Argumentaire en faveur de l'Education Musicale




De nombreux arguments plaident en faveur de l’Éducation Musicale. Vous trouverez sûrement ici des raisons pour vous "aventurer" dans ce domaine.  Et à faire de la musique  ... une matière d'éducation.  Car, si on apprend la musique, on apprend beaucoup grâce à la musique.

Il y a des points de vue qui peuvent nuancer et contrarier mon argumentation en faveur de l’Éducation Musicale.  Je les expose et les commente dans une autre page de ce site : Objections et réflexions.

A vous, enseignants, je ne me contenterai pas de vous dire que c'est votre devoir. "Les programmes vous imposent cette épreuve", disiez-vous. Une épreuve ?  Mais sur quel chemin éprouvant vous demande -t- on d'avancer en compagnie des élèves dont vous êtes responsables ? Le commentaire des programmes ne suffisait pas à convaincre les plus hésitants de mes anciens interlocuteurs. Je vais donc  partager avec vous les éléments d'une argumentation qui souvent emportaient leur adhésion.

En tous les cas, pour les enfants , la motivation principale est que la musique est source de plaisir (parfois une réconciliation des enfants avec l'école et avec la vie). Pour les adultes choristes ou musiciens, aussi c'est souvent la première raison invoquée. L'éducateur sait bien que l'éducation musicale requiert une implication et un engagement parfois redoutés. "Je n'ai pas une belle voix ! Je n'y connais rien. ".  Qu'est-ce qui peut conduire à dépasser ses appréhensions .?  Aujourd'hui, des aides précieuses , disques et vidéos,  ne permettent plus aux enseignants de dire qu'ils sont démunis.  On peut faire chanter sa classe et écouter des œuvres musicales en  appuyant simplement sur la touche du lecteur de CD. Car la musique ce n'est pas le solfège. Du reste la plupart des musiques du monde ne sont jamais écrites.  Elles se transmettent d'abord par imitation.  Alors qu'est-ce qui peut convaincre un maître de faire ce simple geste (appuyer simplement sur la touche du lecteur de CD ) avec la détermination de l'éducateur qui accomplit une belle fonction ? Il y a bien plus en jeu que ces sourires qui s'épanouissent sur les visages des enfants qui chantent !....

1 Nous accédons à une connaissance du monde grâce à nos sens.  Ainsi, nous sommes à l'écoute du monde qui nous entoure.

Nous cherchons à mieux entendre  les pépiements des oiseaux,  le ruissellement des cours d'eaux, le bruissement du vent dans les arbres et les roseaux, les cris et les premières conversations de nos enfants. Les sonorités du monde nous parviennent d'autant mieux  que la sensibilité de notre ouïe est affinée.  Nous percevons d'abord confusément l'organisation des sons. Et puis nous obtenons  satisfaction quand nous comprenons ce qui se passe, quand notre intelligence parvient  à donner du sens à ce que nous écoutons.

a ) Sensations. 

Les caractéristiques des sons : leur intensité, leur succession plus ou moins rapide, leur hauteur se présentent d'emblée dans toute leurs diversités et leurs subtilités. Et particulièrement quand nous écoutons quelqu'un qui s'exprime dans une langue qui nous est très peu familière. Comment exercer notre oreille à mieux percevoir les sonorités d'une langue étrangère ?  On dit souvent que les musiciens ont  des dispositions pour l'apprentissage des langues.  Les phonèmes d'une langue , les voyelles particulièrement, s'articulent comme les sons de notre voix chantée, comme les sons d'un instrument de musique . Ils correspondent à des vibrations émises avec précision. Le spectre sonore d'une voyelle dessine une vague ("wave") reconnaissable et apparentée à une combinaison de sinusoïdes. La production et l'écoute de sons de fréquences différentes, séparés par des intervalles plus ou moins grands , c'est l'activité musicale même : production et écoute de rythmes et de mélodies.  L'exercice graduel , la familiarité avec des intervalles différents rend notre oreille plus disponible et capable de saisir les subtilités des sons du langage parlé, des sons musicaux et de tous les autres  sons.

b) Perceptions  

Percevoir c'est commencer à entendre et à attribuer du sens à ce que nous écoutons. Nous croyons être capables de  donner assurément du sens à une expression de la langue française. Et pourtant.... Dans la chanson de France Galle qu'entendez-vous ?

"Elle a, elle a" ? ou  "Et là, et là"  ? ou "Ella ,elle a" ? ou "Ella, elle l'a" ?

C'est à cette dernière proposition que pense France Galle car elle rend hommage à la grande chanteuse de jazz. Ella Fitzgerald  a entre autres qualités, le sens du swing : "Ella, elle l'a" . "Elle a ce je ne sais quoi".  Ella Fitzgerald nous fait frissonner, vibrer quand nous l'écoutons :  sa musique appuie la libération du peuple noir

En musique, nous pouvons déceler de l'organisation dans les sons que nous écoutons. Il semble y avoir de l' ordre dans ce que nous appelons un mouvement mélodique ascendant. Il semble y avoir un ordre dans ce que nous appelons un mouvement mélodique, quand nous entendons un son plein de légèreté puis un son grave. Il semble y  avoir un ordre dans ce que nous appelons un mouvement rythmique qui s'interrompt et qui reprend. Certaines musiques provoquent spontanément une  envie de frapper dans nos mains, une envie de nous déplacer, une envie de danser. Toujours, des gestes quasi spontanés et évocateurs peuvent mimer ou accompagner ces élément musicaux. Les émotions que nous ressentons provoquent notre mouvement . (Émotion, mouvement, motivation, mots ... sont d'ailleurs des termes apparentés).  Notre visage s'épanouit, une joie nous envahit . Ou au contraire, notre visage se ferme et c'est plutôt un sentiment de tristesse qui nous gagne.

Les mots que nous utilisons alors pour décrire la musique et notre rapport à la musique, procèdent par analogie avec d'autres réalités. Ils sont cependant déjà bien chargés de sens.  Le meilleur et le pire. Les musiques militaires mènent vers le lieu de la bataille les soldats  au pas cadencé comme s'ils obéissaient à un ordre...  Questionnons à présent cette idée d'ordre que nous venons d'évoquer à plusieurs reprises.

c) Intelligibilités des perceptions sonores. 

Pythagore, le Grec ancien, a découvert les premiers harmoniques des sons. Des sons s'harmonisent avec le son produit par une corde qui vibre. Ils apparaissent quand on divise la longueur de la corde par 2 ou par 3 ou par 4.  (Une corde qui produirait au départ la note DO, produirait ensuite la note DO aigu, puis la note Sol, et la note Do suraigu. Toutes ces notes s'accordent parfaitement.) Le principe est le même quand il s'agit d'un tube sonore : un roseau par exemple. La mathématique des nombres naturels concorde avec l'harmonie qui naît de la matière sonore naturelle . 

Pythagore fait alors œuvre de philosophe : il en déduit que le monde est naturellement harmonieux. 

Le monde serait un cosmos régi par les nombres.

Cette idée est reprise par Kepler quand il énonce sa troisième loi, appelée aussi « loi harmonique de Kepler » (car elle exprime un invariant à travers tout le système solaire, « donc » une certaine harmonie de celui-ci, le mouvement de toutes les planètes étant unifié en une loi universelle), on déduit qu'il existe un facteur constant entre la force exercée et la masse de la planète considérée, qui est la constante de gravitation universelle.

Cette théorie est cependant  battue en brèche.

En sciences, la physique quantique décrit un monde de l'infime comme régi par l'aléatoire, dans lequel le corpusculaire et l'ondulatoire se mêlent.  Monde chaotique ?

Le monde macroscopique, lui , est gouverné par les lois  établies par Newton et Einstein. Monde harmonieux ? (Certains voient encore l’œuvre d'un créateur.) Entre les deux physiques, classique et quantique , les scientifiques situent le phénomène de décohérence.

La littérature est agitée depuis  le XXème siècle par le théâtre de l'absurde avec Samuel Beckett notamment ("En attendant Godeau"). Camus proclame que la vie est absurde et n'a pas de sens à priori. Il contrarie singulièrement toute la poésie des mythologies et des ouvrages avec "happy end".

En musique, certes, la suite des sons harmoniques de l'antiquité est aussi celle du moyen-âge, plein de religiosité. Selon les exégètes de la bible, Dieu se donne à voir dans la nature et à entendre dans la suite naturelle des sons. 

Le chant  sifflé à l'oreille du pape Grégoire 1er par le rossignol envoyé de Dieu est  le chant de la liturgie médiévale : "Dies irae, dies illa" .  Les fidèles à genoux tournent leurs regards vers le ciel, lieu de toutes les espérances promises. Les jongleurs, amuseurs publics et musiciens inspirés, s'emparent des mélodies grégoriennes, modifient leur rythme et leurs paroles. Les gens du peuple gagnés par une émotion nouvelle dansent en cercle, en se serrant les coudes. Des sourires de connivence traduisent leurs pensées : c'est ici et maintenant que tout se joue dans la solidarité et l'amitié. Cette musique profane (profanatrice) est la leur. Les gens du peuple la  transmettront oralement jusqu'à nos jours. C'est dire par là qu'elle reflète bien l'esprit (pour ne pas dire l'âme) de notre patrimoine musical et culturel : moquerie, gaieté, impertinence, solidarités, grivoiserie, plaintes et célébrations de l'amour. Paradoxalement, l'impertinence est, dans un sens figuré, un signe  de pertinence. Il était justifié et parfaitement approprié ce chant traditionnel qui fustigeait le comportement des privilégiés du Moyen âge : "J'ai vu le loup cheuler " . Évidemment le" loup"  jugeait ce propos comme non pertinent et déplacé. Et le musicien poète risquait sa vie. Chant grégorien, ou danses et chants traditionnels : ce sont deux visions du monde bien différentes qui s'expriment par la musique.

Les chants traditionnels, comme dans de nombreux pays, sont le socle de notre enseignement musical : "J'ai vu le loup, le renard, le lièvre",  "Il court, il court le furet du bois",    "Savez-vous planter les choux ?" (Qui cache-t-on derrière le masque du loup, derrière celui du renard, du lièvre ou du furet du bois? Qu'est-ce que ces choux qu'on peut planter de bien des façons ?) "Sur le pont d'Avignon", Frère Jacques" ... Il y a beaucoup d'autres chants canons qui font désormais partie des œuvres traditionnelles et patrimoniales françaises.  L'expérience de la Hongrie est caractéristique. L'empire ottoman puis l'empire austro-hongrois ont tour à tour envahi la Hongrie.  Ils  ont coupé   les Hongrois de leurs racines culturelles. Quand la Hongrie a retrouvé son intégrité territoriale, les musiciens Bartók et Kodaly ont collecté  les chants traditionnels auprès  des personnes très âgées qui en avaient gardé la mémoire.  Dès lors la musique du pays pouvait prendre un nouvel essor à partir de ce corpus sonore fondamental. Les patrimoines musicaux des différentes nations font la richesse du paysage musical international.

La gamme basée sur les sons harmoniques est modifiée  par les musiciens : la gamme tempérée devient celle de tout le monde occidental depuis la période baroque au XVIIème siècle. Dès lors le cycle des quintes est possible. Mais cet univers sonore harmonieux est création humaine.  Il s'éloigne radicalement de l'univers sonore naturel d'une création divine. Curieusement, c'est avec ce matériau bien humain que Bach chante les louanges de son Dieu créateur : "Il fait danser les mondes"

Le monde est-il harmonieux ? 

C'est ce que nous pouvons entendre dans les œuvres des musiciens  quand les sons de leur musique se suivent ou s'étagent  avec des consonances agréables pour nos oreilles. 

Le monde est-il chaotique ? 

C'est ce que nous pouvons entendre quand les sons d'une musique se suivent ou s'étagent  avec des  dissonances parfois pénibles pour nos oreilles.

Les musiciens jouent avec ces deux aspects de l'architecture sonore. Ils savent créer  tensions et  détentes. C'est ce que nous pouvons donner à écouter, à interpréter et à entendre dans nos classes. Nous pouvons amorcer une prise de conscience chez nos élèves. Il peuvent faire connaissance avec différentes visions du monde . Entendre, comprendre l'idée de cosmos (ordre) et l'idée de chaos (désordre) sous les architectures sonores de l'harmonie et de la disharmonie.  Entendre et comprendre que des architectures sonores harmonieuses (en mode majeur) et rythmées laissent à penser que le monde peut être heureux.  Entendre et comprendre que des architectures sonores en mode mineur laissent à penser que notre monde peut être envahi par la  tristesse et la fureur. Ces représentations du monde correspondent-elles vraiment  à des réalités du monde?  La justesse des imaginaires et de mondes rêvés par les artistes musiciens est-elle reflétée par le plaisir esthétique qu'ils nous procurent.? 

Les jongleurs du Moyen-Age dérangent. Ils bousculent le bel ordonnancement des sons de la liturgie grégorienne. Ils apportent du désordre et ils créent un autre ordre.

Les musiciens romantiques dérangent. Ils bousculent l'ordonnancement des sons de la musique classique.

Les musiciens de jazz dérangent. Ils bousculent les rythmes et les échelles de sons adoptées jusqu'alors. Ils accentuent les temps faibles et mêlent les "Blue Notes" à la gamme classique.

Le rock dérange. Le punk rock dérange. Le rap dérange.

Chaque nouvelle musique dérange. Elle s'oppose à l'esprit qui anime une expression musicale qu'elle défie. Pour les musiciens qui innovent,  la musique jouée jusqu'alors  ne reflète pas le monde harmonieux tel qu'ils l'espèrent.  Écoutons toutes ces musiques, cherchons ce à quoi elles s'opposent et comment elles le font.

Car les musiciens comme les écrivains, comme tous les artistes ne bouleversent pas les codes sans raisons. Albert Londres parlait de l'art des journalistes qui se doivent de "porter la plume dans la plaie".  Les musiciens portent de nouveaux accents (rythmiques, mélodiques et harmoniques)et des paroles nouvelles là où ils ressentent les convenances comme  injustes.

Il en est ainsi aujourd'hui, de HK et les Saltimbanks dont la musique s'inspire tout à la fois du  blues,  du chaabi et du reggae et dont les chansons sont résolument engagées .

En cela on peut dire que l'art est souvent contestataire ... et efficace. Les pouvoirs  autoritaires le savent. C'est pour cela que la musique et l'art en général sont interdits ou canalisés dans tous les régimes totalitaires. François 1er a mis à son profit les danses de la renaissance pour mettre au pas les nobles courtisans. Aujourd'hui, les puissants organisent le marché de l'art dont ils tirent profits et tranquillité.

Les musiciens alertent pourtant les auditeurs sur les dangers des violences faîtes aux êtres humains par les autres êtres humains. 

Benjamin Britten dans "War Requiem" donne à entendre les échos de la guerre . Scandale : il mêle aux chants en latin, trop convenus à son goût, les terribles poèmes du soldat Owen  qui résonnent durement en anglais ! Bien d'autres musiciens ont évoqué les chaos des  affrontements humains dans leurs œuvres . 

Les musiciens alertent les auditeurs sur les dangers des forces naturelles et  sur les dangers des violences faîtes à la nature par les êtres humains. 

Maurice Ravel dans l'"Enfant et les Sortilèges" donne à entendre les échos des ravages apportés par le petit d'homme dans le jardin : l'arbre pleure à cause des entailles qui ont lacéré son tronc, l'écureuil se plaint d'avoir eu la queue coupée... Le texte du livret rédigé par Colette prend toute sa vigueur grâce à la musique de Ravel. Bien d'autres musiciens ont évoqué les éléments déchaînés et chaotiques de la nature (orages et tempêtes ...) et les bouleversements causés par les êtres humains. 

Nous sommes sensibles à la musique que nous écoutons.  Nous ressentons des émotions (tristesse, joie ...) . Déjà, à ce niveau,nous interprétons ce que nous avons entendu. Puis nous réfléchissons. Nous essayons de saisir ce que l'artiste a cherché à exprimer. Que dit-il sur nous ? Que dit-il sur le monde ? 

Dans tous les cas, il y a une explication, il n'y a pas de mystère . Pourquoi éprouvons-nous telle ou telle émotion ? Pourquoi sommes-nous conduits à réagir et à penser ainsi ? La cause réside essentiellement dans les exploitations du langage musical dont fait usage l'artiste : l'utilisation des paramètres des sons , l'utilisation des assemblages des sons et la façon de les donner à entendre . Bien sûr la musique peut être savamment composée. Bien sûr aussi, la musique peut être produite instinctivement en recourant, par imitation,  à ce qui a été entendu ou à ce qui a été trouvé fortuitement.  Bien sûr, encore, nous ne réagirons pas tout à fait de la même façon si nous connaissons ou pas les ressources du langage musical ... Mais de toutes façons , il y a toujours deux interprétations : celle de l'artiste et celle de l'auditeur. Les deux interprétations sont solidaires et mettent en jeu ce que nous pouvons percevoir du monde. La beauté des instants harmonieux et ... la cruauté redoutable des instants de chaos et de peines. Y a-t-il un mystère à éclaircir ? La destinée humaine tragique  nous plonge dans des abîmes de réflexions insondables.  Parfois, des réponses dénuées de raison nous sont proposées. Elles tendent à nous éloigner de la réalité fascinante des cycles naturels de la matière. 

L'éducation musicale nous invite à une interprétation du monde. Les musiciens nous donnent à entendre leurs lectures sonores  du monde.

2 Nous sommes sensibles aux cycles, aux rythmes qui semblent régler notre vie et la marche du monde.  Indirectement, nous questionnons la notion de temps.

Le cycle des saisons, la succession jour-nuit, le cycle des constituants des végétaux , et de tous les êtres vivants conditionnent notre manière d'être au monde.   Nous sommes construits sur des rythmes ternaires (la pulsations du cœur, la respiration) sur des rythmes binaires ( la marche ...) et bien d'autres cycles dits circadiens jalonnent l'assimilation des éléments qui construisent notre corps. Des phénomènes périodiques  sont à la base de ce que nous sommes. Les vibrations sonores des sons musicaux sont des phénomènes périodiques. Nous ne pouvons qu'être sensibles et réceptifs  aux sons musicaux de la même façon que nous ressentons une vive émotion en entendant les battements d' un cœur ou le souffle d'une respiration.  Nous sommes naturellement prédisposés à être sensibles à la musique. Il n'y aurait qu'un tout petit pas à faire pour dire que nous sommes une belle  musique.

Et pourtant, un jour cette belle mécanique se dérègle.

Notre corps fléchit sous l'assaut des virus. Les cycles s'interrompent. La conscience de nous-mêmes disparaît. Les matériaux de notre corps se désagrègent et entrent dans un cycle plus vaste. 

Le cycle de l'eau semble en voie d'être rompu. Les hommes n'ont-ils pas joué  les apprentis sorciers en allant réveiller et activer les fossiles du carbone ?

Le phénomène de rupture est présent dans la littérature. Dans les récits, dans les contes .... Une situation initiale, bien équilibrée en apparence, met en jeu des personnages avec lesquels on pourrait s'identifier.  Mais, voilà que cette tranquillité est perturbée. Des évènements mettent aux prises le héros avec des ennemis ou des obstacles difficilement surmontables. Et puis un nouvel équilibre se dessine dans une situation finale qui ressemble à la première. Parfois, pourtant le héros y est tragiquement , définitivement absent. Cette situation pourrait bien connaître d'autres rebondissements ...

Ce phénomène de rupture est présent dans les œuvres des musiciens. Qu'est-ce qui nous touche tant dans ces oeuvres magnifiques? Une rupture du continuo marque un jalon important dans le déroulement du Canon de Pachelbel : l'ostinato marque une pause. Et puis il reprend jusqu'à l'accord final. Une rupture strophique   (catastrophe ?) marque le Lied "La truite" de Schubert : alors que la quiétude semblait habiter la rivière, la truite est attrapée par le pêcheur adroit. Finalement, la vie  reprend pourtant dans la rivière, le temps d'une mélodie identique à celle de la première strophe . La rupture est souvent à la fin des opéras.  Ils se terminent presque tous par la mort violente de l'héroïne. La brièveté des dernières mesures contraste avec le long développement de l'intrique.  Même chose dans le poème symphonique "la Moldau" .  Smétana décrit et raconte en musique le parcours d'une rivière qui naît, se développe et se perd finalement dans les eaux d'un grand fleuve en deux temps fatidiques. On pourrait entendre dans cette musique le récit d'une vie humaine.  

Il y a quelque chose de fascinant dans la représentation artistique. Au théâtre, cet acteur incarne un personnage créé par un dramaturge célèbre (Racine par exemple ...). Un jour, un autre acteur incarnera à nouveau ce personnage. Et la mémoire du dramaturge sera réactivée. Incarner et réincarner. Présenter et re-présenter. (Rendre présent à nouveau). Ce phénomène d'incarnation et de réincarnation évoque un temps cyclique , mais perpétuel.  Les canons en musique évoquent cette image du temps cyclique. Certains grands mythes l'ont  illustré ( la métempsychose par exemple...).  Cette représentation du temps est très éloignée de la représentation linéaire du temps que l'on adopte trop rapidement en histoire (la flèche orientée. Parfois vers le haut, parfois vers le bas...). D'ailleurs certains historiens préfèrent évoquer la naissance d'une civilisation (ou d'une structure sociale comme la monarchie par exemple) , sa croissance vers une apogée, son déclin et sa disparition... au profit d'une autre civilisation (ou d'une autre structure sociale comme la république par exemple). Pour eux, de longues périodes se succèdent sans cesse. D'autres historiens préfèrent considérer en détail un lieu, ou un personnage historique dans sa durée de vie éphémère . Ce sont les historiens du temps arrêté. Un temps relativement bref qui résumerait et condenserait  toutes les autres temporalités.  En musique , le poème symphonique la Moldau de Smétana pourrait, entier et bref, représenter ce temps arrêté.  

Décidément, la musique nous ressemble. La musique peut être joyeuse ou triste . Et pour la musique, le temps aussi est mesuré et compté. Comme les peintres et les sculpteurs dans leur champ d'expression, les musiciens créent, dans leur champ d'expression, des œuvres à notre image. "Car nous aussi nous avons créé l'homme dans l'argile" disait André Malraux.

L'éducation musicale participe à une meilleure compréhension de ce que nous sommes. L'éducation musicale contribue largement à nous faire évoluer dans nos représentations de la notion de temps.

3 La musique sera-t-elle l'un de nos moyens d'expression favoris?  Nous questionnons la notion de langage.

    Albert Camus, quand il reçoit le prix Nobel de littérature commence par rendre hommage à son instituteur, Monsieur Germain, qui l'a toujours encouragé à poursuivre ses études et lui a évité la Peste de vivre sans littérature et philosophie.

    Dans la classe d'un petit village, tous les élèves sont confrontés à la grande difficulté : l'apprentissage de la lecture. Nicole peine devant ce qui constitue une épreuve pour elle. Heureusement, une bonne fée veille; elle lui sourit et l'encourage. La maîtresse, grâce à sa pédagogie, lui apprend à discerner les sons, leurs assemblages et le sens des mots qui naissent alors de ces unions. D'abord à l'oral, puis à l'écrit. (La langue française fonctionne comme cela à l'oral. Par chance elle fonctionne de la même façon à l'écrit, car ce n'est pas le cas de toutes les langues.) Les mots abordés sont ceux que Nicole affectionne : maman, papa, Nicole, fleur, rose. Il y a aussi ceux qui contrastent et que Nicole déteste : loup, renard . Comme le Petit Prince de Saint Exupéry, Nicole apprend à apprivoiser le renard et même le mot loup et les sons qui le constituent. Le mot école lui faisait un peu peur. Maintenant, elle sent une proximité fantastique entre école et Nicole. Elle est chez elle à l'école. Elle se sent même des ailes : "Et si un jour les élèves allaient à l'école de Madame Nicole ?"

(Il y a malheureusement de mauvaises fées qui jettent des sorts maléfiques :"Tu ne comprends rien. Tu es nul en lecture." Ces blessures sont hélas difficiles à surmonter et à guérir. Elles sont l’œuvre de personnes  qui n'initient pas l’enfant à la littérature et qui ne savent pas ce qu'elles font.)

La langue française  fonctionne  sur la base des contrastes entre de petites unités sonores: les phonèmes, qui peuvent avoir plusieurs graphies (ainsi le phonème [u] que l'on trouve dans le mot loup ou dans le mot cou ,le phonème  [ã] que l'on trouve dans le mot maman ou dans le mot vent.) De plus grandes unités sonores (et graphiques) porteuses de sens naissent des assemblages des phonèmes  : les morphèmes . Nous simplifierons les choses en les appelant les mots.  Des groupes de mots assemblés donnent les phrases. Des combinaisons, permutations et substitutions de toutes ces unités permettent de varier le discours à l'infini.

Les jeux de contrastes et leurs effets intéressent les pédagogues . En voici un exemple.

Dans un récit donné à entendre, ou donné à lire aux élèves, on entend ou on observe  des phrases longues (avec compléments de noms et complément de phrases) dans les parties qui sont la situation initiale et la situation finale. On entend ou on  observe des phrases courtes dans la partie centrale qui est la situation perturbée émaillée de nombreux rebondissements.

On laisse les enfants observer et découvrir les effets produits par les différentes longueurs de phrases : les changements de  rythme, les cumuls de renseignements ou la narration minimale des évènements qui s'enchaînent ...  On propose alors aux enfants de s'essayer au récit et d'investir les éléments qu'ils viennent de découvrir : toutes ces notions grammaticales et ces savoir faire qu'ils doivent maîtriser.

Connaître la structure d'un récit ou d'un conte et toutes les transformations qu'on peut opérer sur les éléments constituants , c'est être à même de générer une infinité de récits et de contes.

Quand on aborde un livre , on remarque les pages blanches de part et d'autres des pages couvertes de signes noirs. On sait décrypter les signes noirs, mais qu'est-ce que ces pages blanches silencieuses ?... La littérature est un art. Une poésie aussi. Rimbaud voit des couleurs dans les voyelles :

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,   ...

La peinture quand elle est offerte à la contemplation des élèves laisse apparaître ses couleurs et ses motifs.

Les élèves découvrent les contrastes entre les couleurs chaudes et les couleurs froides. Ils découvrent aussi  les contrastes entre les motifs floraux et  les motifs évoquant des fruits. Ils  s'essaient à leur tour de combiner motifs et couleurs : des notions , des savoir faire qu'ils sont appelés à maîtriser.

Connaître la structure d'une œuvre des arts visuels et toutes les transformations qu'on peut opérer sur les éléments constituants,  c'est être à même de générer une infinité de peintures, de sculptures ou de films.


Au musée, les élèves seront conduits devant un triptyque. Trois tableaux qui se complètent. Une forme de récit ? En tous cas, de part et d'autre, le vide et le mur blanc s'imposent comme limites ...

Une œuvre musicale donne à entendre  des sons contrastés et des motifs parfois bien identifiables. Tout semple traduire en émotions les moments contrastés de nos vies.

Un motif est joué d'abord  "forte" et puis "pianissimo". Le compositeur a joué avec un des paramètres des sons : les nuances. Les élèves interprètent un chant en réinvestissant ce paramètre des sons. La mélodie du premier couplet sera chanté "forte", la mélodie du couplet suivant sera chantée "pianissimo" et la mélodie du troisième couplet sera chantée "mezzo forte". Couplet, mélodie et nuances sont des notions sur le point d'être maîtrisées. Le chant des élèves est enregistré puis écouté. Les élèves ressentent et entendent les effets de la variable nuance sur une constante : la mélodie du couplet.

Connaître la structure d'une musique et toutes les transformations qu'on peut opérer sur les éléments constituants,  c'est être à même de générer une infinité de musiques.


Au concert, les élèves ont la chance d'entendre un concerto de Mozart. Ils distinguent les trois mouvements de la composition et les nuances qui s'y rapportent. Ils remarquent que l’œuvre est précédée d'un silence. Celui-ci est  attendu par le chef d'orchestre. Quand il obtient ce silence du public l'interprétation de l'oeuvre peut commencer. Les élèves remarquent aussi que chacun des mouvements est séparé des autres par un silence. L’œuvre se termine sur une note tenue. Et un grand silence lui succède .... avant  les applaudissements.

Qu'est-ce que ces silences ? Qu'est-ce que l'artiste veut exprimer ?  Qu'est-ce qu'un artiste qui s'exprime ?

(Les programmes de l’Éducation distinguaient autrefois d'une part, les notions à aborder dans les diverses disciplines langagières et d'autre part les activités à mettre en œuvre pour que l'élève apprivoise ces notions.  Parfois ces notions sont difficiles à définir. Certaines sont inépuisables. Pensons à la notion d'expression , à la notion de temps, à la notion d'ordre...  Nous sommes loin des réductions managériales qui voudraient que des compétences seraient toujours circonscrites à des savoirs bien précis. )

Au théâtre, les 3 coups suivis du silence précèdent le lever du rideau. Quand le rideau se baisse à la fin, le noir se fait dans la salle, dans un grand silence. Et puis les applaudissements crépitent.

Est-ce qu'il n'y aurait pas à faire un rapprochements avec ces pages blanches qui précèdent les chapitres d'un livre ?

Claude Debussy nous présente des jardins (d’Éden) sous la pluie. Au jardin de l'enfance , ce temps perdu de Marcel Proust, Debussy a recueilli les comptines mémorables "Dodo l'enfant do" et "Nous n'irons plus au bois".  Les sons cristallins du registre aigu du clavier les présentent d'abord innocemment, puis  les mélodies sont inexorablement entraînées vers les registres les plus graves. Sous la surface des eaux miroitantes des pièces d'eau du jardin, il y a les profondeurs ( le monde du silence  des plongeurs du "grand bleu" ?).  En tous cas, le début d'une plongée vers les abysses... 

Toujours, l'artiste  suggère, jamais il ne dévoile brutalement la réalité. Et le pédagogue peut s'inspirer de cette attitude. L'instituteur, Monsieur Germain, avec tact, avait mis son élève, Albert Camus  au contact de de plusieurs langages artistiques : littérature, peinture et musique. Grâce à cette initiation Albert Camus a pu  trouver son mode d'expression à lui : la littérature.

En écoutant avec vos élèves Mozart, Smétana, Debussy et bien d'autres musiciens, en interprétant des chansons avec vos élèves, vous évitez à beaucoup d'entre eux la peste de vivre sans musique. 

Et l'on comprend qu'il est digne et juste de chanter, et de jouer de la musique.

Et aussi chanter juste autant que faire se peut.  Car l'exercice, "l'entraînement", ont leur efficacité et leurs vertus comme dans tous les domaines.  Ce n'est pas inutile d'en faire prendre conscience aux élèves.

CHANTEZ AVEC VOS ÉLÈVES !

CHANTONS, JOUONS, DANSONS ... RÊVONS.

Le pédagogue de l’École Primaire sait  nourrir son enseignement des démarches transférables à toutes les disciplines. J'ai évoqué les transferts possibles des apports de la linguistique vers la créativité musicale dans mon Mémoire ( pages 29 et 30)

Une grammaire générative et transformationnelle (celle décrite par Noam Chomsky) peut être à l’œuvre derrière toutes les disciplines créatives. 

 L'éducation musicale contribue largement à nous faire évoluer dans nos représentations du langage.

 4 Nous mettons nos pas dans ceux qui nous ont dignement précédés. Nos parents, nos maîtres parfois, font figures de modèles. D'autres personnages aussi. Réels ou  romanesques.

L'école propose à tous ses élèves des figures remarquables dont ils pourront s'inspirer pour diriger leur vie.

Mozart, dans son œuvre ultime, "la flûte enchantée", impose à son héros, le prince Tamino, une épreuve redoutable. Le prince Tamino après avoir franchi l'épreuve de l'eau et  celle du feu doit apprendre à se taire et à faire place au silence. Pour Mozart, le franc maçon, ces éléments ont valeurs symboliques. Pour Mozart, le musicien,  le silence suit l'exécution de chacune de ses œuvres.  Long apprentissage pour apprivoiser  une autre réalité du silence . Car Mozart le sait : le silence, son silence à lui, définitif et cruel, succédera à son dernier souffle.

C'est sans doute ce que peut nous suggérer  le compagnonnage avec Tamino, le personnage créé par Mozart. Mozart transfigure la réalité. La noirceur tragique de la condition humaine est sublimée dans la beauté de la musique : Mozart fait œuvre poétique. The sounds of silence ?...

Quand nous écoutons les œuvres de Mozart, quand nous écoutons "la flûte enchantée", Mozart, avec tact et lucidité, nous apprend à affronter le silence, courageusement.

Marc Antoine Charpentier accompagne Molière pour son œuvre ultime : "le malade imaginaire". Molière a choisi Marc Antoine Charpentier en lieu et place de Lully, son complice du "bourgeois gentilhomme". Car Lully a commis l'irréparable. Il a interdit à tout autre musicien que lui, le musicien du roi, de présenter une œuvre à plus de 2 voix et à plus de 6 musiciens. Dès lors, les musiciens étaient prisonniers de cette censure.

Dans le premier intermède (qui relève du style de la comédia dell'arte), juste après le prologue et le premier acte, Polichinelle se plaint de ne pouvoir clamer librement ce qu'il veut chanter à sa belle. Les gens d'armes, les archers, interviennent sévèrement , l'emmènent et on peut  les écouter  hurler et chanter :

"Il faut  vous apprendre à vivre  ! En prison ! Vite, en prison !"

C'est ce qui est écrit dans le texte.

Une oreille attentive pourra entendre,  grâce au jeu des articulations du phrasé musical composé par Marc Antoine Charpentier :

"Il faut vous apprendre à vivre en prison ! Vite, en prison !

Sous les masques (qui protègent Marc Antoine Charpentier et Molière) on entend  une critique sévère de l'autoritarisme de Lully et du roi. La Fontaine procédait ainsi en déguisant les cibles de ses morales sous les traits des animaux.

Comme l'exercice l'impose, le prologue est un éloge au roi. Il semble curieusement long et pompeux, et outrancier. Musicalement, textuellement et dans sa mise en scène dansée. Le premier acte nous fait entrer tout de suite dans la vie lamentable du malade Argan auquel il est facile d'attribuer toutes sortes d'affections. Une affection au poumon serait à l'origine de ses désagréments, comme par exemple, cet irrésistible besoin de dormir après un repas plantureux !

La farce est énorme. Et pourtant, on sait que Molière a composé cette comédie alors qu'il était malade de la tuberculose, une maladie incurable à cette époque ... Les souffrances étaient terribles et la fin venait rapidement. Molière n'aura joué que 4 fois cette œuvre . La 4ème  a été interrompue . Molière a été traîné en coulisses, quasi mourant, le plus discrètement possible. Devant un public encore secoué par les spasmes du rire. Molière est décédé quelques heures plus tard à son domicile.

Molière se meurt dans un grand éclat de rire. Humour noir, mais geste sublime de l'artiste, le geste poétique même.

Molière et Marc Antoine Charpentier, comme Mozart, sont des poètes.

Beaucoup d'artistes, musiciens professionnels ou amateurs attachent beaucoup d'importance au geste poétique. Jusqu'au bout,  ils veulent se jouer de la condition humaine, en faisant le plus beau pied de nez possible au destin.

Mourir sur scène ?.... The show must go one... 

En écoutant avec vos élèves Mozart, Marc Antoine Charpentier et bien d'autres musiciens, vous leur offrez des modèles qui, parmi d'autres, accompagneront leur vie.  

Des artistes de notre temps, comme Georges Brassens , des artistes contemporains, comme François Bégaudeau (musicien, écrivain, réalisateur et acteur au cinéma ) sont dignes de nos classes. J'ai vu avec plaisir  une classe de lycée qui assistait à la projection d'un film de François Bégaudeau, en présence du réalisateur : "Sommes-nous bien représentés ?". Il y a de la Joie, en effet, à être dans la compagnie de cet artiste , bien réel, et bien représentatif d'une lignée d'artistes courageux qui nous bousculent, nous émeuvent, nous poussent à réfléchir et à réagir ... François Bégaudeau a été professeur de français notamment au Collège Mozart de Paris. En tant qu'écrivain, il a écrit "Entre les murs". C'est un roman dans lequel il raconte  des élèves et leurs professeurs qui ont bien des difficultés à se défaire des barrières de la langue de leur quartier en difficulté. L'émancipation, la libération des élèves est loin de  gagner beaucoup de terrain  dans les murs de l'institution . Le livre a reçu le prix France Culture-Télérama . Laurent Cantet  et François Bégaudeau ont adapté le livre au cinéma . Le film, "Entre les murs" dans lequel François Bégaudeau joue le rôle du professeur de français  a reçu la Palme d'or du Festival de Cannes en 2008. Ce faisant, François Bégaudeau ouvre les yeux et les oreilles  des nombreux spectateurs du film.  Il ouvre aussi bien des portes pour les jeunes acteurs du film et peut-être, pour tous les gens mis au ban de la société, dans les banlieues (la banlieue, lieu du ban) .

L'éducation musicale nous conduit à faire connaissance avec des figures remarquables dignes de notre jeunesse.

5 Éducation. Musique. Éducation Musicale.

Éduquer c'est guider quelqu'un (un enfant, un adulte) hors de et  au-delà de ce qu'il est déjà devenu. C'est l'inviter à découvrir le monde et à découvrir ce que nous sommes réellement, nous, les êtres humains. La réflexion sur l'ensemble de ces découvertes c'est l'objet de la Culture. L'éducateur sait qu'un jour, il devra cesser de tenir la main de son élève. L'élève s'affranchit de la tutelle de son éducateur : l'élève s'émancipe. Désormais, il choisit, se donne  et construit les normes qui  cadreront et guideront sa vie : il devient autonome. Mais pas solitaire.

La musique de Charpentier et de ses musiciens est émancipatrice. Celle de la chanteuse de jazz Ella Fitzgerald et de ses accompagnateurs aussi.  Celle des jongleurs du moyen-âge l'était déjà. Ces figures  d'artistes nous invitent à trouver un chemin vers un monde meilleur, dans lequel nous aurons conquis notre autonomie. 

Les musiciens qui s'émancipent œuvrent à plusieurs . Ensemble, ils se démarquent et échappent à l'air du temps et aux formats en vigueur. Certes, ils conquièrent une liberté mais ils s' assignent aussi des devoirs envers le groupe.   Ces orchestres illustrent bien une vision d'un monde de coopération, de solidarité et de reconnaissance de la différence. Les solistes qui sont dans la lumière (trompette, saxophone ...) sont solidaires et redevables envers les musiciens accompagnateurs (guitare, batterie ...), les chevilles ouvrières  de l'orchestre, dit-on bien injustement, et en réalité le véritable socle de l'orchestre.  Il y a réciprocité et égalité dans l'échange consciemment consenti. Car les musiciens accompagnateurs peuvent devenir solistes, à leur tour soutenus par les instrumentistes tout à l'heure dans la lumière. Chacun est responsable et apporte une sonorité . Chacun selon ses compétences se voit confier le choix du répertoire, l'orchestration ou la direction . Les musiciens se concertent. La langue est le pendant du langage musical. A la recherche de la justesse et d'une harmonie, les musiciens émettent des jugements, se donnent des normes de vie commune et donnent du sens à ce qu'ils font. Leur jeu oscille entre Tensions et Détentes, canalisées dans le cadre formel de la grille d'accords bien mesurée. Souvent, les musiciens ont recours à des analogies. Ils parlent de la couleur  d'un accord. Les autres domaines artistiques sont sollicités et interrogés. Et pas seulement les domaines artistiques. Les sciences entrent en jeu et fournissent les explications pour les harmoniques. La culture dans sa généralité gagne le microcosme que constitue le petit groupe tourné vers le désir et le plaisir  d'apprendre encore davantage.  Ici autonomie ne s'apparente nullement à  individualisme égoïste et intéressé ... Il n'a rien d'impulsif, (la plupart du temps), dans l'expression des musiciens. Par son travail , technique et théorique, chacun cherche toujours à élever son niveau de jeu et ses connaissances, marquant ainsi son respect pour la sensibilité et pour l'intelligence des autres musiciens et ... du public.

Cette vie de l'orchestre, les élèves des classes peuvent la connaitre . Ils chantent, ils jouent des percussions ... Ils parlent, étendent leurs savoirs. Le désir et le plaisir d'apprendre atteint toutes les disciplines . Ils se cultivent.  Ils s'élèvent ! La musique est bien une matière d'éducation, c'est  le média d'une émancipation réussie !

Mozart, Marc Antoine Charpentier, Molière !.... Mais qu'est-ce que ces gens qui portent des noms d'écoles ou de  noms de rues !

Le Mythe d'Orphée est fondateur pour nombre de musiciens : Monteverdi (opéra), Glück (opéra), Jobim et Bonfa (bossa nova), Pierre Henry (musique concrète : le Voile d'Orphée) . Vous entendez les musiques ou des paroles de leurs œuvres dans l'évocation ci-dessous ... Pour Pierre Henry , il semble qu'Orphée ait bien du mal à lever le voile qui masque la Vérité , la réalité de la mort d'Eurydice. Le déchirement du voile interminable est un enregistrement étiré grâce à des effets électroniques et numériques ... J'ai moi aussi travaillé un enregistrement de mouchoir déchiré pour obtenir une conclusion "déchirante". La tragédie, la musique , le tiraillement entre le dionysien  et l'apollinien ...

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Illustration de la couverture du CD "Ecoles qui Chantent" 2005-2006 Détail

Catherine Flamérion

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Manha do Carnaval. la Chanson d'Orphée.

(Jobim/Bonfa)

Chant et guitare : Timothée Sambuc Rodriguez

Autres voix Isabelle Barcelo, Sophie Boss, Françoise Bouhelier

 Arrangement, clarinette, flûtes, saxophone ténor , travail du son : Jean-Marc Bouhelier

Suivez ce lien si vous souhaitez trouver paroles, partitions, conseils pédagogiques, version chantée et version instrumentale pour la chanson "Manha do Carnaval".


Le musicien Orphée se lamente  . Sa compagne Eurydice est morte. Orphée espère, implore, et chante la vie qui revient . Il est inconsolable. Il ne se résout  pas à admettre la perte de celle qu'il aimait.  Il cherche même à la rejoindre dans la mort , dans le monde inférieur disaient les Grecs (autrement dit : les Enfers). Il parvient à la retrouver. Mais, seulement dans  ses souvenirs dans lesquels il s'enferre continuellement. Mais cela ne lui permet évidemment pas de ramener Eurydice à la vie. Au lieu de se tourner vers les autres grâce à sa musique, Orphée se retourne sans cesse sur lui-même et sur sa peine. Il sombre dans la folie et meurt à son tour.

Orphée, musicien, sait provoquer des émotions chez ses auditeurs. Mais il sait très bien qu'il y a des explications à cette tristesse qu'il trouve alors dans yeux de son public. Car il sait jouer les assemblages de sons qui conduisent à cela. Il sait qu'il lui faudra jouer d'autres assemblages de sons pour  que chacun se tourne vers les autres avec le sourire.

Orphée se laisse envahir par l'émotion qui le secoue après le décès d'Eurydice.  Il ne prend pas en compte ce que son expérience d'homme mûr lui a enseigné. Eurydice est aussi un être mortel . L'attachement à un être mortel comporte le risque de la douloureuse perte. L'émotion funeste peut être au programme et s'explique.  Cependant Orphée ne tient pas non plus compte de ce que son expérience de musicien lui a appris. Il ne faut pas en rester aux émotions morbides.  Hélas, Orphée ne se tourne pas vers les autres en jouant habilement de sa lyre. Il perd la raison et se meurt. Les femmes disponibles et séduites par la beauté d'Orphée , ne comprennent pas, se sentent délaissées et de rage le tuent en lacérant son corps. 

Dorénavant, les musiciens sont avertis . Ils connaissent le risque de s'abandonner aux émotions .

"Chante, chante mon coeur la chanson de la vie qui revient". L'incantation d'Orphée restera sans effet. Eurydice ne reviendra pas à la vie, et, de même, pour Orphée, il n'y aura plus d'autres matins.

Je viens de suggérer une interprétation du mythe d'Orphée. Peut-être partagez-vous cette vision des choses . Peut-être avez-vous d'autres idées ... Oui, on dit aussi que les dieux, pris de pitié, ont accepté Orphée parmi eux . 

Le mythe n'a cessé d'être interprété. Ainsi, le masque de la mort était au rendez-vous du Carnaval de Rio de Janeiro.  Il a eu raison d'Eurydice et puis d'Orphée qui voulaient participer au défilé.  Le film "Orfeu Negro'" du réalisateur Marcel Camus et la musique de Luiz Bonfa sont des chefs-d’œuvre.

'NB "Tous les matins du monde " , le livre de Pascal Quignard et le film d'Alain Corneau font écho eux aussi au mythe d'Orphée . Des chefs-d’œuvre édifiants eux aussi.

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