Susanne SARRAZIN
NORME ET CREATIVITE :
UNE ALLIANCE NECESSAIRE OU UN FREIN QUI LA CONDAMNE ?
2016
Introduction
Couturière de formation, j’enseigne, en parallèle de mon activité professionnelle, depuis la rentrée 2009, au Centre de Formation Professionnel Arts Appliqués (CFPAA), à Genève. Je dispense les cours d’atelier « Recherche&Création » et « Développement de patrons » aux élèves de 1ère et 2ème année, dans la section « Créateur-trice de vêtement pour Dame ».
Ancienne élève de cette même formation, dont l’appellation a changé pour représenter la diversité des disciplines enseignées, j’ai pu observer les changements opérés autour de la mise en place d’une nouvelle ordonnance, dont les objectifs, mettent l’accent sur des nouvelles compétences méthodologiques tels que l’apprentissage de techniques de créativité.
Depuis mon entrée dans la formation pédagogique, je constate que les représentations construites autour de ma vision de la créativité étaient erronées quant à l’ensemble de sa définition, que celle-ci n’appartenait pas qu’aux métiers artistiques et qu’en plus, il existait des techniques pour la développer. De ce changement de point de vue découle plusieurs interrogations principalement observées lors de la présentation évaluée des projets personnels de fin d’année scolaire. Le caractère subjectif des critères d’évaluation artistique, qui affecte mon sens de l’équité, met l’accent sur le produit fini sans valoriser le processus antérieur de création et fait appel à des aspects personnels autorisant le jugement de valeur.
Ces soutenances de fin d’année sont certes représentatives de ce qui se vit dans le monde professionnel. La plupart des mandats sont obtenus sur concours. De ce fait, la loi du marché l’emporte et seul celui ou celle qui aura rempli tous les critères réussira économiquement parlant. Que l’on soit d’accord avec ce système ou pas, peut-on pour autant, en tant qu’enseignant, nous permettre de juger qualitativement qu’une production soit belle, nouvelle, originale ou adaptée au contexte ?
Le début de mes recherches s’est plutôt orienté vers le fonctionnement du processus créatif. J’ai donc lancé, l’année passée, un projet de création avec mes élèves de 2ème année, sur le thème : « Pourquoi je crée ? ». De par cette question, je souhaitais faire émerger les patterns pouvant constituer l’ensemble des phases qui régissent le processus créateur, de manière à mieux le comprendre, puis l’analyser. Cependant, mon objectif initial fut supplanté par certains problèmes évoqués par mes élèves à propos de leur vie personnelle2. Cette première expérience relève l’importance et le besoin qu’ont les jeunes adultes de s’exprimer émotionnellement, mais également la nécessité de sortir d’un cadre prédéfini pour mieux se construire et définir ses propres normes. L’échec, que j’ai ressenti face à l’évaluation de ce projet a remis en question toute ma logique normative d’enseignante. Aucunes critiques, hormis celles portant sur les questions de technicité, n’auraient pu être constructives sur une telle thématique. Se formule donc une première ébauche de ma question : « Doit-on suivre une norme en matière de créativité ? ».
Le concept de créativité, né dans les années 50, commence seulement à s’intégrer socialement depuis quelques années. Si à première vue, ce concept semble unanimement établi, nous verrons dans le développement de ce travail qu’une définition fixe et consensuelle n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. La volonté d’inscrire chaque nouveau concept dans un système normatif, alimentée par une société globale qui se veut de plus en plus « occidentalisée » et focalisée sur les rendements, ne laisse plus guère de place à l’imagination.
Associé à cette mouvance se mêle les valeurs héritées de notre histoire. Certaines ont traversé le temps sans prendre de rides. D’autres se sont effacées ou se sont adaptées. Ces valeurs, apparentées aux normes sociales, construisent nos structures sociétales et sont soumises à la perception d’une réalité forgée par les cadres familiaux et éducatifs. J’émets de ce fait l’hypothèse suivante : « Les représentations construites autour de valeurs normatives influencent notre conception de la créativité ».
La première partie de ce mémoire abordera les concepts de créativité et de normativité tels qu’ils sont définis en psychologie et en sociologie. Dans un souci de contextualisation, certains aspects seront présentés sous un angle historique. La seconde partie présente la méthodologie puis, les résultats obtenus. Enfin, la conclusion établira une synthèse des résultats et repositionnera la notion de valeur au sujet de la réussite professionnelle.