Romain HALDIMANN

Dans quelle mesure le portfolio peut-il renforcer les liens entre théorie et pratique ?

2017


Introduction

Dans le système de formation professionnelle suisse, les maîtres de branches professionnelles sont des experts métiers (automobile, informatique, santé...) qui se voient confier une tâche d'enseignement en école professionnelle. En tant que nouvel enseignant, il doit faire le deuil de son métier, souvent faire le deuil d’une passion qui l’a conduit à devenir enseignant en se sentant parfois un peu schizophrène, étant tour à tour le professionnel du métier ou le formateur à ce métier.

C’est dans le costume de mécanicien que j’ai commencé, il y a 3 ans, à enseigner ou du moins, à essayer d’enseigner. Car oui, en analysant cette phase, je réalise que j’ai mimé ce que j’avais subi pendant les 15 ans de scolarité et de formation post-obligatoire. Cela m’est arrivé et c’est légitime, l’être humain a tendance à reproduire ce qu’il a subi comme méthode d’enseignement, cela étant le seul référentiel connu.

Ce qui est toutefois regrettable, c’est que la méthode magistrale était, et est encore souvent, la méthode prioritairement choisie. Cette façon d’enseigner, on le sait, laisse de côté tous les élèves et même si les plus scolaires semblent souvent satisfaits par cette façon d’apprendre, il en ressort, au final, qu’ils ont acquis des connaissances, mais assez peu de compétences. Les apprentissages n’ont pas été faits en profondeur.

Le deuxième point qui me pose un problème, en plus d’une méthode non adaptée, c’est la lassitude que pourrait éprouver le nouvel enseignant. N’employer qu’une seule méthode peut le mettre dans une routine assez gênante, et il m’est souvent arrivé, en plein monologue, de réaliser l’incohérence de mes propos, qui survenait au bout d’un certain temps de parole.

De plus, cette méthode est aux antipodes de ce qui fait tout le charme du métier selon moi : son évolution permanente et les interactions entre élèves. Car une fois que l’on a pris conscience de la multitude de façons d’accompagner les apprenants et d’évaluer leurs apprentissages, leur progression ou leur implication, on se rend compte du rôle que l’on peut jouer en classe.

Cette dérive de reproduction de ce que l’on a vécu en tant qu’élève vient de l’habitus, comme le nomme Bourdieu. L’habitus est une « loi immanente, déposée en chaque agent par la prime éducation, qui est la condition non seulement de la concertation des pratiques, mais aussi des pratiques de concertation, puisque les redressements et les ajustements consciemment opérés par les agents eux-mêmes supposent la maîtrise d’un code commun et que les entreprises de mobilisation collective ne peuvent réussir sans un minimum de concordance entre l’habitus des agents mobilisateurs (e. g. prophète, chef de parti, etc.) et les dispositions de ceux dont ils s’efforcent d’exprimer les aspirations » (Bourdieu, 2000). Il faut comprendre par là, que nous sommes tous formatés et conditionnés par notre parcours de vie, nos expériences, notre éducation. J’ai endossé un costume d’enseignant, le même que j’ai vu porté par mes prédécesseurs et c’est avec ce costume que je suis venu enseigner et reproduire ce que j’avais vécu. Car c’est comme cela que je dois enseigner ou plutôt, vendre ma matière. Pourquoi ? Parce que c’est comme cela que je suis devenu mécanicien et mieux encore, c’est grâce à cela que l’on m’a engagé comme enseignant !

Cet habitus m’a conduit d’une classe de mécanicien (au sens de Bourdieu) à une classe d’enseignant, mais toujours dans l’idée que j’en avais, et avec une identité de professeur que je m’étais faite, à cause de l’influence des années passées sur les bancs d’école.

Maintenant, il est temps de changer d’habits et d’entreprendre l’apprentissage d’un nouveau métier, complètement différent. Il est temps de troquer les clés et les tournevis contre des idées, des méthodes, des concepts. De préférer quand élèves réussissent à apprendre, à quand ils réussissent à faire de bonnes notes. D’avoir des élèves qui ont plus de questions en quittant la classe qu’en arrivant.

C’est cette envie de changer d’habits et peut-être de changer de pratique tout court qui m’a donné l’occasion d’entreprendre des choses, d’essayer de nouveaux outils que j’avais à disposition. C'est, par exemple, le cas du portfolio que j'ai eu envie d'introduire dans mon enseignement pour permettre à mes apprentis de faire plus de liens entre la théorie et la pratique...

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