Le fanatisme religieux du XVIe siècle à nos jours

"Le fanatisme, ce redoutable amour de la vérité" (Alain)

in Le fanatisme religieux du XVIe siècle à nos jours, Etudier, comprendre, prévenir

Artois Presses Université 2017 sous la dir. de Charles Coutel (collaboration)

Le philosophe Alain[1] est en France un témoin privilégié du fanatisme dont le dernier siècle eut conscience d’être victime. Par sa situation personnelle d’enseignant et de militaire engagé dans la première guerre mondiale, il eut à résister à la pression que la religion et le nationalisme pouvaient exercer alors sur les individus : « Voltaire avait bien vu. C'est le fanatisme qui est le mal humain[2]. » Sa pensée prolongeait et actualisait la promotion de la raison par les Lumières, et notamment l’inspiration de Kant, mais elle traduisait aussi l’engagement personnel d’un homme qui prit parti. À l’interface entre une réflexion théorique et l’engagement pratique, entre la recherche de vérité et les risques de l’action, il n’eut de cesse de vouloir militer sans sacrifier la lucidité.

Un repérage de l’utilisation du mot fanatisme et des textes qui s’y rapportent chez l’auteur permettent de suivre l’approfondissement d’une pensée qui détecte les constituants du fanatisme en s’éloignant elle-mêmede ce qui le favorise. L’œuvre d’Alain ne prend pas la forme d’un système mais elle a créé le genre littéraire du « propos », marqué par la liberté de ton et un art très élaboré de la formule, parfois ciselée jusqu’à l’énigme[3]. Cette caractéristique empêche d’attribuer le fanatisme à un coupable dont on pourrait définitivement se débarrasser, et entraîne dans une dynamique d’observation, de réflexion et de contrôle de soi. Elle fait sortir d’un manichéisme aveugle pour penser avec nuances : le fanatisme est un problème de (dé)mesure et peut être animé par la vertu, l’amour, notamment celui de la vérité, et même la raison ! Il doit donc être combattu à l’intérieur même de ce qui se développe avec les intentions les meilleures, et les remèdes qu’Alain propose sont à chercher du côté du rire, de l’art, de la culture, pour une thérapeutique quotidienne.

[1] De son vrai nom Émile Chartier (1868-1951).

[2] Esquisses de l’homme, XCIV.

[3] « C'est la forme même du Propos qui rompt l'unité de développement ; chaque Propos se retourne sur soi et se termine à soi. Il est bon que le lecteur sache que ces effets sont voulus, et que l'auteur, en ce grand sujet, a voulu garder l'avantage propre aux Propos, qui est de jeter le lecteur dans d'autres pensées, c'est-à-dire d'exciter la liberté d'invention » (Propos sur la religion, préface).