Se faire apôtre du XIXe siècle à nos jours

Apostolat et laïcité : enjeux de la formation chrétienne des adultes depuis le concile de Vatican II

in Se faire apôtre du XIXe siècle à nos jours. L'Eglise catholique et les différents régimes d'apostolat dans le monde moderne, éd. Parole et Silence 2019, sous la dir. de C. Coutel et O. Rota

L’objet de l’étude concerne l’Église catholique en France sur la période du dernier tiers du XXe siècle. Celle-ci fut marquée par le tournant opéré au concile Vatican II qui infléchit l’attitude vis-à-vis de la société moderne telle qu’elle s’était développée dans les pays démocratiques d’Europe et d’Amérique. Un tel changement s’est effectué à la fois ad intra et ad extra, dans la conception que l’Église a d’elle-même et dans ses rapports avec la société civile. Ad intra, la façon dont l’Église a compris sa mission été redéployée pour être impartie en principe à tous les « laïcs » baptisés ; après le concile, la formation chrétienne des adultes a été considérée comme une condition importante de cet apostolat redistribué. Quant au rapport entre l’État et l’Église, il s’est inscrit dans un cadre politique et juridique établi progressivement depuis la Révolution, aménagé au cours des cinq républiques constitutionnelles successives et habituellement désigné par la notion de laïcité. Or ce cadre français impose à la communication des traditions religieuses une réserve qui limite l’action de l’Église institutionnelle mais retentit aussi sur le comportement des croyants dans un contexte culturel de sécularisation des mentalités. La notion même d’apostolat a été notablement affectée par cette évolution depuis un siècle, au point semble-t-il de tomber en désuétude.

La conception et la mise en œuvre de la formation des adultes dans l’Église catholique en France porte l’impact du régime de laïcité et des évolutions, tensions, divergences et interrogations que celui-ci suscite dans la population et au sein de la hiérarchie ecclésiale. La gestion de cette situation, sous le double angle de vue de la conception de l’Église et de ses relations avec la société, met en jeu l’interprétation de la foi chrétienne et de ses rapports avec la modernité. Les deux sont en effet inséparables d’une évolution culturelle plus large, à dimension européenne et même mondiale, qui touche le contenu et la mise en œuvre des valeurs mises en avant par cette modernité.

Plan

I. Dans un contexte de laïcité, l’apostolat engendre un besoin de formation

« Il n'y a pas d'apôtre laïc sans une formation spécifique »

« Tous responsables »

« Un champ élargi à l’infini »

Le militant, « un catéchiste laïc »

II. La naissance d’une catéchèse d’adultes

« Ce fut une grave faute de supprimer le catéchisme »

« La catéchèse des adultes, forme privilégiée de la catéchèse »

« Un processus de conversion permanente »

III. La laïcité comme inspiration nouvelle de la formation

Le rapport à soi

Le rapport à l’objet

Le rapport aux autres

Conclusion

Notes complémentaires au texte publié

· Le mot apôtre, de même que prêcheur ou prédicateur, tend à prendre un sens ironique ou franchement péjoratif : Cette évolution semble se dessiner dès le XVIIe siècle avec la décrédibilisation de la figure idéale du croyant personnellement convaincu promu par les Réformes (Alain Mothu, « De la foi du charbonnier à celle du héros (et retour) », Les Dossiers du Grihl [En ligne], Les dossiers de Jean-Pierre Cavaillé, Libertinage, athéisme, irréligion. Essais et bibliographie, mis en ligne le 06 décembre 2010, consulté le 22 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/dossiersgrihl/3393

· À propos des trois stades qui ont caractérisé la conception de la mission – le surplomb, l’adaptation, le dialogue : ils sont à comprendre plus comme des modèles ou des idéal-types que comme des périodisations précises ; je m’inspire ici de l’article d’A.-M. Henry dans le Dictionnaire « Catholicisme » art. Mission (1980). On pourra faire le rapprochement avec les trois types de domination légitime de Max Weber (tradition, charisme, rationalité).

· Dans un contexte de laïcité d’ignorance, d’indifférence ou d’abstention religieuse, l’attention est passée des enfants à leur famille: en témoigne l’ajout de « à leur famille » au titre de la revue « Points de repère » consacrée à la catéchèse de l’enfance.

· Un investissement important a été fait pour former des catéchistes, dont la compétence ne pouvait plus être présupposée : souvent au niveau diocésain ou même interdiocésain comme avec le CIPAC à Lille en 1973, école de catéchistes ouverte ensuite à tous les « animateurs de pastorale ».


. La tension entre une logique d’enseignement magistral et une logique de formation plus interactive s’est manifestée lors de la parution du Catéchisme pour adultes des évêques de France en 1991. Celui-ci suscitait beaucoup de réserve de la part des formateurs qui y voyaient une concession épiscopale aux directives romaines. Le CNER, Centre National de l’Enseignement Religieux, lui adjoignit rapidement un complément qui en faisait un document utilisable dans une perspective toute différente, Modes d’emploi (du Catéchisme pour adultes), publié chez les mêmes éditeurs et avec une jaquette similaire (1992).

· Sur la période du XXe s. la proportion d’évêques titulaires d’un diplôme de théologie ne dépasse pas 1/3, dont 15% pour le doctorat. Cf. Paul Airiau, « Les évêques à l'école : une formation spécifique ? » in Frédéric Le Moigne et Christian Sorrel (dir.), Les évêques français, de la Séparation au pontificat de Jean-Paul II, éd du Cerf 2013.

Vive dans les années cinquante, la tension entre théologiens et autorités romaines a persisté après le concile quoique de façon moins rude, amortie par deux autonomies :

– celle des institutions universitaires catholiques : elles sont sous le contrôle d’évêques - un chancelier et des « protecteurs » - mais on se rappellera que les Facultés de théologie furent créées à la demande de Rome et non par des évêques, davantage motivés par leurs séminaires. En 1999 Mgr Lustiger, pourtant chancelier de l’Institut Catholique de Paris, créa en concurrence avec lui son propre studium de théologie…

– celle de chaque évêque dans son diocèse : l’épiscopat français a toujours été réticent à la mise en place d’une instance nationale de la formation permanente. Aussi l’orientation de celle-ci est-elle très variable, chaque évêque pouvant avoir une politique différente, plus ou moins libérale. Il n’existe pas en tout cas de contrôle de la formation semblable à celui de la catéchèse des enfants (fonds obligatoire et grille d’évaluation) ou celui de la formation des séminaristes.

· À propos de la culture de débat : la tradition scolastique médiévale pratiquait déjà l’enseignement de la théologie sous la forme de disputatio, débat entre positions concurrentes. Cf. J.-L. Blaquart et M. Leroy (dir.), Débattre, quels enjeux pour l’Église ? éd. L’Harmattan 2018.

· En limitant l’expression religieuse publique, la laïcité favorise une foi privative de type gnostique : cette tendance est soulignée récemment par la Lettre Placuit Deo de la Congrégation pour la doctrine de la foi aux Évêques de l’Église catholique sur certains aspects du salut chrétien (20/07/18), reprise dans une perspective un peu différente par l’Exhortation apostolique sur la sainteté (pape François, 19/03/18).