoniques ?, éd. Salvator 2011, p. 94 et s.

[28] Ce qu’on trouve même chez quelqu'un d’aussi averti qu’Edgar Morin, dans La méthode V, L’humanité de l’humanité, éd. du Seuil 2001 p. 239.

[29] Pascal, Pensées éd. Br. 434..

[30] Ibid.44.

[31] « L’illusion religieuse, ce n’est pas la transcendance mais la transcendance confisquée… Travestie en perfection de l’ordre, la transcendance n’est qu’un leurre. » (H. Duméry, Encyclopaedia Universalis art. Religion).

[32] Cf la polysémie du souffle, à la fois cosmique, psychique et social.

[33] Selon l’intuition d’E. Morin, c’est la polydépendance qui est source d’autonomie (o.c. p. 259).

[34] Moltmann, Le Dieu crucifié, tr. fr. éd. du Cerf Paris 1974 p. 231.

[35] Irénée de Lyon, Adversus haereses, IV, 20, 7.

[36] Cette façon de se vider de soi qui est attribuée au Christ en Phil. 2,7. Cf. Le mal injuste p. 241 et s.

[37] Marcel Gauchet montre comment la société moderne manifeste davantage cette altérité inhérente à l’humain, à l’encontre de la tentation récurrente d’identité à soi qu’on trouve par exemple dans les expériences totalitaires. Cf L’avènement de la démocratie, III A l’épreuve des totalitarismes, éd. Gallimard 2010.

[38] Pour reprendre les catégories de R. Otto, Das Heilige (1917), trad. fr. Le sacré, éd. Payot, 1995.

[39] « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu », Jn 1, 10.