Présentation

MOURIR POUR LA PATRIE

Henri FRIGOUL

Ancien enfant de troupe, Tulle 1945-1950

Commandant (R) - Ancien combattant

Indochine 1952-1955 - Algérie 1961-1962

Officier du Mérite National

Valeur Militaire étoile bronze

Militaire, j’ai toujours pensé

travailler pour la paix

Commandant Jules-Emile Henche (1)

Présentation

L’expression mourir pour la patrie, hors son contenu philosophique implicite, est à considérer ici comme terme générique qui couvre un ensemble de situations, de réflexions, d’attitudes, au sujet de « l’esprit de guerre » tel que le définit le philosophe pacifiste Alain (2), sans en ignorer les conséquences physiques et familiales pour les hommes au combat.

L’étude sur le thème : « Mourir pour la patrie », s’articule en quatre chapitres présentés ci-après (3) :

I - Guerres Contemporaines

« Tout est caché » estime Alain « dans cette redoutable institution des forces armées, tout est caché, aussi bien l’idée, que le mécanisme » aussi, avant d’en arriver au « comment on meurt pour la patrie », il me paraît utile de tenter de « débrouiller tout cela », comme le préconise le philosophe lui-même car, ajoute-t-il, « la guerre montre un autre visage, dès que l’on veut bien la regarder ». Ne devons-nous pas se demander alors : « Quel est le visage que nous désirons en retenir ? »

Dans ce but, je propose d’observer d’abord « le phénomène guerre » tel qu’il nous apparaît au cours d’une longue période de guerres dites modernes (plus de 130 ans). Bien que nous soyons en accord pour honnir la guerre, nous constatons malheureusement que la paix n’est pas acquise pour autant.

La guerre se présente sous diverses formes, dont celle du terrorisme sanglant et aveugle sur un fond religieux. Ceci explique peut-être que, contrairement aux idées reçues, nos soldats acceptent encore de mourir pour la patrie, alors qu’en parallèle ils interviennent plutôt en tant que «Soldats de la paix » (4).

II - Organiser la guerre

Nous sortons avec ce deuxième chapitre de la raison philosophique ou de l’incitation politique qui conduisent le combattant à accepter l'ultime engagement. Ce n’est plus le sublime de l’action qui nous intéresse c’est, si j’ose dire, le contexte pratique dans lequel des combattants ont subi la mort.

J’ai pensé à juste raison ou pas, qu’après « l’esprit de guerre », il était utile, pour la compréhension entière du processus guerrier, d’aborder le côté « physique » qui conduit la guerre, celui qui en fin de comptes mène le soldat vers son destin, au moment décidé par l’État. Je tente de montrer ici, le plus simplement possible, hors de l’orthodoxie du vocable militaire mais de manière suffisamment explicite (du moins je l’espère) en m’aidant d’exemples de moments de guerre, ce que sont les principes du processus guerrier et l’organisation en charge de le mettre en œuvre.

III - Mourir à la guerre

Nous abordons avec ce troisième chapitre les profondeurs de la guerre, là où se déroule la tragédie. L’esprit est connu. Les dispositions pour aller à la guerre sont prises. Le processus irréversible s’engage. Des hommes « montent » au front. Sur le champs de bataille, ils progressent sous « le feu », conscients d’une fin possible. C’est là, au bout du chemin que la mort est donnée, au hasard, incertaine pour soi, mais présente pour tous. La peur ! Comment et dans quelles conditions est donnée cette mort. La mort pensée, mais refusée ? Une mort admise mais aussi refusée, une mort rebelle ? La mort donnée ou la mort reçue ?

Et après ? Qu’advient-il sur terre, après le soi parti dans les ténèbres ? Les dépouilles ? la famille ? Comment réagissent les institutions de l’État ? Autant de questions auxquelles je souhaite répondre au moins en partie, grâce aux travaux spécifiques d’auteurs, universitaires ou autres.

IV - A nos morts

Ce quatrième et dernier chapitre, concerne plus directement nos Morts pour la France de notre département ; principalement ceux de 1914-1918, les seuls, en 2005, pour lesquels l’accès aux archives militaires est sans restrictions (5) ; cependant je ne mets pas à l’écart les victimes des autres conflits.

L’étude est menée localement. Les archives (hors la série R1 déposée aux ADPO) concernant directement la mort au combat de nos Catalans, d’origine ou d’adoption, sont pauvres. Peu d’ouvrages se rapportent à leur guerre (cf. ici, l’étude de Jean Larrieu qui s’y réfère) sans nous éclairer au fond, sur leur mort. Des poèmes sont rédigés à leur intention pendant la Grande Guerre, mais par la suite, sauf la mise en place de monuments aux morts (cf. tome I de notre devoir de mémoire), est vite venu le temps du deuil et en conséquence de l’oubli, alors que la politique prenait le devant de scène, dans l’inquiétude d’une guerre qui s’annonçait déjà. Heureusement nos archivistes, du département, de la commune de Perpignan et de sa médiathèque, ont su préserver des séries de quotidiens de l’époque pour me permettre, à présent, de rendre compte, même si cela est succinct, de l’esprit qui régnait envers nos morts. Ils touchaient de nombreuses familles comme on le sait. Ainsi je pense leur avoir rendu l’hommage qui leur était dû.

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Témoignages - Justification

Avant de traiter mon sujet d’étude sur le fond, il me paraît nécessaire d’en justifier les termes.

Je considère mon développement, dont je viens d’indiquer le plan et l’esprit dans lequel seront présentés les quatre chapitres, comme un témoignage destiné à honorer la mémoire de nos morts.

Il découle principalement de la lecture d’une documentation livresque rédigée par des « professionnels de l’art » mais aussi de ma propre expérience de combattant. D’où l’explication des multiples citations d’auteurs auxquels je me réfère. Comment agir autrement dans une démarche d’autodidacte, coupée de la mémoire vivante ? Cependant, je me suis rapproché, autant qu’il m’était possible des archives, au moins localement, pour mieux apprécier le contexte des événements vécus. Parfois, j’ai exprimé mes sentiments en fonction de mon expérience. Donc, il s’agit pour moi de témoigner, même si je me réfère à un passé qui ne m’appartient pas en titre.

Or, il me semble comprendre qu’un doute soit émis quant à la crédibilité des témoignages des combattants, et donc sur leur utilité pour la construction de l’histoire ? Dans ce cas peut-être doit-on se demander qui serait en mesure d’expliquer l’inexplicable, l’inquantifiable, c’est-à-dire le vécu des combattants dans la fournaise du champ de bataille ? Est-ce l’historien du haut de sa chaire et lui seul ?

Si cela était, comme Frédéric Rousseau je me demanderais (6) : « Quelle est donc cette histoire, quelle est donc cette science de l’homme qui exigerait pour s’épanouir que l’on coupe le cordon ombilical avec l’expérience des hommes ? ».

Pour la guerre de 1914-1918 par exemple, se plaçant au plan général, est-on certain que « lire Dorgelès, Genevoix, ou Barbusse, ne permet pas de s’immiscer dans un milieu qui nous paraît très lointain, voire éthéré », comme le déclare le général André Bach (7) ?

A présent tous les témoins de la Grande Guerre sont partis vers la Lumière. Ils ne sont plus là pour témoigner en contrepoint des considérations de nos chercheurs philosophes historiens. Plus de témoins des combats aptes à nous dire comment, la « fleur au fusil », nos soldats s’en sont allés vers leur « belle mort » le cœur joyeux et léger, peut-être persuadés que « l’art de se faire tuer pour démontrer qu’on est bon Français, c’est, en quelque sorte, la poésie de la guerre » (8).

Les archives « militaires » indiquent bien les processus de mise en place de mécanismes et les conséquences mesurables qui en découlent. Par contre, est-ce leur rôle de rendre compte de la souffrance clamée par les hommes au moment où ces dits mécanismes ont activé la guerre, blessé les corps et les esprits, donné la mort ? Ne reste-t-il pas que les écrits des combattants pour nous donner une idée du désarroi ressenti, comme le dit implicitement René Rémond ? « La mémoire de la Grande Guerre est parvenue jusqu’à nous à travers […] les grandes œuvres littéraires du XXe siècle ». (9)

Donc, restent des témoignages écrits laissés à la postérité : écrits de normaliens comme écrits de tonneliers (10) ; beaucoup d’écrits pour la Grande Guerre. Tant et si bien qu’en 1923, un Jean-Norton Cru « écœuré qu’on fasse de la littérature avec tant de sang et tant d’angoisse » s’est mis en tête de trier le bon grain de l’ivraie pour au final recommander « ses » meilleurs en matière de témoignage, comme par exemple Genevoix, avec ses 5 volumes qui exaltent le sacrifice consenti par les combattants.

Le « pavé dans la mare » de Norton Cru, lui attira bien des inimités pour avoir « osé ». Bien du monde n’accepta pas, par exemple, qu’il se mêla de critiquer les succès populaires d’un Barbusse ou d’un Dorgelès, « Le Feu » et « Les Croix de bois », destinés à dénoncer les horreurs de la guerre.

Bien que, sur le moment, Norton Cru « ne fut pas entendu », son ouvrage « Témoins » reste d’actualité et participe à la polémique actuelle au sujet des témoignages d’anciens combattants :

« Témoins se trouve à nouveau au centre de discussions parfois vives ; certaines affirmations sont revisitées et parfois sévèrement contestées, sa méthode de critique des sources est réévaluée […]. En cette période où le devoir de mémoire ne cesse plus d’être invoqué , au point d’être parfois jugé trop envahissant, les questions centrales portent essentiellement sur le rôle du témoin et l’utilisation des témoignages. Ainsi, au delà du cas spécifique de Norton Cru, historiens, sociologues et philosophes se demandent si le témoin est qualifié pour devenir l’historien de sa propre expérience… » (11). Nous voilà rendus au point de départ.

N’entrons pas dans la polémique. Analyses d’archives, pour qu’éclate une vérité historique rationnelle ? Lecture d’ouvrages-témoins pour ressentir la souffrance ou reconnaître l’héroïsme dans les combats ? C’est dans l’interprétation des sources, les unes comme les autres, que se forge l’opinion.

Le reproche adressé aux anciens combattants serait d’avoir une courte vue sur la guerre qu’ils exprimeraient de manière anecdotique, dit-on dédaigneusement. Foin de tout cela et acceptons les témoignages en tant que tels, en retenant que la vérité des uns n'est pas forcément la vérité des autres.

D’ailleurs, il est bien imprudent de vouloir imposer sa vérité, personne n’en dispose à lui tout seul. En paraphrasant Primo Levi, je dirais que lorsqu’il n’existe qu’une seule vérité, nous ne sommes pas loin de vivre dans un État autoritaire. Méfions-nous de « ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voies que la raison ».

En particulier, en notre domaine l’histoire, prenons « garde de ne pas se laisser manipuler » (12), soit par des chercheurs avides de sensationnel plus que d’objectivité, soit par des combattants aux exploits imaginés ou à l’héroïsme factice, sans parler des partis pris de doctrinaires extrémistes et sectaires.

La vérité ne peut nous parvenir que par un long cheminement de l’esprit, « […] par l’étude, la discussion, le raisonnement » et encore faut-il qu’elle soit vérifiée et démontrée (13).

En conséquence, me concernant, comme nous sommes en pays de liberté, sans vouloir imposer mes vues, qu’il me soit permis de témoigner à ma manière, afin d’accomplir mon devoir d’homme qui est de me « faire une opinion et de l’exprimer » (14), et ainsi apporter une petite part d’une vérité.

Notes :

1) Né à Suresnes (Seine), le 14 septembre 1875, Ancien enfant de troupe, artillerie – école Billom 1889-1893. Chef de groupe du 32e R.A.C., mort pour la France le 12 mai 1916 à Comble (Somme). Auteur de « Lettres de guerre » et « A l’école de la guerre » - Cité par Jean Norton Cru in « Témoins » p.523.

2) Alain « L’esprit de guerre est plus fort que nos désirs ; c’est par la tête qu’il nous tient », « Mars ou la guerre jugée », Gallimard Paris 1936, pp. 173-174

3)En dehors de quelques allusions, je m’abstiens de traiter de la guerre sur mer et de celle dans les airs, pour lesquelles je n’ai pas qualité pour ce faire. Se reporter, ici, aux articles de MM. Ange Mazzuca (Marine) et André Fraiche (Aviation)

4)Cf. La Revue de la Fédération Nationale des Anciens des Missions Extérieures (FNAME) 178 Rue Garibaldi, 69003 Lyon.

5)Sauf l’aspect médical, loi du 3 janvier 1979 – cf. fichier Mplf 1914-1918, Internet : http://www.mémoiredeshommes.sga.defnse. gouv.fr.

6)Frédéric Rousseau, « Le procès des témoins de la Grande Guerre - L’affaire Norton Cru »,Seuil, Paris 2003 p. 283.

7)Général Bach, « Fusillés pour l’exemple » , Tallandier, Paris 2003, p. 22

8)César Boyer, Éditorial, « L’Indépendant des Pyrénées-Orientales », n° 272 du 18 octobre 1914

9)René Rémond : la Grande Guerre est "l’évènement fondateur de la littérature moderne » in « Une mémoire française », Desclée de Brouwer Paris 2002, pp. 58-59.

10)Allusion aux « Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier », Édition la découverte, Paris 1987.

11)Frédéric Rousseau, op. cit. p. 255

12)Général André Bach, op. cit. p. 10

13)Primo Levi, « Si c’est un homme » Julliard Paris 1987, p. 212

14)Primo Levi : « Il ne faudrait pas croire […] que je veuille me dérober au devoir qu’a tout homme de se faire une opinion et de l’exprimer » op. cit. p. 201

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