Chapitre IV : A nos morts

« Honorer les morts, oui !

Glorifier la guerre non ! »

Jean Payra (1)

« Le Cri Catalan »

24 novembre, 1923.

La juste mesure

Lorsque débute la guerre de 1870 « rien [n’est] en ordre : ni les troupes, ni le matériel de guerre, ni les places fortes. L’effectif de l’armée n’était pas suffisant et les réserves n’étaient pas organisées pour entrer rapidement en campagne » (2).

Napoléon III aligne 375 000 hommes d’active et 175 000 de réserve. En « première ligne » environ 250 000 Français s’opposent à 500 000 Allemands parfaitement prêts pour la guerre.

Ce qui devait arriver arrive : Napoléon III perd son trône d’empereur. La France abandonne l’Alsace et la Lorraine à son sort. La Troisième République va payer les dommages de guerre à l’Allemagne (cf. Traité de Francfort du 10 mai 1871).

Parmi les 130 000 morts du côté français, 214 Catalans sont inscrits sur le monument aux morts de 1870 de notre département.

La Grande Guerre, dans sa phase initiale, mobilise 4 622 000 Français dans un « mouvement de minuterie ». Ils sont transportés par 4 278 trains du 5 au 18 août 1914, directement à leur poste d’affectation. « On reste stupéfait devant l’extraordinaire précision de cette organisation grandiose » (3).

Dans ce même temps, c’est l’annonce du malheur pour les familles. Il sera proportionnel aux forces engagées : 1 400 000 morts pour la France. Ils représentent 10 fois le total de ceux de 1870-1871. Pour les Pyrénées-Orientales, la proportion est de 40 fois plus, soit 8 400 morts (Nombre officiellement admis ; il demande à être corrigé, cf. ici, volume II).

La Seconde Guerre Mondiale ajoutée aux guerres de décolonisation et à celles d’opérations extérieures, en raison de conditions techniques plus modernes, n’a rien de comparable avec la Grande Guerre, tant dans son déroulement que dans ses pertes humaines (4). Pour l’ensemble de ces guerres, notre département déplore environ 1 500 morts pour la France (5), soit 5 à 6 fois moins qu’en 1914-1918.

Redisons-le encore une fois : « Parler des morts » au combat c’est avant tout se référer à ceux de 1914-1918. Nous avons vu pourquoi précédemment. Nous ne dérogerons pas à la règle, ici.

Au regard de l’ensemble des tragédies qui nous ont affectés depuis « l’hécatombe » et qui continuent à nous affecter – après nos morts du 6 novembre 2004, en OPEX (Côte d’Ivoire), un Lieutenant (ONU) a été tué au Liban en Janvier 2005 – la Grande Guerre est le premier niveau où va se déchaîner la folie des hommes sur un plan mondial.

Nous continuons à nous demander pourquoi un tel cataclysme ? Une folie qui heurte les sentiments, d’autant que l’ennemi d’hier est ami à ce jour ? Pourquoi cette haine par le passé ?

Faute de comprendre, puisque la déraison des hommes continue, gardons en mémoire ce qui fît le désespoir de nombreuses familles en ce premier temps de guerre mondiale.

Elle a saigné notre jeunesse catalane. Une « guerre destinée à épouvanter l’Univers » écrivait au 29ème jour de combat, le 1er septembre 1914, Alban Derroja, éditorialiste à L’Indépendant des Pyrénées-Orientales. On pleurait déjà mais tout restait à venir.

Catalans

Catalanités

En ce début du XXe siècle, la tradition est encore de retenir l’origine géographique des hommes – par exemple les Catalans - pour identifier les formations militaires auxquelles ils appartiennent. Or, dire que le 53ème RI stationné à Perpignan (seulement depuis 1907), est « catalan » est un raccourci affectivement satisfaisant - ce que j’appelle le sentiment de « catalanité » - sans être le reflet exact de la réalité. En effet, ramené à l’homme, surtout pour « parler de nos morts », nous constaterons que nos Catalans ne sont pas tous affectés dans les formations militaires stationnées sur notre département, et qu’à contrario, ces même formations reçoivent des soldats d’origines autres que catalanes.

De plus, pour être précis, nous devons nous demander, qui sont-ils ces Catalans dont nous avons à citer le nom ici ?

Le lien de catalinité -Origine(6)

Le lien de catalinité, lien sentimental, se renforçait par l’usage intensif de la langue catalane, ferment d’unité pour notre population rurale, encore repliée sur elle-même lors de la déclaration de guerre. Cette dernière allait d’ailleurs rendre encore plus étroit ce lien d’appartenance, mué au fil des ans en complicité fraternelle et en fierté d’origine, jusqu’à un point inconnu de nos jours.

En ce temps les termes de Roussillon et de Roussillonnais, sous-tendaient celui de Catalan, dans le langage courant, dans les conversations et dans les écrits, notamment au cours de la Grande Guerre : « Aux soldats Roussillonnais ! », écrivait Jules Escarguel de l’Indépendant (30 décembre 1914) (7).

On pouvait aussi entendre ce type de discours sans se heurter de l’emploi ambivalent de ces termes. Exemple, le discours du maire de Perpignan, monsieur Denis : « La France et la République pouvaient compter sur la vaillance et la bravoure des enfants du Roussillon, dans la lutte gigantesque qui allait s’engager entre le droit et l’oppression » ; et, dans le même élan il ajoute : « les Catalans montrèrent des qualités exceptionnelles d’audace » etc. (Délibérations 1919, Archives communales (AC) Perpignan, 1D3-72).

Ici, pour lever toute ambiguïté et pour être plus actuel, j’use de préférence du terme de « Catalan ».

Évolutions

Notre département, marche frontalière, a permis bon gré, mal gré, l’intégration de populations de passage. Une fois sédentarisées, celles-ci ont fait souche en nos murs. Puis, générations après générations, leur descendance obtient droit de cité et se dit catalane.

L’étude des dossiers militaires déposés aux Archives départementales (ADPO) montre l’existence de minorités venues de l’extérieur. Par exemple, nous lirons (Série 1R - ADPO), que des « Espagnols naturalisés » ou des « fils d’étrangers Espagnols » (8), rejoignent nos régiments en 1914. De même pour les nouveaux venus des régions du front, « les réfugiés ».

Le soldat Fabrega Joseph Pierre, né à Coll de Margo, Espagne, résident à Villefranche-de-Conflent est naturalisé français le 28 Juin 1914. Il s’engage volontaire pour quatre ans à la mairie de Perpignan le 3 septembre 1914 au titre du 24ème RIC et passe ensuite au 53ème RIC. Il est nommé caporal puis sergent le 15 juin 1916. Il meurt pour la France le 12 juillet 1916 au Bois des Loges. Inhumé au cimetière de Cessier, Somme, tombe 84.

La minorité, sera absorbée par la masse de nos mobilisés sans que soit contestée leur catalanité de fait. Nul ne fera état de leurs origines « transitoires ». Ils mouront en Catalans, inscrits en tant que tels sur nos monuments aux morts.

Sur les 7700 morts dont nous connaissons le lieu de naissance, 400 sont natifs de 88 contrées hors notre département et outre ceux nés en Algérie, Argentine, Espagne, Porto Rico, Portugal.

Certainement issu d’une famille « réfugiée » d’Alsace ou de Lorraine en 1870, un soldat aura son nom caractéristique de ces régions de l’Est, « catalanisé ». Il combattra sous le nom de « Durand », en exécution de la circulaire du 24 février 1915. Elle prescrivait « l’envoi de faux livrets pour les Alsaciens Lorrains », afin de leur éviter les pires conséquences en cas de capture par les Allemands sur le front.

La Guerre de 1914-1918 va donc accentuer le phénomène d’évolution identitaire. Oubliées les différences entre natifs ou résidents, tous combattront d’une certaine façon, sous les couleurs catalanes.

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L’appel de la Nation

Recrutement

Le recrutement des jeunes gens destinés au service militaire se base sur leur recensement préalable. Ce dernier s’effectue sous la responsabilité du maire dans sa commune.

Il concerne les jeunes hommes « domiciliés dans sa commune qui auront atteint l’âge de 20 ans révolus avant le 1er Janvier de l’année courante » disait en substance le texte de loi, abolie.

Ces jeunes gens - « Ceux de la classe » - auxquels s’ajoutent sursitaires et autres « retardataires », des « naturalisés » par exemple, forment un groupe homogène de même origine. L’incorporation a lieu en principe dans l’année millésime qui suit le recensement.

Quel que soit leur état d’âme vis à vis du service militaire, les Catalans, comme tous ceux des autres provinces, partent fiers d’appartenir à leur « petite patrie » et vont revendiquer sans cesse leur catalanité, ceci d’autant plus qu’ils appartiennent aux unités de « recrutement local », tel le 53ème RI.

« J’ai inspecté plusieurs fois le 53ème RI qui s’est vaillamment comporté et c’est en catalan que je leur ai exprimé ma satisfaction » indiquera le Maréchal Joffre en visite à Perpignan le 6 février 1919 (9)

Rupture

Le groupe d’une même origine (catalane) va se répartir en trois directions, pour satisfaire une demande des unités exprimée au moment de l’incorporation : dans l’ordre prioritaire, au plan local, puis régional et enfin national..

Par définition, puisque la variable est le nombre des naissances par classe d’âge, sauf cas fortuit, le nombre de ceux qui arrivent au service, n’est jamais en correspondance avec celui de ceux libérables. En conséquence on s’oblige à répartir des excédents là, et absorber des déficits ici, avec le volume total des incorporés tel qu’il est disponible. Évidement il s’opère un brassage des origines, de fait. C’est justement la question posée par André Corvisier (10) : « le recrutement local était-il une réalité ? ».

Or, effectivement ses recherches contredisent la réalité du « recrutement local même au niveau de l’Infanterie de ligne ».

L’historien conclu qu’« il [serait] plus juste de parler de recrutement régional plus au niveau de la région militaire que de l’espace géographique que ce terme recouvre aujourd’hui ».

Dans l’armée la tradition prévaut, aussi « nos » unités dites de « recrutement local » - le 53ème RI- continueront à revendiquer leur catalanité, en oubliant, par exemple, la partie gavatx (*) de leur troupe.

(*) Surnom des habitants de l’Aude

Mobilisation

Le processus pré-établi de la mobilisation en août 1914, s’appuie sur les données du recrutement antérieur. « Les affectations sont connues [Les réservistes] sont mobilisés dans l’arme dans laquelle ils avaient servi : il y a permanence » (11).

En réalité, l’affectation par arme (par exemple l’infanterie) ne veut pas dire que le mobilisé va rejoindre son unité d’active d’origine. Un fantassin initialement du 53ème de Perpignan, une fois dans la réserve peut très bien, tout en restant fantassin, rejoindre à la mobilisation le 80ème de Narbonne, si ce n’est pas 126ème RI de Brive. C’est ce que constate André Corvisier : « un glissement » dans les affectations, qui entraîne « une plus grande dispersion des soldats dans les armes à la mobilisation qu’au service militaire » (op. cit. p. 260).

Ne tombons pas dans l’excès contraire. Au moment de partir en guerre nos régiments de « recrutement local » semblaient bien être en grande partie, constitués de Catalans bon teint. Cela ne durera pas.

Pratique

Novembre 1918, le temps où la classe 11, libérable chantait à tue-tête son refrain est bien loin :

« Buvons z’à la santé

Des hommes de la classe

Car ils sont contents

D’avoir fini leur deux ans !

Bientôt dans leur ‘foilliers’

Ils reprendront leur place

En chantant tous en cœur

Vive la liberté » (12)

En effet, au moment où éclate la guerre, la durée du service militaire, passe à 3 ans (loi de 1913). La classe 11 (20 ans en 1911), qui s’apprêtait à retourner dans ses foyers est stoppée dans son élan libérateur. Les classes 12 et 13, sous les drapeaux, continuent sur leur lancée. La classe 14 les rejoindra sous peu. Ces classes vont constituer l’armée d’active et recevront les premiers chocs de la guerre.

Puis très vite, sont appelés le reste des hommes valides de la réserve et de la territoriale, jusqu’à l’âge de 47 ans. Ceux-là pensaient en avoir terminé avec leur devoir de citoyens ! Au final 32 classes d’âge, ceux nés entre 1887 et 1919, soit environ 48 000 Catalans, seront mobilisés.

Une partie rejoint les régiments « locaux » les 53 et 253ème RI, et le 126ème RIT ou les 24 et 44ème RIC, ceux présentés comme régiments Catalans. Une autre partie des hommes est ventilée sur des formations extérieures au département. Puis s’égrèneront les reliquats à titre de renforts, les jeunes classes, plus ou moins vite appelées en fonction des besoins : les classes 15,16,17,18 et 19).

Sur place aussi on mobilise 4000 hommes de toutes provenance - locale ou régionale - pour mettre sur pied la 16ème Section d’infirmiers militaires (SIM). La 16ème SIM, ensuite se disloque pour rejoindre des affectations spécifiques, du brancardier au médecin pour aller dans la troupe ou dans les hôpitaux. Elle essaimera, par petits groupes vers la frontière au nord, le moment venu. (Albert Bausil souvent cité dans mon texte, y est affecté, au titre du Service Auxiliaire, en 1914. A-t-il été appelé réellement à servir ?)

J’évalue à 20 000 hommes ceux mis sur pied de guerre à Perpignan et à 20 000 ceux ventilés, ici ou là, à titre de complément ou de renfort, venus de la réserve ou des nouveaux appelés, ceux que l’on nommera les « Bleuets » :

Pour les « Bleuets de la classe 1917 » écrit Jules Escarguel (L’Indépendant, 26 août 1916) « que les mamans se tranquillisent, leurs petits ne s’ennuient pas ».Le Cdt Porcher de la 36ème compagnie du 9ème Bataillon du 53ème RI les a invités à un concert donné par sa compagnie. Et Jules Escarguel d’ajouter : « vous avez raison d’être gais, chers petits amis en dépit des tristesses de l’heure : le passé était noir, le présent est rouge, mais l’horizon est rose. ». [Pour lesquels ?]

Silences

Au début la Guerre

Août 1914, l’illusion. Puis le silence. Et vinrent les chuchotements. Enfin éclata le cri immense de douleur d’un pays pour dire des morts :« Un carnage effroyable […]. On en tue, on en tue par milliers, par dizaine de milliers » (13)

Au commencement se voyait la guerre. Des blessés ! « Des blessés ? » dites-vous ? En guerre, ordinaire on s’y attendait, mais à la façon « Horace Chauvet ».

Ce 19 août 1914, dans l’Indépendant il racontait : « Les obus allemands n’explosent pas ou alors leurs éclats ne mâchent que les chairs sans les pénétrer ». Imbécillités ! Justement ! ce jour 19 août 1914, arrivaient deux des premiers convois de blessés. Deux trains de 258 blessés sont en gare de Perpignan. Les autorités civiles et militaires, la Croix Rouge, la foule nombreuse sont là, rassemblés :

« Le clairon sonne pendant que la locomotive arrive… On se découvre respectueusement et on applaudit » les blessés descendent péniblement de leurs wagons à bestiaux (14). Et commence le triste défilé d’hommes clopinant, aux capotes raidies par la sueur et la poussière ou la boue, des membres et des têtes entourés de pansements souillés… Le défilé commence.

On tente de s’organiser pour évacuer ces malheureux. Certains des blessés, les moins valides sont recueillis par des particuliers venus en curieux avec leur automobile. Il n’y a point d’ambulance. La colonie espagnole, présente, à la vue de cette troupe misérable, se propose de les brancarder. Il n’y pas assez de brancards…

Alors s’éparpillent les blessés. Ils errent dans la ville. Ils se dirigent en groupe ou sinon, plus stupéfiant, seul au hasard des rues inconnues. « Où est l’hôpital ? » demandent-ils. Un hôpital improvisé (15) ! Il faut bien l’avouer, nous n’étions pas préparés à tant de malheur en si peu de temps, venu si près de nous… Et dire que le sergent Soubielle du 53ème RI, écrivait, ce 19 août 1914 : « Tout va bien ! ». Le 53ème est allé au feu : ni blessés ! ni morts. ! « Seules quelques insolations » sont à déplorer, dit le sergent. Et les blessés débarquent ! Imbécillité !

C’est la volonté du commandement. J’imagine le raisonnement : cachez la mort. Il ne se passe rien sur le front. Pourtant commence la guerre et nous viennent ses trains de blessés ! Certes, certes mais voyez-vous des morts dans le flot qui reflue ? Ne pas alarmer le commun. Ne pas déplacer les corps sans vie. La mort de guerre ? banale, insignifiante, sans souffrance… Une balle au cœur ! sans plus.

La mort cachée. Voyons ! Ce 19 août 1914, « au commencement la guerre ». Contrairement aux propos de Soubielle, après 15 jours de combat, le 53ème RI comptait ses trois premiers morts pour la France. Par ailleurs, au total des autres formations, un centaine de Catalans venaient de mourir pour la patrie. Une patrie ignorante du drame que se déroulait. Allait-on enfin parler des morts ? Combien fallait-il en compter pour que l’on en sache au grand jour ? Oui ! La guerre commençait ! On la taisait.

La presse locale

Depuis la mort de Lucien Bedos, premier officier catalan mort pour la France - ce qui a sidéré nos compatriotes en août 1914 - bien d’autres officiers mouront au combat, ainsi que des soldats et des sous-officiers de notre département. Tous n’apparaîtront pas à la « une » de la presse locale, en photo pleine page, comme Lucien dans la « Veu del Canigo » d’Horace Chauvet ou le Colonel Arbanère.

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Inaptes à dénombrer tous ces morts devant la masse qui se dessine, nos journaux finissent par écrire en ce temps de folie qu’« aucune horreur n’est plus capable de jeter [les] cœurs dans les abîmes désespérés » (16)ou, comme l’écrit un Territorial d’Estagel : « lo ques doure cance » (17).

En conséquence seuls des Catalans les plus connus ont droit au dernier et triste honneur de figurer en « première » de nos journaux. Par exemple la tirade d’Albert Bausil dans son « Martyrologe » (Le Coq Catalan, n°38 1917) : « images chères et charmantes… des Pierron, des Codet, des Guardia, des Gauthier, des Bardou, des Sacaze, des de Malzieu, des André, des Arrès, des Despéramons » auxquels il ajoute ses sportifs préférés. Albert Bausil écrira lui-même le 12 juillet 1919 : « 117 martyrs perpignanais eurent [dans Le Coq catalan] leur image ou leur dernier adieu ». 117 sur 8400 morts ? Si on cite par ailleurs quelques rares officiers supérieurs : Rondony, Arbanère, Lamole, on dit encore plus rarement les noms de ces inconnus morts dans le pur anonymat du champ de bataille.

Quoi qu’il en soit pour « Parler des Morts », nous compterons sur le gaillard et poète Coq Catalan, ou sur son prédécesseur le Cri Catalan. Prédécesseur puisque le Cri Catalan initialement sous la coupe d’Albert Bausil, par un tour de passe-passe surprenant, malgré les assurances apaisantes données par les parties en présence, atterrit dans les mains de Jean Payra le 2 mars 1917, organe plutôt de gauche.

Ce Cri Catalan plus politique que ne l’est le Coq, malgré ses dénégations, est plutôt dans la position de refus de la guerre. Ne soyons pas étonnés de sa réserve quant à parler de nos morts.

La mort d’un humaniste catalan

C’est en plein combat aérien contre six appareils allemands que Vergès sentit se terminer une existence qu’il eût préféré consacrer au progrès. Car la gloire militaire ne le tenta jamais, et si l’on voulait qu’une preuve, on la trouverait dans la défense qu’il fit au siens de ne point publier les éloquentes citations dont il fut l’objet et que ses exploits seuls lui avaient méritées.Nous connaissions Vergès. Notre maison lui fut toujours ouverte et il y venait, à chaque permission, nous y entretenir de son horreur de la guerre et de son idéal généreux, scientifique et humain.

C’est fini. La guerre insatiable et sinistre, la guerre coupable de millions de rapts, nous laisse désolés mais plus courroucés que jamais de ce nouvel attentat contre nos affections. (Jean Payra - Extrait du Cri Catalan septembre 1918)

Le plus en vue, le plus lu, n’en déplaise aux autres quotidiens, celui qui dira le 28 septembre 1914 : « Vous devez être fier d’avoir sacrifié un enfant à la Patrie… », c’est L’Indépendant des P.O. (18) d’Emmanuel Brousse, député avec Jules Escarguel, le directeur et flamboyant éditorialiste.

L’Indépendant se veut dans le sens ordinaire de l’histoire. Les combattants sont encensés, pleurés, encouragés, souvent de manière dithyrambique. Les gouvernants comme la censure officielle font l’objet de vertes diatribes - non sans quelques ennuis pour le journal.

Soit victime ou complice de la désinformation, soit angélisme ou courte vue, parfois la réalité de la situation lui échappe totalement. Exemple, ses divinations.

L’Indépendant fin 1914 demande : « Et alors, la fin de la Guerre ? » et péremptoire se répond : « Ce sera pour la fin mai [1915] ». Hélas ! des milliers de morts arrivent en cortège.

Fin 1916, nouvelle divination : « Il est à peu près certain que 1917 verra se terminer la guerre » ! Hélas, encore ! une « année terrible » se plaint le Président Raymond Poincaré. 1917 ? tout a failli basculer ! On peut penser comme Louis Bathas qui écrit dans ses Carnets de guerre (19) :« à Perpignan il y avait un journal célèbre pour son bluff ». Bien entendu, il s’agit de L’Indépendant.

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On lit peut-être avec moins de constance Le Roussillon, le quotidien royaliste, toujours prêt à invoquer Jeanne d’Arc. Il finira par faire fausse route et disparaîtra avec la Seconde Guerre Mondiale

Ces deux derniers journaux, outre les articles consacrés aux « personnalités » emportées par la guerre, ouvrent régulièrement, leurs colonnes aux avis mortuaires, dans un coin de bas de page intérieure. Discret faire-part de décès de militaires, objets de « messes en leur mémoire » faute de la présence de leur corps pour des obsèques en règle. (cf. le conditions du retour des corps dans le précédent chapitre).

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Il arrive aussi qu’en d’autres colonnes, dans une place réservée aux villages, ces mêmes journaux citent les « enfants » des communes « Morts au Champ d’Honneur », à côté de nouveaux décorés ou de « montés » en grade. Joies des honneurs mérités et tristesses mêlées. Le temps est au tragique.

Un mort anonyme

On se demande : Qui sortira de la masse des morts étalés, qui, parlera de Pierre Sébastien Campagnac, natif de Vinça, du 96ème RI ? Qui expliquera l’histoire de sa blessure à la tête ? Qui racontera sa trépanation en août 1916, à Thiaumont ? Qui dira ses souffrances jusqu’à ce que la mort les abrège le 29 novembre 1920, bien après que les armes se soient tues, loin des camarades de combats ? Qui dira « sa bravoure », comme il est dit sur sa citation à l’ordre de l’armée : « brancardier plein de courage et de sang froid est allé chercher en plein jour le 8 août 1916, sous un bombardement des plus violents, son chef de bataillon qui venait d’être grièvement blessé, est parti spontanément sans y avoir été invité et a reçu à la tête une grave blessure qui l’a fait évacuer et est susceptible de mettre ses jours en danger », Qui se souviendra de ce mort civil, mort dans le silence des armes, 1920 ! anonyme !

Censure

« La censure tatillonne, cruelle, féroce à l’excès défend aux journaux de faire connaître l’endroit où sont glorieusement tombés nos héros… » (L’Indépendant - 27 juin 1915)

Parallèlement au silence administratif qui désespère les familles, la censure, soucieuse d’éviter d’informer nos ennemis par voix de presse interposée, efface le nom des lieux de combats et même le nom des unités d’appartenance des soldats, y compris sur leurs tenues, une fois photographiés. A Perpignan, la censure a son comité. Il est patronné par le Cdt Vilarem (L’Indépendant, 29 septembre 1914).

Peut-être a-t-on la volonté d’empêcher la diffusion auprès des familles soucieuses, des listes de morts ou de blessés souvent erronées (20) ? Auparavant, ne disait-on pas l’inverse ? Puis après encore l’inverse ? l’édition des listes est autorisée à condition que les familles concernées en soient d’accord. Qu’en savent-elles les familles du sort de leurs soldats, pour autoriser quoi que ce soit ?

Pour atténuer l’inquiétude des familles et temporiser dans les réponses, il leur est conseillé de déposer une demande de recherche auprès de leur mairie à l’aide d’un formulaire, d’ailleurs imprimé par l’Indépendant. Le formulaire est vendu au public au prix de 1,50 francs les 100. (L’Indépendant, 28 août 1914). D’où la question : Que peut un maire dans cet état de rupture avec les autorités du front ?

L’administration noyée par les événements, mandate le service médical pour informer les familles. N’est-ce pas le service de santé qui traite des victimes de la guerre ? Comme les autres, ce service est démuni et l’expérience tourne court. Rien n’y fait !

Alors le doute s’installe devant l’incohérence et le manque de nouvelles du front : « Pendant deux mois il n’y aura pas de correspondance organisée entre les militaires et leurs familles » (21).

Le moment est venu pour Jules Escarguel. Comme à son habitude il entre en transe (18 octobre 1914) : « ça dure trop ! C’est l’anarchie dans le service de communication entre les soldats et leurs familles ».

Incompréhension

L’incompréhension règne ; la colère menace : « Nos petits soldats se font trouer la peau » déclare le député Brousse heurté par la liesse étalée à Bordeaux où se trouve réfugié le gouvernement sur l’insistance de Joffre (2 septembre 1914). L’Indépendant est sanctionné, sa parution suspendue 15 jours.

Comme au 23 août 1914, Albert Bausil, vient à la rescousse de son confrère. Il avait écrit dans son Cri Catalan : « on supporte l’état de siège, mais pas l’état de silence. Je puis me passer d’absinthe. Je ne puis pas me passer de l’Indépendant » (22). Et c’est vrai, la situation était des plus graves !

Tout se liguait pour éviter une vérité : les centaines de morts sur le front. Tout était opaque, obscur. Que voulait dire « les disparus » ? Une disparition, mais il n’est pas mort ? Pourquoi disparaît-on ? Reviendra-t-il ce disparu ? On y perd son entendement. Car le phénomène s’aggrave.

Des déclarations prématurées de décès sont infirmées peu après. Des disparus réapparaissent. Des morts « ressuscitent » (L’Indépendant, 26 octobre 1914). Qui croire ?

Les familles sont à bout. Elles se retournent contre les dépôts régimentaires. Le chef du dépôt du 53ème RI reçoit des lettres anonymes de plaintes ! Il revendique à son tour le droit à l’erreur. Enfin il avoue son impuissance, dépassé par le nombre : Que puis-je devant ces « 27 classes qui représentent 40 000 soldats … dans les dépôts » (L’Indépendant, 10 janvier 1915). Comment gérer un telle masse ?

Incrédulité

L’improvisation et la contradiction donnent naissance au fol espoir de voir revenir « son disparu ».

Il est encore de nos jours, des arrières grand-mères qui continent à évoquer la disparition d’un des leurs, sans en accepter l’idée de leur mort. Qu’est-ce un mort dont on ne voit pas la dépouille ? Quel deuil ? C’est par exemple, la fille d’un soldat du 253ème RI qui disait récemment son père disparu dans les Vosges, alors qu’en réalité son corps repose bel et bien à la nécropole de Bertrimoutier (88).

Comment entreprendre un deuil alors qu’on est empêché de se rendre sur les lieux des sépultures en zone de combat, pendant toute la durée de la guerre et même un ou deux ans après l’armistice ? Seuls, je le rappelle, étaient éventuellement rapatriés le corps des militaires morts dans les hôpitaux et encore.

On signalera bien des arrivées de cercueils par voie ferrée fin août 1914. Pour l’un, les obsèques se dérouleront normalement. « Le cercueil recouvert du drapeau français, prêté par le menuisier Félip » précise l’Indépendant du 26 août 1914, mais cérémonie bien rare à être signalée par la presse.

Un cas parmi bien d’autres

L’Indépendant du 19 octobre 1914 exprime sa perplexité devant la situation du soldat du 53ème RI, Joseph GUIZART de Montner. Le 10 octobre 1914 Joseph, à la suite d’une demande de recherche de la part de sa famille, est déclaré mort sur le front de Lorraine à Manonviller. Or ce 19 octobre, comme le dit L’Indépendant, le voici « ressuscité » et en bonne santé.

Malheureusement la réalité est tout autre. Joseph est gravement blessé. Dans la semaine qui suit cet imbroglio il est rapatrié dans sa famille à Montner. Joseph a juste le temps d’embrasser les siens. Il meurt le 29 août 1914, des suites de ses blessures de guerre.

Pour la famille, ce malheur n’y suffit pas. Le 12 novembre 1914, Dieudonné le frère cadet de dix ans de Joseph, caporal au 142ème RI, est tué sur le champ d’honneur à Langemark, en Belgique.

Légendes ?

En ce début de guerre, nos soldats mobilisés, en dehors des régiments dits « catalans », rejoignent des formations de « recrutements régionaux ». Bon nombre se fondent dans le moule identitaire « méridional » présent dans le XVIe Corps, et aussi du XVe, situé le plus à l’est du sud méditerranéen. L’étiquette « méridional » ne sera pas aisée à porter comme nous allons le voir :

Échecs (23)

« L’offensive est la plus puissante du combat ; elle seule apporte la décision. […] L’offensive est le symbole de la supériorité sur l’ennemi » déclarait le général allemand Ludendorff (24) qui semble justifier la position doctrinaire de nos stratèges, tel Grandmaison. Et les Français se déchaînent : « A l’avant ! ».

Citation à l’ordre de l’Armée : Arbanère Alfred-Louis, colonel au 53ème RI. ; chef de corps tombé glorieusement frappé au front en entraînant sabre à la main, son régiment lors d’une contre-attaque, le 20 août 1914 ». (Le Roussillon, 1920).

L’encadrement du haut niveau de l’armée française est converti. Il fait mener l’« offensive à tout prix » et dans « l’outrance ». Alors, nos « officiers généraux et supérieurs lancèrent leurs troupes, dès que l’ennemi était en vue ». Ils négligeaient l’élément conditionnel énoncé par le général allemand : la nécessité de disposer de troupes entraînées, d’un appui feu conséquent d’artillerie et de mitrailleuses pour couvrir les assauts des « poitrines découvertes ».

Trois offensives lancées au début des hostilités sur le front à l’Est, vont démontrer la faiblesse de cette tactique. Ce sont trois échecs cuisants. En Alsace, dans les Ardennes et entre les deux, en Lorraine où est engagée la IIe Armée Castelnau, (à ses côtés Foch). Elle englobe les XVe et XVIe Corps, des Méridionaux.

Quels sont les régiment d’infanterie de Méridionaux du XVIe Corps : 15ème Albi - 53ème Perpignan - 80ème Narbonne - 81ème Montpellier - 96ème Béziers - 122ème Rodez - 142ème Mende – 143ème Carcassonne - avec leurs régiments respectifs de réserve soit les 215ème - 253ème - 280ème - 281ème - 296ème - 322ème - 342ème - 343ème .

Il existe un 9ème bataillon dit de marche du 53ème RI, aux missions ingrates d’organisation du terrain des combats. Il s’est constitué en 1915 à Narbonne avec des classes anciennes ou des reliquats des 53ème et 80ème RI. Un de ses soldats Pierre Joseph Maillols, arrivé au 9ème le 28 août 1915, y mourra de ses blessures, après la bataille de Souin le 5 octobre 1915.

Les 126ème RIT, au destin particulier en Tunisie, et les 24éme et 44éme coloniaux, ne font pas partie du XVIe Corps.

« La bataille de Lorraine est enclenchée le 19 août 1914… (25). Les soldats en pantalon rouge se lancèrent à l’assaut , contre un ennemi inférieur en nombre. Ils furent inlassablement fauchés par l’artillerie lourde et les mitrailleuses ».

Ce sera la défaite, pour nous, à la bataille de Morhange. Heureusement nous nous reprendrons au Grand Couronné de Nancy où nous neutraliserons l’ennemi, mais pas les ragots à la suite de Morhange.

Le baptême du feu du porte-drapeau du 53e R.I. (26)

Le matin du 20 août les trois bataillons du 53ème R.I. « notre régiment de Catalans - le colonel, la liaison, les sapeurs, et les téléphonistes, drapeau au centre, s’élancent. Les clairons sonnent la charge […] Derrière nous des gros obus s’écrasent, fracassant des arbres entiers.

Bientôt l’horreur est à son comble. L’ennemi nous attaque de tous côtés. Le colonel [Arbanère] tombe, frappé à mort ; des hommes basculent en avant comme s’ils butaient contre un obstacle. Des blessés lâchent fusils et équipements, et tenant leur ventre à deux mains, courent vers l’arrière avec des cris éperdus.

D’autres se traînent lamentablement et clament ‘ne m’abandonnez pas !’. De bons samaritains quittent la ligne de feu pour accompagner des blessés valides ; des fuyards hurlent dans le tumulte : ‘Nous sommes tournés !’. Les balles claquent dans tous les sens. Une section se débande ; je cours, drapeau levé, revolver au poing. Seignerie jette à ces poltrons les pires injures ; enfin l’ordre paraît se rétablir.

Le feu ennemi augmente d’intensité ; on dirait que le drapeau sert de point de mire aux balles des mausers, il est percé en deux endroits. ‘Nos farem matar amb aqueix drapeu !’ (*), me crie Émile entre deux explosions… En une heure les images les plus terribles de la guerre ont défilé devant nous : écrasement effroyable des gros obus, sifflement affolant des balles, vision des blessures hideuses, cris des mourants, rien n’a manqué à notre premier combat. Dans quel guêpier sommes-nous venus tombés ? » (*) Nous nous ferons tuer avec ce drapeau.

Ragots

L’histoire d’une compagnie rapporte les paroles d’un sergent. Les voici telles qu’on pouvait les lire en 1918 : « Il y a peut-être du vrai dans ce qu’on dit du Midi […] Quels gueulards ! Quels rouspéteurs ! Quels fainéants ! » (27). Ragots ? Calomnie ? « Légende ! » disent certains. Voyons !

A la date d’édition de cet ouvrage, mai 1918, l’heure devrait être au recueillement après l’hécatombe incommensurable. Pourquoi alors, ce venin à l’adresse des nôtres ? Parce que les « légendes plus ou moins calomnieuses […] ont la vie dure ».

Et elle dura la « légende-ragot » depuis ce Morhange. La France nous croyait vainqueur en Alsace. A Morhange, elle s’est vue perdue, pendant que nos « sans peur » étaient massacrés sabres au clair pour les colonels d’infanterie, lors d’élans fous offensifs.

Le coup de poignard est venu au lendemain de la bataille perdue de Morhange, via Le Matin du sénateur Gervais (28) : « Surprises sans doutes par les effets terrifiants de la bataille, les troupes de l’aimable Provence, ont été prises d’un subit affolement. Les soldats du Midi, qui ont tant de qualités guerrières, tiendront à l’honneur d’effacer l’affront qui vient d’être fait par certains des leurs, à la valeur française ». (29). Et voici le Midi, sans distinction de lieu, au ban de la société. XVe Corps ou XVIe Corps, celui des Catalans, aucune protestation ne changeait rien, au mal fait. Bien plus, la calomnie ira son chemin et jettera durablement l’opprobre sur tous les Méridionaux.

Par la calomnie, a-t-on cherché quelques boucs émissaires pour sublimer la peur d’être défaits, alors que le front s’embrasait, que l’ennemi était solidement implanté sur nos terres de France ?

Responsabilités

La réputation

Disons-le, nos régiments du midi avaient « le sang chaud ». Rappelons-nous, la « révolte des vignerons de 1907 » (30) au cours de laquelle le 17ème RI de Béziers « levait les crosses en l’air » pour ne point affronter leurs pères et leurs frères vignerons en rébellion contre le gouvernement du moment.

C’est lors de ces événements que le 12ème RI catalan, confronté aux vignerons catalans aussi, jugé peu sûr par les autorités, sera relevé dans l’affolement par le 53ème RI arrivé à la rescousse de Tarbes.

Et cette effervescence des soldats classe 11 du XVIe Corps en 1913 ? Le gouvernement prétendait les maintenir - septembre à novembre – afin d’assurer le recouvrement des classes appelées et celle libérées, dans l’application de la nouvelle loi de 1913. Elle instaurait la durée du service militaire à 3 ans. Pensez ! ces libérables, eux, se voyaient aux vendanges ; qui les ferait sans eux ? Un scandale !

La manipulation

En réalité, « on » aurait manipulé l’opinion publique, par l’intermédiaire de ce sénateur Gervais, en lui désignant justement un bouc émissaire dans cette affaire d’issue incertaine. Qui est ce « on » ? Là, est la question posée par le général Bach (31).

Le général pense, si j’ai bien compris, qu’il s’est mis en place un mécanisme machiavélique initié par le généralissime Joffre lui-même (*). Celui-ci informe - puis-je dire insidieusement ? - le Ministre de la Guerre Messimy de la « défaillance » du XVe Corps (affaire de Morhange !). Messimy, aux états d’âme complexes, selon le général André Bach, comprend qu’il y lieu de préserver « ses arrières ». Il va chercher un porte parole compréhensif, prêt à entendre son message et surtout à le répercuter dans le public. L’homme, c’est ce sénateur Gervais. Et c’en est fait des Mérionaux ! L’opinion publique à la suite de l’article infamant, se déchaîne contre les « lâches » défaitistes.

« Si Messimy avait ainsi estimé soulever les passions, il avait visé juste » dit le général Bach. Après avoir « jeté en pâture à l’opinion » le XVe Corps, c’est « une grande émotion. Face à cette mise au pilori une levée de boucliers se fit contre les Méridionaux, entraînant de leur part des protestations indignées. L’effet allait être durable » jusqu’à la haine.

Un adjudant du XVe Corps dira : « Se faire tuer n’est rien, mais se faire insulter comme nous le sommes, c’est à pleurer ». Un infâme général s’adresse ainsi à des territoriaux méridionaux sur leur départ pour le front : « Vous êtes bons à recevoir des balles dans le cul et à lever les crosses en l’air ».

Quant aux opérations militaires, s’il y eut cafouillage des Méridionaux, il le fut sous la responsabilité d’un commandement cafouilleux, imbu de sa science infuse et de ses prérogatives, et désobéissant (cf. relations Castelnau – Foch), un commandement sûr de lui avec sa « théorie de l’offensive quand même, sans rien savoir, sans rien chercher à savoir » (Cdt Jacquand, op. cité pp. 222-225).

[Je pourrais d’ailleurs dire, en me référant au général Chomereau de Saint-André, capitaine en 1914 au 149ème RI, que notre premier tué Catalan, le Lt Lucien Bedos, ensemble avec le capitaine au Renclos-des-Vaches (88) le 9 août 1914, a été victime « d’une offensive à outrance, aveugle, prêchée par les théories ignares de l’état-major » (tel l’écrit le général (32))]

Que la guerre commençait mal !

(*) Après tout ceci, que penser du portrait de Joffre, peint par le maire de Perpignan, lors de sa visite du 6 février 1919 ? « Tous aimons celui qui par sa sollicitude, sa constante recherche du mieux être, et disons le mot, pour son affection pour ses soldats à été surnommé par nos glorieux Poilus : le ‘Grand-Père’, titre dont à bon titre vous devez être fier » ?

De la calomnie

Le 15 octobre 1914, nouvelle attaque. Dans l’Opinion de Paul Doumer, Jean Pierrefeu en rajoute. Il trouve les Méridionaux « douillets, mous, etc. ». Pierrefeu était au G.Q.G., près de Joffre, chargé de la rédaction du Bulletin des opérations édité quotidiennement dans le public. Est-on encore dans le machiavélique, la désinformation ?

Cette fois L’Indépendant « monte au créneau » : Et notre 53ème ? et notre 24ème RIC qui vient de capturer un drapeau aux Allemands (33) ? et Joffre, ce solide et rusé catalan ? etc.

L’argumentation de L’Indépendant n’est pas dépourvue de vérités. Déjà, bien des actions d’éclat nous sont reconnues, Légions d’honneur, Médailles militaires, sont nos récompenses (pas encore la Croix de guerre qui ne sera attribuée qu’à partir de 1915).

Le 24ème RIC pour son fait d’arme, « l’enlèvement du drapeau du 69ème RI allemand [de réserve] (8ème corps) au cours de violents combats qui ont été menés pendant la journée du 26 septembre 1914 » aura droit à un ordre du jour élogieux de la part du Général Langle de Cary, commandant la 4ème Armée. Le fait d’armes s’est déroulé à Minaucourt. De 1914 à 1918, le 24ème perdra 8551 hommes de tout grades (pas tous Catalans, on s’en doute) pour un effectif de 3362 (Historique).

La réalité est celle-ci : la perte d’une trentaine de Catalans par jour. Jusqu’à Morhange, après quinze jours de guerre, les Catalans en Lorraine et dans les Vosges, comptent environ 400 tués. Pendant ce temps le 24ème RIC – en Belgique là où Joffre est « surpris ! » - perd une quarantaine de Catalans.

Malgré cela, mais le sait-on dans le public, on continue à brocarder les régiments du Midi. Le S-Lt Leroy de Bourg en Bresse s’y est mis. Dans son discours d’accueil aux recrues il déclare :

« Tous les régiments du Midi sont renommés pour leur mauvais esprit, leur mauvaise conduite au feu, leur défection ». A nouveau Escarguel, s’insurge (L’Indépendant, 12 janvier 1915) : « Si vous saviez quelle piètre estime, quel mépris on a pour vous dans nos régions, vous rougiriez de votre origine… ».

A nouveau, après un temps d’accalmie, le 19 octobre 1915 L’Indépendant titre : « Un insulteur de Catalans rappelé à l’ordre… ». Encore un sous-lieutenant, Baron de Montpellier. Il s’est « permis d’insulter les braves Territoriaux catalans du 326ème RIT », en garnison à Chavenay (34) (Code dépt 78 450).

C’en est trop ! Emmanuel Brousse, député, s’en mêle : protestation auprès du ministre Millerand. Le ministre diligente une enquête. Elle s’avère concluante, à notre avantage. Baron, « convaincu de s’être livré à de regrettables écarts de langage [est] sévèrement blâmé et s’est vu retirer le commandement qu’il exerçait » écrit Millerand au député Brousse. En même temps, il est muté… Bon vent !

Jules Escarguel, le 1er janvier 1917, lui, comprend. : nos hommes ont besoin de reconnaissance. Égal à lui-même il émet son message : « Soldats Roussillonnais ! Il est bon que vous sachiez, à quel point vos compatriotes sont fiers de vous… ». Admiration ! Reconnaissance ! Bien des mots apaisants.

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Brassages (35)

Une autre légende serait venue se greffer sur la précédente. La sape calomnieuse aurait conduit le Grand Quartier Général (GQG), à « casser » la raison identitaire des régiments régionaux.

Des troupes à la réputation douteuse, sont peu enclines à se battre « jusqu’au dernier » ? Soit ! Qu’à cela ne tienne : dispersons-les ! Éparpillons les Bretons, les Auvergnats, etc., mais surtout les Méridionaux couards… C’est vrai ! les légendes ont la vie dure. Heureusement, le temps viendra où justice sera rendue à nos soldats, à nos morts catalans. Remercions par exemple, André Corvisier :

« Le brassage a pu avoir un tout autre objectif [que celui de la nécessité tactique et d’emploi des armes], celui d’accroître la valeur militaire des différentes unités. Au début de la guerre […] n’avait-on pas dénoncé le peu de valeur militaire des Méridionaux, leur couardise, bref un stéréotype bien connu que la rigueur de l’analyse historique dément à propos de la bataille de Morhange en août 1914, on avait vu en eux de bien piètres soldats » (op. cit. p. 282). Merci !

En vérité, le brassage commençait dès le recrutement des jeunes gens, comme déjà expliqué. D’emblée, nos régiments locaux perdaient de la catalinité et elle se diluait dans les régiments régionaux. Quant en cours de guerre, l’état-major avait d’autres raisons à vouloir « éparpiller » ou à « éclater les solidarités locales et régionales, les solidarités des naissances ». D’une part les ressources locales diminuaient. Elles n’étaient plus en mesure de compenser les pertes humaines de « leurs » régiments originels. « Très vite, à la fois par suite d’obligations nouvelles et d’une volonté de brassage national [ce que ne dit pas Corvisier], les unités au front reçurent des renforts qui ne provenaient plus de leurs dépôts. Elles devinrent ainsi moins représentatives d’une région. Il en resta toujours quelque chose [entre autre la langue] » (36). D’autres part, pour des raisons tactiques, d’emplois des armes, on multipliait les régiments à pourvoir (la demande) d’où la dispersion des effectifs (l’offre) disponibles, qui parfois se composaient de briscards frustrés provenant de dissolutions d’unités souvent méritantes.

Le 253ème RI, notre régiment de réserve combat dans les Vosges. Il y perd nombre de ses hommes et en conséquence plusieurs fois renforcé, dont parfois par des pépères du 126ème RIT venus de Perpignan. Une fois il reçoit une partie du 343ème RI dissous. Jusqu’au jour où il est à son tour dissous dans la région de Fère-en-Tardenois. Juillet 1917, le 253 combat au « Chemin des Dames ». « Le 9 septembre 1917, le sacrifice était consommé et le 253ème avait cessé d’exister » (Historique du 253ème RI, p. 21).

« Les historiques des régiments continuent à évoquer çà et là l’arrivée de renforts sans en donner l’origine, ce qui laisse penser qu’il ne s’agit plus systématiquement d’effectifs régionaux »

Dans ces conditions, pouvait-on encore parler de régiments du Midi ou de régiments de Catalans ? Où passaient-ils ces fameux Méridionaux honnis ? Perdus dans la masse, « mélangés », ils participaient à « élever le niveau militaire général de l’armée ». Ils combattaient, tout simplement. Comme le dit André Corvisier « la solidarité de naissance » se transformait « en solidarité de combattant ».

Nos morts – Analyse

On peut interpréter les statistiques et leur demander de dire ce que l’on veut entendre. Toutefois, les nombres en résultat sont là, tels que nous avons pu les déterminer selon les moyens à notre disposition. Sans trop les torturer voici ce qu’il en résulte, du moins ce que je crois y déceler.

Cohérence

L’éparpillement (brassage) des hommes dans les unités donne une grande diversité de noms d’unités d’appartenance. Ils vont bien au-delà de la liste des noms de nos unités de recrutement local et régional, imaginés au départ de notre étude. Rapidement on se trouve au niveau national, c’est à dire dans le flou pour la recherche des lieux de sépultures, ce qui intéresse ici.

Nous dénombrons environ une soixantaine d’organismes d’affectations, eux-mêmes déclinés en de multiples unités plus ou moins élémentaires (régiment, bataillon, compagnie etc.) dispersées sur le champ de bataille. Nous constatons que les soldats de tous grades [dans la mesure où ils restent en vie un certain temps, bien entendu], font l’objet de deux à trois mutations d’unités à unités, donc de changement de lieux de stationnement. Retenons aussi les déplacements tactiques des unités elles-mêmes, qui d’ailleurs changent parfois de dénomination. Ajoutons les éventuelles erreurs de scribes de l’époque dans la mise à jour des dossiers individuels de nos soldats, on comprendra pourquoi tant de familles se lamentaient de ne pas savoir ce qu’il advenait d’un des leurs et qui plus est de connaître leur lieu de sépulture. De notre côté nous n’avons pu déterminer aucune loi cohérente dans ces mouvements.

Lieux des sépultures (avant regroupements)

Nous avons identifiés 1 200 lieux, , où sont tombés les nôtres. L’orthographe de ces noms relevés dans les dossiers militaires, rédigés à l’époque, est incertaine, variable d’un mort à l’autre, quant ce ne sont pas des lieux dits pratiquement inconnus des géographies, parfois inventés par les soldats eux-mêmes. Ceci non seulement confirme mon énoncé ci-dessus, mais encore ajoute à la complexité.

En dehors du travail de deuil des familles, elles désiraient retrouver les corps coûte que coûte, on observera l’immense difficulté des services à identifier et regrouper les corps épars sur le champ de bataille. On attendra près de deux ans, l’Armistice signée, pour amorcer les retours des corps en convoi.

Le brassage

Observons les conséquence du brassage au plan local (uniquement pour nos Catalans, tels que nous les avons identifiés). Le tableau récapitulatif suivant, indique que la proportion de nos morts, à l’origine engagés au titre des régiments locaux et régionaux (du Midi, donc), diminue à partir de 1917. Elle s’inverse dans les mêmes proportions, par rapport aux régiments non locaux ou régionaux. Elle tend à confirmer la mutation - identifiée par ailleurs comme technique et tactique - qui s’est opérée dans la destination des Catalans au combat.

1914

1915

1916

1917

1918

Totaux

Catalans morts au titre des Rgt du Midi

1527

1319

394

183

173

3596

Proportion rapportée au total des morts

76%

56%

30%

21%

14%

46%

Catalans morts hors les Rgt du Midi

464

1007

919

653

1066

4109

Proportion rapportée au total des morts

24%

44%

70%

79%

86%

54%

Totaux de nos morts par année

1991

2326

1313

836

1239

7705*

*Total des Mplf décédés entre août 1914 et novembre 1918, dont l’unité d’affection nous est connue.

Dure la guerre

Au fils des jours, quelle que soit leur affectation, des Catalans meurent. Certes l’esprit d’offensive « à outrance » se calme. On se « cache » dans les tranchées, dira un éditorialiste de Perpignan en oubliant (peut-être volontairement) la mort en masse dans de « grandes » batailles. La défensive est bien moins meurtrière, c’est vrai, mais la guerre dure. Elle ne se termine pas comme le prévoyait Escarguel, ni en 1915, ni en 1916, ni en 1917. « Il est à peu près certain qu’en 1917 verra se terminer la guerre » écrit-il le 31 décembre 1916. Que nenni !… Encore heureux de pouvoir signer l’armistice le 11 novembre 1918. Justement en ce premier semestre 1918, les Allemands déchaînés ont bien failli nous emporter dans le maelström. Alors, avant d’en finir la mort continue son œuvre. On comptabilise ses morts de part et d’autre : le cumul devient impressionnant, désespérant : une jeunesse se meurt.

A la guerre, en simplifiant le raisonnement, il y a ceux qui meurent sur le terrain des combats, ce qui est estimé être le plus glorieux. Comme d’une manière générale on ne choisit pas sa mort, il est des soldats qui meurent des suites de la guerre, hors le champ de bataille : soit blessés, soit malades.

La logique voudrait que les premiers (les tués) soient inhumés sur place en attentant un éventuel rapatriement près des leurs. Les seconds, iront mourir en fin de parcours, dans un quelque part inconnu, sinon dans leur lit, à leur domicile ; ce qui semble anachronique aux non initiés des choses de la guerre.

Je n’oublie pas les disparus, ils comptent en nombre, mais qui sait le destin de leur dépouille, si ce n’est que de parler d’énigme et de difficulté à en faire le deuil ?

Par la statistique, clarifions cette situation !

Je pars du principe que sur la pièce matricule de l’intéressé, si on y indique un lieu de décès situé dans une zone des armées, sans relation avec le milieu hospitalier (ambulance, infirmerie, hôpital etc.) cela correspond à une mort directe au champ d’honneur (ou en mer).

Il ressort que sur 8400 catalans morts pour la France, environ 3665 d’entre eux seraient tués effectivement au front entre le 3 août 1914 et le 11 novembre 1918, au titre des régiments d’infanterie de notre recrutement local et régional. Si l’on tient compte des autres tués au titre des régiments hors notre région, la tendance serait de dire qu’au moins 50% de nos Catalans sont morts au champ d’honneur. [Où est la couardise de ces « méridionaux » tant critiqués ?].

Unités

Tués

Unités

Tués

Unités

Tués

Unités

Tués

53 RI

903

15 RI

47

81 RI

350

322 RI

17

253 RI

242

215 RI

26

281 RI

19

142 RI

414

126 RIT

107

80 RI

199

96 RI

380

342 RI

47

24 RIC

479

280 RI

7

296 RI

16

143 RI

201

44 RIC

67

122 RI

69

122 RI

69

343 RI

6

1798

348

834

685

Placer ici le graphique des MPLF par classe

« Nous souffrons, nous saignons, les nôtres meurent » (Jules Escarguel - L’Indépendant 13 juillet 1915)

Parler des Morts

La mort (Paul - Vaillant Couturier (37))

« …En marche pour une relève, après la bataille, Papoul butte contre

un cadavre à demi enfoui dans la boue et tombe sur lui de tout son long.

- Saleté !

Cette fois-ci, la mort est bien remise à sa place ».

« Avez-vous vu mourir des soldats sur un champ de bataille ou dans les premiers postes de secours où on les transporte, déchirés et agonisants ? Ce sont de pauvres choses râlantes, ces regards où il n’y a que souffrance, qu’épouvante et que prière. Non ! ce n’est pas ‘En avant’ qu’ils crient à la seconde suprême où la mort passe en hurlant et où elle frappe…C’est quelque chose de bien plus humain, de bien plus tendre, de bien plus déchirant… C’est le mot magique de supplication qui, à tous âges, monte irrésistiblement du cœur aux lèvres et jaillit à l’heure du péril, le mot de faiblesse naturelle et éperdue, le refuge suprême de toutes les détresses : Maman !… » (« Le Coq Catalan », Article « Paix aux morts » - 7 avril 1917)

La guerre achevée, la nuit s’éclaire… la mort ! la mort est au loin. Mais s’agit-il de cela ? Nous avons à parler des morts. Justement, parler de nos morts ! les morts utiles à la mémoire ! Se souvenir ! dire leurs noms, ordonne Roland Dorgelès.

« Nommer est l’élément central : les noms rappellent les individus, leur redonnent existence, quand la disparition sur les champ de bataille les livrait au néant ». (Annette Becker, in « Les Chemins de la Mémoire » Mensuel DMPA - n° 114 – Novembre 2004 ; p. 9) –

Traces

Comment parler des morts, pendant que se déroulent les combats, que déferle la vague douloureuse de la mort en multitude ? Quelles volontés pour retenir leurs noms dans une sorte d’« avant –mémoire », au moment où tout se dilue dans la terre ravagée ?

Et quoi, une fois que s’est tu le bruit des armes, pour que persiste le souvenir des hommes « dont l’identité a été avalée par la terre et le feu » (Ibid. p. 10), perdus pour leur famille, leur village ? Quelles traces retenir pour que reste vivace notre « reconnaissance éternelle » attristée ; vœux maintes fois renouvelés par le discours à commémorer ? Ne pas oublier.

La mémoire c’est l’esprit. La présence et la vue des traces physiques laissées dans le temps passé - ou matérialisées en souvenir par nos soins - régénèrent la pensée, éclairent le nom de nos morts, afin que dure leur souvenance.

Vu autrement, les traces – « traces-mémoire » ? - nous aident à retrouver et à fixer nos racines, cette quête permanente de l’homme sur terre. D’où je viens ? « Dieu » ? D’un lointain indéfini !

La « trace-mémoire » en définitive, « éveille » nos morts dans notre pensée ; présence muette dans le temporel, évoquée dans le silence de recueillements intimes. Quant à l’éternel, laissons la part à Dieu, puisque dit Mahomet : « Les hommes sommeillent, c’est quand ils meurent qu’ils s’éveillent » (38).

La liste

Nous savons comment s’est constituée la liste des morts portée sur nos monuments, une des traces-mémoire. (Tome I – Liste des morts). On sait moins les travaux de mémoire (« avant-mémoire » dis-je) menés par ailleurs en d’autres occasions, pour nous permettre aujourd’hui de « parler de nos morts ».

Ainsi, hormis la liste des Morts pour la France des Pyrénées-Orientales, reconstituée ici par nos soins, il est apparu utile de revenir sur ces travaux préalables qui ont enrichi notre propre inventaire.

Bien que notre étude donne la primauté à la première guerre mondiale - « ce passé tragique » (39), nous avons ouvert notre liste (volume II) aux morts d’autres conflits contemporains. Remarques :

Guerre 1870-1871 : Il est bon de se souvenir qu’« antérieurement à la guerre de 1914, on connaît peu de noms de combattants morts à la guerre… les hommes du rang et même les officiers, sont voués à l’anonymat des chiffres et des pertes toujours approximatifs… Certes la guerre de 1870-1871 nous a laissé quelques listes de morts». (Ministère des Pensions, op. cit.). Pour ces derniers, nous avons prélevé leurs noms sur notre monument aux morts de 1870-1871.

Guerre de 1914-1918 : A part quelques officiers plus âgés, notre liste s’est construite à la lecture des registres matricules à partir de la classe 1887 jusqu’à celle de 1920. La liste ainsi obtenue a été ajustée en fonction de celles portées sur nos monuments et le Livre d’or départemental

Dans la consultation des livrets matricules relevant de la période de la Grande Guerre ; il est ressorti des morts pour la France des théâtres d’opérations antérieurs ou postérieurs à cette guerre.

Administration (40)

C’est le rôle de l’administration de lister, d’inventorier, de compter, les profits et pertes au combat. Il n’y pas d’états d’âme dans la rédaction de ces « papiers ».

Je me demande pourtant : dans ces formes d’écritures plus ou moins stéréotypées, réglementaires, n’y a-t-il pas ce début de traces-mémoire nécessaires pour « éveiller » aujourd’hui les hommes dans la Lumière de l’éternel ?

Ici ou là, trouvera-t-on de ces listes récapitulatives ou de ces fiches individuelles au formulaire pré-imprimé, rédigées par quelques secrétaires appliqués. Je pense, sans que ce soit limitatif, aux listes de recrutement de la jeunesse, aux avis de décès des armées, aux jugements et aux transcriptions, aux attribution de sépultures à perpétuité. Certains d’entre ces documents arriveront jusqu’aux familles. D’autres finiront dans des lieux d’archivages, conservés parfois en complément de dossiers d’état civil en mairies, là, en attente pour donner vie au souvenir des hommes du passé, sacrifiés.

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Registre Matricule

Préservées par l’administration militaire, sauvegardées dans nos archives départementales - œuvres premières de travail de mémoire au nom de nos morts – les registres matricules, heureusement sont arrivés jusqu’à nous. « Traces-mémoire », modestes fiches individuelles qui en une page in-folio, racontent toute une vie de militaire.

Parfois une vie « de pas de chance » ; une vie agitée d’exclus de l’armée, achevée au bagne de Cayenne, épuisé !

Parfois vie aventureuse dans des lointains, trop longue à dire en une page - vie à rajouts de bouts de papier, collés en bas de l’in folio, en guise de nota bene - une fin de vie au parfum d’opium.

Parfois, une vie courte comme l’éclair, menée dans le tonnerre de la guerre, dite en une à deux lignes brèves, concises dans leur conclusion tragique et glorieuse :

Brièvetés !

Jalibert François né à Fenouillet en 1884, affecté au 27ème BCP : « Convoqué au corps le 2 septembre 1914. Arrive le 4 septembre 1914. Tué à l’ennemi au combat de Carency [62] le 27 décembre 1914 ».C’est tout ! Il avait 20 ans.

Taupio Maurice né à Elne en 1891 « Tué à l’ennemi le 20 juin 1915 au combat de Metzeral [68] ». On ne sait même pas le jour de son « arrivée au corps » ! Une vie de 24 ans.

JMO

Le document le plus attachant pour un chercheur, c’est le Journal de Marche et des Opérations (JMO) d’une formation militaire partie au combat. On y parle de la mort de ses compagnons d’armes.

Journellement, un soldat, loin ou près du feu des armes, secrétaire d’occasion plus ou moins habile dans sa calligraphie, exposait au jour le jour le déroulement des combats menés par son unité. Sa tâche débutait dès le moment où son unité quittait la garnison, jusqu’à son retour (ou sa dissolution).

Parfois on indiquait les travaux d’organisation du terrain de la journée ; les mouvements de troupes ; les mutations ; les nominations ; l’arrivée de renforts etc.. Mais surtout on y inscrivait, le plus douloureux : les pertes des compagnons d’armes, survenus au cours des phases de combat décrites.

Nous constatons à présent que les noms des morts y figurent en bonne place, ainsi que celui des disparus et des blessés. Parfois nous relevons quelques détails sur les mesures prises à l’égard des dépouilles ; le nom d’un cimetière communal ; les coordonnées d’une tombe isolée. C’est là que nous lisons avec une certaine émotion les circonstances de la mort d’un des nôtres.

Les JMO du 253ème RI, par exemple apporte de ces précieux renseignements. Les pertes y sont méthodiquement détaillées, nominativement, dès le début de guerre, jusqu’à sa dissolution en 1917.

A contrario, le JMO du 53ème RI n’a pas le même souci de rédaction : les officiers tués au combat sont mentionnés nominativement dès le début de guerre. Ce qui n’est pas le cas des sous-officiers et des soldats, que n’y figurent qu’à titre quantitatif jusqu’à la fin de 1916.

Extrait du JMO du 53ème RI

« 3 janvier 1915 – Aucun événement à signaler – 1 tué – 1 Blessé [p.74]

4 janvier 1915 - Aucun événement à signaler – 2 tués – 9 Blessés

[et plus loin] -Rien de particulier – Aménagements – 18 blessés » [p.83]

« Dans ce métier d’être tué, faut faire comme si la vie continuait, c’est ça le plus dur, ce mensonge » Céline, « Voyage au bout de la nuit » op. cit. p. 39

Pourquoi donc, cette manière d’ignorer le nom des non-officiers ? Correspondait-elle à la différence de traitement des dépouilles selon qu’on était officier ou soldat ? Rappelons-nous (cf. chapitre III) en ce premier trimestre de guerre : la sépulture individuelle destinée aux officiers, mais la fosse commune pour tous les autres !». En tout état de cause, à compter de 1917 les noms de tous les morts du 53ème seront inscrits sur son JMO, ainsi que ceux de ses disparus et de ses blessés, tous grades confondus.

La fosse commune

Jean Arquer d’Arles sur Tech, appartenant au 31ème RI depuis le 20 octobre 1914, est porté disparu le 17 février 1915 à Vauquois (Meuse) – son décès est confirmé à cette date par Jugement (Céret) en 1920.

L’Armistice étant signée, la recherche des corps peut commencer. Jean Arquer précédemment inhumé dans la fosse commune du chemin creux de Vauquois, a été identifié et transféré le 17 avril 1923 au cimetière militaire du Vauquois, tombe n°1574 – secteur de Sainte-Menehould

La sépulture individuelle et perpétuelle (« une récompense ! » dit Serge Barcellini - Historia n°501 p. 126) n’est avalisée par la loi que le 9 décembre 1915. Peu de temps avant, Joffre donnait encore instruction (19 juillet 1915) pour le creusement de fosses communes pour y déposer cent cadavres chacune, destinées aux hommes du rang (41). Ceci ne va pas sans inconvénient pour transférer les corps.

Historiques

Après la guerre, des historiques régimentaires - sorte de résumé de JMO - seront édités et en principe remis à chaque soldat ou famille de soldat.

Des auteurs éclairés, en marge de la démarche officielle, se chargeront de rédiger quelques-uns de ces ouvrages dont celui du 24ème RIC déposé à la Médiathèque de Perpignan, dépositaire d’ailleurs, comme les ADPO d’autres ouvrages de ce même type.

Honorer les Morts

« Chaque soldat tombé glorieusement [a droit] à sa citation, à son diplôme d’honneur et à une médaille à titre posthume » (42)

Monuments aux Morts

« L’idée de construire les monuments est née pendant la guerre elle-même ; les listes affichées dans les mairies ne pouvaient suffire (Par exemple Montalba d’Amélie (11 morts), Ralleu (7 morts), les noms de leurs morts figuraient sur fiche cartonnée déposée en leur église.) […] Pour la République le rappel des morts devait être matérialisé par une statue placée au cœur de l’espace public » » écrit Annette Becker (op. cit.; p.8).

Le 26 Octobre 1914 - Le Général commandant la 16ème région militaire demande si dans la place de Perpignan il est envisagé de réserver un terrain dans un cimetière en vue de la « sépulture des militaires du pays morts pour la patrie et [si] après guerre la municipalité de la ville […] serait disposée à procéder à l’érection d’un monument commémoratif » ?

Réponse du conseil municipal de Perpignan, « à l’unanimité de ses membres, décide, en principe, de retenir dans un cimetière une concession pour les soldats morts pour la Patrie, mais estime qu’il y a lieu d’attendre la fin des hostilités pour se préoccuper de l’érection d’un monument commémoratif ».

Cela n’empêche pas, ni d’ergoter. En séance du conseil municipal du 16 mai 1919, monsieur Denis, maire, expose « qu’au commencement de 1915, il reçut une délégation du comité d’érection d’un monument aux morts du département et de la Victoire » à la suite de quoi le budget de 75 000 francs fut voté. Il demande que soit confirmé ce montant budgétaire en présence, cette fois, des élus revenus du front, or monsieur Casteil son adjoint déclare : « J’ai le culte de ceux qui sont morts pour la patrie et j’estime qu’il n’est rien qui puisse compenser le sacrifice de leur vie. Mais j’estime que ce n’est pas avec des monuments coûteux et parfois d’une beauté contestable que leur mémoire sera le mieux honorée ».

Ni de mégoter. Presque arrivés en 1924, on ne voit toujours pas le monument aux morts départemental s’élever dans le ciel du Roussillon ? Pourtant on en parlait depuis 1915 ! Alors ?

Gustave Violet, pressé d’en finir, se défend (lettre du 23 décembre 1923 à Prades – dossier 1M52 – AM Perpignan) : « Une partie des pourparlers engagés au sujet de certains travaux d’arrangement du monument n’ayant pas abouti à cause de la rapacité des fournisseurs, je ne puis, comme je l’aurais désiré, vous donner une réponse immédiate »… et voici que Gustave Violet se rend en Espagne quérir des artisans plus compréhensifs… moins chers ! « La mort ! On mégotait et on profitait ! » dis-je.

Malgré quelques polémiques qui tiennent au « refus de la guerre », sans trop de conséquence pour leur projet, nos communes n’attendront pas la fin des hostilités pour lancer des souscriptions et élever leur propre monument. Toutefois certaines, récemment , se sont dotées de leur monument aux morts.

Remarque : La présentation de nos monuments aux Morts pour la France - par Joseph Chioselli - sur lesquels se trouvent traces des noms de nos morts, a fait l’objet de notre premier ouvrage (travail de Mémoire du Club Cartophile Catalan). Il a été édité par L’Agence, Rivesaltes 2002. Je n’y reviens pas.

Associations

Après seulement un peu plus d’un mois de guerre Jean Richepin, écrivain et, selon l’Indépendant son ami catalan le sculpteur Belloc, souhaitent perpétuer la mémoire des morts pour la France :

« Pensons déjà, pour prendre date et avoir le temps de s’organiser, à l’hommage qu’un jour prochain nos morts bien-aimés réclameront de la reconnaissance nationale.

Sous ce titre depuis le 27 septembre 1914, une œuvre s’est constituée, simple et grave comme son but, la Reconnaissance nationale - qui a pour président de son conseil d’administration fondateur Jean Richepin […] – se propose d’offrir ‘gratuitement’ à toutes les communes de France , d’Algérie, des colonies et pays de protectorat, et aussi aux grandes Écoles et Associations diverses, des tableaux d’honneur en marbre blanc, sur lesquels seront gravés en lettre d’or les noms des morts de leur patrie » (43) (Siège de l’association 125 Rue de l’Université à Paris) – [Pour quel résultat réel ? A ma connaissance, ce projet semble avoir été « mort-né »].

D’autres associations vont œuvrer dans le même esprit. Certaines se sont fédérées autour de cette idée. Par exemple : l’Union des Grandes Associations Françaises. Son « diplôme d’honneur » sera remis, du moins c’est son ambition « à toutes les familles de soldats Morts pour la France », tel celui remis au lieutenant Michel Delmau natif de Ponteilla.

Livres d’or

En dehors de ce type d’initiative associative ou privée, on assistera à la création de Livres d’or par divers organismes d’ordre professionnel ou d’administrations d’État ? Par exemple, une des premières éditions en date du 8 octobre 1914 est le Livre d’or de l’Université.

Après cela d’autres initiatives interviendront au point d’inspirer le législateur (seulement en fin de guerre). La loi du 25 octobre 1919, avec instruction d’application du 11 janvier 1922, signée par André Maginot, préconise entre autres, je le rappelle, la mise en place de Livres d’or dans les mairies (Art.3). On a vu que ce projet fera « long feu » (Tome I, op. cit. – Tome II « Justificatif »).

Le travail colossal de collationnement : fiches et relevés de toutes provenances, correspondances infinies entre préfectures, mairies, familles concernées, actions de l’Armée et d’autres ministères, finira par être oublié dans quelques lieux d’archivages, interdîts de « visite ».

Les hostilités de 1939 marqueront l’abandon définitif de ce projet. Pourtant après la Seconde guerre mondiale on en reparlera. Lors d’une séance à l’Assemblée Nationale, Louis Marin, « le 14 août 1950, demandait la création d’un Livre d’or pour la guerre de 1939-1945, analogue à celui de la première guerre mondiale qu’il croyait réalisé » (44). Ça en resta là, quant au Livre d’Or, dirons-nous, national !

Livre d’or départemental

En 1924, sous l’impulsion d’un comité des Pyrénées-Orientales est édité un Livre d’or. départemental (45). Notre département est l’un des rares à en posséder un (46). La décision en été prise le 1er août 1919, collatéralement aux décisions prises pour mener à bien l’édification du monument aux morts départemental, à Perpignan. Le Livre d’or est déposé dans une cache (*), au sein de ce monument aux morts. Ainsi sont protégés les noms de nos morts jusqu’à la fin des temps ; par contre, nulle plaque sur l’extérieur du Monument ne les rappelle au public.

(*) Ce procédé avait été appliqué lors de l’élévation du monument aux morts de 1870-1871, inauguré le 12 août 1895. Le PV de sa mise en place, écrit sur peau d’âne, a été introduit dans un tube de cristal, mis dans une caissette en bois, elle-même déposée dans la niche réservée dans le monument. (1M51, AM Perpignan).

Le collationnement des noms des morts a été réalisé à partir de relevés fournis par les mairies et de déclarations de familles (op. cit. p. 292 – Voir mes commentaires ci-dessous).

Les témoignages verbaux sont fragiles comme chacun le sait. Immanquablement il s’est glissé quelques anomalies dans la rédaction des documents : orthographe erroné de noms et de prénoms, inversions, oublis et doublons ; toutes erreurs humaines dont nous ne sommes pas à l’abri ici.

Sans parler les erreurs de comptage des noms inscrits, ainsi pour le Département le nombre de morts est de 8 362 au lieu des 8343 indiqués sur le livre. Arrondissements : Perpignan 5 027 morts au lieu de 5 011 - Prades 1 572 au lieu de 1 573 - Céret 1 763 au lieu de 1 759.

Par comparaison avec les inscriptions portées sur les monuments, nous avons constaté de nombreuses erreurs de correspondance en noms et en nombre. Pour ajouter à la confusion, les documents d’archives consultés, eux non plus, ne sont pas en accord avec les monuments aux morts et le Livre d’Or, comme on le constatera avec notre second volume ici.

Commentaire basé sur un exposé de Serge Barcellini (op. cit. pp. 128-130)

En toute logique par rapport à la loi, l’inscription sur le Livre d’Or implique, comme pour les monuments aux morts d’ailleurs, que l’intéressé soit bien titulaire de la mention « mort pour le France ».

Il ne nous appartient pas d’apporter ou de proposer des corrections aux éventuelles erreurs, ou supposées ou réelles. S’il s’en trouve, nous les avons considérées comme fortuites ou comme avalisées valides par qui de droit, à l’époque.

Attention : Des éléments de jugements nous échappent aujourd’hui. L’anomalie peut être le résultat d’une interprétation erronée des textes en vigueur, soit ! Pourquoi pas d’une volonté de passer outre les normes pour une quelconque raison ? La conséquence d’un conflit d’opinion, par exemple, entre une famille et le maire de la commune ? L’ignorance des lois et des directives ? Un refus de la famille d’inscrire tel nom sur un monument, bien que le décédé soit titulaire de la mention « mort pour la France » ? Ou inversement, avoir exigé une inscription hors norme (voir un procès intenté à un maire, que ce dernier à perdu, contrairement à ce que nous pensons aujourd’hui). Comment le savoir ?

Selon Serge Barcellini, les listes établies pour rédiger les Livres d’or « non-aboutis », auraient servi à l’inscription des morts sur les monuments. Cela veut dire que les imperfections et les improvisations, à la suite de tergiversations quant à produire les Livres d’Or, se seraient reportées sur les monument ? Or, comme on le constate, je le redis, d’une manière générale il n’y a pas une stricte correspondance entre listes, monument et Livre d’or. Qui a copié qui ?

Ceci dit, nous sommes bien obligés de garder à l’esprit que – selon toute apparence – la loi, visée ici, n’a pas toujours été appliquée dans toute sa rigueur. (Exemple, des tués sur le champ de bataille, ce que révèle leur fiche du registre matricule, ne sont pas titulaires de la mention « mort pour la France », mais inscrits à juste raison sur le monument de leur commune).

« Dans la réunion [du comité départemental du Monument aux Morts] du 1er août 1919, il a été décidé qu’un Livre d’Or, comprenant les noms de tous les Roussillonnais [sic] morts pour la patrie, conformément aux listes qui seront demandées aux maires de toutes les communes du département, sera déposé dans une partie du monument aménagée à cet effet. » (Le Coq Catalan - 9 août 1919)

Le Comité : Président Amédée Reynès. Vice-présidents : Jean Payra député, adjoint au Maire de Perpignan ; Joseph Charpentier, propriétaire ; abbé Patau, vicaire général ; Joseph Bertrand, adjoint au maire. Secrétaire général : Fite, Commis principal des postes. Secrétaires adjoints : Marcel Laborde ; Gilbert Brutus. Trésorier : Adolphe Astruc.

Ce dernier indique les inscriptions au Livre d’or comme conforme aux indications fournies soit par les mairies, soit par les familles. Pour les décorations il admet qu’il peut y avoir des omissions faute d’avoir été indiquées sur les états fournis, malgré « les appels pressants et réitérés par la presse locale et régionale ». (10 octobre 1924 – Le Livre d’or)

Autres Livres d’or locaux

Au cours de la Grande Guerre, d’emblée dans notre département on va penser à réaliser un Livre d’or destiné à rappeler le sacrifice des Instituteurs, et autres fonctionnaires. C’est ainsi que s’amorce le Livre d’Or avec les 4 premiers morts au combat d’instituteurs signalés par L’Indépendant du 12 décembre 1914, ce sont :

Le sergent du 253ème, Justin Tocabens instituteur à Las Illas, tué le 19 août 1914 - Alsace.

Le caporal du 253ème, François Sanes instituteur-adjoint à Céret, tué le 19 août 1914 – près de Mulhouse.

Le S-Lt du 53ème, Elie Maurin instituteur-adjoint à Argelès sur mer, tué le 27 septembre 1914 à Bernicourt.

Le S-Lt du 108ème, Bernard Camplong instituteur à Prades, tué le 21 septembre 1914 à Mourmelon-le-Grand.

(On y signale aussi treize blessés).

Par la suite, liste après liste, le livre d’or s’étoffe ; la liste s’allonge, semble-t-il, sans fin. (Par exemple, l’Indépendant du 1er Janvier 1917, relève le nom de cinq autres instituteurs honorés qui s’ajoutent aux listes déjà publiées)

Le « Palmarès du Collège de Perpignan, pour l’année 1917-1918 » - avant d’énoncer les résultats et les récompenses pour ses élèves - donne une liste (47) de ses morts pour la France, qui tient lieu de Livre d’or. On y précise : « Cette glorieuse nomenclature est nécessairement incomplète. Bien des héros viendront encore y prendre place. Elle a surtout le tort d’être une sèche liste de noms […] elle fera l’objet, à la fin des hostilités, d’une publication spéciale… » (op. cit. p. VII).

En effet la guerre n’est pas terminée et bien d’autres souffrances restent à dire. Par exemple, le professeur de seconde François ORY, est indiqué sur le Palmarès du Collège, comme étant blessé. Or, le jour où paraît le Palmarès, François meurt (ou disparaît ?) le 15 juillet 1918.

A la fin de guerre, les Livres d’or sur la base des listes établies pendant les hostilités, prennent forme, et se veulent le reflet de la réalité de l’hécatombe enfin mise au grand jour.

Ainsi se décide le « Livre d’or de l’enseignement », édité en Juillet 1919 (48). Il reprend en partie la liste du « Palmarès du Collège » à laquelle est jointe celle des « fils et maris de membres de l’enseignement », et se fond avec la liste des instituteurs pré-établie. Sont concernés les tués et disparus, les morts des suites de blessures, les blessés, et enfin les promus et décorés.

On compte pour le collège (secondaire) trois professeurs tués à l’ennemi : Pierre Loule, Gustave Ory, Charles Terme ; pour le primaire : « sur 320instituteurs ou élèves-maîtres des Pyrénées-Orientales mobilisés […] 65 ont été tués » (page 274).

Un vœux pieux, Juillet 1919

Monsieur l’Instituteur,

D’accord avec le Comité de la caisse de Secours des Instituteurs, nous avons décidé de faire exécuter un agrandissement photographique de tous les Instituteurs tués à l’ennemi ou disparus.

Cet agrandissement sera placé dans la salle de classe où chacun d’eux était en fonctions au moment de sa mobilisation ou de son appel sous les drapeaux.

J’espère que les Municipalités n’hésiteront pas à voter la somme nécessaire, et d’ailleurs minime, pour encadrer dignement cette photographie. On étudiera ultérieurement la question de donner le nom du mort à la classe où il a exercé.

Au premier jour de la rentrée d’octobre, les élèves de l’école seront conduits devant la photographie et le directeur de l’école, l’instituteur ou l’institutrice rendra devant eux l’hommage au maître qui a donné sa vie pour la patrie […].

L’Inspecteur d’académie, P. Capra (49)

La plaque posée à l’École Normale des Instituteurs, portait 63 noms inscrits le jour de son inauguration le 4 décembre 1924 (Le Cri Catalan – 27 décembre 1924) (*).

(*) Le monument dédié aux instituteurs des Pyrénées-Orientales morts pour la France des deux guerres mondiales, en place à l’ancienne École Normale a été transféré à la nouvelle Inspection Académique le 6 mai 1999.

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Cela n’empêche pas en 1919, à l’école primaire supérieure de Prades d’ouvrir son propre Livre d’or dédié à ses anciens élèves morts pour la France, comme tant d’autres organismes tels, à Perpignan, l’Harmonie et la Lyre (une quinzaine de noms), la corporation des Jardiniers (66 jeunes).

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En cours de guerre, la commisération et la volonté de sauvegarder la mémoire de ceux disparus dans la guerre, conduisent aussi Le Coq Catalan (50) d’Albert Bausil, à envisager l’édition d’un « Livre d’or des Catalans tombés au Champ d’honneur ».

En décembre 1917, cette initiative est saluée par Eugène Bardou ancien maire de Perpignan, « un père qui a donné ses deux fils à la Patrie » (*) :

«Jamais nous ne feront assez pour ces sublimes enfants […]. Votre Livre d’Or destiné à honorer les enfants de notre cher Roussillon, qui ont donné leur vie pour que vive la France, aidera à perpétuer leur admirable sacrifice, leur magnifique dévouement à la Patrie »

Ce Livre d’or a-t-il vu le jour ? ou cette initiative a-t-elle rejoint celle du niveau départemental ?

(*) Emile, 20 ans, Aspirant au 27ème RI est tué au Mont Cornillet le 14 avril 1917 et Jules, 23 ans, Sous-lieutenant au 4ème BCP, tombe le 20 septembre 1916 à Clery sur Somme.

En 1919 Le Roussillon, à l’annonce du décès de l’abbé Taurinya indique sur le Livre d’or du clergé diocésain de Perpignan, la liste de ses 14 membres morts pour la France, soit les abbés : « Sébastien Bombes, Michel Bolte, Joseph Bolte Romeu, Joseph Ducommun, Justin Fourtiene, Émile Grizaut, Gaudérique Marigo, Ernest Moulis, Abel Palmade, Bonaventure Rigole, Louis Salgas, Jacques Taurinya, Pierre Vernet, Gaudérique Vernis »

Tableaux d’honneur :

L’État décide le 27 avril 1916 de créer un Tableau d’honneur (51) des morts pour la France. Il est prescrit à cette occasion de remettre un diplôme aux familles, en guise de reconnaissance du sacrifice accepté.

Lors du 14 juillet 1916, Hommage de la Nation :« les cinq cents premiers de ces diplômes furent remis, ce jour-là, aux ayants droits, par le Président de la République [Poincaré], au Grand Palais » (« L’Illustration » – Avril 1916)

Le diplôme d’honneur est illustré d’une gravure qui reproduit le « Départ aux Armées » plus connu sous le nom de « La Marseillaise » de Rhude, ornant l’Arc de Triomphe à Paris. Le diplôme porte la mention en haut de page : « Aux morts de la grande guerre, la patrie reconnaissante ».

L’Indépendant du 26 avril 1916, annonce la parution du décret d’application de la loi instituant la remise du diplôme est signé. Il précise que pour obtenir l’original du diplôme, les familles devront établir une demande sur papier libre sans frais. Celle-ci, accompagnée du libellé d’attribution et de 1 franc pour frais d’envoi déposée en mairie, sera visée et expédiée par cette dernière au ministère compétent.

En fait à la demande des familles, le diplôme sera soit expédié en leur nom par voie postale ; soit remis publiquement avec tout le décorum voulu, lors de cérémonies officielles ou de revues militaires.

Nos journaux locaux rapportent peu de cérémonies de remises formelles. Comme j’ai constaté qu’il restait 310 diplômes dans les archives communales de Perpignan, je suppose que la plupart des autres diplômes ont été expédiés aux ayants droits (dans les 8000, donc) sans une remise solennelle.

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Remises de diplôme d’honneur

Revue du 14 juillet 1916 à Perpignan (L’Indépendant 15 juillet 1916)

A 7 heures du matin, a eu lieu aux Platanes, devant une foule énorme, un défilé de troupe constitué des détachements des 53ème RI, 24 et 44ème RIC. A cette occasion, en dehors des décorations, des diplômes d’honneur ont été remis à 15 familles sur 25 prévenues. Concernent les premiers morts pour la France ; ce sont :

1er BCP : Joseph Oliveres ; 24ème RIC : Firmin Bobo - Joseph Lacome – Etienne Sistach ; 53ème : Cabane - Calvet – François Estrade – Laurency - Pierre Malpas - Paillet - Emile Porra – Isidore Sicre ; 96ème : Paul Aggery ; 79ème RI : Lerh ; 143ème RI : Jacques Alabert.

Jour du Souvenir à Rivesaltes (L’Indépendant 7 novembre 1916)

Discours : « Ces diplômes pieusement conservés dans les familles, rappelleront aux générations futures le sacrifice, la mort glorieuse de nos vaillants compatriotes Rivesaltais »

Remise : 53ème RI : André et Roger Surroca - Jean Arglot - Jean Puig ; 56ème RI : Jean Sergues ; 81ème RIT : André Mouche ; 126ème RIT : Jean Montsarrat ; 149ème RI : Lucien Bedos ; 253ème RI : Antoine Roger -Antoine Borreil ; 281ème RI : Pierre Dare

Le Cri Catalan, de Jean Payra dira à ce sujet qu’il s’agit « de remise de diplômes attribués comme fiche de consolation aux familles privées à jamais par la guerre de leur affection et de leur soutien ».

Et l’Union sacrée va commencer à s’effriter et la reconnaissance envers les Morts pour la France avec. Le politique s’immisce de plus en plus dans la commémoration et partage les sentiments envers le passé récent de la guerre « horrible et immonde boucherie » disait-on (Le Cri catalan - 8 novembre 1924).

Ainsi, en 1919, le Maire de Perpignan dans un de ses discours déclame (sur incitation du Préfet) au sujet des Catalans du 53ème RI :«… Aux morts, tombés dans un rayonnement de gloire, promettons de garder de leur sacrifice le souvenir impérissable - rendons, à ces héros obscurément tombés un suprême hommage à leur gloire immortelle qui ne fut, dans aucun temps ni égalée, ni dépassée ».

Mais Frédéric Thomas conseiller municipal et « ses collègues de la fraction socialiste », déclarent ne pas vouloir assister à la revue du 14 juillet de 1920, sous le prétexte que celle-ci est teintée de militarisme « dont les excès répugnent à la conscience républicaine ». (Délibération 5 Juillet 1920).

1921 - « Je pense aux promotions posthumes. Je pense à ces vieux papas émus, à ces petits gamins en noir, qui s’avançaient les matins des prises d’armes devant les régiments rangés, pour recevoir la croix du fils, la croix du père » (52)

Le Commerce des listes

Il ne faut pas nier qu’un commerce s’est établi pendant la Grande Guerre, autour de l’édition de listes de morts, accompagnées de récit d’exploits de héros décorés, nommés et photographiés. Peut-être voulait-on provoquer une émulation chez « ceux partis », ou motiver au départ « ceux restés » comme les nomme César Boyer (Edito. L’Indépendant 6 septembre 1914).

Ainsi, par exemple, « Les tableaux d’honneur de la Grande Guerre » de la revue L’Illustration, édités sur 104 semaines en 146 planches in folio, à partir du 30 janvier 1915. A ma connaissance, cette tâche colossale n’a pas vu la fin de la guerre. On y cite bien entendu de nos Catalans, tel le capitaine Charles PIN du 253ème RI, tué à Lesseux (Vosges).

Autre publication parmi d’autres, l’hebdomadaire « Sur le Vif » (Administration, 18-20 rue du St-Gothard – Paris). Celui-ci s’est donné comme gageure d’éditer - noms et portraits - ceux considérés comme disparus, qui lui sont signalés par « les familles inquiètes » (sic). « C’est une besogne formidable », écrit « Pris sur le Vif » qui prétend avoir consacré « plus de 50 000 francs… à la recherche des disparus et des prisonniers » (29ème série – Mai 1915 p. 4).

Sans parler de la nombreuse littérature de guerre, sous le prétexte d’honorer les morts, on va éditer des Tableaux d’Honneur ou des Livres d’or en marge de la production officielle ou associative.

Un exemple en 1921 avec le « Tableau d’honneur – Morts pour la France » (Publications La Fare – Paris XIe). Il s’apparente à un Livre d’or, vendu 60 francs l’exemplaire relié, de 1070 pages. On y lit la liste de morts « triés sur le volet », une sorte de Gotha des morts de la Grande Guerre :

Exemple, deux inscriptions de Catalans d’Ille sur Têt : « D’Hauterives de Gransaignes, ingénieur, sergent au 342ème d’Infanterie. Tué le 30 août 1914 » et « Marie Léon de Vilar, médaillé militaire (posthume). Croix de guerre. Sergent au 215ème RI [Albi]. Tué à Diedesheim, Alsace le 19 août 1914.

Ou deux frères : Bertran de Balanda, de Latour Bas Elne ; L’aîné Jean, Capitaine au 205ème RI, tué le 9 juin 1918 devant Noyon (Oise) ; Paul, Saint-Cyrien, blessé mortellement à Laheycourt (Meuse) le 15 septembre, décédé le 8 octobre à l’hôpital de Moulins.

Ou encore Antoine Forgemol de Bostquenard, d’Amélie les Bains, Capitaine au 2ème Algériens, « officier d’une bravoure remarquable. tué d’une balle à la tête en entraînant sa compagnie à l’attaque des tranchées allemandes, dans la nuit du 15 au 16 juin 1915 ». Son père était médecin chef de l’hôpital militaire d’Amélie les bains (L’Indépendant juillet 1915).

Cet éditeur conscient de ses limites écrira dans cet ouvrage (p. 1): « Nous n’avons pas la prétention de présenter un ouvrage complet sur les morts de la guerre ; combien malheureusement, faudrait-il de volumes de ce format ? »…C’est vrai ! à raison de 5 à 8000 noms par volume, il en faudrait une vingtaine au format in-12 ; à condition de disposer des renseignements nécessaires pour sa rédaction..

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Cas troublants

Deux exclus de l’armée (cf. § « Joyeux et Exclus » ci-dessous) commencent leur vie par des fredaines. R. et M. faute de se donner une bonne ligne de conduite, finissent par aggraver leur sort. Après avoir transité par les bataillons de Joyeux, condamnés à de la réclusion pour désertion en temps de guerre, ils se retrouvent dans la 16ème section d’exclus métropolitains, sans avoir selon toutes apparences, combattu au front.

Décédés chacun de leur côté dans un hôpital (1918 et 1919), pour des raisons qui nous échappent aujourd’hui, ils seront malgré tout inscrits sur le livre d’or départemental ; et même l’un d’eux sera inscrit sur le monument aux morts de sa commune. La question est : ont-ils été réhabilités ? Leurs pièces matricules ne le disent pas. En tout état de cause le gouvernement, lui, « a pensé qu’au milieu des événements tragiques déchaînés par la guerre, la rigueur des règles ordinaires de la réhabilitation devait fléchir parfois » (Encyclopédie Larousse mensuel, déc. 1915). Peut-être était-ce le cas ici ?

On sait que la loi du 4 avril 1915 permettait la réhabilitation posthume sous certaines conditions bien entendu. Encore devait-elle être demandée par le conjoint, les ascendants ou les descendants, ou par le ministre de la guerre..

Des cas difficiles

Bien entendu il est plus difficile de « parler de nos morts » lorsque ceux-ci ont donné leur vie, pour répondre de leurs actes contraires à la discipline dans les armées. Comme il est difficile de contrer les idées reçues, les légendes comme on l’a vu par ailleurs, qui dénient le courage ou au moins le sens du devoir et de l’honneur des siens. Voyons !

Désertions

La rumeur publique locale prétend que notre département a connu de nombreuses désertions, particulièrement à nos frontières, au moment de la Grande Guerre. Cette rumeur persistante jusqu’à nos jours, répond-elle à une vérité ? Ou ne relève-t-elle pas d’une sorte de folklore libertaire, à rapprocher de l’esprit contrebandier, qui régnerait en nos montagnes frontalières ?

Le survol - la « désertion » n’est pas mon sujet - des registres matricules de nos anciens combattants revenus vivants de l’enfer de 1914-1918, ne m’ont pas convaincu des on-dit qui entachent leur mémoire. Dans le cadre de ce devoir, n’est-il pas juste d’apporter tous éléments de réflexion qui pourraient combattre l’apriorisme infamant pour nos soldats ? Ceux qui ont réchappé aux âpres combats, n’ont-ils pas droit aussi à notre respectueux hommage ?

Avant toute explication, quant à porter un jugement de valeur sur nos combattants, l’honnêteté intellectuelle, voudrait qu’on distingue les déserteurs « de l’intérieur » des nôtres, les Catalans. Cela rendrait plus lisible ce courant de désertions que je ne nie pas. Mais le peut-on, quant on sait qu’il n’existe pas de statistiques sur le sujet ? (cf. ci-après la citation Etienne Frenay)

Comme je viens de le dire, je n’ai pas constaté dans les textes proposés (archives et études) un flot ininterrompu et organisé de désertions. Il semble que le cas de désertions réelles (passages réussis de la frontière) relèvent du négligeable, en nombre. Raisonnons !

D’un côté, la désertion venant de l’intérieur. Elle ne disposait pas de filière « d’évasion ». Comment alors pouvait-on franchir une frontière (100 kilomètres de long), très escarpée, en dehors des cols qui, eux, étaient surveillés ? Si on ne connaît pas les lieux tenus secrets de passage, comment tromper la vigilance des policiers et douaniers omniprésents pour de multiples raisons, autres que la désertion, au moins la contrebande et l’espionnage. Bon ! il existait quelques passeurs sans foi ni loi qui aidaient les candidats à la désertion. Mais encore fallait-il en connaître, leur être recommandé et disposer de l’argent nécessaire pour les engager. Non ! La désertion, était possible certes, mais bien difficile à réussir.

De notre côté, résidant près de la frontière tout est facile encore de nos jours. On est sur place. On connaît les passages astucieux. Pourtant par rapport au 40 000 mobilisés, quelle a été la proportion de déserteurs ? N’était-elle pas négligeable ? Où sont les longues listes qu’on ne manquerait pas de nous mettre sous les yeux, si cela avait été la panacée pour fuir la guerre ? Où sont-elles ces listes diffamatoires ? Encore non ! Nos Catalans ont fait leur devoir comme tout ceux du reste de la France.

Je cite Etienne Frenay (53) : « 2 octobre 1916, le Conseil général [des P.O.] reconnaît implicitement l’importance de ce qu’il appelle des ‘défaillances individuelles’. Faute de statistiques d’ensemble, il est difficile d’en mesurer l’ampleur, mais il ne faut pas en exagérer l’importance »

Etienne Frenay précise qu’« en mars, Sorède compte 13 déserteurs ». Soit ! mais en fin de guerre Sorède aura dans les 75 morts pour la France. C’est, si j’ose dire, l’arbre qui cache la forêt. Malheur !

Doit-on observer les quelques déserteurs ou les monuments aux morts de nos communes, au moins pour pondérer le diffamatoire ?

Voir par exemple les 17 morts du Perthus, la frontière à deux pas ; les 19 de Lamanère, commune la plus au sud de France ; les 10 de Las Illas et les 6 de Mantet, villages des plus cachés au fond de sentiers vertigineux et d’autres encore.

D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’un maire 54 (déserteur lui-même, absout après guerre) dénie le nombre de morts pour la France de sa commune, qu’aucun monument ne rappelle leur sacrifice, pour croire que tous ses administrés valides ont déserté le village. Ce village difficile d’accès compte 9 morts pour la France !

Et puis n’avons nous pas le triste record, d’avoir, avec la commune d’Oreilla, le plus de victimes en proportion de sa population : 13,04 % (moyenne nationale : 3, 53 %) ? Population d’Oreilla en 1914 (recensement 1911) : 138 habitants - Nombre d’inscrits sur le monument : 18.

Vu autrement, sait-on que 78 morts pour la France étaient natifs en majorité de la Catalogne Sud. Des « naturalisés » ou des « fils d ‘étrangers », devenus encore plus catalans par le sang versé, inscrits sur nos monuments. Pourquoi n’ont-ils pas profité de leur parenté à l’extérieur pour fuir la mort ?

Revenons à Louis Barthas, si connu de nos jours pour son humanisme. Sa position et son vécu au cours de la Grande guerre, m’est un témoin utile et crédible pour confirmer mes sentiments. Il rapporte les termes d’un Espagnol le constat suivant (Op. cit. p. 31) :« Lorsqu’en Espagne il y a une guerre, tous ceux qui peuvent s’enfuir filent vers la France. Les Français font tout le contraire : ils quittent l’Espagne, ceux qui y habitent, pour aller se battre. ».

Je me demande pourquoi un Louis Barthas, alors qu’il « foulait [à Puigcerda] le sol de l’hospitalière Espagne », n’a-t-il pas profité de son « incroyable liberté » (sic) accordée pas son autorité militaire, pour disparaître de nos contrées en guerre, en allant plus au sud ? Bien au contraire là, à Puigcerda « cette joie, et ces appels aux plaisirs, à l’amour nous choquaient » dit-il. Et le voici revenant sagement à son cantonnement de Mont-Louis ? Par devoir ? Un Barthas !

Où donc est l’esprit de désertion tant clamé ici ou là, dans notre pays le plus méridional de France ?

Une désertion

Appelons-le Auguste, de Lamanère. Auguste est orphelin de père. Le 4 septembre 1913, il est déclaré soutien de famille. En conséquence, l’État lui reconnaît des devoirs d’un chef de famille : assistance à la fratrie, point d’appui pour la mère.

A la déclaration de guerre il rejoint sans tarder son affectation, le 53ème RI. On ignore sa conduite au feu jusqu’à ce qu’on le trouve, début Janvier 1915 à l’hôpital des convalescents de Saint- Malo. A-t-il été blessé ? malade ? On ne sait.

Il est envoyé en permission, convalescent, pour 7 jours.Il doit être de retour le 19 janvier 1915 au matin. Ce jour-là, il n’apparaîtra pas. Le délai réglementaire de 5 jours écoulé, il est considéré déserteur, supposé à « Barcelone en Espagne ».

Puis l’Armistice signée, le 53ème est dissous, absorbé par le 80ème RI de Narbonne. Auguste continue à être considéré comme déserteur.

Le 27 juillet 1920, la santé d’Auguste défaille. Arrivé à bout il se présente volontairement à l’hôpital militaire de Perpignan. Hospitalisé avant toute chose, il est bien tard pour Auguste pour s’expliquer sur sa désertion. Le 7 août 1920, onze jours après sa reddition, Auguste décède à l’hôpital.

Peut-être aurait-il pu être réhabilité d’autant volontiers qu’on aurait reconnu sa mort comme étant survenue à la suite de blessure ou de maladie pour fait de guerre ? donc une mort pour la France ? une inscription sur le monument aux morts ?

En tout état de cause, resté en vie Auguste aurait certainement bénéficié de circonstances atténuantes, tel que le prévoyait la loi du 27 avril 1916, qui autorisait « l’application des circonstances atténuantes quel que soit le crime reproché. Elle donne aux juges la faculté de prononcer des peines avec sursis ».

Cette clémence commence à poindre chez nos élus, des preuves ce vœu émis par le conseil municipal de Perpignan, daté du 23 décembre 1916 (dossier 1D3 pièces à l’appui, AM Perpignan) :

« Le conseil considérant que les déserteurs réfugiés en Espagne et, notamment en Catalogne, sont l’objet de la déconsidération générale, soumis à toutes les vexations morales, inemployés, et pour la majeure partie, réduits à la misère ;

Que le plus grand nombre repentants de l’acte d’antipatriotisme commis dans un moment d’aberration, n’aspirent qu’à se réhabiliter et seraient heureux que le Gouvernement leur facilitât leur soumission ;

Émet le Vœu :

Que dans la loi relative à la confiscation des biens des déserteurs soit inscrit un article accordant à ces derniers un délai d’un mois pour faire leur soumission. Ils seront immédiatement incorporés, envoyés au front et réhabilités de droit s’ils se conduisent courageusement jusqu’à la fin des hostilités. »

Après guerre, par exemple, que penser de cette mansuétude pour ce déserteur en Espagne, natif de Camelas, qui sera condamné en 1921 à 1 an de prison ? Qu’est-ce après le risque encouru en temps de guerre : la mort ou au mieux le pénitencier ?

Insoumis

On ne doit pas confondre déserteurs et insoumis. A la fin si tout est compté confondu, bien entendu que la masse impressionne.

L’insoumis se rapproche de l’objecteur de conscience (celui qui ne veut pas porter les armes), sans pour cela être un déserteur. Ne pas se soumettre relève d’un choix délibéré, motivé et déclaré.

Comme pour les déserteurs, peu de cas sont signalés en tant que tels. Souvent, c’est mon impression, l’insoumission n’est qu’apparente. Elle ressort de cas fortuits qui ont empêché le soi-disant insoumis de rejoindre son unité. Par la suite, l’intéressé justifie son absence, son retard à moins que l’administration admette l’un de ses disfonctionnements. Alors, l’insoumis sera considéré comme « bon absent ».

Pour faciliter la mobilisation de toutes les forces vives, on donnera la faculté aux insoumis d’avant guerre de se présenter volontairement à l’autorité, sans aucune sanction (5 août 1914) – (Ce qui allait dans le sens du vœu de Perpignan, visé ci-dessus).

Un des derniers insoumis (du 18 juin 1918) que nous ayons relevé faisait partie de la Classe 1919 appelée sous les drapeaux en 1918. L’intéressé, âgé donc de 19 ans en 1918, n’a peut-être pas souhaité faire une guerre sur sa fin, devenue exaspérante pour toute la population. En tout état de cause, on ne connaîtra jamais la raison de son absence puisque notre future recrue s’est parfaitement volatilisée. Il sera radié de l’insoumission atteint par la prescription le 25 mars 1968, au bout de 50 ans.

Pour éviter d’avoir à s’expliquer dans des conditions « périlleuses » du fait des lois strictes en état de guerre, surtout si on était loin de tout, il valait mieux prendre les devants surtout avant que les ennuis commencent. Exactement comme ce Catalan d’Amérique du Sud, (natif d’Amélie les Bains), bien que classé service armé, obtiendra de rester « sans affectation » à son poste de vice-consul à Lima. Ce qui somme toute n’est pas répréhensible ; il fallait bien que l’administration « suive ».

L’éloignement de France, n’était pas toujours une excuse valable pour ne pas participer aux combats, exemples :

Arcour Joseph Etienne, natif de Bélesta en 1877, après avoir fait la plupart de campagnes coloniales du début du XXe siècle, est nommé Consul de France à Shanghai (Chine). Appelé à servir en France au moment de la déclaration de guerre en 1914, il rejoint le 16ème RIC le 11 août 1914, « Retard justifié » (sic). Il embarque à Chin Van Tao le 21 septembre 1914 pour débarquer à Marseille le 25 novembre 1914. Trois jours après, le 27, il rejoint le 126ème RIT comme sergent major. Il sera tué à l’ennemi le 17 mai 1915, à Perthes (Marne).

Notre Consul général à Barcelone, Mattes Joseph Marc Pierre, né à Barcelone, de parents catalans d’Olette, rejoindra sans retard son unité - le 142ème RI - le 3 août 1914. Il disparaîtra dans la tourmente en Moselle, à Loudrefing le 18 août 1914, après seulement quinze jours de guerre…

« Les Français résidant en Espagne accouraient en France pour s’enrôler » dira Louis Barthas (55). Je constate qu’ils accouraient aussi d’ailleurs, quoi qu’on en dise.

Condamnations

Plus grave de conséquence pour le soldat compromis, était son refus du combat « en présence de l’ennemi », ou par ses actes d’espionnage. A notre connaissance, pour notre département, seuls trois cas de ce type sont à déplorer.

Comme pour les désertions, le temps atténue la rigueur du jugement, avant qu’arrive celui du pardon. Mais oublie-t-on ? En toutes circonstances, les familles restent attentives au souvenir des leurs tandis que l’Histoire cherche à savoir.

Autant que je sache, le nom de nos trois condamnés ne sont pas inscrits sur nos monuments aux morts, et semble-t-il, ils ne sont pas réhabilités ; cela ne nous autorise pas à raviver d’éventuelles blessures en les citant nommément. Que la paix règne sur eux, là où ils reposent dans l’anonymat :

Un Catalan fusillé pour l’exemple (56)

Le soldat Y, du 253ème RI, stationne avec son régiment à Lesseux dans les Vosges. Ce matin du 19 Février 1915, Y seul, à pied sur la route se dirige vers Saint-Dié. Il est interpellé par les gendarmes Fevre et Merlet du poste de prévôté de Saint-Marguerite à l’est de ce village. Il se trouve à six kilomètres environ de Lesseux, loin de son cantonnement sous le feu de l’ennemi. Il se doit de justifier sa présence en ce lieu retiré du front. Il déclare aux gendarmes qu’il se rend, avec la permission de son officier, chez un dentiste pour se faire arracher une dent. Mais comment être cru, puisque le malheureux n’a aucun justificatif écrit à présenter aux gendarmes soupçonneux ? Alors les gendarmes verbalisent. Le sort en est jeté. La justice suit son cours. Après seulement treize jours (instruction du dossier et jugement) le Conseil de Guerre condamne Y à la mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Il est passé par les armes le 13 mars 1915.

Nota : les déclarations de Y, ont été infirmées par son colonel. Le 253ème RI aux dates données de l’abandon de poste, était bien sous le feu de l’ennemi (cf. JMO).

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Autres condamnations relevées dans nos archives :

Le Lieutenant X, condamné à mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Passé par les armes le 18 avril 1915, à 15h, devant les troupes à Bray-sur-Somme.

Le soldat Z, est condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi et espionnage. Passé par les armes à la Doua, commune de Villeurbanne le 28 décembre 1918.

Le lieutenant X et le soldat Y ont été fusillés pendant l’année définie par le général André Bach (op. cit. p. 513),comme étant celle des « bavures » pendant la période dite des « fusillés pour l’exemple » (par différence avec celle de 1917 avec les « mutins » - cf. chapitre précédent).

Une mort par contumace

C’est certainement aussi dans cette optique de répression à outrance, pour neutraliser toutes velléités d’abandon qu’Henri Maillard, de Perpignan (de Saint-Mathieu) sera condamné à mort par contumace le 27 juillet 1915, pour « abandon de poste en présence de l’ennemi ». Voici son histoire rocambolesque, d’après l’Indépendant du 26 juin 1918 :

Maillard est sur le front avec le 253ème RI, au Violu (Vosges). Dans une affaire de pseudo-fraternisation pour s’emparer de soldats allemands qui se retourne contre lui, Maillard est fait prisonnier et rejoint le camp d’Ingolstad, en Allemagne.

Pendant son temps de détention, Maillard traité de dernier des misérables pour avoir assassiné son régiment », voit sa famille subir les « pires avanies, les plus cinglantes insultes des passants et des voisins qui lui reprochait la honte des siens ». Par contre son employeur, Monsieur Picart, patron de « La Chevrette », dit lui accorder toute son estime. Son esprit tourné vers les siens constamment agressés et dans le but de retrouver sa dignité, il envisage de s’évader. L’occasion lui en est donnée en se cachant dans un train qui le conduit à Coblence. De là il regagne la Suisse où il arrive les pieds gelés.

En Suisse on lui propose de l’hospitaliser mais il préfère se rapatrier pour entrer à l’hôpital de Lyon, où il restera trois mois. Là, entendu par le Conseil de guerre du 14 juin 1918, il sera réhabilité.

Maillard, à certainement pu bénéficier des lois devenues moins répressives. En effet, elles évolueront en cours de guerre et seront de moins ne moins rudes, comme je viens de le dire.

Souvenons-nous de cette extrême rigueur du décret des 10 et 17 août 1914 qui suspendaient le pourvoir en révision contre le jugement de Conseils de guerre aux armées. Les autorités militaires avaient le droit de faire exécuter les sentences de mort sans attendre l’avis du Président de la République. Est-ce cette rigueur qui à incité Paul Pujol, avocat, qui devant faire un plaidoyer devant un conseil de guerre a demandé à en être déchargé pour rester sur sa position de combat ?

Heureusement le 15 Janvier 1915, la loi s’adoucit : le Président de la République se fait à nouveau communiquer les dossiers des condamnés à mort avant exécution. L’usage du droit de grâce, devient en principe la règle, et l’exécution immédiate de la sentence l’exception.

Peut-être est-ce ainsi qu’un de nos Capitaines, Saint-Cyrien, sous-lieutenant en 1896, bénéficie-t-il d’une simple mise en réforme par mesure disciplinaire ? Celui-ci, d’ailleurs va démissionner et s’engager comme seconde classe au titre du 143ème RI.

Craonne

Comme déjà dit au précédent chapitre, nous distinguons les « fusillés pour l’exemple », ce qui vient d’être traité, des « mutins » qui, ces derniers, ont eu à répondre de leurs actions collectives contre la discipline. A ma connaissance il n’y a pas eu de mutins parmi nos morts Catalans. Pourtant nous avions bien de nos combattants dans l’enfer de Craonne, élément déclencheur de la rébellion dans quelques régiments sous le feu ; environ 27 des nôtres y ont été tués. Parmi ceux-là, j’en cite un au hasard de la recherche : « Fontaneau Marcel : excellent soldat d’un grand courage, plein d’entrain et de dévouement. Tombé en brave, le 16 avril 1917, devant Craonne. Croix de guerre avec étoile de bronze ». (Le Roussillon – 1920)

Joyeux et Exclus

Louis Barthas, nous dit qu’« on leur [les Joyeux] refusait l’honneur d’aller au front, d’aller mourir pour la Patrie, on n’avait pas confiance en eux » (op. cit. p ; 28).

Sous cette formulation le propos me paraît incorrect. Comme Louis Barthas n’est pas à une imprécision près s’agissant de l’armée, il en rajoute :

« Les Boches traités de barbares et de bandits tous les jours par nos journaux étaient des agneaux pascals à côté de nos « Zéphirs » d’Afrique » ? (op. cit. p.28).

Sans s’étendre sur le sujet, soyons clairs, les Joyeux (ou Zéphirs) et les Exclus sont des personnes qui ont fauté contre la loi, d’une manière ou d’une autre. Au niveau des principes :

Les fautes des Joyeux relèvent de la justice militaire. Ils accomplissent leurs peines, déterminées en fonction de barèmes du règlement militaire, dans des Bataillons d’Infanterie Légère d’Afrique. En argot militaire on les nomme : BIL ou Bat’d’Af’. On aura tout dit en parlant de « Biribi » ou de « Tatahouine » (57) célèbres lieux imaginaires ou réels de séjours de Joyeux, particulièrement dans le Sud-Tunisien. Ils sont synonymes, dans l’esprit des « civils », de bagnes, vue la rudesse tout à la fois des règlements militaires, du climat local, de l’encadrement de la troupe. Les Joyeux restent au service de l’armée. En fin de peine ils réintègrent l’armée régulière, à moins qu’ils aggravent leur cas et qui sait où cela les conduira ?

Le terme d’ « Exclus » est un raccourci de l’expression « Exclus de l’armée », ce qui indique bien leur position au regard de l’administration militaire. Au sein des armées, il est dénié aux Exclus de porter des armes pour l’usage qu’ils pourraient en faire, vu leur dangerosité. Ils ont en général commis de graves délits (meurtres, assassinats). Leur peine s’accomplit dans des pénitenciers métropolitains, ou d’Afrique du nord si ce n’est pas à Cayenne. Il exécutent des travaux « publics » ou « forcés ». Rebelles à la vie en société, ils ont bien du mal à se racheter.

Un Exclu, D. à été condamné par la cour d’assise sà 15 ans de travaux forcés et 10 ans d’interdiction de séjour pour meurtre et vol. Envoyé à l’Ile du Salut, Cayenne, il y décèdera en 1920.

Le chasseur C. est condamné à un an de prison pour avoir perdu sa baïonnette, mis du linge sous sa paillasse et pour avoir déclaré à son caporal : « Tu me fais chier ».

L’ordre de grandeur de Joyeux et d’Exclus pendant la Grande Guerre pour notre département ne doit pas dépasser, à parts égales, la trentaine de Catalans « disciplinaires ».

Voyons un cas parmi ceux-ci.

Nous sommes en guerre, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Bien que dans le début de la guerre il y eut des réticences à envoyer « les disciplinaires » au front quels qu’ils soient, par la suite, il leur sera proposé d’aller au combat sous certaines conditions et certains avantages pour l’intéressé (par exemple : la réhabilitation, remise de peine etc.)

Une réhabilitation

Émile Thomas L., né en 1887 rue de l’Anguille à Perpignan s’engage comme apprenti mécanicien dans la marine. A la fin de son temps il est affecté au Chemin de Fer du Midi le 8 juillet 1914. Dans des circonstances que nous ignorons, il est l’auteur d’un meurtre et de tentative de meurtre, commis le 5 mai 1914. Il est condamné à 5 ans de travaux forcés par la cours d’assises de la Gironde. Il est alors affecté à la 16ème Section d’Exclus métropolitains.

La guerre est déclarée. Par décision du ministre de la guerre du 27 juillet 1917, L. est autorisé à contracter un engagement volontaire pour la durée de la guerre au titre du 1er Bataillon de Marche de l’Infanterie Légère d’Afrique. Il arrive au corps le 2 août 1917. Il est nommé Chasseur de 1ère Classe, puis Caporal le 7 juillet 1918. Le 30 septembre 1918 il est tué à l’ennemi dans la Marne (Romain sur Vesle). Il reçoit la croix de guerre avec étoile bronze, à la suite de sa citation suivante : « Très belle attitude au feu, glorieusement tombé au moment où il s’élançait à l’avant sous le feu violent des mitrailleuses et d’artilleries ennemies ».

Il est réhabilité par arrêté du 16 décembre 1919 de la Cour d’Appel de Montpellier.

Hommages particuliers

Les volontaires.

Contrairement aux désertions, à leur opposé pourrait-on dire, se situent les volontaires.

Les archives montrent sans discussion possible, un courant de volontariat plus ou moins conséquent certes, mais bien réel jusqu’à la fin de la guerre. Malgré tout, après tant de massacres, nous constatons que quelques-uns des jeunes classes (y compris 1920) rejoindront le front.

En leur honneur, je ne peux les citer tous, pour ceux qui y ont perdu la vie ; deux exemples hors normes, dont l’un touche encore nos cœurs de Catalans.

De trop jeunes volontaires.

Le 5 décembre 1914, un contingent de nos troupes de la coloniale s’embarquent pour le front.

Profitant de la cohue habituelle des départs, une quinzaine de jeunes de 12 à 15 ans se faufilent dans leurs rangs avec l’espoir de rejoindre, avec le détachement colonial, la zone des combats.

Il fallait bien l’inconscience de la jeunesse pour ne pas se préoccuper de la peine et de la peur causée à leurs parents. Heureusement l’aventure guerrière et romanesque s’arrête à La Nouvelle (Aude) pour treize d’entre eux. Deux autres, plus malins ou plus décidés, arrivent jusqu’à Soyon en Ardèche, d’où on les rapatriera dans leurs familles.

Tant de détermination, a eu bien entendu l’honneur de l’Indépendant avec un article d’Horace Chauvet. C’est ainsi que leurs noms nous sont connus ; ce sont (sous réserve) :

Barre - Bassau - Paul Barthe – Henri Baudet – Michel Boix - Melchior Bonnemaison – Paul Caillet – Léon Fabre - Jean Mestre – Joseph Prudhomme – Raymond Respaud –Raoul Taris –Rumeau et pour ceux rattrapés en Ardèche, Comes et Margouet.

Volontaires Catalans

Je veux rappeler ici le sacrifice de ceux venus d’outre Pyrénées soutenir notre cause dans ce combat de Titans, situé loin de leur frontière, « Por Francia y por la Libertad » a-t-on écrit (58). Ils sont arrivés d’Espagne, mais surtout de cette Catalogne éprise « de justice et d’indépendance » (59).

N’oublions jamais la « glorieuse prestation de ces hommes de conditions diverses animés d’un même idéal » venus offrir fraternellement leur vie à la France. Nous les appelions les « Volontaires Catalans ».

Louis Barthas écrivait (Op. cit. p. 30) : « On croyait que les Espagnols entraînés viendraient aussi, mais ces derniers n’apprécièrent pas la sainteté de notre cause et restèrent égoïstement chez eux ».

Combien cette remarque serait injuste, si elle devait s’adresser à nos frères d’armes catalans et d’autres provinces d’Espagne. Au contraire, quelle gratitude leur devons-nous d’avoir osé vaincre les inerties sinon les oppositions, avec l’appui de nombreux intellectuels des ces régions ?

On comprendra que notre hommage n’est pas ici, de raconter leur « épopée » par le détail, riche de faits d’armes au long des quatre ans passés de guerre. Qu’il nous suffise d’en rappeler les sacrifices consommés (60) :

« O volontaires catalans

Que votre cœur doit être grand,

Ardent et fort. Aucune loi écrite

Ne vous obligea à guerroyer en terre

Étrangère et vous guerroyez de par

Votre volonté sainte, assoiffés que vous

Êtes d’amour et de liberté »

Poème d’Ignaci Iglésias

(Extrait – Chanteclair op. cit.)

Ce sont 15 000 volontaires qui, en fin de compte s’engageront à nos côtés ; 13000 y mourrons.

Pour partie ils ont combattu au sein de la Légion étrangère (1er et 2ème Étrangers pendant que d’autres rejoignaient le 44ème RIC ou le 19ème Dragons, et autres) en unités constituées, menées sous la « bandera aux quatre pals de gueule [de sang !] sur champ d’or ».

Celle-ci sera remise en fin de guerre au musée des Invalides à Paris. Une réplique sera déposée à Verdun. Suprêmes honneurs que nous leur devions.

Rappelons aussi « la célèbre apostrophe : No passareu ! », du poète Apeles Mestres » (Chanteclair » n°34) qui témoigne de la volonté de combattre, en frères d’armes, jusqu’au bout.

La Bandera des Volontaires catalans a été offerte par le Comité de Germanor amb Volontaris catalans, présidé par le docteur Joan Sole i Pia, titulaire de la croix de la Légion d’Honneur (septembre 1919). Il mourra en exil en Colombie

Ce comité créa en 1920 la médaille des Volontaire catalans (décoration non officielle), dont le listel de l’avers, porte la légende « Sans peur – Sans pitié ».

Les Volontaires catalans participeront aux grandes batailles du front de l’Ouest (Marne, Craonne, Vosges, Marquises et Carrency, Souchez) aussi à celles du front d’Orient (Dardanelles, Strumitza, Balkans), toutes batailles en filigranes dans le présent ouvrage, mais bien présentes dans nos esprits.

Selon l’article de François Francis, très peu de noms des Volontaires Catalans, morts ou survivants de la Grande Guerre nous sont parvenus (en raison de dispersions d’archives par le fait de guerres).

Comme lui, retenons au moins le nom du journaliste « Ferres-Costa, un citoyen du monde », parmi les tout premiers à s’engager à la Légion étrangère à Paris (875 engagements dès le début des hostilités), et à promouvoir le volontariat catalan jusqu’à sa mort en héros à la côte 140 (Artois) le 9 mai 1915.

Ferres-Costa, avait 27 ans en 1915, natif de Sant Vicens Dels Horts au Pla de Llobrégat -Ses œuvres littéraires ont été éditées à Barcelone le 30 décembre 1916.

François Francis cite aussi les noms de : « Ferreol Palé de Figueras, aviateur ; Muxinach ; Filipo ; Moret tué d’une balle en plein front ; Vicente Mas, sculpteur et caricaturiste ; Alfred Loberas ; un maillorquin Valles, etc. » (op. cit.).

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L’hommage solennel après guerre a donné lieu à l’inauguration de monuments aux morts à Barcelone – Ce que nous avons exposé dans notre Tome I (pp.67et 68).

A l’occasion du lancement de la souscription pour ériger le monument aux morts du sculpteur Joseph Clara à Barcelone, dédié spécifiquement aux Volontaires catalans, Le Coq Catalan, rappela, le 3 mars 1923, le sacrifice de ces volontaires en ces termes : « Les Catalans de France n’oublierons pas les Catalans d’Espagne, qui sont morts pour notre bonheur et pour la liberté du monde ».

Malheureusement, la soirée de gala en vue d’alimenter cette souscription ne donna pas le résultat escompté, à l’inverse de la messe solennelle du 10 mars 1923 en la cathédrale Saint-Jean. Celle-ci, à la mémoire des Volontaires catalans, compensa « la muflerie » observée par Bausil. « L’abbé-lieutenant » Riu, (253e RI) mutilé, y prononça un « noble panégyrique » devant une église comble.

N’oublions pas dans cet hommage d’associer les Volontaires venues d’autres provinces espagnoles, comme en témoigne à ce titre, la liste d’attributions de Tableaux d’honneur. (cf. ici, nos annexes).

Avec aussi une pensée pour les morts pour la France de la colonie française de Barcelone, auxquels est dédiée une plaque commémorative déposée à notre Consulat de cette ville (cf. ici, nos annexes).

Le Sport

Le 6 janvier 1917, Emmanuel Brousse, dans son Indépendant, enrage contre ceux qui, au lieu d’enseigner le maniement des armes aux jeunes futures recrues, les incitent à l’entraînement physique.

Le 4 décembre 1914 selon toute apparence, c’est la valeur du sport qui est reconnue comme méthode de préparation des jeunes aux combats, donc savoir d’un bond se rétablir sur le champ de bataille ; surgir intrépide des tranchées ; engager un corps à corps assassin à la baïonnette pointée…

Or les « désastreuses hécatombes » du début de guerre montraient la limite de ce raisonnement. En particulier notre belle équipe de France de football – rugby, championne de France en 1914, des athlètes puissants, jeunes, musclés, fût décimée ou presque dans ces folies offensives d’école de guerre.

A nos champions morts pour la France

Joseph Couffe, arrière, S-Lt au 80ème RI, tué à Massiges (Marne), le 30/09/1915

François Fournier, demi de mêlée, S-Lt au 53ème RI, tué au bois de la Voisogne (M&M) le 24/09/1914.

Maurice Lida, 3ème ligne, S-Lt au 53ème RI, tué à St Eloi (Belgique), le 01/11/1914.

François Naute, 2ème ligne, caporal. au 53ème RI, tué à Zillebecke (Belgique), le 09/11/1914.

Raymond Schuller, pilier, soldat au 53ème RI, tué à Rorbach (Lorraine), le 20/08/1914

Aimé Giral, demi d'ouverture, aspirant au 80ème RI, tué à Somme-Suippe (Marne), le 22/07/1915

Maurice Gravas, 2ème ligne, soldat au 44ème RIC, tué à Billy (Meuse), le 20/09/1914.

A quoi donc a-t-elle servi cette force d’homme dans « ces charges à la baïonnette qu’on avait si grand tort de vanter » ? Inutile leur entraînement physique ? Et quoi ? Ne retient-on pas la leçon ? Ces morts « pour rien » dans l’élan de la jeunesse, ne donnent-elles pas l’exemple de l’absurdité de l’engagement au corps à corps. ? Sacrifices inutiles alors ? Mais non ! Rien n’inquiète. La pensée s’efface ! « On s’habitue à tout en France, même à la guerre ! » rage le député.

On se doit de réagir ! Proscrire ces combats au contact, puisqu’il est démontré qu’aucune force, sauf les armes, n’est la panacée dans ces acharnements de champs de bataille. L’usage de nos armes modernes (1917), grâce à leur portée, est bien plus préférable pour atteindre l’ennemi tenu à bonne distance, sans affrontement direct d’homme à homme. Voilà, ce que préconise Emmanuel Brousse. Alors ! Foin de ces « matches [de football- rugby qui] ont repris leur entrain sous prétexte de préparation physique des futurs conscrits », clame Brousse à qui veut l’entendre. Et, pour commencer, une adresse à toute la hiérarchie de l’enseignement responsable, selon lui, au premier chef dans la formation au tir de nos élèves-conscrits. Ses recommandations vont à l’inspecteur d’académie comme aux instituteurs, en passant par les professeurs du collège. Allons ! « Moins de football, faites du tir ! ». Monsieur Emmanuel Brousse, convaincu de donner de l’écho à sa pensée rageuse grâce à son journal, L’Indépendant, lance un défi public à la ronde : « A quand le prochain match de mitrailleuses ? ».

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Le 4 août 1917 Albert Bausil dans Le Coq Catalan fait état de la souscription (3 000 francs) lancée par son journal, en collaboration de Gustave Violet, en vue de réaliser une stèle « modeste », ou un haut relief de bronze à la mémoire des camarades de sport morts au Champ d’honneur. L’« Hommage intime et fraternel de la camaraderie catalane » devrait être érigé au retour des survivants, en accord avec les amis de l’ASP, l’Association Sportive Perpignanaise (61).

Dans le même temps, Albert Bausil, avec ténacité, promouvait son projet : réaliser un Livre d’or afin de ne point oublier « ces vaillants petits sportifs, les Fournier, les Gravas, les Naute, les Lida, les Henric, les Camredon, les Marty, les Giral, les Couffe, les Laffon !… » (Op. cit. 15 décembre 1917).

On n’oubliera pas, certes ! Pourtant, après la compassion viendra l’indifférence, ce contre laquelle Albert Bausil continue à se battre :

« Nous sommes malvenus [1922], sans doute, en ce moment, d’évoquer certains souvenirs et de rappeler certains devoirs. Nous savons comment ils reviennent ces pauvres ossements de martyrs si glorieux et tant pleurés ! Nous savons comme on les enfouit, hâtivement, humblement, comme honteusement à cause de l’égoïsme qui les environne, ceux pour qui nous avions rêvé de funérailles si vengeresses ! nous les voyons, ces retours de la gare, ces tristes cortèges traversant la ville, ces corbillards suivis de cinq ou six personnes qui s’en vont, parmi l’indifférence de tous, vers le cimetière ».

Cette diatribe d’Albert Bausil, est destinée à motiver ses amis sportifs, les amateurs du sport, « aux habitués des barrières » dit-il, afin qu’honneur digne de ce nom soit adressé aux cendres d’Aimé Giral, dont leur retour est annoncé. « Qu’au moins soit fait », supplie-t-il, « l’hommage d’une fleur »

« Demain… les fossoyeurs militaires de la Marne exhumeront, dans le cimetière de Somme-Suippes, d’une petite tombe provisoire faite d’un enclos de bois noir, d’une couronne fanée et d’une croix, le cercueil d’Aimé Giral.. Quinze jours après, le convoi qui amènera ce cercueil arrivera à Perpignan [23 février 1922]. Aimé va revenir, poussière sans forme dans la longue caisse déterrée. Le corps d’Aimé Giral, champion de France, aspirant au 80ème d’Infanterie, mort au champ d’honneur à dix-neuf ans, sera de retour en terre catalane pour y dormir à jamais » (Le Coq catalan, extraits, 4 février 1922).

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Transfert des Corps

« …Le transfert des corps est l’aboutissement d’une réflexion sur la matérialité de la mort du soldat accompagné d’une affirmation du devoir de mémoire » (62).

« …Aujourd’hui, [11 Novembre1918] c’est la délivrance. Bientôt ce sera le retour. Des pères iront vous chercher dans les champs où vous dormez encore… Ils se pencheront sur les croix où les noms s’effacent…Ils iront, dans le bouleversement de l’interminable ossuaire, jusqu’à ce qu’ils vous aient retrouvés. Puis ils ramèneront vos cendres vers le cimetière natal, afin quelles reposent à jamais sous l’ombre paisible que font les cyprès catalans » (Le Coq catalan 12 novembre 1918).

Remarque : une partie d’éléments développés ci-après, reprennent ou complètent l’exposé du précédent chapitre.

Principe

Le 15 févier 1921 est la date limite de demande de transfert de corps gratuit (délai prolongé jusqu’au 30 avril 1921, pour les transferts de Belgique ou d’Orient). Par contre la durée légale des inhumations qui commence en 1915, se termine en 1927 « avec quelques prolongements jusqu’en 1934 ». On évalue à 240 000 corps restitués soit, le tiers des morts identifiés.

« L’État assure à ses frais : l’exhumation, la mise en bière hermétique, le transport par route du cimetière militaire (dit de guerre) à la gare qui dessert la commune où se trouve le cimetière désigné par la famille, et le transport de cette gare au cimetière ainsi que l’inhumation définitive, à l’exclusion de toute cérémonie confessionnelle… » (63)

Identification

La première des difficultés est d’identifier les corps qui se présentaient en masse : « une fois les cadavres rassemblés, il fallait encore les identifier […], des erreurs purent être commises. Des erreurs d’identification d’abord [...]. S’il y eut des inconnus identifiables il y en eut d’autres à qui l’on attribua plusieurs identités. » (64)

Voici un des cas extrêmes connu à Perpignan par la famille Pratx : A la réception du corps de son soldat mort au combat, cette famille se rend compte de la présence d’un second corps non identifié dans la bière en provenance du front.

Sans désunir les deux corps, au cimetière Saint-Martin de Perpignan, après la cérémonie de ré-inhumation, le frère de la victime (Pratx) indiquera la présence insolite du second corps dans la sépulture de son frère à l’aide d’une croix portant la mention « Soldat Inconnu ».

Comment séparer ce pitoyable couple qui s’étreint dans la mort, alors qu’au contraire des familles n’hésitent pas dans leur désespoir à joindre sous la même pierre deux jeunes amis, voulus inséparables dans la mort comme ils l’étaient dans la vie (Cf. par exemple, les jeunes Pons et Bouade d’Ortaffa) ?

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L’Impatience

Le retour de corps avant 1920, concerne principalement des décès survenus dans les hôpitaux hors de la zone des armées, à moins de retours de corps « illégaux » pendant la guerre, constatés dans les premiers mois de guerre, jusqu’à ce que le commandement s’en mêle. Et encore après y a-t-il des familles plus pressées que les autres pour retrouver « leurs » corps, tombés en zone de combat.

Il aura fallu tempérer l’ardeur des familles, même de celles qui voulaient simplement se recueillir sur la tombe d’un des leurs :

« Avis aux personnes qui veulent visiter les tombes de leurs proches inhumés dans les cimetières de l’Argonne, forêt de la Grurie, ravin de Meuissons, Fillemorte, bois de Chalade, Maison verte, etc. :

« Ne partir qu’avec des renseignements précis, les cimetières sont très nombreux et contiennent des milliers de tombes. Ils sont pour la plupart, difficile à reconnaître en raison des bouleversements des sentiers, des tranchées et des réseaux de fils barbelés.

De nombreux parents faute d’identifications précises, non pu retrouver les tombes , malgré de pénibles recherches de plusieurs jours.

Des gares les plus proches : Les Islettes ou Vienne-la-Ville, il faut compter une moyenne de 8 à 10 kilomètres. Dans ces pays dévastés, chevaux et voitures sont presque introuvables.

Prendre quelques provisions de voyage. Les gîtes, hôtels ou auberges sont à peu près inexistants.

Cet avis peut d’ailleurs concerner les différentes régions où de longs et âpres combats ont été livrés. ».

Pour laisser le champ libre à ceux qui relèvent les corps en zone de combat, on ne tarde pas à interdire l’accès aux zones des « opérations militaires » (Min. Guerre, 15 juin 1919 - Le Roussillon).

Dans le même temps, on en profite d’interdire tout transport de corps à partir de cette zone (ainsi que de l’étranger). Et surtout, pour qu’on entende bien la mesure, aucun frais de transport ne sera payé par l’État. Il ne remboursera non plus aucun des frais déjà engagés à ce titre par les familles.

Les corps rendus

Pour notre département, comme pour l’ensemble de la France, seule une petite partie des corps revient au pays. Toutefois, malgré les corps retrouvés et identifiés, des familles ne souhaitent pas « pour des raisons qui vont des plus nobles aux plus lamentables » (65) ramener dans les cimetières communaux les dépouilles de leurs soldats. Pourtant, chez nous en tout cas, bien des carrés militaires ont été aménagés à leur intention, dans le cadre de l’attribution des concessions à perpétuité gratuites.

Les termes de la loi, repris par le bureau militaire de la mairie de Perpignan indique que « les corps seront transportés par zone de champs de bataille et par secteur, groupés pour les mêmes destinations et de ce fait dans chaque convoi nous recevrons un nombre de corps plus ou moins élevé. » [Les corps réceptionnés étant alors, répartis à nouveau en fonction des dernières communes destinataires des dits corps]

Cette question de transport pendant au moins deux ans occupe la scène publique. Ne serait-ce que pour réceptionner, avec plus ou moins de solennité, les convois par les autorités de l’État, des collectivités locales et militaires, et aussi les familles et la population. Encore fallait-il que les trains arrivent à l’heure pour que tout ce monde soit présent à la cérémonie d’hommage en gare. D’où une organisation forts complexe à coordonner et pesante, en cette période d’après guerre

Le convoi : « Dans de vieux cercueils déterrés, bosselés et gondolés, tout le long des routes de France, ils rentrent, les petits Catalans du front, ceux que n’avaient pas ramenés les carillons de l’armistice, ceux qui sont morts dans leur vingt ans pour que l’étranger ne passe pas.

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Hier, c’étaient René Gauthier S-Lt aviateur, Marcel Mossé soldat, René Parés sergent, Casimir Rolland caporal, Jean Roustand canonnier, Henry Sacaze sergent, amenés par le premier convoi, transporté en auto-camion.

Dans la cour de la caserne Saint-Martin, les six cercueils étaient alignés, un piquet d’honneur du 24ème colonial présentait les armes, le drapeau glorieux s’inclinait, les clairons sonnaient ‘aux champs’. Alors le colonel s’est avancé et a salué ces braves, au nom de la France. Au nom de la ville, le maire a salué le retour des enfants morts. Il y avait dans les coins de la cour, des groupes en noir qui pleuraient.

… Des images surgissent devant mes yeux, des silhouettes de gamins rieurs, d’amis charmants… Ils sont là, maintenant, dans ces longues caisses que l’on emmène, sous ce drapeau.

Perpignan, pour le retour de ses fils, s’était paré de printemps. Un soleil radieux baignait la cour de la caserne et riait dans les fleurs des gerbes. Il faisait beau, beau comme un matin d’école buissonnière ou de vacances d’Avril…

Un a un, il sont sortis de l’enceinte militaire, ils ont défilé dans la rue, devant les curieux en haie, ils sont entrés dans la nécropole, ils ont été descendus dans les caveaux, avec des cordes.

Ainsi, petit à petit, les autres cercueils rentreront au pays. Tous reviendront, ou presque tous. Des cérémonies identiques se succèderont, avec d’autres larmes. Les cimetières de Perpignan se peupleront de toute cette jeunesse – qui n’animera plus ses maisons et ses rues.

Le convoi de samedi ne fut qu’une avant-garde. Pauvres petits avant-coureurs ! que de chemin vous avez dû parcourir, dans vos fourgons errants et cahotés, avant de venir reposer chez vous, sous les cyprès de chez vous !

Du moins vous ne serez pas délaissés. Vous aurez votre carré, au fond, dans la ‘concession militaire’, où le tombeau de famille. Vous aurez, à chaque Toussaint nouvelle, les fleurs de ceux qui aiment, la pensée de ceux qui demeurent, et qui ne vous oublieront pas ». (Albert Bausil – Le Coq catalan 28 février 1921)

La presse locale rend compte régulièrement des transferts de corps en nombre, dès le moment où ils sont annoncés par les gares régulatrices comme celle de Brienne-le-Château ou de Marseille. Parfois, elle communique la liste nominative par commune de destination.

J’estime à 50 le nombre de convois mortuaires arrivés en gare de Perpignan, dans les débuts des années 20. En moyenne chaque convoi compte une vingtaine de cercueils, soit un millier de corps au total « rendus » aux familles (environ de 12 à 14% de nos morts ? En Ariège 10,89 % (66)). Ceci selon le processus officiel qui ne tient pas compte des retours organisés par les familles, d’une manière légale ou non.

Cela voudrait-il dire qu’au moins six milles corps, ne sont pas revenus dans notre département ? Je ne suis pas en mesure de l’affirmer, mais il y a de fortes présomptions pour que cela en soit ainsi.

Les archives sont « muettes » sur ce thème, sauf une note du 8 octobre 1920 du bureau militaire de la mairie de Perpignan, qui fait état de 1200 avis de décès reçus. Est-ce que ce nombre est en relation avec ma précédente estimation ? En tous cas il n’est pas en correspondance avec le nombre (inférieur) d’inhumations effectuées au carré miliaire du cimetière Saint-Martin de Perpignan. Serait-ce une donnée qui intéresse le niveau départemental ?

Carrés militaires

(Relevé d’archives communales Perpignan - Délibérations – 1D4 et 1D3 )

16 février 1918 : « L’autorité militaire ne possédant plus assez de terrain pour les inhumations de la troupe, la commission des travaux publics, l’Ingénieur est autorisé à en accorder où il pourra ».

Commentaires : Il semble que les emplacements destinés aux inhumations - au cimetière de l’Ouest - de militaires décédés dans nos hôpitaux militaires ou de complément de Perpignan, fassent défaut. A ce moment la notion de « carré militaire » n’était pas encore ancrée dans les esprits, d’autant que l’attribution de concessions perpétuelles n’était pas inscrite dans la loi de manière formelle. D’où l’initiative laissée aux municipalités pour résoudre ce type de problème – Ici à l’ingénieur chargé des travaux de la ville de Perpignan.

4 Novembre 1920 : L’armistice est signée. « Poussés » par des prémices à la loi des finances du 31 juillet 1920 (cf. Annexe) Joseph Denis, maire de Perpignan et son conseil destinent un lieu pour les sépultures perpétuelles destinées au corps des militaires de retour du front - sans que la loi y fasse obligation : « S’il [et seulement s’il] fallait réserver à nos soldats une sépulture perpétuelle, la meilleure place est au cimetière Saint-Martin, où nous trouverons facilement vers la partie sud de ce cimetière les espaces nécessaires que l’on ne peut avoir aux deux autres cimetières [Ouest et Est] »

Commentaires : La municipalité prévoyait de 900 à 1000 corps à inhumer [ce qui va dans le sens de mon évaluation, sur la quantité de corps rendus - cf. supra], cela lui apparaît conséquent en surface à allouer.

Hors le cimetière Saint-Martin (en centre ville) Perpignan dispose de deux autres cimetières plus « récents » et excentrés. Dans le premier la municipalité estime qu’il est éloigné du pole d’intérêt des familles en deuil et donc ne facilite pas leur recueillement ; ce qui n’est pas le cas, pense-t-elle, pour les deux autres cimetières.

Par contre ces derniers (Ouest et Est) n’offrent pas assez d’espace pour allouer des concessions perpétuelles individuelles (toujours selon la municipalité). En conséquence de quoi, faute de retenir le choix de Saint-Martin, la municipalité envisagerait de déposer les corps dans la fosse commune de chaque cimetière « à la suite des inhumations quotidiennes […] sans toucher au cimetière Saint-Martin ». Ce à quoi le commandement militaire se refusait depuis 1915 pour ses morts sur le champ de bataille. Tel que formulé dans cette délibération, (« fosse commune » – « inhumations quotidiennes ») je suppose qu’on aurait appliqué sans aucun état d’âme ni glorification, le processus dû aux communs des mortels, à nos morts pour la France.

Décembre 1920 : Finalement la loi impose l’attribution de sépultures perpétuelles. En conséquence, c’est décidé, va pour l’emplacement à Saint-Martin. (Réalité que nous constatons de nos jours).

Mais la municipalité, préjuge des réactions des familles qui optaient pour un emplacement « rapproché » dans les autres cimetières. Aussi, peut-être pour devancer leur critique, la municipalité offre à ces familles la faculté de refuser d’inhumer les leurs dans le carré militaire à concessions perpétuelles gratuite – je le rappelle - de Saint-Martin. Auquel cas, sauf si ces familles possèdent un caveau familial, ce qui libére la municipalité de toutes obligations envers les décédés, ou une concession temporaire, les corps seront inhumés en fosse commune. (cf. mon commentaire ci-dessus).

Remarque : Aujourd’hui, sont présents à Perpignan : le carré militaire du cimetière Saint-Martin, auprès duquel se dresse la stèle relativement dédiée aux morts pour la France de la ville. et celui du cimetière de l’Ouest.

Le cimetière Saint-Martin a été l’objet de travaux d’extension – A cette occasion un mur a été détruit. Il portait une plaque de marbre gravée aux noms de nos morts. Elle a été perdue corps et biens.

Au cimetière de l’Ouest, « sont inhumés les soldats morts dans la garnison » (Le Roussillon - 3 novembre 1919) et ceux décédés dans nos hôpitaux, [idem, avec ceux d’Amélie-les-bains et de Vernet-les-Bains]. Y reposent des soldats de métropole et d’outre-mer, sinon de l’étranger (Belge, à Amélie-les-bains). L’Indépendant, 11 novembre 1920 : « Certes ces soldats … du cimetière de l’ouest ne sont pas tombés en pleine bataille… n’ont-ils pas soufferts aussi en mourant dans un hôpital à la suite de blessures », etc.

De nombreuses communes du département ont aussi disposé de carrés militaires, plus ou moins délimités, selon le nombre de sépultures allouées à perpétuité.

La recherche des corps

Contrairement à ce que pensait le poète, beaucoup de morts resteront à jamais dans des lointains, sans identité connue des services. Ce qui ne veut pas dire que personne ne se soit préoccupé de leur recherche, de leur identification une fois en présence d’un cadavre au départ « inconnu ».

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Or, justement pour « rechercher les disparus et repérer les sépultures militaires » sur le champ de bataille, le service de l’état civil et de l’office des sépultures du Ministère de la Guerre, à besoin de tous. Dès 1919, ils demandent aux familles de fournir tous renseignements qui pourraient les aider à retrouver le corps de leur disparu ; ils s’adressent aussi « aux personnes, médecins, aumôniers, brancardiers, etc. qui par leur fonction ont pu coopérer pendant la guerre aux inhumations de nos soldats tombés… possédant encore des documents fort précieux, listes, croquis, carnets de route etc. relatifs aux lieux d’inhumation. »

Inutile de dire que la ressource est bien mince et peu crédible pour certifier la présence de tel ou tel corps à tel ou tel lieu. Des preuves, combien d’invraisemblances (avons-nous le droit de parler d’erreurs ?) avons-nous relevées dans les documents d’archives sans pouvoir les modifier faute de certitude.

Alors, dans le cadre de notre devoir de mémoire nous nous demandons, incertains ou mal informés : quels sont ces soldats venus « reposer à jamais sous l’ombre paisibles que font les cyprès catalans » ? Qui sont ceux que garde le temps éternel dans l’anonymat au loin ? Quelle est cette multitude dans les nécropoles ou dans les cimetières militaires, ou ossuaires dans le froid du nord et de l’est de France ? Et ceux-ci perdus dans les étendues arides de l’Orient ? Qui sont ceux dont nous devons « dire le nom » ?

Est-ce là, Joseph Vincent Polit, natif de Laroque Soldat au 164ème RI, aîné de 7 enfants, tué à l’ennemi. Inhumé le 1er août 1916 au cimetière mixte n°13 entre Biaches et Herbecourt, carré 57, tombe 14. Transféré le 30 août 1923 au Carré militaire de Biaches (arrondissement de Péronne - Somme) tombe 268 – Nous est-il revenu ?.

Ou est-ce ici Bastier Louis, né en Argentine à Buenos Aires en 1899, résidant à Perpignan au moment où il s’engage dans la Marine à Lorient en 1907. Pendant la Grande Guerre il disparaît en mer le 27 avril 1915, lors du torpillage du croiseur cuirassé « Léon Gambetta » qui naviguait dans l’Adriatique. Seul corps (à notre connaissance) retrouvé parmi les marins catalans du naufrage, noyés en mer. Il est inhumé à Santa Maria di Lima. Le 24 novembre 1920, proposé au transfert sur la France, on renoncera à son retour - Est-on sûr qu’il dorme là-bas ?

Et quel est celui-ci inhumé là dans son village de montagne ? Il reposait dans la rocaille du cimetière en surplomb vertigineux après un grand périple loin de sa terre natale.

Le temps « paisible » d’éternité s’écoulait dans le silence des airs. Mais les temps nouveaux où l’on arase les sépultures est venu. Et voici notre mort, à nouveau disparu, pas sous un marbre de Carrare pour enrichir sa tombe, mais sous le béton d’un columbarium construit au-dessus de ses os blanchis. Là s’engrangeront des corps inconnus de lui, des descendants pour lesquels il s’est battu à en mourir ? Qui lui disait : « repose en paix ? ». Ô hommes ! simples hommes ! (67).

Et qui sont ces « soldats Jésuites », tués, dont on ne dit leur nom, mais nommés ainsi par la municipalité du Soler au moment de leur retour au pays ? Celle-ci refusa d’accueillir, à leur arrivée, le fourgon mortuaire en gare. Puis lors de la cérémonie religieuse, leur refusa la présence du drapeau à l’église, ce tricolore pour lequel ces soldats sans nom s’étaient battus. « Y a-t-il eu des poilus jacobins ? » demande Le Roussillon - le 6 avril 1921 - « ou, n’y avait-il que des Français » à se battre pour ce drapeau de France ? Et Le Roussillon ajoute : « sur 841 [vrais] Jésuites enrôlés pendant la guerre, 163 ont été tués ».

Deuil et Désespoir

« Et je pleure ! en mon cœur saigne l’ardente fibre

De ce qui fut espoir, qui maintenant est deuil ;

De ce qui fut lien dans l’existence libre,

Qui vibrait comme un rire et qui maintenant vibre

Comme un clou de cercueil » (68)

Désespoirs

Très tôt le gouvernement comprend que les familles vont souffrir. Comme déjà indiqué , en quinze jours de guerre 400 morts, rien que dans nos rangs sur le front de Lorraine et des Vosges.

A ces annonces de morts inattendues pour les familles, il est bien certain que la douleur allait décupler puisque nous étions confiants en la victoire dans une guerre courte, sous entendue sans mal pour « nos petits ». Le gouvernement savait lui, que dure serait la guerre. Elle s’annonçait bien mal, comme nous l’avons vu dans l’affaire des Méridionaux.

Le 18 août 1914 alors que la bataille de Morhange s’engage le Ministre de la Guerre envoie une note aux préfets :

« J’appelle votre attention sur les mesures à prendre pour que les nouvelles de deuil soient annoncées aux familles avec les plus grands ménagements. Il vous appartient de prendre à ce sujet, en tenant compte des circonstances locales, toutes les mesures nécessaires ». Signé Messimy

Quelles seront ces mesures ? A part les télégrammes purement administratifs, sans âme, adressés au maire de Perpignan, il ne ressort rien des dossiers d’archives. Il apparaît une dizaine de pauvres lettres de parents désespérées de ne pas savoir ce qu’il est advenu du fils ou du mari. Rien ne montre la compassion. D’ailleurs, rapidement, ces lettres disparaissent du courrier du maire. Certainement on s’adressera plutôt à l’administration militaire.

Et cette dernière, prend les choses en main. La masse de mort l’oblige à s’organiser. Souvent, très souvent, on enverra une sorte de lettre circulaire passe-partout pour annoncer un malheur qui va bouleverser la vie d’une famille. Et comme le sort s’acharne, chacun s’attend à tout, incapable d’entrevoir une issue à la guerre qui dure. Il faudra bien du malheur pour qu’un député se penche publiquement sur la peine d’une famille.

« Les fêtes sont bien finies, dans presque toute l’Europe. L’on ne rencontrera plus dans les rues que des deuils et des crêpes, vêtements de deuil. Oh ! Dieu des religions : est-ce là ta puissance ? »

(Extrait de la lettre du 23 septembre 1914, du Lieutenant du 126ème RIT, Joseph Llobères à son épouse.)

« On s’habitue à tout » a dit Emmanuel Brousse. Sans doute ! Sans doute ! Pourtant le 7 août 1916, il s’inclinera devant la douleur de la famille Cassou de Formiguères. Sur cinq de ses enfants partis au front quatre y ont été tués : François, Jean, Joseph, Pierre. « Pitié pour cette famille » s’écrie l’Indépendant.

Finalement dans le malheur qui s’abat, sans être dupes, « les veuves [attendront] cette ultime consolation : savoir [que leur mari] était mort rapidement qu’il n’avait rien senti » (69)

D’autres ne vont pas s’habituer. Ils ne supporteront pas la peine. Ce seront des parents qui se suicident, comme cette épouse en 1916, ou ce père (il s’est égorgé) en 1917, ou encore cette mère qui croit son fils mort alors qu’il se trouve en captivité. Parfois l’insupportable se trouve chez les soldats eux mêmes. J’en ai relevé deux qui ont préféré abréger leurs jours. Ceux-là ce sont « les victimes innocentes de la guerre » comme les nomme Jules Escarguel (L’Indépendant, 8 août 1916)

Fin de guerre

La fin de la guerre n’est pas la fin du désespoir, bien au contraire ; elle va dévoiler le grand désarroi des familles ayant perdu l’un des leurs, dès le 11 Novembre 1918 :

« D’un côté, c’est une explosion de joie, les cloches sonnent, on chante et l’on descend dans la rue fêter la fin des combats. Mais pour tout ceux qui ont perdu un des leurs, c’est aussi une journée de deuil, même s’ils trouvent dans leur douleur une consolation à penser que ces derniers ne sont pas morts pour rien, puisque la cause pour laquelle ils se sont battus a triomphé » (70).

Horace Chauvet, va nous faire-part de la mélancolie qui s’installe ; « une indéfinissable tristesse règne sur les choses » dit-il.

« A chaque pas dans la cohue, aux carrefours, on rencontre des femmes en deuil qui laissent échapper des larmes furtives ». (in L’Indépendant - 24 novembre 1918.

Les Veuves

« …Plus tard, beaucoup plus tard, c’est dans les rues, la paix signée, un lent défilé aux sons de musiques assourdies, d’une foule en noir derrière des cercueils… on ne voit qu’elle recueillie, éplorée, elle avec sa masse triste de vêtements funèbres, elle, qui souffre, qui pleure, et que n’attendrit ni le décorum de circonstance, ni les chamarrures d’officiers à la parade, ni les phrases emphatiques et vaines de discours pompeux et mensongers.

Hélas ! il est des mères qui n’auront même pas cette suprême et minime satisfaction et qui se contenteront de pleurer derrière les volets clos ».(Le Coq catalan 22 septembre 1923).

Le prix du souvenir

Dans leur désespoir d’avoir perdu leur fils promis à un avenir radieux, j’ai relevé seules trois familles qui décidaient de fonder un prix afin de maintenir leur âme en vie. Cette intention fort louable, a certainement reçu une application qui a du émouvoir l’assistance au moment de la remise du prix à l’élève méritant, ému lui-même. Un certain nombre d’année après, on peut supposer que quelques initiés comprenaient le sens de la remise de ce prix. Mais des années après encore, tout sera oublié, y compris la remise du prix (faute de rente ?). La fondation s’est éteinte sans bruit.

Les époux Pascot de Saint-Estève, font « don de 40 francs de rente au collège de garçons, pour la fondation d’un prix annuel à décerner en souvenir de leur fils René Pascot, mort pour la France ». René Pascot, polytechnicien de 1914, S-Lt au 15ème RA est mort le 19 août 1916 au ravin de Vaux, à 21 ans.

Antoine Kauffman, négociant à Perpignan, « fait don d’une somme de 60 francs au collège de garçons, pour la fondation d’un prix annuel qui sera appelé ‘Prix Charles Kauffman’ à décerner en souvenir de son fils mort pour la France ». Charles Kauffann, Lt au 80ème RI, a été tué au Bois de Mulhwald, Moselle, le 20 août 1914, à 27 ans.

Joseph Freiche, professeur honoraire, de Pézilla de la Rivière, « fait don d’une somme de 60 francs au collège de garçons, pour la fondation d’un prix annuel qui sera appelé ‘Prix Antonin Freiche’ à décerner en souvenir de son fils mort pour la France ». Antonin Freiche, Médecin 21ème RI, est décédé à l’ambulance de Fismes, Marne, le 31 mai 1918, à 23 ans.

(Délibérations du conseil municipal de Perpignan dans l’ordre : 28 juin 1919, 4 novembre 1920, et Juin 1921)

Œuvres et associations

S’agissant de parler de morts, nous parlons de souffrance. Pour être conforme à la réalité des situations créées par ces morts en masse, évoquons avec quelques exemples, sans liens apparents, mais qui tous montrent dans notre département, la manière dont on a résolu l’aide aux familles (parfois à celles réfugiées). Sont concernées au premier chef les veuves et leurs enfants.

[Nous avons vu auparavant la part de l’État, prise dans les soutiens d’aide financière. Je n’ai pas traité d’ailleurs des Pupilles de la Nation, système d’adoption par l’État des orphelins de guerre – ce qui toutefois est à conserver en mémoire].

Secours de deuil

L’un des premiers secours aux familles, sera celui que je nomme « le prix d’une vie donnée » - dite aussi « secours de deuil » ? Il est versé en cours de guerre soit : 150 francs pour un soldat tué au front, 200 pour un sergent, 400 pour un officier.

Après guerre ce sont 1000 francs qu’on destinera aux familles des combattants morts pour la France. C’est le fameux « pécule », dont j’entends encore parler aujourd’hui, surtout s’il n’a pas été versé pour une raison qui échappe aux présents descendants.

Quant aux femmes des « disparus » en attendant leur réapparition (« ça arrive » dit le Le Roussillon) ou leur « déclaration de décès » elles auront droit à une pension provisoire « sous condition que premièrement… et que deuxièmement… ou qu’enfin troisièmement » et bien entendu, à condition encore, que le dépôt du corps (l’unité) auquel le militaire appartenait veuille bien tendre l’oreille… Ces femmes, savent-elles de quel dépôt dépendait leur mari ? et savait-elles seulement lire et écrire ?

Un don

Le 25 juillet 1914, Madame veuve Brinquant fait donation à la ville de Perpignan de 300 francs de rente – appelée « rente Pierre Talrich » – pour doter annuellement à partir de 1915, une « veuve malheureuse et chargée d’enfants ». Or, la rente a pris du poids, son montant disponible en 1915 est de 525 francs. La ville suggère alors à la donatrice de partager ce montant entre deux veuves méritantes. Celle-ci approuve sous réserve qu’au moins une des deux veuves soit « une veuve d’un soldat victime de la campagne 1914-1915 ». (Délibération - décembre 1914)

Consensus

Le 24 janvier 1917 se forme le comité départemental des œuvres patriotiques qui semble fédérer les bonnes volontés chacune agissant certainement jusque là, pour sa gouverne. Composition :

Antoine Dumayne, président des Prisonniers de Guerre (adjoint au maire).

Jules Escarguel, président des soldats nécessiteux du front.

Jean Payra, président du comité Le pécule du mobilisé (directeur du Cri catalan).

Jean Petrax, président du comité des mutilés de guerre (notaire).

Lucien Bertrand, délégué des deux croix rouges (agent d’affaires).

Aux comptes : Labussière, trésorier comité.

Adolphe Astruc comité de propagande.

La « veuve et l’orphelin »

L’intervention de l’État, ne sera jamais totalement suffisante. Aussi, comme pour les mutilés et malades de guerre, les anciens combattants en général, on verra parallèlement à la législation, se mettre en place des organismes associatifs de défense de la « veuve et de l’orphelin » (expression courante).

Il existe, par exemple, pour ne citer qu’une des plus récentes, elle vient de fêter son 60e anniversaire en 2004, « l’Association d’entraide des veuves et orphelins de guerre » (AEVOG), certainement héritière dans l’esprit au moins de « L’association d’Aide aux Veuves de Militaires de la Grande Guerre » (siège social en 1915, 7 rue de Vélizy – Paris).

Au moment de sa création (1915), cette association était représentée à Perpignan par Madame Batho (d’origine Lorraine), veuve de Paul Batho, ancien juge d’instruction à Perpignan, tué à l’ennemi. (L’indépendant – 7 juillet 1915).

Est-ce elle, qui, en tant que Lorraine se serait préoccupée du sort de ses compatriotes ?

Celles-ci faisaient-elles parties des 3000 réfugiés français venant d’Allemagne, arrivés en Roussillon en 1914. « Ces pauvres gens » expose le maire de Perpignan, « avaient été pris comme otages au moment de l’invasion teutonne et on les renvoie en France, après six mois de captivité pour qu’on se débarrasse de bouches inutiles. Il faudra subvenir à leurs besoins immédiatement dès leur arrivée à Perpignan et se préoccuper de leur sort ; il est probable qu’on fera une répartition dans toutes les communes du département des Pyrénées-Orientales. »

A moins que ce ne soient de nouvelles venues auxquelles on dédiera le 28 août 1918 la grande vente de charité qui a eu lieu au Grand Hôtel de Font-Romeu. La plus grande partie de la recette a été versée à titre de secours de guerre aux dames Alsaciennes-Lorraines rapatriées d’Allemagne où elles avaient été détenues pendant plus de quatre ans dans un camp de concentration et actuellement à Odeillo.

Joffre

Le 19 février 1919, le Maréchal Joffre est en visite à Perpignan. Accompagné du capitaine Alix du 24ème colonial, en présence du maire Denis et de ses adjoints, dans la salle des mariages de l’Hôtel de ville, le Maréchal attribue des secours à trente veuves, mères de famille de 6, 4 et 3 enfants.

« Avec sa bonhomie souriante qui lui est familière, il interroge en catalan les attributaires :

- Où est-il tombé ? ».

Et la femme lui répond en rougissant pendant que le public vit une épopée : : Charleroi… Ypres… En Champagne… Massiges… etc. « A chaque évocation, le visage se contracte, les yeux pervers, au loin, dans le souvenir » Joffre, bonhomme, caresse la joue de l’enfant et tend sa main largement généreuse à la mère éplorée.

En début de cérémonie, le maire dans son discours, après avoir informé le public que les fonds étaient limités pour pouvoir subvenir à toutes les veuves, il indique qu’on lui a rapporté qu’il y a eu des erreurs dans l’évaluation des situations, lors de la désignation des veuves récipiendaires : « qui ne fait pas d’erreur » dit-il en guise d’excuse. Et d’expliquer justement qu’une attributaire a reçu un secours par « erreur ». Cette femme de bon fond et nantie, a reversé la somme à elle allouée afin qu’on la destine à une veuve plus « méritante ». (Délibérations - Perpignan.)

Après tant de morts… ainsi va la vie !

Un vœu inattendu

S’agissant de fixer le montant budgétaire pour le projet de monument aux morts départemental. Monsieur Casteil, ne veut pas de monuments pour « nouveaux riches », d’autant que, dit-il, « nos soldats, frustes, rustiques, ne sont pas des gommeux ; […]. Pensez surtout à ceux qui ont laissé sans ressources leurs veuves et leur petits. Pour ceux-là, prodiguez-leur crédit. C’est la meilleure façon d’honorer les morts ». Monsieur Casteil propose de répartir le budget de 75000 francs déjà voté ainsi : 10 000 francs pour le comité « Monument aux morts » et 65 000 francs à allouer aux Veuves et Orphelins. Sa proposition est repoussée à 4 voix pour et 7 voix contre. Le budget initial (« subvention ») de 75 000 francs est maintenu à destination du comité. (Délibérations, 16 mai 1919).

Le Cri Catalan

Trouver des fonds d’aide ? c’est simple d’après une section d’anciens combattants. Il suffit de demander « pour les profiteurs de la guerre un traitement implacable et [de réclamer] que les millions dont ils auront à effectuer la restitution soient employés à soulager l’infortune des compagnes, veuves, orphelins de leurs victimes et les camarades mutilés » (Le Cri Catalan. 1919, à cette date de Jean Payra).

Le Cri Catalan (1919), relève que les comité de Paris de la fraternité franco-américaine s’engageait à verser aux pupilles de la Nation, suivant certaines conditions, 15 francs par mois au moins pendant un an. A cet effet le maire de Perpignan dispose de questionnaires à produire au comité en question pour être sélectionné.

Au passage, je note que Le Cri Catalan va s’emballer pour une association atypique, mais on s’y attendait (je sors un peu du sujet des veuves).

Ce quotidien « tout à fait de son avis », mobilise sa force pour lancer la nouvelle de la création de l’association en question. Celle-ci d’ailleurs est largement « affichée dans le département ». L’association a pour nom : « l’Association des Rescapés de la Guerre ». Elle va œuvrer sous l’acronyme d’« A.R.G. ». Son secrétaire provisoire est Marcel Philipot « quatre fois blessé, croix de guerre 9 citations » et titulaires d’autres décorations « glorifiantes », dont la médaille militaire bien méritée, quoi qu’en pense le titulaire.

Dans les statuts de l’A.R.G il sera dit en son article 5, entre autres objets, l’A.R.G. « adopte la formule ‘Guerre à la guerre’ et luttera contre ceux qui veulent entretenir dans le peuple le goût de la gloire conquise dans l’assassinat collectif », ce qui bien entendu situe la nature des débats à venir. Pour se faire entendre directement, son organe sera : « La voix des Rescapés ». Sa première assemblée générale aura lieu le dimanche 1er juin 1919, à la Bourse du Travail.

La coalition Républicaine - Parti socialiste - Ligue des droits de l’homme - Union des syndicats des Travailleurs – portent l’A.R.G. sur les fronts baptismaux. Est-ce que cela durera ? Qui sait ?

-o-o-o

Au fur et à mesure que le temps passe, les organismes associatifs du « monde combattant » bien connu, se multiplient et se transforment, se concurrencent dans la confusion des genres. Dans l’esprit, on ira du pur bénévolat compatissant jusqu’aux plus insidieuses actions politiques, tout en passant par l’assouvissement d’intérêts personnels, la mesquinerie et la recherche des honneurs.

En fait on oubliera et on refusera d’entendre, jusqu’à ce que le poète attristé nous dise :

« Rappelez-vous le temps où le passant civil enlevait son chapeau devant le blessé de guerre… et regardez le cas que l’on fait des mutilés et des blessés maintenant. L’indifférence se fait de plus en plus sensible, de moins en moins dissimulée. Viendra le jour où se souviendront seuls ceux dont le cœur directement atteint continue de saigner » (Albert Bausil, 22 février 1919 - Le Coq catalan).

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La Guerre est finie (71)

Les Drapeaux des 53ème, 253ème, 126ème, 24ème et 44ème RIC, défilent à Paris pour la fête de la Victoire le 14 Juillet 1919. Ils passeront sous l’Arc de triomphe, qui n’a pas encore reçu le corps du Soldat Inconnu et où ne danse pas encore la petite flamme du souvenir éternellement ranimée.

Par contre sur l’avenue des Champs-élysées, précédés des généraux vainqueurs, à cheval, les troupes toutes réunies, armées, alignées dans les rangs, au pas cadencé, salueront avec leur drapeau en tête, nos morts représentés par l’immense cénotaphe dressé majestueusement. « A nos morts !

A vous tous Morts pour la France, connus cités ici en notre devoir de mémoire et vous tous dont nous ignorons le nom ou ce que vous êtes devenus qu’« A jamais, dans le sanctuaire de nos âmes, dans la petite chapelle que vous a dressé notre fidélité vous [ayez] la lampe qui ne s’éteint pas, la flamme renouvelée du souvenir de la Reconnaissance et de l’Amour » (« Les Tombeaux reconquis » - Le Coq catalan du 12 novembre 1918).

Et enfin, les délégations et drapeaux rejoignent à nouveau Perpignan. Un foule considérable accueille en ville « nos poilus et leurs glorieux étendards » (Le Coq catalan 17 juillet 1919).

Le drapeau du 44ème RIC, lui est retenu à Paris pour être déposé au musée des Invalides, le régiment ayant été dissous en Salonique. Il y présidera avec celui des Volontaires catalans.

Octobre 1921 - « Déjà ! Il n’y a plus à ces sortes de cérémonies (*) , ni délégations des services de la garnison, ni allocutions, ni décorations funéraires. Ce qui était un hommage pieux et patriotique ne paraît plus qu’une corvée…

Comme il eût mieux valu qu’on laissât tous ces héros de la grande Guerre dormir de leur dernier sommeil dans les grands cimetières militaires…Nous n’aurions pas à constater la laideur de l’ingratitude humaine »

Mais, avec le cher poète, on n’en était qu’au commencement, jusqu’à ce « assez de cimetières » du Cri catalan du 10/11/1923, au sens ambigu. Voulait-on dire : « assez de guerre ? » ou fallait-il comprendre assez « parlé des morts » ?

(*) Concernait l’accueil en gare lors des transferts de corps.

A nos morts

« Je pense à nos morts, ne les oublions pas… Je pense à nos morts… demain, j’irai porter quelques pauvres fleurs contre la stèle de pierre grise où sont gravés leurs noms. Doucement, à demi-voix, je redirai la longue liste…

Ils ont grandi depuis les cyprès… Leur ombre austère vient chaque jour envelopper pour quelques minutes le rude granit et la plaque de marbre. Lorsque la brise les caresse, c’est peut-être d’Eux qu’ils parlent dans le murmure confus qui monte de leurs branches, balancées. Sans doute, en écoutant bien, percevrait-on des noms dans le friselis des feuilles, les noms que nous égrènerons demain… »

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(D’après un texte de Marcel Ouradou, Le Coq catalan, 31 octobre 1925)

Notes :

1)Délibération du conseil municipal, Perpignan, 13 décembre 1922. Déclaration de Jean Payra (SFIO). Il s’oppose à l’implantation au Collège des garçons, d’un monument aux morts d’expression jugée trop violente : « nous voulons bien honorer les morts, mais nous refusons d’exalter l’idée de la guerre ».

2) Général Niox « La guerre de 1870 », Ch. Delagrave Paris, 1897 - pp. 15 à 17 et 128. La défaite nous conduit à concéder l’Alsace-Lorraine. En fait il nous restera une partie des départements de la Meurthe et de la Moselle qui formeront le département de la Meurthe-et-Moselle, chef lieu Nancy.

3) Jean-Baptiste Duroselle « La Grande Guerre des Français - 1914-1918 » Perrin Paris 1994 p.75

4) Deux faits marquent la 2d Guerre Mondiale : « le génocide et le bombardement aérien systématique », d’où les pertes civiles importantes pour l’Europe (sans l’URSS) : 5% des tués de 1914-1918, pour 52% à la 2d Guerre Mondiale.« 1938-1948 – Les années de tourmente – De Munich à Prague » , Jean Pierre Azéma et François Bédarida – Flammarion - p. 164

5)Aucun document ne recense ces victimes pour les P.O. Le recensement s’est réalisé avec l’aide du Souvenir Français et celle d’anciens combattants et notamment de la Commission GAJE (Guerre d’Algérie Jeunesse) – FNACA - pour les morts en Algérie. Le site « Mémoire des Hommes », a été consulté.

6) « De tous les Méridionaux, les Catalans sont ceux qui ont comme on dit, le sang plus près de la tête, prompts à s’emballer, à manifester, exprimer avec enthousiasme et fougue extrêmes leur sympathie ou antipathie. Ce ne sont pas des défauts, ce sont des caractères de leur race », « Les carnet de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918 », Éditions La Découverte, Paris 1987 p. 25

7) Le titre complet de ce quotidien local est « L’Indépendant des Pyrénées-Orientales ». Dans le langage courant on le nomme :« L’Indépendant »

8) André Corvisier « Histoire Militaire de la France » PUF – Paris 1992 p. 262. « Tous les fils d’étrangers nés en France et qui ont entre 18 et 22 ans reçoivent automatiquement [sous quelques réserves cependant] la nationalité française, et seront appelés sous les drapeaux - Loi du 3 juillet 1917 » .

9) Délibérations du conseil municipal de Perpignan

10) André Corvisier, op. cit. p. 259

11) Ibid. p. 111.

12) Lucien Montoby, « Classe 11 – Les Anciens », Éditions du Scorpion – Paris 1962, pp. 11-12

13) « Cela doit nous suffire à nous mettre au cœur l’espérance les plus justifiées » puisque, en l’occurrence cela s’adresse aux « boches » tués par nos troupes à Verdun (L’Indépendant, 1er avril 1916).

14) « On comprendrait difficilement… que nos blessés continuent à être transportés en wagon à bestiaux » in L’Indépendant- 30 septembre 1914 - Voir article sur les défectuosités du service de santé (G. Clemenceau).

15) L’Indépendant indique à cette date 338 blessés présents dans les hôpitaux perpignanais répartis ainsi : 95 Hôpital militaire ; 115 Hôpital auxiliaire Bon Secours ; 46 École Normale de garçons (Union des Femmes Françaises) ; 92 Sacré-cœur (Secours des Blessés)

16) L’Indépendant, 1er Janvier 1915, J. Escarguel, Éditorial

17) « Ce qui dure lasse », carte postale du 19 juin 1917 d’Etienne Marot du 126ème RIT, en Tunisie, à sa famille.

18) Sa collection quasi-complète depuis sa création (à quelques destructions sauvages près) est un complément essentiel à la connaissance de la vie locale, d’où mes multiples appels à ses éditions. N’est-il pas ici, le moment de remercier les archivistes qui ont su préserver ces témoins de l’histoire ?

19) Op. cit. p. 25. Louis Barthas était membre du parti socialiste et militant syndicaliste, selon la préface de Rémy Cazals (op. cit. p.8).

20) L’Indépendant 21 octobre 1914. C’est le Service médical qui est en charge d’informer les familles et non la presse.

21) J-B Duroselle op. cit. p.80

22) La vente de l’absinthe vient d’être interdite en France tant elle fait de ravages pour la santé des Français.

23) Origine des citations de ce paragraphe : J-B Duroselle op. cit. pp.76-78

24) Cité par J-B Duroselle ibid. p.76

25) Rappel : ce jour du 19 août 1914, à la grande surprise et peine de la population, des premiers blessés de retour du front entrent en gare de Perpignan..

26) En mémoire de Jacques Ruffiandis, mon directeur d’école, « Carnets de route d’un ancien du 53e », Imprimerie de l’Indépendant, Perpignan 1936, p. 20.

27) Delvert, « Histore d’une compagnie, novembre 1915 – Juin 1916 » pp. 146-147, Berger-Levrault, Paris-Nancy Imprimé le 15 mai 1918.

28) Concernait plus spécifiquement des Méridionaux du XVe Corps (région de Marseille – Côte d’Azur), Jacques Meyer op. cit. p.32.

29) Cité par le Général Bach op. cit. p.220.

30) Cf. monographie « La vigne et le vin » Club Cartophile Catalan - 2001 (épuisé). Collectif sous la direction Louise Cornella, Simone Escudier Chiroleu.

31) Général Bach op. cit. pp 189 à 235 – (Ch. III, « Il faut une justice de terreur »)

32) Cité par Gilbert Gehin in « Wisembach, village-frontière… » Jannine. et Jean Foussereau Les amis de la Bibliothèque de Wisembach – Novembre 2002.

33) Le 14 octobre 1914. Pour cette action d’éclat le 24ème recevra la Légion d’Honneur au cours de la revue du 14 juillet en 1917, Place de la Nation à Paris.

34) Des régiments de la territoriale en formation en 1915, seront rejoints par de nos propres territoriaux catalans.

35) André Corvisier op. cit. pp 278-279 et 286

36) Jacques Meyer op. cit. p.32

37) Extrait du récit « Cadavres », 1915 ? - de Paul Vaillant-Couturier, S-Lt au 15ème RI. Publié dans Le Radical de Marseille, où il est censuré ; puis repris dans L’Humanité, et ensuite par « Bellica, n°9 », Journal de Tranchée, (secteur 140), de Cèbe et Morellet, destiné au Coq Catalan, semble-t-il.

38) Cité par Marc de Smedt in « Eloge du silence » Albin Michel - Paris 1986

39) Annette Becker, op. cit. p. 10

40) JMO, Historiques et dossiers d’officiers sont déposés au SHA de Vincennes. L’état-civil des régiments est en série F9 aux AN. Les registres matricules des sous-officiers et soldats sont stockés aux AD. Le tout avec quelques réserves pour leurs consultations. Cf. les fiches, site « Mémoire des Hommes ».

41) « La question des transferts des corps » par J-C Jauffret - « Traces de 14-18. Actes du colloque international de Carcassonne 24-27 avril 1996 », Édités par Sylvie Caucanas et Rémy Cazals. Editions « Les Audois » - site http://www.imprimerie-d3.com

42) Stéphanie Petit in « Cahier n°19, Histoire socioculturelle des armées (II) » - site http://www.cehd.sga.defense.gouv.fr/publications/cahiers (p. 184).

43) L’Indépendant n°189 - 8 Juillet 1915

44) « Le Livre d’or de la 1ère Guerre Mondiale, un projet sans suite », Th Chabord Conservateur A.N., in « Revue Hist. des Armées » n°2 –1973 pp 77 à 84

45) Édité par l’imprimerie de L’Indépendant - 1924.

46) Th Chabord op. cit. p.89

47) Imprimerie Jean Marty - Concerne les personnels du collège, bureau d’administration et anciens élèves, morts pour la France, blessés, décorés, promus

48) « Bulletin départemental N° 206 – Guerre de 1914-1919 [sic] », Édité par l’imprimerie de L’Indépendant - 1919.

49) Ibid. p. 273

50) Article « In Memoriam », Le Coq Catalan n°38 de Décembre 1917

51) Code des pensions art. L492 bis. Loi –initiale - du 27 avril 1916

52) Le Coq catalan, 28 février 1921

53) In « La Grande Guerre et le Roussillon », Etienne Frenay - Perpignan Direction des Services d’Archives – 1989, p.117.

54) Ce maire, porté déserteur par son corps, a été révoqué de ses fonctions par décret du Président de la République en 1916

55) Louis Barthas op. cit. p. 30.

56) D’après une communication, (recherche au SHAT sur 24N974, de Michel Anrigot (Catalan de Paris).

57) Ces mots sont passés dans le langage romanesque - cf. le célèbre ouvrage de Darien, « Biribi »

58) Titre d’un ouvrage d’Alberto Insúsa – « Paginas de laGuerra - Por la Francia y por la libertad » Ed. Renacimiento – Madrid 1917.

59) Je me réfère et cite l’article de François Francis de « Chanteclair », Organe des Combattants Prisonniers de Guerre des P.O. n° 34-35, 1968, p. 3

60) Extraits de « Chanteclair » Ibid.

61) Voir la stèle actuelle au stade Aimé Giral.

62) J-C Jauffret op.cit. - Pour les conditions générales des relèves et des retours des corps se reporter ici, au précédent chapitre.

63) J-C Jauffret op.cit

64) Stéphanie Petit , op. cit. p. 183.

65) Extrait. Texte sur la nécropole de Flirey, site « http://perso.wanadoo.fr/jmpicquart/Cimnecrop.htm ». On y confirme que les regroupements en nécropole de sépultures militaires situées dans des cimetières communaux durèrent jusqu’en 1936. Les exhumations s’arrêtèrent en 1936

66) En Ariège 10,89 % des corps ont été restitués aux familles : « C’est peu quantitativement et beaucoup sur le plan symbolique », J-C Jauffret op. cit.

67) Sauvegardons l’anonymat. Par respect gardons le nom de glorieux soldat en notre mémoire. La paix est venue pour tous. L’erreur est humaine.

68) Joseph Fons, extrait de « Bouquet Triste », in Le Coq catalan 12 novembre 1918.

69) Stéphanie Petit, op. cit. p. 186.

70) René Remond op. cit. p 50.

71) Concernant la Seconde Guerre Mondiale et ce qui s’en suit pour les P.O., cf. « L’histoire des Catalans », p.322, Michel Bouille et Claude Colomer, Ed. Milan ,Toulouse 1990 – En médiathèque de Perpignan.