Chapitre III : Mourir à la Guerre

Le prix de la liberté

La mort donnée

La mort venue

Le corps outragé

Corps perdus

Corps rendus

Pour la mémoire

« La guerre est une consommation d’hommes,

je ne peux rien y changer »

Georges Clemenceau (1)

Le prix de la liberté

Après l’organisation chargée d’activer le processus guerrier, nous en arrivons au cœur de l’étude, c’est à dire à l’ultime conséquence de la mise en œuvre de ce processus : la mort donnée au combat.

Le thème ramené aux morts pour la France, concerne essentiellement la Grande Guerre, car « la première guerre mondiale a mis la brutalité à l’honneur» (2). C’est le nombre de morts qui heurte la pensée (dans notre département environ 8/10e de nos morts pour la France relèvent de la guerre de 1914-1918). « Si la mort ne laisse pas place à l’indifférence, la mort de masse marque à jamais l’existence des générations rescapées. » (3). On sait par ailleurs, que des historiens font des recherches sur les liens entre la guerre et la mort « pour la plupart centrées sur le premier conflit mondial » (4) ? Tout ceci conforte notre intérêt porté ici à cette effroyable guerre, devenue incompréhensible en ce temps d’amitié entre peuples d’Europe. Cela n’empêchera pas notre compassion envers les victimes survenues au cours d’autres conflits car en soi, un mort est un mort, et toujours un mort de trop.

Au sortir de la Grande Guerre, notre regard ne peut pas se porter uniquement sur la mort des combattants à proprement parler. Le front ne sera plus circonscrit à une seule zone longeant une ligne matérialisée par des suites d’enchevêtrements de tranchées, avec des adversaires rigoureusement face à face. Rarement se retrouvera cette imagerie d’Épinal où un combattant étreint son arme, grimpe sur le parapet de sa tranchée en s’écriant : « A l’assaut ! En avant ! ».

D’autres images vont se superposer à celles du mort au combat. Elles montreront une autre détresse, celle de victimes civiles de guerres et d’exactions de toutes sortes. Ce seront les exterminations massives systématiques de populations ; des bombardements d’avions et d’artilleries aux destructions gigantesques (Dresde) ; ce sera l’effet dévastateur du lâcher de bombes atomiques sur le Japon.

Encore une fois on espère la fin des hécatombes mais la folie des hommes ne cesse pas ; la guerre est toujours présente. Le nombre des victimes est de plus en plus important dans la société civile alors que régresse la mort directe du combattant. Cette situation est déjà évoquée. J’en ai donné quelques explications. Malgré l’ampleur du malheur dans ces populations civiles, il ne m’appartient pas ici d’aller plus avant dans l’analyse sans négliger le fond de mon sujet d’étude. Je garde toutefois la faculté d’exposer des témoignages pour leur valeur d’exemple dans la défense de la liberté commune.

Au sujet de la liberté, j’ai indiqué ma conception : celle de conduire ma vie selon mon « intime conviction ». J’ai bien conscience d’avoir reçu cette liberté en héritage, léguée par ceux qui justement l’ont défendue au péril de leur vie. Elle a donc un prix payé par ces ancêtres : le prix d’une jeunesse immolée aux guerres du moment. Peut-être aurait-il pu en être autrement ? De toutes façons, comme le déclarait John Fitzgerald Kennedy : « le prix de la liberté est toujours élevé » (5). Un prix élevé payé par nos soldats pour notre « liberté chérie » chantée depuis des temps d’amour pour la patrie.

Cependant, je n'aurai pas la naïveté de croire que les engagements au nom de la patrie pour que vive la liberté, se soient réalisés de manière uniforme : sans cas de conscience, sans hésitation, sans abandon, sans angoisse, sans peur, sans refus pour certains, car effectivement le prix à payer pesait durement sur la vie des appelés au combat. J’en tiendrai compte dans l’évaluation des sacrifices consentis par les uns et par les autres.

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La mort donnée

« De l’enfer, comment s’évade-t-on définitivement ? Par la mort, c’est le plus courant. Par la blessure, quand on atteint le poste de secours et qu’on en sort vivant » (6)

Il y a de multiples manières de recevoir la mort et de la donner. A l’analyse, on se rend compte que la souffrance physique du combattant, celle qui précède une mort éventuelle, est rarement le fait direct d’un combattant, plus ou moins pervers, avide de sang (je rappelle toutefois l’existence d’actes de torture dans toutes les guerres, de génocides de grande ampleur, qui dépassent le combattant tel que je me l’imagine). Comme le suggère Norton Cru (Cf. op. cit. p.27), dans la lutte, l’un des adversaires frappe avec ses moyens (armes individuelles ou de masse, artillerie par exemple) pendant que « l’autre courbe le dos » jusqu’à ce que la situation s’inverse et ce tant que dure la guerre.

Or, comme déjà noté par ailleurs, la mort est donnée par les hommes avec leurs armes. A partir de ce postulat, je me dois de distinguer ce qui est l’action directe d’un des adversaires (un combattant agissant avec son arme à feu) de ce qui, au contraire, n’est pas de son fait, d’autant que la guerre n’est pas vécue de la même manière qu’on soit ici ou qu’on soit là, et donc des conséquences qui en découlent pour le combattant.

Guerre de mouvement

(« celle du début : la retraite, la Marne , la course à la mer, comme celle de la fin du printemps 1918 jusqu’à l’armistice »)

« Il est toujours resté, chez ceux qui avaient fait la guerre du début, celle ‘en musique’ et en plein champ, une sorte de mépris pour ceux qui n’ont connu que la guerre de tranchées : ‘T’es là comme une punaise, t’attends qu’on t’écrase. Là-Bas t’avais tout, ici t’a rien (Cazin.) ».

J. Meyer, « La vie quotidienne des Soldat pendant la Grande Guerre » Hachette, Paris 1966 p. 294 – Cf. ci-après encart « Les Grandes offensives ».

La mort « indirecte »

Maladies

La mort reçue peut être consécutive à une maladie infectieuse (tuberculose, typhoïde, grippe espagnole (7), paludisme, dysenterie, autres maladies tropicales, etc.). Celles-ci ont fait bien des ravages dans nos rangs en Occident comme Outre-mer. Bien entendu, la situation variait en fonction des conditions d’hygiène de vie et climatiques. Venaient s’ajouter la précarité de l’habitat et l’inadaptation des équipements pour protéger des intempéries. D’où, pendant la Grande Guerre, par exemple, toutes sortes de vêtements hétéroclites dont se couvraient les Poilus, confinés dans l’humidité de leurs abris creusés à même les parois des tranchées.

25 mai 1915 aux Dardanelles : « L’été a surgi, avec son invasion de mouches, de moustiques, de puces, de rats, de cafards aussi empoisonnants que les Turcs […].L’été apporte la dysenterie, qui coupe bras et jambes et vous vide, à tous points de vue, souvent mortelle d’ailleurs » (8).

Blessures

Toute blessure reçue dans les conditions d’hygiène difficiles dues aux combats était susceptible d’infection. Celle-ci aggravait très rapidement la situation du blessé, et entraînait une mort à plus ou moins brève échéance si les soins n’étaient pas prodigués rapidement – penser à la gangrène, au tétanos à la septicémie et autres infections – La gravité de la blessure en elle même n’était pas forcément en cause.

Par contre, si des organes vitaux étaient atteints, hors le risque d’infection, on comprend bien que la chance de survie dépendait de la rapidité et de la qualité d’intervention des services de secours de première urgence, et en deuxième lieu de la chaîne médicale.

Il est arrivé que le blessé prisonnier n’ait pas reçu les soins faute de volonté ou de moyens pour ce faire, au point d’en mourir.

Quoiqu’il en soit, la chance de « s’en sortir » diminuait en fonction de la masse des blessés qui, elle, augmentait après une bataille, telle celle de la Somme en 1916 (avec Foch et Fayolle).

On peut noter au titre de « blessure ayant entraîné la mort de manière indirecte » tout ce qui résulte d’usage de gaz (première utilisation sur notre front à Ypres, le 22 avril 1915), de brûlures, mort qui peut intervenir à terme, bien après la cessation du conflit.

[Les blessés hospitalisés à l’intérieur du territoire se répartissent ainsi en 1924, par : projectile d’artillerie, 60,2 % ; balle, 33,9 % – grenade, 2,1 %- éboulement de tranchée par bombardement, 1 % - armes blanche, 0,3%. (9)

Cette dernière donnée va dans le sens de la prise de position de Norton Cru qui s’insurgeait contre les « idées reçues » au sujet des « assauts à la baïonnette » (10), aussi confirmé par ailleurs : « La charge à la baïonnette, telle que les journaux la racontent, est une légende […]. Pas de baïonnette ! Pas de poignard ! » (11).

En outre, bien noter les conséquences de l’artillerie par rapport à l’ensemble des autres armes réunies].

Mort provoquée

Parmi la mort provoquée volontairement, on comptera les suicides par exemple et les accidents fortuits. La mort provoquée dans la « négation de l’humanité » lors de génocides organisés ou commandités (Exemple, le génocide Arménien par les Turcs, 1915-1916), est la conséquence d’une incitation à la haine plus que d’un fait de guerre à proprement parler (tel que je le conçois ici).

Erreur tragique

La mort donnée par son camp (par erreur) est la plus difficile à admettre. Nous savons qu’il n’est pas de situations idylliques. En guerre, en dehors des risques inhérents aux défaillances humaines et matérielles, il est un risque qui relève du combat lui-même, aggravé par la rapidité avec laquelle évoluent les troupes sur le terrain. C’est un lieu commun que de parler du manque de coordination ou de communication entre l’infanterie et l’artillerie, qui ont entraîné de multiples catastrophes mortelles pour bien des fantassins sous le feu des leurs ; ces derniers persuadés de les soutenir dans leur progression ou au contraire les protéger dans leur retraite.

« Nous vîmes des milliers de fantassins qui portaient un grand carré blanc cousu dans le dos […]. Les vagues d’assaut se trouvaient ainsi marquées pour l’artillerie, qui risquait moins de tirer dessus. Mais nous savions bien, nous, qu’il ne suffit pas de savoir où l’on veut tirer pour tirer précisément. » (12)

Peut-on parler de mort donnée « par inadvertance » ? Non ! c’est parce qu’« on n’a pas le temps ni de réfléchir ni de se plaindre, il faut tirer, tirer sans interruption » semble dire le Capitaine Pastre, artilleur (13). Tragédie ! ai-je dit !

Notons que des décès interviendront bien après la fin des hostilités (14), sans que forcément les intéressés ou leurs familles reçoivent la reconnaissance due par la nation. Morts séquelles de blessures anciennes ou de maladies contractées au front (ce que montre l’étude des registres matricules déposés aux ADPO- série 1R, dépouillés par nos soins). Nous pourrions penser par exemple aux tuberculeux, au gazés, aux grands blessés, tous les mutilés, amputés ou défigurés, ébranlés dans leur vie familiale, atteints dans leur psychisme outre l’handicap physique synonyme de souffrances.

Souffrances souvent méconnues ou non reconnues, par l’entourage, par le secteur professionnel et médical (« discours médical, enclin à nier ou à méconnaître la douleur…plus qu’à y répondre ») (15), sinon refusées par l’invalide lui-même dans un combat inégal.

Quant à l’État, ne serait-ce qu’au niveau des indemnisations du handicap, ne parle-t-on pas du « sentiment de trahison, dont les invalides de guerre s’estimaient victimes » ? d’où d’ailleurs l’ampleur du « mouvement associatif qui s’érige en un soutien moral et matériel [des invalides] en tentant d’assurer la continuité de la solidarité connue sur le front » (16) ?

Mon classement en morts « directes » ou en morts « indirectes » ne préjuge pas de l’attribution de la mention « Morts pour la France » qui peut être attribuée à telle personne tuée, victime de « faits de guerre ». Ceci relève d’une décision de l’Administration centrale en application de la législation (17) en vigueur, rappelée ci-dessous quant aux ayants droits (cf. aussi notre tome I op. cit.).

« La mention ‘Mort pour la France’ est accordée en vertu des articles L 488 à L 492bis du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. La mention ‘Mort pour la France’ peut être reportée sur tout acte de décès et tout acte d'état civil. [Cette ‘suprême récompense morale nationale’ (Guide 1964 du Min. ACVG, p. 222)] est accordée à :

- un militaire des armées tué à l'ennemi ou mort de blessures de guerre ;

- un militaire décédé de maladie ou lors d'un accident survenu en service ;

- un marin du commerce victime d'événements de guerre ;

- tout personnel soignant, hospitalier et religieux ayant succombé à des maladies contractées au contact des blessés ;

- toute personne décédée en combattant pour la libération de la France ou en accomplissant des actes de résistance ;

- toute personne exécutée en raison de sa résistance à l'ennemi ;

- tout otage, prisonnier de guerre, personne requise par l'ennemi, déporté, réfractaire exécuté par l'ennemi ou décédé en pays ennemi des suites des mauvais traitements, accidents, maladies, contractés et aggravés lors de sa captivité ;

- toute personne décédée des suites de violences constituant une suite directe de faits de guerre ;

- tout membre des forces de maintien de l'ordre (gendarmerie, garde mobile, compagnie républicaine de sécurité), et tout élément engagé ou requis tombé en service commandé à l'occasion d'opérations de maintien de l'ordre en dehors du territoire métropolitain.

La mention MPF pour les militaires a été instaurée par la loi du 2 juillet 1915 avec effet rétroactif pour le début de la guerre. Pour sa part, la mention MPF pour les victimes civiles a été instituée par la loi du 28 février 1922 avec effet rétroactif pour le début de la guerre. » (18) (Extrait du site Internet, SGA - Mémoire des Hommes – Fichier des Morts pour la France - 2004).

La mort « directe »

« Jusqu’en 1870 moins de 20% des morts militaires étaient directement provoquées sur les champs de bataille. En 1914 cette proportion était inversée » (19).

La mort « directe », est celle qui est donnée par une arme brandie par un (ou des) combattant contre son adversaire où qu’il se trouve. Dans ce cas la victime reçoit un projectile ou partie de projectile, qui provoque la mort immédiate ou à très court terme en cas de blessure qui devient alors « mortelle », comme le dit la formule officielle.

Nous sommes au cœur de la guerre. C’est le moment où le combattant applique la dure loi de la guerre dans des gestes ultimes. Chacun fourbit ses armes de mort. Elle va être donnée pour sauver sa vie dans un combat d’homme à homme, mais pas forcément dans un corps à corps. Je dirais même que rarement le combattant se trouve en présence de son ennemi dans un face à face mortel. La mort est le plus souvent donnée de loin, de manière anonyme. D’ailleurs l’expérience malheureuse montre, dans les guerres classiques, des vies détruites en masse, au hasard, dans une parfaite ignorance de ceux qui les provoquent, en usant de projectiles de toutes sortes, de tous calibres, de tous effets mortels, sans aucun état d’âme.

« Il est rare que l’ennemi nous apparaisse en chair et en os, bien que seule nous en sépare une mince bande de champ labouré tout au plus.[…] Nous en arrivons presque à oublier que nous nous battons contre des hommes. L’hostilité se manifeste en déployant une force gigantesque et impersonnelle, comme une destinée assénant des coups de poings aveugles »

La guerre déclenchée, effectivement il n’y a plus d’état d’âme même si, nous dit-on, il est des moments privilégiés de fraternisation, bien illusoires par la suite. Que nous le voulions ou non, l’objectif est bien « l’anéantissement total de l’adversaire » (20), c’est la terrible loi de la guerre, sans que pour autant se manifeste la haine de l’adversaire. Pendant la Grande Guerre, d’après André Ducasse, « la haine tomba vite chez les combattants, ou du moins chez les fantassins, en contact plus étroit avec l’ennemi » (21).

La haine ne doit pas être le « moteur » de la guerre. Sans parler des fanatismes exacerbés et aveugles qui l’érigent en principe ou des volontés sadiques pour exercer des actes barbares, c’est la rage de vaincre plus que la haine qui anime le combattant. Dans cette ardeur peut-être, à la limite, sera-t-il conduit à commettre des abus regrettables et condamnables par les lois internationales.

Donner la mort

Je considère trois manières de donner la mort avec intention : par armes individuelles, armes légères et maniables ; par armes collectives, un peu plus lourdes, mais encore transportables à dos d’homme ou de mulet, en général en plusieurs parties démontables, servies par une équipe de soldats (section - escouade). Dans ces deux cas l’adversaire visé est relativement à proximité du combattant tireur. Et par armes de destructions massives, tel les canons d’artillerie lourde et très lourde, sur terre comme sur mer, ou les aéronefs ; pensons aussi aux torpillages par sous-marins ; puis viendra l’avènement des chars de combat armés de mitrailleuses et de canons puissants pour des tirs à distances appréciables.

Armes individuelles

[Je ne considère pas les agressions relativement peu courantes à l’arme blanche, (poignards, baïonnette) ni celles au lance-flamme (22), qui relèvent de troupes spécialisées (sections d’assaut, commandos, équipes de « nettoyage » etc.)]

Au plus bas de l’échelle, la mort est donnée avec une sorte de simplicité tout en semant la terreur et l’horreur. Les armes individuelles : le fusil, le mousqueton, le revolver, le pistolet, la grenade, y suffisent. Le geste est simple pour le soldat face à l’autre soldat prêt, lui aussi, aux gestes simples pour donner la mort. Mort d’un inconnu dans la ligne de mire du tireur d’élite. Au fusil, viser, arrêter sa respiration pour éviter le moindre mouvement de l’arme, tirer en appuyant progressivement sur la détente… Et malchance pour celui qui, inconscient du danger se trouve dans le collimateur, à l’autre bout de la ligne de mire.

Je dis malchance car, si en théorie il est simple d’user de son arme, en réalité il est bien difficile de disposer du temps et de la sérénité nécessaires pour ajuster posément son tir sur une cible mouvante, alors que des obus tombent autour de soi. Par ailleurs, la cible en face, au contraire, ne facilite pas les choses, elle cherche par tous les moyens à échapper aux vues ennemies.

[Cette incertitude - atteindre son ennemi et le submerger, avec toutes armes confondues - conduit normalement à rester sur le qui-vive sans pour autant que le feu des armes fasse rage sur l’ensemble du territoire en guerre. Il est des moments où la guerre laisse des répits aux combattants. Norton Cru nous donne un exemple : « Verdun très actif en 1916, par périodes en 1917, fut paisible le reste du temps » (op. cit. p. 30). Donc, si la mort intervient hors les périodes de grandes tensions, elle n’est le fait que d’actions ponctuelles, de coups de main ou de tireurs (ou d’attentats) isolés. Le risque de mort reste conséquent dans la mesure où la vigilance s’atténue avec le calme revenu. Ce que savent bien les adversaires.

A l’inverse, il ne faut pas s’imaginer que des tonnes d’obus déversés puissent anéantir l’adversaire. Des hommes resurgissent toujours des pires déluges de feu (23). Ce que montre la bataille de Verdun d’ailleurs. Les multiples trous d’obus, les entonnoirs dans un paysage lunaire, ont servi au contraire à protéger assez de nos combattants pour résister à l’offensive initiale des allemands qui pensaient occuper le terrain sans coup férir, après un tel déluge de feu].

Armes collectives

Le comble de la mort en face donnée aux hommes se trouve dans l’emploi des armes collectives. J’ai du mal à imaginer ces assauts contre les mitrailleuses ou les fusils-mitrailleurs. Mises en batterie, en « tirs croisés » sur des vagues d’assaut à découvert, on est à la limite de l’impossible combat. Comment franchir un passage devant la nuée de balles qui s’abat autour de soi en cadence continue ? Quel courage doit-on déployer pour aller de l’avant sur un terrain lunaire ? Et de combien de morts paye-t-on pour le gain de quelques mètres de terrain, d’ailleurs vite repris par des contre attaques ennemis ? L’hécatombe n’est-elle pas prévisible ? Cette mort quasi certaine, n’est-elle pas la plus sublime, hors le romantisme qui l’entoure en littérature ?

« Nous avons tenté une attaque, mais elle nous a mal réussi ; ils ne sont pas très nombreux contre nous, mais ils ont des mitrailleuses bien postées et, à mesure qu’on sortait des tranchées, ils nous fauchaient et vous pouvez croire si on y est rentré de nouveau dans les tranchées, on sonnait assez la charge mais personne plus n’a voulu marcher » (24).

« ‘Ils nous fauchent avec des mitrailleuses’, dit mon voisin, qui, l’instant d’après, ne se relève pas. Encore un bond !…l’ennemi qui nous mitraille est toujours invisible. Nous n’avons pas encore tiré un seul coup de fusil. Nous ne sommes plus qu’une dizaine… J’entends tout près les moulins à café ennemis : tac-tac-tac-tac… les balles ruissellent. L’air est sillonné de grincements, de crissements, de sifflements, de bourdonnements, de hululements : c’est un vrai vacarme ! A chaque balle qui claque, je pense c’est pour moi… Je songe à mes parents, à tous les êtres chers… » (25).

Les destruction massives

Dans nos guerres, à terre, outre l’artillerie légère et maniable de proximité (« canons à tir courbe et de courte portée », « les crapouillots » (26) ou mortiers), se trouve l’artillerie portée sur véhicule, ou tirée par chevaux, ou roulée sur rail, sur char de combat (les « blindés »), ou statique en forteresse etc. ; et encore, l’aviation venue de loin pour larguer ses bombes ou les bateaux en mer à canons embarqués, ou sous-marins aux lanceurs de torpilles. Leurs effets sont la destruction en masse d’installations et de villes pour désorganiser et démoraliser l’adversaire. Bien entendu il s’agit autant que possible de provoquer l’hécatombe humaine chez ce dernier qui est souvent dans l’incapacité de se protéger efficacement. Petit à petit s’instaurera la désespérance pour les populations civiles et la démoralisation des militaires touchés par la mort des leurs.

[Concernant l’artillerie j’ai relevé (27) une quinzaine de types de tirs différents effectués par tel ou tel type d’artillerie, afin d’obtenir un effet particulier « à l’arrivée » chez l’ennemi, effet lié au but tactique envisagé dont la préparation de l’attaque de nos troupes. Par exemple s’agissant de l’offensive Nivelle de triste mémoire : la préparation d’artillerie précédant l’attaque française du 16 avril 1917 est censée réduire les défenseurs à néant par des tirs d’anéantissement et de destruction. Elle durera huit jours. Le général disposait, sur 40 kilomètres de front, de 5 310 canons. Sa dotation de 7 jours de munitions pour les troupes françaises impliquées dans son offensive représentait 26 149 wagons soit 849 trains !

Dans un autre cas, lors de l’offensive réussie du Chemin des Dames (23 octobre 1917), il sera tiré en six jours : deux millions de coups de canon de 75 mm et 850 000 obus de gros calibres.]

Les grandes offensives

(« à caractère exceptionnel » dit Jacques Meyer, mais combien meurtrières ).

Devant les préparatifs de ces batailles de géants, les « ‘habitués’…confiaient à ‘des gars de l’arrière’ papier, argent, bijoux, et surtout la lettre d’adieu à la famille ‘pour si on devait y rester’. Après quoi ‘on y allait, puisqu’il le faut’

… Jours terribles où seule la chance permettait de passer au travers, [qui] ont laissé le souvenir d’un choc inoubliable : les obus de barrage qui éclatent devant … puis derrière vous, si on a pu traverser la zone meurtrière, une mitrailleuse qui empêche d’avancer, des hommes qui se terrent puis repartent, les grenades que lancent les défenseurs acculés, un ami qui tombe, un cadavre sur quoi l’on bute et toujours au milieu du danger, la fatigue, la faim, la soif. » (op. cit. pp. 294 et 295)

On constatera des morts données par « éclats d’obus », éclats de toutes sortes, par exemple billes ou simple morceaux d’acier aux arêtes acérées, résidus d’obus fragmentés par éclatement qui déchiquettent les chairs, tranchants comme des lames de rasoir. A moins que les cadavres ne gisent, asphyxiés sous les décombres d’installations, ensevelis dans les tranchées de combat par exemple. Ou peut-être sera-t-il un monde de carbonisés par les lâchers de bombes incendiaires, sans ignorer les effets de gaz de combat, de noyades en mer consécutives aux naufrages de bateaux .

L’explosif, du type contenu dans les obus et bombes, peut être utilisé par des individus aux intentions belliqueuses pas toujours bien définies (attentats). En 1914-1918, il pouvait être déposé dans des creusements, les fameuses « mines » spécialité des gens du Génie, situés sous les tranchées où se terraient les hommes pataugeant au-dessus dans la boue, assaillis par la vermine et les rats.

Bourrage de crâne ou la vie de tranchée racontée par un général : Les principaux ennemis du Poilu : « La chaleur, le froid, la pluie, le vent… Les projectiles tombent parfois dans la tranchée. C’est pénible, il faut alors reconstruire les parapets, mais pas dangereux. Pas d’éclats, pas de coups directs, pas de blessés, pas de morts, pas d’hommes ensevelis dans leurs terriers » (28).

Censure -Texte du 26 décembre 1915 : « Le Poilu, c’est l’homme qui voit, entend, devine la mort accourir vers lui. Et la mort affreuse, la mort sans beauté, la mort sanguinolente et douloureuse, la mort au fond d’un trou. C’est l’homme qui pendant une demi-journée, une journée, deux journées complètes, demeure immobile accroupi dans un boyau en butte à l’artillerie ennemie qui peut le carboniser, l’asphyxier, le rendre fou, le décapiter » (29).

Condamné à mort

Le temps a passé et il est admis de revenir sur la tragédie des fusillés pour l’exemple de la Grande Guerre, résultat d’une justice militaire « de fer » dès l’engagement avec l’Allemagne ; et sur celle des mutineries de 1917, aux causes multiples, bien que reçues comme étant les conséquences directes de l’offensive catastrophique du général Nivelle (« Le remous soulevé dans l’armée et dans le pays par une brusque succession d’espoirs insensés et de désillusion totale allait provoquer la plus grande crise de toute la guerre » (30)).

Pour la bonne compréhension de ces épiphénomènes (portant en soi, un certain degré de gravité tout de même), comme le note le général André Bach, «il [n’est] pas pertinent d’associer mutineries et répression, cette dernière ayant été plus féroce au début de la guerre qu’après l’offensive du Chemin des Dames » (31).

En tout état de cause, selon sa sensibilité (politique ou/et sentimentale) chacun a construit son martyrologe et fait en sorte que teinte sa cloche au plus fort afin de couvrir le son de celle des autres. Mais la sérénité revenue, du moins je l’espère, il me semble pertinent de rappeler que des hommes, pour de multiples raisons plus ou au moins avouables sont allés, au péril de leur vie, à contre courant de ce qui était considéré comme « de bon droit » à l’époque.

A présent, que nous le voulions ou non, je retiens le fait : ces condamnations à mort ont eu lieu. Il n’y a aucune raison de les occulter, car ces morts, ne sont-elles pas à mettre au compte de l’absurdité des guerres mêlée à une sorte de fatalité suggérée par Alain : « dès que vous acceptez la guerre, vous devez accepter cette méthode de punir » (32). A moins qu’il ne s’agisse de lâcheté, pour résumer la tendance d’une pensée contraire ? Lâcheté ? « Ce mot a trop servi dans le conflit [1914-1918 ] pour qu’il ne soit pas regardé […] avec suspicion » (33).

En tout cas, même s’il est acceptable d’accorder notre pardon aux soldats « perdus », notre clémence ne devrait pas s’adresser à ceux d’entre eux qui auraient trahi leurs frères d’armes en faisant le jeu de l’ennemi.

Cette réserve faite, je sais bien que pour qui commande des hommes à la guerre, « il est plus dur de mettre à mort trois hommes de sang froid que d’en voir tomber cinquante sur le champ de bataille » (Général Bach op. cit. p.313).

Peut-être devrait-on adhérer aux sentiments du brancardier de la Grande Guerre, Leleu : « … je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays… j’ose m’incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé par là ».

Alors ? Sont-ils morts pour la France ? N’était-il pas significatif que la musique jouait parfois, après la cérémonie tragique, l’hymne « Mourir pour la patrie » ? (34).

Une condamnation à mort

Mailly - « 24 octobre 1916 – Il pleut… On nous rassemble, tout le bataillon, sur le terrain d’exécution pendant que les autres régiments de la division arrivent. Nous devons assister à une nouvelle exécution *, celle-ci est révoltante. Je ne comprends pas que les hommes se prêtent à être bourreaux contre leur conscience. Je le dis à l’adjudant T. qui me répond que je serais bien forcé de faire comme les autres si on me désignait. ‘Non ! car je pourrais toujours tirer à côté’.

Du fourgon descend le condamné assisté de l’aumônier. Quel courage ! pendant qu’on lit la sentence et l’on procède à la dégradation ! Courage sans cynisme ! Il fume une cigarette, la poitrine découverte. Au poteau d’exécution, on ne lui bande pas les yeux et il continue de fumer avec un air de dédain et un mouvement de pardon. Sur le geste du chef de peloton, les fusils des coloniaux crépitent, et, comme un sac dégonflé, leur camarade s’affaisse. Suivant le mode rituel, le sous-officier tire le coup de grâce avec son revolver. Je ne saurais faire ce geste. Mort en lâche ? cet homme condamné pour abandon de poste ! Non, engagé volontaire pour la durée de la guerre dans la coloniale, son esprit fort a souvent dû être utilisé mieux que celui de Messieurs de la Prévôté.

L’exécution terminée, les régiments défilent devant le corps du supplicié. D’autres manifestations comme celle-ci feraient vite tomber le moral des Poilus, et nous ne pouvons que retenir le pardon de la victime qui semblait dire : ‘Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font’ » (35).

* Le narrateur avait déjà assisté à une précédente exécution le 17 octobre – Il s’agissait d’un sénégalais qui avait tué un de ses camarades. Un « spectacle pénible. Un sauvage que l’on attache à genoux et qu’on fusille les yeux bandés ».

Comme le prévoyaient les consignes officielles, dans ce cas présent, sur la liste destinée à informer la famille du décès, on aura porté la mention « indigne » en face du nom du militaire « ayant trouvé la mort dans des conditions déshonorantes » (36).

Les sépultures ne devaient porter aucun signe funéraire – Ce qui n’empêchait pas leurs camarades de fleurir leur tombe, et encore plus tard les ancien combattants et les mouvements pacifistes (37).

Dès la fin de la Grande Guerre, on s’inquiétera d’amnistier certains délits militaires : loi du 24 octobre 1919 « largement remaniée dans un large esprit d’humanité » par celle du 29 avril 1921, encore insatisfaisante aux yeux des anciens combattants, qui demandaient (38) à ce que soit amnistiée la désertion devant l’ennemi (39).

Disparaître

Et la mort se complique par le fait de disparitions souvent inexpliquées de beaucoup de soldats : « les disparus » les appelle-t-on (40). Disparitions difficilement acceptables (41) par les familles qui voudraient bien faire leur deuil ; disparitions à terre, disparitions dans les airs, disparitions en mer par noyade.

Les disparitions très fréquentes à la suite, par exemple, des bombardements ou bien dans des embuscades, sont les énigmes des guerres. Qu’est-il advenu des disparus ? Quel a été leur sort ? Sont-ils réellement morts ? A moins qu’il ne soient prisonniers et non rendus ? Au pire, ont-ils été torturés et assassinés ? Reste-t-il quelques espoirs de les revoir revenir un jour ? se demanderont les familles.

1927 – Discours d’inauguration de la première partie du monument de Douaumont par le député – maire de Verdun, M. Schleiter : « Lorsqu’on visite nos grands cimetières de la région on est frappé d’une angoisse particulière […] on sait que 400 000 bons enfants de France sont tombés devant Verdun, et on ne trouve pas 100 000 tombes dans ces cimetières, même en y ajoutant mentalement ceux que réclamèrent leurs familles. Et une douloureuse émotion vous étreint à l’horrible pensée qu’il ne reste rien des 300 000 jeunes hommes disparus, anéantis dans le cataclysme, volatilisés dans la mitraille […] d’une armée entière il ne subsiste que quelques ossements épars et anonymes » (42).Et, comme l’écrira Roland Dorgelès en 1949, « trois cent mille disparus dont les familles ne sauront jamais rien » (43).

Il est encore une catégorie de mort des plus horribles où le corps est déshumanisé. Lors de la Grande Guerre, une multitude d’hommes situés au centre du feu des explosions seront déchiquetés, comme désagrégés. Ils n’apparaîtront plus que par lambeaux impossibles à rassembler par les camarades horrifiés. Parfois leur identité sera effacée faute d’indices pour les nommer, malgré les plaques d’identité à présent adoptées. Ils seront considérés comme disparus à tout jamais. N’est-ce pas là le pire outrage : ne pas pouvoir pleurer le corps absent ?

La mort venue

A la porte de la mort

Je sais et je comprends. Il m’appartient de ne pas oublier nos Morts pour la France et de ne point trop les pleurer. Mais je ne m’abstiendrai pas de donner à comprendre ce que furent les morts pour la patrie telles que reçues dans leur réalité, sans pourtant entrer dans la description morbide pour le respect de leur corps suffisamment outragé ; et ce, sans appel aux discours emphatiques et aux philosophies lointaines déjà évoquées. Je veux dire le moment où l’homme nu, avec ou sans grade, hors ses citations « toujours décorations glorieuses » (44), s’est présenté à la porte de la mort. Peut-être là, n’était-il pas ceint de l’auréole des héroïques tel que le discours le donne à penser, au moment où, pour lui l’heure de vérité sonnait.

Je dois être clair : la mort au combat n’a rien de romantique, n’en déplaise aux littérateurs de guerre aux mots apaisants pour la douleur des familles.

Je ne conteste pas la folie ou le courage (où est la limite ?) des hommes à « foncer » vers la mort donnée de face sous le tir de mitrailleuses « assassines » (45). Mais je ne peux pas ignorer la faiblesse humaine certainement présente à l’instant suprême où la vie échappe au corps meurtri, « outragé ».

Ne pleurons pas nos morts, mais comprenons leur détresse à l’instant où la « brutalité » terminait son œuvre. N’est-ce pas leur rendre hommage que de penser à eux dans ces moments où les forces les abandonnaient. Mourir pour la patrie, certes, mais c’est en homme qu’on meurt.

La mort telle quelle

Admettons les enthousiasmes inconscients (46) du « partir en guerre » de 1914. Mais ensuite ? Peut-on ignorer les massacres du début (Charleroi), ceux qui allaient rendre la guerre inacceptable, même si chacun restait à son poste malgré les voix des sirènes anarchisantes ? Non ! Tout allait changer après quelques jours de guerre, dès que la « brutalité » (47) se fera jour. Le combattant souvent face à la mort, à défaut de la subir, comme ce sera le cas pour bien d’autres, va par instinct se garder de mourir.

« Dans le tréfonds de chaque être la bête s’agitait et disait : Dépêche toi ; là-bas rien ne tombe et tu seras à l’abri […] La bête est si forte que très vite on trouve de bonnes raisons pour ne pas aller là où il y a danger » (48).

Plus tard, avec la seconde guerre mondiale et la décolonisation, ce ne sera pas différent, même si les motivations des combats se réfèrent encore à l’idée sublime de sauvegarder la patrie. Je pense plus particulièrement au Résistant mort pour la France : a-t-il réellement désiré cette mort pour la patrie alors que sa logique était de vivre et poursuivre le combat afin qu’elle soit libre ?

Malgré toutes les raisons explicatives de l’irrationnel humain présent dans l’idée de mourir pour la patrie lancée à tout propos avant le fatal instant, en vérité, l’homme aux frontières de la mort (« la faucheuse ») exprime en priorité le refus (49), car je le dis avec Maurice Maeterlinck, « ce n’est pas l’arrivée de la mort, c’est le départ de la vie qui est épouvantable » (50).

Les psychologues et philosophes confortablement installés l’expliquent. Je le sais ! Mais à présent sur les lieux des combats, je le redemande : comment concevoir de mourir dans la force de l’âge alors que la vie est à construire ? Comment accepter de quitter de plein gré ceux qui vous entourent d’amour au nom d’une idée à présent diffuse, d’un aperçu flou dans le spectre aux pâles couleurs de la mort qui se devine dans le firmament illuminé ? N’est-ce pas les visages des siens, ici, au premier plan ? Qui nous le dira, une fois parti dans l’espace des morts ? Gloire aux morts pour la France, certes ! mais ont-ils désiré une mort de la sorte ?

L’espoir de revenir sain et sauf d’une guerre qui, après tout, n’est pas du fait du combattant, semble être le plus fort. Entre le « Je meurs pour la patrie » et l’appel de détresse de ce « Maman ! » (à défaut d’en appeler à l’épouse), où se situe le plus grand nombre ? Y a-t-on réfléchi ?

Combien de fois les témoins du front, auteurs d’ouvrages littéraires, ont-ils décrit la désespérance des blessés sur le champ de bataille ravagé ? Désespérance, exprimée dans des lamentations sans cesse renouvelées, adressées à leur mère jusqu’au silence de la mort, imposée ?

« En monotones répétitions montaient et retombaient les cris des blessés qui s’éteignaient lentement entre les lignes, au fond des entonnoirs ou pris dans les pointes des barbelés.

Terribles sont les cris de ceux qui meurent seuls, lorsqu’ils montent de la ténèbre à longs intervalles, s’enflent puis s’éteignent, comme les cris des bêtes qui ne savent pas pourquoi il leur faut mourir » (Ernst Jünger op. cit. pp. 66 et 143).

Il me semble que seule la littérature de l’extrême s’en tient au mort pour la patrie, le plus anoblissant pour l’honneur du combattant et pour l’aide au deuil des familles ; à moins que ne s’exprime ainsi « le point de vue le plus viril » tel que le préconise Ernst Jünger (cf. citation chap. II) ?

J’insiste ! Bien entendu je parle du tout dernier instant de vérité dans la conscience du temps qui fuit. L’instant du fulgurant retour en arrière de la pensée sur une vie entière écoulée : un aperçu d’un coup, sans censure de l’esprit, celui-ci dans l’impossibilité de choisir son cheminement. Instant tragique d’oppression ; un échappé de volonté humaine qui oblige à se voir tel que dans son vécu. Instant-juge de l’accompli et du non-accompli. Images de tristesse, de regrets, de remords et de contrition (qui va pardonner ?). A-t-on été « homme de bonne vie » (cf. Chap. I) ?

C’est à cette extrême limite du vivant, que la question est posée par les Juges, le premier étant soi-même car la mort « est notre propre fin et tout se passe dans l’intervalle d’elle à nous » (51).

Il est inconcevable que l’homme dans la plénitude de ses moyens, physiques et moraux, imagine sa mort « pratique ». De fait, paré pour la vie, « plein de santé », serein il annoncera à qui veut l’entendre, que sa mort future sera pour la gloire de sa patrie. Pourquoi pas ? De là, je veux bien croire au mourir pour la patrie du philosophe. Rien n’arrête l’argumentation dans ce domaine ouvert à la discussion. Quel risque y a-t-il à expliquer l’insondable par le jeu des mots et des idées ? Mais, sans rien nier de ses bonnes intentions d’abnégation, au moment de nous quitter, ce combattant ne dira-t-il pas comme le tragédien : « Ils m’appellent un maître à cause de je ne sais quel prestige de ma parole et de mes pensées, mais je ne suis qu’un enfant éperdu devant la mort » (52) ?

La peur ?

Cette évocation d’une mort loin de l’héroïque me semble plausible bien qu’elle soit dite pour la patrie. Elle est la mort dans le réel du combat. Subjugués par les mécanismes et l’organisation guerrière, songe-t-on que le combattant est homme, un homme aux réactions d’homme et non de surhomme ?

Plus que par « l’esprit » accaparé dont parle Alain, le combattant face à son destin se montre sous son jour véritable au moment où sa présence est rendue effective au combat. Là, il réalise enfin ce que peut être sa fin de parcours, d’où la tempête en son for intérieur, une remise en question de son esprit préalablement conditionné. En ces instants ultimes, après avoir subi plusieurs jours de guerre, la question n’est plus de savoir s’il est admis de mourir pour sa patrie. Pour la plupart des combattants c’est la peur qui les envahit.

« Entre l’enthousiasme … et la réalité… il y a une différence fondamentale, d’un côté on rit encore, de l’autre c’est la mort annoncée » (53).

L’enthousiasme et la peur « ces deux émotions ne peuvent aller ensemble » nous dit Alain « cela pour la raison qu’ils intéressent les mêmes organes et se ressemblent plus qu’on ne croirait. Fuir ou attaquer, c’est toujours courir » (54).

Bien sûr que pris dans un groupe d’assaut, enveloppé par la présence de ses camarades de combat, l’homme, « le Bonhomme » (dénomination préférée à « Poilu » sur le front de 14) ne veut point décevoir. Il a aussi sa fierté, sa dignité. Il est bien certain que l’homme accomplira son devoir. La peur de la mort n’apparaîtra pas mais sera là, cachée au creux de l’estomac noué, la langue tétanisée dans la bouche asséchée, la gorge serrée sans un son. « A l’assaut » crie-t-on ! Comment réagir ? Rester sur place au risque d’une sanction disciplinaire ? Ou courir à la mort avec sa peur ? « Il ne faut point juger d’un homme d’après sa première peur, ni même d’après aucune peur ; car les plus braves ont peur à des moments » (55).

Qui sait de quoi est faite la peur ? Pense-t-on à donner sa vie à la patrie en cet instant de vérité ? Je répondrai : non ! car il est dans la normalité de l’homme de fuir le danger qu’il ne peut maîtriser et donc de ne pas souhaiter sa mort, quelle que soit la justification qu’on lui a donnée. A moins que, pris au piège, sans recul possible, l’instinct de conservation ordonne de ne point faiblir. A cet instant une force surhumaine survient de je ne sais où. Elle transfigure l’homme en héros capable de toutes les audaces. Du courage ? De l’abnégation ? Qu’en dira-t-on une fois l’alerte passée ? Faudra-t-il encenser ce simulacre d’héroïsme ?

Là est toute la question me semble-il puisque c’est très souvent ainsi que le combattant se confronte à la mort, plus qu’avec un désir de mourir pour sa patrie. Je crois pourvoir le dire. Après ? Après on dit ce qu’on veut. « Quant à parler de la guerre sans parler de la peur, sans la mettre au premier plan, c’eût été une fumisterie. On ne va pas aux lieux où on peut être à tout instant dépecé vif sans connaître une certaine appréhension » (56).

Et la peur sera de plus en plus présente, au fur et à mesure que durciront les ripostes de l’ennemi ; une peur qui finit par occulter le désir de mourir pour la patrie, du moins dans sa forme initiale ; une peur qui à son tour, se transforme en courage dans les moments les plus cruciaux, ceux où l’on pense sa fin proche, celui (je le rappelle) du « vaincre ou mourir »

Vainqueurs, les combattants « peuvent avouer qu’ils eurent peur et qu’ils aimaient la vie, car cette confession loin de signaler une lâcheté, souligne au contraire leur courage » (57). Est-ce à dire que vaincus, au contraire, ils auraient à taire leurs appréhensions sous le feu, leurs hésitations à sortir de leur cache ? Comme nous le savons, le sort des armes ne dépend pas toujours et uniquement du courage des combattants en présence.

[Une autre Guerre - Loin de cette guerre fratricide de 1914-1918, qu’on me permette en cette année anniversaire (2004), d’évoquer ici la guerre des « soldats oubliés », celle d’Indochine…

« De toute évidence, peu de guerres, ont été aussi inutiles », pourtant il est une nécessité celle d’« avoir une pensée fraternelle pour ceux qui se sont battus, qui ont souffert, qui ont saigné, pour ceux qui sont morts dans cette affreuse aventure. Pour les combattants, une guerre injuste (58) comporte les mêmes souffrances et les mêmes périls que les plus justes combats » (59) au même titre que ceux de nos combattants en d’autres circonstances.

Ici aussi, comme lors de la Grande Guerre, la peur tenaillait le soldat. Donnons, parmi bien d’autres, un moment vécu sur les « rives de la Nam Youm » (60), lors de « la dernière bataille menée par l’armée française » dans les conditions d’une guerre classique : Dien Bien Phû.

13 mars 1954 se produit la première offensive Viet-minh (61) sur Dien Bien Phu. Le sous-lieutenant de la Légion, Alain Gambiez, écrit à sa jeune épouse : « Pour ma part, j’ai eu un peu la frousse, et j’en remercie le Seigneur. On comprend plus facilement les autres après ». Puis il s’adresse à ses parents : « … On se demande s’il en reviendra un !… Les moines se forcent à penser à la mort dans leur cellule ; nous arrivons à y penser aussi et, malgré cela, nous avons une confiance formidable ».

23 mars 1954, Alain Gambiez, blessé au genou lors d’une attaque, est évacué par hélicoptère. Alors que ce dernier s’élève dans les airs, il est abattu par un tir Viet-minh. Retombé au sol, l’aéronef s’embrase dans une boule de feu qui emporte Alain Gambiez vers l’infinie lumière. Alain Gambiez meurt carbonisé. Il avait 23 ans. (Alain était le fils du général Fernand Gambiez, chef d’état-major du général Navarre, commandant en chef en Indochine).

Je le redis : le courage, toujours empreint de peur, ne suffit pas pour gagner la guerre, ni même une bataille. L’adversité peut aussi venir de circonstances extérieures à la volonté des combattants, simples exécutants d’une « pensée de guerre »(62) d’une hiérarchie parfois obstinée dans ses choix, ses décisions. Exemple :

Comme on le sait, le 7 mai 1954, Dien Bien Phû tombe : c’est la défaite. Une de ces « défaites qui ressemblent à des soufflets immérités » pour lesquelles les vaincus n’ont pas à baisser la tête, puisqu’ils se sont battus dans l’honneur. « Pas de reddition. Pas de drapeau blanc. Seulement un cessez-le-feu unilatéral. Les derniers combattants de la dernière grande bataille livrée par l’armée française pendant cinquante-six jours et cinquante-six nuits, sans relève, avaient reçu l’ordre du général de Castries de ne plus tirer ».

Le 25 juin 1955, le général d’armée Catroux président d’une commission d’enquête sur la bataille de Dien Bien Phû, s’adressant à de Castries (Général commandant Dien Bien Phû) dira : « On vous a donné une mission inexécutable ».

« C’est […] le général Navarre qui avait choisi d’engager la bataille de D.B.P., ce qui ne lui avait pas été imposé par le gouvernement ». (Propos du général Maurice Schmitt tenus le 21-22 Novembre 2003, lors d’un colloque Franco- Vietnamien à Paris sur la guerre d’Indochine, et rapportés par F.G. in « La Charte », Déc. 2003 p. 23).

Alors, tristesse des morts données, tristesse de l’incompréhension des hommes, de leur faiblesse…]

Le corps outragé (63)

Mise en garde

« Le spectacle de la mort violente, du corps outragé, reste toujours quelque chose de sidérant, expérience d’un intensité trouble face à quoi se défont, même si cela n’est que provisoire, la parole et la pensée. Le premier choc mis en avant est celui de l’exhibition des cadavres qu’on n’a pas pu ensevelir, ni même recouvrir d’un linceul. Habituellement soustraite au regard des vivants, la décomposition du cadavre devient visible et l’on voit ce que l’on a rarement vu et qu’on ne devrait pas voir.

Le cadavre putréfié de 1914 n’est pas une œuvre d’art offerte à la méditation des vivants. Il s’impose dans sa réalité innommable » (64).

Il est bien difficile de parler de la souffrance des hommes en guerre. Il est encore plus difficile de parler de leur mort, de leurs derniers instants. Comment ne pas froisser les sentiments d’humanité avec un vocabulaire de guerre qui se veut « viril » ? Comment dire avec tranquillité l’inacceptable ?

« Il y a des obstacles de toute sorte à l’écriture […]. D’emblée je veux éviter, m’éviter, l’énumération des souffrances et des horreurs. D’autres s’y essayeront, de toute façon » disait Jorge Semprun (op. cit. p.175).

Or, pour ce qui nous concerne ici, pour nos guerres d’horreur et de souffrance depuis la Grande Guerre, d’autres effectivement les ont déjà décrites. Pour le souvenir, pour la mémoire ne devons-nous pas en savoir ? et si nous savons, ne devons-nous pas en crier pour que cesse l’horrible des hommes ?

Pour cette raison au moins, mais aussi par devoir de mémoire, je me demande, malgré l’horreur à dire des morts données, si « la meilleure façon d’honorer les morts pour la patrie [n’est] pas de dire en toute sincérité comment [les soldats] ont vécu et comment ils sont morts ? » (65).

Il ne s’agit pas d’heurter les sensibilités mais seul un regard en face, sans filtre adoucissant de mots choisis, peut donner conscience du malheur des hommes dans la guerre. Les faits sont les faits, y compris dans leur laideur impensable. Ce que montrent les quelques exemples extraits de choses vues par « d’autres », auteurs témoins. Le degré d’émotion donné bien entendu est en rapport avec la profondeur de l’horreur décrite mais, soit ! n’avons-nous pas à pleurer, même si nous sommes là pour en juger comme le demande le philosophe pacifiste Alain (« Mars, ou la guerre jugée » op. cit.).

Exemples

Champs de cadavres.

« La mort avait planté en terre […] son étendard de capitaine […].

Que servait de répandre sur les plus proches du sable et de la chaux, de jeter sur eux une toile de tente pour échapper au spectacle constant des visages noirs et enflés. Il y en avait trop ; partout la bêche heurtait de la chair ensevelie. Tous les mystères du tombeau s’étalaient dans une hideur à faire pâlir les rêves les plus fous. Les cheveux tombaient des crânes par touffes, comme les feuillages pâlis des arbres d’automne. Plus d’un se défaisait en verdâtre gelée de poisson qui luisait dans les nuits sous les lambeaux des uniformes. Quand on marchait sur eux, le pied laissait des traces phosphorescentes. D’autres se desséchaient en momie calcifiées qui se desquamaient lambeau par lambeau. Chez d’autres encore, les chairs coulaient des os en gélatine brun rougeâtre. Dans les nuits lourdes, des cadavres boursouflés s’éveillaient à une vie de fantôme lorsque les gaz comprimés s’échappaient des blessures à grands sifflets et gargouillis. Mais le plus terrifiant était le grouillement frénétique où se dissolvaient les corps qui ne se composaient plus que de vers innombrables.

A quoi bon ménager vos nerfs. Ne sommes-nous pas restés une fois, quatre jours de suite dans un chemin creux entre des cadavres ? N’étions-nous pas tous, morts et vivants, recouvert d’un épais tapis de grandes mouches bleu sombre ? Peut-on aller plus loin ? Oui : plus d’un gisait là avec qui nous avions partagé maintes veilles nocturnes, maintes bouteilles de vin, maints quignons de pain. Qui peut parler de la guerre, qui n’a point été dans nos rangs ». (Ernst Jünger op. cit. pp. 47-48)

Comme on le voit ici, il est une littérature débordante de détails morbides, provocatrice par excès. Elle veut montrer l’horreur dans sa nudité : militante pacifiste afin que soit honnie la guerre (Alain, Giono, Barbusse etc.). Ou alors, dans l’exaltation de l’héroïsme des morts en proportion du sacrifice consenti, celui de l’abandon du corps, après le don de vie (« corps outragé », dissolu dans la terre des champs de bataille). L’horreur dans les conflits comme argument contre la guerre ou glorification des héros peut-elle avoir valeur de conviction ? A chacun d’en juger.

Il est certain, ne nous le cachons pas, que la guerre ne peut pas s’écrire comme un « roman à l’eau de rose à dix sous ». Il est assez de romans qui masquent le sens de la guerre par le verbiage conventionnel ou l’exposé démagogique. La guerre est triste et mortelle. Regardons là comme telle. Retenons nos pleurs, mais aussi restons pragmatiques. Les actes d’héroïsme reconnus, cachent mal les peurs sinon les refus, les abandons et même les désertions, autrement dit le doute du soldat. Regardons le contenu premier qui est la mort d’homme. Voyons avec « virilité » certes, mais aussi en connaissance de cause quant aux corps et aux esprits, « outragés ». Paix à ceux qui savent voir et entendre, car ils jugeront !

Le cadavre

« Songez à ce chef d’œuvre d’os, de nerfs, et de muscles, à ce chef d’œuvre qui agit, qui sent, qui pense ; et appliquez-vous à le voir déchiré, pourri, rongé ; chose petite à la vérité et rentrant en terre ; mais chose qu’il faut pourtant grossir ; chose scandaleuse. En pleine force, en pleine volonté, le plus fort, le plus sain, le plus courageux, le plus estimable ; et tué non malgré cela, mais à cause précisément de cela ; tous ses fils possibles, et toutes ses filles ; tout un avenir humain, tout un espoir humain. Tout cela sacrifié par l’ordre et par la volonté d’un autre qui pesant les moyens et les fins, en a immolé non pas un, mais cinq mille, dix mille. Mais pensons-en un seul ; car le nombre dissout l’idée et il faut penser l’individu, c’est le réel […] » Alain, op. cit. p. 205

Au cours de la Grande Guerre, l’outrage des corps s’est transporté en d’autres lieux, en l’occurrence avec le Corps expéditionnaire d’Orient, ce que nous montre André Ducasse (66). Il indique dans l’avant propos de son ouvrage que « l’importance du front balkanique semble aujourd’hui évidente. Ici commença et finit la guerre […] L’armée de Salonique tant moquée et insultée, provoqua des armistices en chaîne et sonna le glas des Empires Centraux » ; certes, on peut toujours anoblir les combats un fois ceux-ci achevés, et chanter gloire, mais, derrière le décor, comme le suggère l’exposé qui suit, on ne doit pas ignorer les souffrances physiques et morales de ceux qui combattaient.

Requiescat in pace ! « Le charnier de Gallipoli… d’autres disent le fumier ».

Au ‘Ravin des cuisines’, les soldats ont créé une sentine. Excréments, déchets organiques… Au-dessus une mare croupissante. Tout cela déborde, pour porter plus loin puanteur et poison. Dans ce creux infect des cuistots pouilleux s’agitent. Pas de fourneau ; pas de cuisines roulantes au Corps expéditionnaire.

On a parfois des surprises plus graves : une fontaine, qu’on croyait parfaite, coule sur des cadavres. Des milliards de germes sont entretenus en profondeur par les morts putréfiés. ’Ce coin maudit est un puits d’horreur et de pourriture, une vaste sépulture’… les toubibs, dans cette pestilence, ont évité par miracle le typhus et le choléra.

La moindre patrouille, la moindre pelletée de terre vous procurent l’horreur de gluantes trouvailles. Dans un coin de boyau, des corps font obstacles, qu’il faut jeter par dessus bord, comme en pleine mer. On a vu des vainqueurs fuir devant les cadavres, devant cette décomposition, qui vous fait les jambes molles, vous désagrège vivants. Des coloniaux sautant dans une tranchée ottomane, ‘entrèrent dans la mort, comme dans la boue’[…]. D’où les funèbres corvées, les ‘trêves-cadavres’ pour brûler les corps... » (André Ducasse)

Dans ce sous-chapitre qui se veut démonstratif de l’horreur, conséquence directe des guerres dues à l’agressivité innée des hommes (c’est un constat), référence est prise à la Grande Guerre, la première guerre de mort donnée de manière industrielle. C’est l’outrage des corps, c’est la disparition du corps, qui ont touché le plus les endeuillés. Or, je viens de le dire, après guerre et longtemps après celle-ci, on aura caché la vérité profonde, pendant que certains moins écoutés peut-être, auront hurlé l’horreur. Qui croire quand le discours –comme il est dit plus haut - n’est pas conforme aux cris de soi-disant exaltés.

Et puis l’officiel était de donner un sens « positif » à la mort des soldats. Ainsi, sera mis l’accent sur leur héroïsme idéalisé ou sur la gloire apportée, plutôt que d’inciter à les pleurer pour leurs souffrances endurées dans la mort.

D’ailleurs, on va édulcorer cette mort afin de ne pas ajouter à la peine des familles. Le plus souvent, on signalera la mort comme étant survenue dans des circonstances acceptables. On donnera la préférence à la mort « en douce », la « balle en plein cœur » ou « en plein front » (67), alors que cependant, les exemples cités ci-dessus le suggèrent, un grand nombre (sinon la majorité) de corps ne pourront jamais être rendus aux familles faute de leur présence sur les champs de bataille. Corps perdus : désintégrés par les bombardement sinon dévorés par la vermine et la faune, ou encore plus simplement laissés à l’abandon sans identité. Tout ceci, bien souvent, faute de pouvoir « organiser » la mort par les camarades eux-mêmes soumis à de violentes avalanches de coups d’artillerie.

Malgré les leçons de l’Histoire restées lettres mortes, malgré la fatalité des guerres dénoncée, l’horreur a été reconduite au cours des autres affrontements qui vont suivre. L’ampleur de l’horreur sera dépassée par son côté systématique, appliqué dans les génocides. Elle atteindra toutes les couches des populations à divers titres : racisme et représailles étant le plus commun. Dans ce dernier cas nous ne pouvons oublier ce que fut le destin de bien de nos compatriotes, disparus dans les cendres et les fumées des camps nazis. Horreur qui surnage au-dessus du Mal, un Mal insistant, sadique et avilissant pour l’homme jusqu’à le « déshumaniser » en quelque sorte. Qu’on me permette « de parler en leur nom, dans leur silence, pour leur rendre la parole » (68), un hommage à ma façon :

Le Mal radical

« L’essentiel, c’est de parvenir à dépasser l’évidence de l’horreur pour essayer d’atteindre à la racine du Mal radical. […] Car l’horreur n’était pas le Mal, n’était pas son essence du moins. Elle n’en était que l’habillement, la parure, l’apparat. L’apparence en somme. On aurait pu passer des heures à témoigner sur l’horreur quotidienne sans toucher à l’essentiel de l’expérience du camp.

Même si l’on avait témoigné avec une précision absolue, avec objectivité omniprésente – par définition interdite au témoin individuel – même dans ce cas on pouvait manquer l’essentiel. Car l’essentiel n’était pas l’horreur accumulée, dont on pourrait égrener le détail, interminablement. On pourrait raconter n’importe quelle journée, à commencer par le réveil à quatre heures et demie du matin, jusqu’à l’heure du couvre feu : le travail harassant, la faim perpétuelle, le permanent manque de sommeil, les brimades des Kapos, les corvées de latrines, la ‘schlague’ des S.S., le travail à la chaîne dans les usines d’armement, la fumée du crématoire, les exécutions publiques, les appels interminables sous la neige des hivers, l’épuisement, la mort des copains, sans pour autant toucher à l’essentiel, ni dévoiler le mystère glacial de cette expérience, sa sombre vérité rayonnante : la ténèbre qui nous était échue en partage […]. L’essentiel, c’est l’expérience du Mal. Certes, on peut la faire partout cette expérience… Nul besoin des camps de concentration pour connaître le Mal. Mais ici, elle aura été cruciale, et massive, elle aura tout envahi, tout dévoré… L’expérience du Mal radical… » (69)

Je sais qu’il est une différence entre ceux qui combattent en guerre les armes à la main et ceux qui subissent directement ou indirectement les lois de la guerre. Il est de ces derniers qui n’ont pas accepté le fait accompli. Ils se sont démarqués de l’esprit commun pour s’engager contre l’assaillant, à la force des armes. Je pense à ceux de la résistance, aux maquisards Morts pour la France.

« … La plupart des morts des camps de concentration – je ne parle pas, bien entendu, des camps de Pologne, avec la sélection et les chambres à gaz, programmés surtout pour l’extermination du peuple Juif - la plupart de ces morts là, donc, des dizaines de milliers de morts politiques, résistants de tous les pays d’Europe, maquisards de toutes les forêts, toutes les montagnes, n’ont pas été victimes des bastonnades, des exécutions sommaires, de la torture : la plupart sont morts d’épuisement, d’une impossibilité soudaine à surmonter une croissante fatigue de vivre, abattus par l’abattement, la destruction de toutes leurs réserve d’énergie et d’espérance.

C’est au regard qu’on s’aperçoit du changement soudain de la fêlure, lorsque la détresse atteint un point de non retour. Au regard subitement éteint atone, indifférent. Lorsque le regard n’est plus la preuve, même douloureuse, angoissée, d’une présence ; lorsqu’il n’est plus qu’un signe d’absence à soi-même et au monde. Alors on comprend, en effet, que l’home est en train de lâcher prise, de lâcher pied, comme si ça n’avait plus de sens de s’obstiner à vivre ; alors on saisit dans l’absence à quoi se résume le regard qu’on avait peut-être connu vif, curieux, indigné, rieur, on comprend que l’homme, inconnu, anonyme, ou un camarde dont on sait l’histoire personnelle, est en trin de succomber au vertige du néant, à la fascination médusante de la Gorgone. » (70)

Corps perdus ?

Tout un mécanisme spécifique est destiné au recueil des dépouilles des morts au combat, à leur préservation pour, au final les honorer et prodiguer la reconnaissance de la nation, apporter le soutien moral et matériel aux familles dans la peine.

Un courant législatif et administratif est né à partir de la Grande Guerre. Il s’est étoffé et adapté en fonction de nouveaux événements de guerres. Vaste sujet qui dépasse les limites de notre mémorial (matériellement parlant). Je n’en donnerai qu’une quintessence. Par contre, nombre d’historiens exposent les résultats de leurs recherches sur ce thème, somme toute douloureux, mais recherches nécessaires à la compréhension du phénomène guerre et de ses conséquences.

Tous ces auteurs méritent d’être cités. Toutefois, dans ce cas spécifique, mon opinion s’est essentiellement formée à partir des travaux suivants (exhaustifs en la matière) :

1) « Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925) », T. Ardier et J-F Jagielski - Imago Paris 2001.

2) « Nos Morts, les sociétés occidentales face aux tués de la Guerre », L. Capdevila et D. Voldman – Payot 2002.

3) « Guide du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre – Paris 1964 »

Complémentairement j’ai tenu compte d’autres travaux (cf. ici « Bibliographie »), comme ceux de Carine Trevisan.

Dernière relève.

Le moment vient où la guerre a fait son œuvre, où les massacres cessent. Il est alors souhaité de donner un lieu de sépulture décent avec les honneurs, ceux des temps antiques, dus aux combattants. Reste à relever les corps épars sur le champ de bataille et à les rendre aux familles endeuillées, aux populations reconnaissantes à ses « Morts pour la France ». Alors que s’écrivent leurs noms sur les livres d’or, Roland Dorgelès imagine (71) une « dernière relève » avant que ne vienne le temps du deuil :

« Non la guerre n’est pas finie…

Sur les routes rempierrées du front, les soldats défilent encore, et l’on sent toujours la terre trembler sous le roulement des camions chargés de troupes ; revenants de tous les régiments, épaves de toutes les armes, ils quittent, les derniers, les champs funèbres où nous avons lutté, pour aller se masser dans d’immenses cimetières, tombe à tombe, - coude à coude… - bien alignés pour une revue suprême. C’est, cette fois, la dernière relève des morts.

Il en reste plus d’un million, de l’Yser jusqu’aux Vosges, que le canon de l’armistice n’a pas secoués d’un surhumain bonheur, et, trois ans après les derniers bataillons, voici leur arrière-garde qui passe. Plus personne, le long de la route, pour les voir défiler, plus de camarades pour leur crier, noyés dans l’ombre : Quel régiment ?

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Personne, derrière le convoi, personne pour le dernier adieu….

Quand j’ai vu passer , dans la campagne, le tombereau rempli de ces cercueils, un frisson m’a secoué. L’égoïsme sauvage des hommes m’a jailli du cœur et je songeai, épouvanté, que j’aurais pu avoir ma place dans cette guimbarde funéraire et prendre, mort qu’on oublie, le chemin désolé du retour. Oubli pire que la mort.

Sur tout le front on creuse des tombes, partout se lèvent des soldats. … la terre a pris des millions d’empreintes. Depuis trois ans, on glane des os dans ces champs éventrés, et souvent, dans un même cercueil, on ne fait plus qu’un seul corps de ces débris épars.

Tache atroce, il faut essayer d’identifier des hommes dans ces squelettes démembrés, pour que des mères sachent enfin sur quelle tombe elles viendront pleurer.

Certains, reconnus prennent le chemin des gares, où naguère, nous nous embarquions en riant.… et sur ces mêmes quais… les camarades sont allongés dociles. On charge les wagons.

Pourtant ces morts-là, derrière eux, en laissent de plus pitoyables encore. Sur ceux-ci, on ne retrouve rien, pas un papier, pas même cette médaille qu’on se nouait, en blaguant, au poignet ou au cou, après un lacet noir ou une chaîne d’acier. Les inconnus… Héros sans visage et sans nom, on les emporte par camions, à cette tranchée sans guetteur, où nulle alerte ne les éveillera plus. Personne ne se penchera sur leur agonie, personne ne s’inclinera sur leur tombe. Les inconnus…

Quand on ferme les yeux, on en revoit tant et tant, qui disparurent dans la tourmente sans même qu’on les ait vus mourir et sans qu’on pût les retrouver. On les savait morts seulement, parce qu’à l’appel ils ne répondaient plus ‘présent’.

Patrouilleurs restés entre les lignes, hommes de corvée, tombés dans les boyaux, et qui disparaissaient en une nuit, foulés par toute une relève, victimes confondues des grandes offensives, mitrailleurs écrasés sous leurs caponnières, dormeurs ensevelis dans leurs abris, quelle effrayante armée, formeriez-vous si vous obéissiez soudain à un surnaturel ‘Debout les morts !’».

Corps rendus ? ou corps perdus ?

L’État, devant l’hécatombe survenue au cours de la Grande Guerre, se préoccupe de mettre en place une législation dont les premiers textes se rapportent aux Morts pour la France et à leurs familles (72). Par exemple, c’est au moment de la Grande Guerre, et à aucune autre précédente, que « le sort des tués de la guerre, à travers le traitement de leurs dépouilles (cadavres, morceaux de corps, lambeaux, cendres humaines, absences de restes) » (73), est réglementé, nonobstant, « les attitudes qu’ont eu les survivants et les sentiments qu’ils ont éprouvés face à la tragédie » (74). [Par la suite les survivants de la guerre engageront de leur côté l’État à prendre d'autres mesures spécifiques complémentaires les concernant].

De toutes façons, mesures de bonne administration ou pas, rien n’amoindrit la complexité du mécanisme guerrier. Rien ne facilite l’application de la législation. Et ce n’est pas la fin des hostilités qui arrangera la situation.

En effet, rien n’est simple en guerre. Au rationnel des lois qui veulent que soient honorés ses morts au combat, s’oppose celui de sa nature même qui détruit les corps et efface les noms de ceux qui y participent, comme je viens de le montrer. A ceci, vient s’ajouter l’action de la nature qui agit en dépit de la volonté des hommes : la grande dissolution des corps !

Tous les morts, en conséquence, ne répondront pas à l’appel de leur nom. Après des jours et des jours de combats, des années, que peut-il rester en terre des glorieux combattants, inhumés ici ou là. Quels noms donner aux corps déchiquetés, ensevelis dans l’inconnu des espaces bouleversés ?

Certains, identifiés comme il se doit - bien que des incertitudes demeurent pour des corps aux restes mêlés, devenus inséparables - seront rendus aux familles (cf. chapitre IV, « A nos Morts »). Ils seront ensevelis dans leur cimetière communal, commémorés pour l’éternité des hommes, parfois alignés sous les pierres tombales blanches immaculées du carré militaire.

D’autres, pour diverses raisons qui concernent peut-être la volonté de leur famille , ne rejoindront pas leur petite patrie et resteront en tombes rangées à l’infini de nécropoles crées près des emplacements des champs de bataille ; à moins que, plus rarement, ils aient conservé, à perpétuité comme le veut la loi, leur lieu d’inhumation dans un des cimetières des zones de combats.

Mais « comment faire en sorte que ce qui fut perdu soit ramené fragment par fragment, débris par débris, à la lumière du jour. ? Quel substitut trouver au corps absent ? » demande Carine Trevisan (75), ces corps « livrés à la profanation des animaux, ne se distinguant plus de la terre où ils sont étendus […] traités comme de la matière organique en décomposition » ? Que dire des morts défigurés, morts qui « ne sont plus personnes » ?

Nous sommes au dernier des malheurs pour beaucoup, pour la majorité, ces morts n’auront pas le lieu de repos mérité. Tous ne seront pas « présents à la relève » :

Pendant la guerre de 1914-1918, « plus d’un se défaisait sans croix ni terre, à la pluie au soleil au vent… » (76), alors que plus tard en Indochine : « chaque jour, pendant neuf ans, des jeunes sont morts, ont été enterrés dans la boue sans une tombe… » (77). Sans compter « la deuxième mort » provoquée dans « les cimetières qui se trouvent dans les zones de combats [qui] ‘rendent’ les ossements de ceux qui sont morts bien avant le carnage » (78). Sont-ils devenus des inconnus disparus ?

S’agissant de restes reconnus, ils seront réunis en fosses communes. Un espoir est donné aux familles venues se recueillir. Leur pensée rejoindra celle du disparu présumé identifié et ici présent ; corps virtuels ? Encore faudra-t-il pouvoir venir sur les lieux « reliquaires ».

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Nous sommes au pire pour ces autres corps absents en tout et pour tout. Point de tombe à fleurir. Point de présence à laquelle un cœur peut s’adresser. Point de visage souvenir pour la pensée des vivants en pleurs. Reste-t-il au moins un nom ? Un nom à graver parmi d’autres noms en longues listes, en cohortes de noms, en colonne inscrits sur les marbres funéraires du souvenir. Là, au malheur de mourir s’ajoute le malheur de ne point être. Pas de corps à « choyer » pour les familles affligées ?

« Deux pratiques ont prévalu après la grande guerre » nous dit Carine Trevisan, pour pallier justement la disparition du corps : « l’ossuaire » (79) dont je viens de parler « et le tombeau du Soldat inconnu » (80).

Le soldat inconnu permet de « redonner un corps » au disparu afin de faciliter le deuil des familles. Celles-ci vont imaginer un présence sublimée de leur cher disparu. « A la différence du monument aux morts, ce tombeau n’est pas un cénotaphe : il contient un corps réel, mais dépourvu d’identité. Maginot qui a fixé les règles du choix du corps, insiste sur l’importance de l’anonymat » (81).

Mais il y aura aussi des reliquaires privés (des « traces privées du disparu ») parfois déposés dans « une chapelle ardente laïque, où la veuve entretiendra le culte intime du mort ».

« Permettant d’échapper à la douleur d’une séparation définitive, la relique, l’image funèbre, indéfiniment contemplée, idéalisée, transmuent la mort en une forme de présence et donne l’illusion qu’on peut garder quelque chose de ce qui fut perdu » (82)

Corps rendus

Pour rendre les corps encore faut-il qu’ils existent et corollairement qu’ils soient parfaitement identifiables. Même s’agissant de guerres les plus récentes, postérieures à la Grande Guerre, avec ce qui vient d’être dit quant à la destruction et la disparition physique des dépouilles, on comprendra que bien des soldats morts à la guerre ne reviendront jamais auprès des leurs, dans leur commune.

En résumé

1 – Quelles que soient les recherches opérées, après la grande hécatombe, une partie de nos morts sera irrémédiablement disparue - « corps et âme » - y compris celle « non-revenue » des camps des prisonniers et de déportation. Resteront en mémoire le souvenir de noms accompagnés parfois de reliques privées. A moins que pour la paix de l’esprit, on se recueille sur la tombe du Soldat inconnu.

[Ceci nous engage à différencier le « tué » du « disparu » au combat. Qu’est-il advenu du « présumé disparu » ? La question étant posée, ce sera à la justice d’en décider suivant une procédure légale de « déclaration de disparition » (voir conditions d’ouverture du dossier – et « procédure de transcription » du décès).

Je relève que dans les 1 320 000 morts pour la France, sont compris les « tués » et les « disparus » légaux. Depuis le 2 septembre 1939, jusqu’à la guerre d’Indochine comprise, on compte (statistiques de 1964 – Min. ACVG, op. cit. p. 216) : 68 598 actes de décès, 198 026 dossiers de transcription d’actes de décès et 13 306 dossiers de disparition. – Pour les déportés et travailleurs non-volontaires, on compte 45 988 actes de décès, 47 634 dossiers de recherche de disparition – Considérer ceci comme des ordres de grandeurs officiels de pertes].

2 - Pour le reste, on proposera aux familles de recevoir le corps des leurs en leur commune. Dans ce cas les corps des soldats seront déposés en tombes individuelles, éventuellement regroupées en un carré militaire, ou en caveau familial ; dans le cimetière communal (tombes concédées à titre gratuit à perpétuité, comme dans les nécropoles nationales).

[On remarquera parfois qu’en l’absence du corps, les familles apposeront, sur les concessions au cimetières, des plaques, avec ou sans photo, dédiées à la mémoire du décédé au combat. Voir aussi le rôle du Souvenir Français dans l’entretien des tombes des soldats morts pour la France, puissante association nationale crée en 1887 par Xavier Niessen (83))].

3 - Ou on donnera la possibilité aux familles de se rendre en divers autres lieux d’inhumation :

en cimetières localisés sur ou près des lieux de combats.

en nécropole, lieu de rassemblement en tombes individuelles ou à la rigueur en ossuaires.

[Les « ayants cause » (cf. Abrégé des dispositions prises conditions Min. ACGV op. cit. p. 271) ont des « droits ouverts » (facilités) par l’État pour se rendre sur les lieux de sépultures entretenus par ses soins – (ou lieux où l’inhumation a été faite par l’autorité militaire, sans que le transfert de corps soit autorisé)

Quant on parle d’« ayants cause » ici comme ailleurs il s’agit principalement de la veuve et de ses enfants (les descendants), ensuite les parents, puis les ascendants, la fratrie, et autre parentèle)

Nous allons observer sommairement la procédure qui a présidé au recueil des corps au moment de la guerre de 1914-1918 (front de l’Ouest (84)) et à leur mise à disposition des familles. Cette procédure était appliquée par des entreprises particulières après adjudication (« l’Almanach du Combattant », 1922, p.151). Elle comprenait : l’exhumation pour identifier le corps, la mise en cercueil, le regroupement, le transfert, la restitution, le rapatriement, l’inhumation dans une sépulture perpétuelle (Conditions d’attribution - Min. ACGV op. cit. p. 246 -, qui sont différentes de l’attribution de la mention « Mort pour la France » ). Je n’en dirai que l’essentiel (85).

L’esprit des lois

Trois points sont à retenir pour la bonne compréhension de l’évolution des mesures prises à l’égard des dépouilles retrouvées sur les champs de bataille :

Au moment où se déclare la guerre de 1914, « le ramassage des victimes, comme celui des blessés n’était pas assuré de manière systématique » (86). D’une manière générale, seuls les officiers avaient droit à une sépulture digne de ce nom, y compris les honneurs dus à leur rang. Les dépouilles des hommes de troupe étaient destinées à la fosse commune, sommairement identifiées ; d’où l’empirisme constaté au commencement de la guerre (87).

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est l’ampleur des pertes, dès le début de la Grande Guerre qui a incité les survivants à prendre des mesures conservatoires à l’égard des corps de leurs camarades, en signe de dernier acte de fraternité et de compassion - ou/et par respect de rites appliqués par la société civile, d’où venaient les militaires appelés sous les drapeaux. Il sera alors donné aux morts une « sépulture identifiable, localisable, voire accessible aux endeuillés » (88). C’est à partir de l’initiative d’ordre privé, nous pourrions dire à l’« automne 1914 », après trois mois de guerre et de nombreux morts (89), que l’État va prendre conscience de ses devoirs et prendra les premières mesures légales nécessaires au recueil des corps. Elles se perpétueront et s’adapteront aux événements à venir.

Le champ de bataille, avec les guerres qui suivent, s’élargit et se modifie en tant que tel. Le front de guerre est parfaitement indéfini dans ses limites. Les interventions d’ordre militaire atteignent les populations civiles les plus souvent visées, lors de bombardement d’avions par exemple. Et donc, la guerre change de visage.

En définitive :

Cette « extension du champ de bataille à la société tout entière a ouvert largement l’éventail des types de morts par engins de guerre » (90). De ce fait, dans le comptage des tués, il sera difficile de séparer victimes civiles et victimes militaires. « Les sociétés devaient dès lors apprendre à honorer leurs différents types de morts » (91).

La question pratique est de savoir comment traiter le plus dignement possible le corps ou les restes d’un soldat tué au combat ; donc, au final de régler son inhumation dans le respect des rites qui conviennent à sa culture d’origine. On ne doit pas perdre de vue qu’il s’agit de rendre le corps (plus tard) aux familles dans de bonnes conditions, par respect pour leur peine, afin aussi de leur faciliter leur deuil. Ceci est le principe qui finalement sera admis et guidera le législateur.

En définitive, on va passer de l’anonymat général d’avant 1914, à la reconnaissance du militaire en la personne : « à chaque mort son visage, son nom, son histoire, sa dépouille » sachant que « le principe de la sépulture individuelle perpétuelle pour tous les soldats » est admis par la loi du 15 décembre 1915 (92).

Bien entendu ces éléments ne doivent pas cacher les difficultés pour appliquer la réglementation. Comme toujours, il y a loin de la théorie à la pratique, et les bonnes volontés ne suffiront pas pour pallier les manquements. Les familles et les association de soutien, auront dû se gendarmer pour arriver à leurs fins. Par contre il sera relevé bien des abus financiers au moment de la relève des corps

1922 – « Les mercantis de la mort » dénoncés par la presse (93). En 1921, le prix moyen d’un transfert de corps était évalué à 500 francs – Pour cette année le budget était de 75 millions - Étant donné un certain nombre d’abus commis par les services locaux des pompes funèbres, la loi du 13 juin 1921 suspendra leur monopole, à charge pour les communes d’assurer ces services à un tarif fixé par la loi. « L’Almanach du Combattant », 1922, note 2 p.151.

Application

En revenant à la Grande Guerre, la réglementation prévoyait une inhumation par les troupes d’étape (en fosse commune, d’ailleurs). Or « l’offensive allemande (94) rendit ces consignes caduques : les combattants français furent enterrés par l’ennemi au hasard des circonstances, dans des fosses communes, dans des tombes dispersées, dans des cimetières, sans que les précautions nécessaires à une ultérieure identification aient été prises.

A l’automne 1914, le front stabilisé, l’habitude commença d’enterrer les morts là où ils étaient tombés, en bordure de bosquet, au fond d’un cratère d’obus, près d’une habitation » .

En 1915, on usait encore des fosses communes (95) ce qui « rendait aléatoire et incertain le retour des restes authentiques ». A cause du risque infectieux, il fut envisagé d’utiliser l’incinération à grande échelle des tués non identifiés dont ceux de nos ennemis : « l’émoi fut considérable ». Cette pratique était considérée comme contraire aux sentiments religieux, et à l’idée que se faisaient les familles de pouvoir se recueillir un jour sur la tombe de leur héros tué. ( cf. proposition de loi du 18 juin 1915, rejetée le 27 janvier 1916 par le Sénat – l’interdiction d’incinérer fut maintenue par la suite, « à moins d’un ordre, en cas de danger réel d’infection, seulement lorsque les restes trop endommagés n’étaient pas identifiables » (96)).

Le 19 juillet 1915, le Grand Quartier Général avait organisé un service de « l’état civil dit du champ de bataille » (97). En outre il avait ordonné de renoncer à l’emploi des fosses communes, et d’utiliser à la rigueur des tranchées pour ensevelir un maximum de dix corps côte à côte (sans superposition), tout en incitant au regroupement des sépultures individuelles éparses. L’emploi du « carnet du champ de bataille » rendu obligatoire se devait de repérer les sépultures afin de faciliter la restitution des corps. Il était demandé de fixer sur le corps, une plaque de plomb portant le numéro d’emplacement, noté sur le précédent carnet. Hélas ! « il est clair que ces instructions étaient rarement respectées ».

Loi du 18 février 1916 : il est créé le service général des pensions (secours, renseignements aux familles, de l’état civil, et des successions militaires ) « qui sera chargé de centraliser et de traiter l’immense quantité de données concernant les morts ». C’est à partir de ce service que seront informées (avec des précautions codifiées par l’administration) les familles, du décès d’un des leurs, ce, en coordination avec les municipalités et les services de police (cf. reproductions documents produits ici en annexe).

La mise en place de diverses mesures d’ordre pratique va se poursuivre, au fil du temps et de l’expérience acquise et aussi des demandes formulées par les familles, appuyées non sans mal en leur démarches par de multiples et innombrables associations, elles-mêmes agissant dans un ordre plus ou moins dispersé (98) devant l’inertie de l’État, débordé par l’œuvre à accomplir.

[A ce sujet, je rappelle la rancœur ressentie par les combattants qui vont estimer ne plus être entendus, seulement trois ou quatre ans après la fin de la guerre. Cette rancœur des A.C. envers « l’établissement » favorisera certainement l’écoute naïve d’une propagande nazie développée à leur intention, sous couvert de paix et de fraternité entre A.C. de France et d’Allemagne ce, pendant la période d’août 1935 à mars 1939. Cette attitude sera dénoncée dès 1934 par la presse française de l’époque qui dans sa « clairvoyance » (contrairement aux politiques plus ou moins passifs - cf.« L’esprit de Munich »), indiquait que « les A.C. français [n’étaient] que les pions du machiavélisme hitlérien ». Les yeux finiront par s’ouvrir (99), en 1939, un peu tard une fois le mal fait, me semble-t-il].

Les combattants sont des importuns

« Présentez-vous dans un journal avec le compte-rendu d’un congrès d’anciens combattants, ou le libellé d’un vœu intéressant les pupilles, ou l’exposé d’une revendication des veuves (100), ou le récit d’une manifestation en l’honneur des Morts de la Guerre […] et vous verrez les sourcils froncés et les lèvres contractées d’ennuis qui neuf fois sur dix accueilleront vos démarches.

Savez-vous pourquoi, camarades ? Pourquoi dans la presse comme dans le monde politique, pourquoi dans les administrations publiques comme dans les administrations privées, les anciens combattants sont considérés comme des parents pauvres, des importuns, des trouble-fête ? C’est qu’à toutes les meilleures places, à toutes les premières places, se trouvent des hommes qui n’ont pas fait la guerre ».

Extrait de l’article de Jean Péricard : « Les associations d’Anciens Combattants » in « l’Almanach du Combattant », 1922, p.194.

Quoi qu’il en soit, pour en revenir à la législation, celle-ci se renforcera jusqu’à obtenir une batterie complète de mesures, mises en place dans la continuité de l’esprit des lois initiales ; par exemple : « C’est dans le cadre de la loi du 11 juillet 1938 […] que le Ministère des A.C.V.G. a été chargé de la direction des services de l’état civil militaire en temps de guerre » (cf. Min. des ACVG op. cit. p. 212).

En outre, autre exemple, « la seconde guerre mondiale n’a pas [eu à] transformer les règles et les pratiques mortuaires » (101) mais seulement à les adapter aux événements douloureux subis par les uns et par les autres victimes de la guerre. Ceci pour dire, sans entrer dans le détail, que la législation s’est étoffée en la matière depuis ces temps anciens où chacun cherchait à faire valoir ses droits dans l’empirisme, ou sous la pression morale sur les gouvernants.

[Les orphelins de Guerre – On en compte 960 000 à la fin de la Grande Guerre – Dès 1917, l’Humanité titre dans ses colonnes : « Que le Parlement se presse donc de donner la véritable garantie : la loi de solidarité et d’assurance sociale que tous attendent (102)». Effectivement, au plan législatif, en ce qui concerne les orphelins de guerre, l’État s’inquiète de leur sort et envisage, en conséquence, de leur apporter sa protection en prenant diverses dispositions particulières. Voici l’objet de la loi qui leur a été destinée : « La loi du 27 juillet 1917, a pour objet l’accomplissement d’un devoir ‘social’ né de la guerre. Elle oblige la nation à aider matériellement et moralement les enfants de ceux qui ont été tués ou blessés pour sa défense. Elle laisse aux familles le plein exercice de leurs droits ; notamment le libre choix de leur éducation : elle ajoute seulement sa protection. » Moyennant quoi, après être reconnu comme « pupille de la nation », l’enfant recevra sous certaines conditions d’allocation jusqu’à 21 ans, pour l’essentiel de subventions d’entretien, pour frais de maladie ; ou encore des bourses d’étude (103).

De nombreuses associations, manifesterons leur solidarité, avec un intérêt marqué pour l’aide privée y compris au plan international, dont celle de l’Amérique. Je retiens les associations dédiés aux orphelins depuis le milieu du XIXe siècle, où celles plus tardives, crées en 1927 : l’Association nationale des fils des tués et celle des Orphelins de guerre ; ou encore, par exemple, l’Association et Entraide des Veuves et Orphelins de Guerre, fondée en 1944, à présent liée par convention à l’Union Nationale des Combattants (cf. « La Voix » – UNC Mars 2003).

Après les guerres de la seconde guerre mondiale, de Corée, d’Indochine, d’AFN, et des « Opex » (Liban, Golfe, ex-Yougoslavie, on dénombrera 185 000 femmes et 430 000 enfants privés de leur mari et de leur père (104)..

Le décret n°2000-657 du 13 juillet 2000, institue une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécution antisémites (Source site « Legifrance – SGA » – 2004) – Le 2 décembre 2003 le Gouvernement a décidé d’étendre (suivant des conditions qui reste à définir encore en 2004) cette mesure aux orphelins des victimes de la barbarie nazie (notamment les orphelins de déportés résistants) – (« Débats parlementaires » AN – JO du 27/10/2003.)

Rendre les corps

Au plan pratique, pour la Grande Guerre, les autorités vont opérer en deux phases pour donner la dernière et définitive demeure aux morts de la guerre sur les champs de bataille. (Je dirai qu’il est une troisième phase, celle du deuil, qui relève des familles).

D’une part on va regrouper les corps après les avoir rendus « présentables » aux familles. D’autre part on va transférer les corps dans des lieux de repos nationaux ou communaux préparés à cette fin (nécropoles, carrés militaires) ; à moins de restitutions directes aux familles qui le désirent, souvent pressées de rendre hommage à leur mort et d’entamer (troisième phase) leur deuil ; à charge pour elles de ré-inhumer les corps en un lieu « privé » de leur choix.

Regroupements

Cette opération délicate de regroupement était un préalable à toute restitution des corps, si l’on ne voulait pas voir les familles intervenir directement sur le terrain de manière désordonnée et affligeante pour elles mêmes. On comprend pourquoi sachant l’état des corps à exhumer. Encore fallait-il savoir où trouver la sépulture initiale et pouvoir reconnaître comme sien ces restes de corps informes, amputés, « saccagés ». On va donc exhumer, identifier, et mettre les corps dans un cercueil conforme aux normes, pour être regroupés.

Dès l’armistice, en 1918, un service spécial d’état civil (crée en 1916) a mené les travaux de recherche de corps de manière rationnelle et organisée, sauf à retenir les difficultés inhérentes aux conditions initiales malaisées d’inhumations en cours des combats. (On notera que, parfois mais pas toujours, lors des combats on aura pu ensevelir des corps dans des conditions décentes dans une tombe repérée sur plan initial. L’identité du corps étant inscrite sur un morceau de papier inséré dans une bouteille, et celle-ci plantée le goulot en terre sur la tombe en question. L’identification du défunt dépendait de l’état de son corps, mais facilité par la présence de sa plaque d’identité (innovation)).

On a « divisé [l’exploration du champ de bataille] en cinquante-cinq secteurs, plus sept en Alsace –Lorraine, ces secteurs étant eux-mêmes divisés en carrés nettement délimités ». La recherche s’est opérée à partir de repérages antérieurs, de comptes-rendus du Génie, d’indications des familles et d’associations de recherche de disparus.

Comme je viens de le dire, les corps exhumés, un fois identifiés, étaient placés dans un cercueil et enterrés en tombes individuelles, regroupés, dans un cimetière de « concentration dont le plan était strictement dressé », au rythme de trois mille regroupements/jour dans la zone des armées.

Des copies [de plans des emplacements] étaient envoyées aux familles, censées connaître ainsi de façon précise l’emplacement de la tombe de leur disparu ». Les familles ne pouvant assister à la relève des corps, étaient représentées par deux délégués par secteur, désignés par la Fédération des associations de recherche de disparus.

Transferts

Après la phase de regroupement, les familles informées, intervient celle du transfert : restitution du corps, rapatriement et l’inhumation dans une sépulture perpétuelle par principe définitive.

En cours de guerre des corps seront rendus aux familles. En fait il s’agira essentiellement de blessés ou de malades décédés dans les hôpitaux (à moins de rapatriements clandestins, intervenus dans le flou législatif en début de guerre).

Les exhumations et transports de corps, à l’initiative des familles, ont été interdits par circulaire du 19 novembre 1914, émanant du commandement en chef. Ce qui suppose que les corps seront laissés sur place, sur les lieux de mort ou, au mieux, dans les cimetières communaux avoisinants de ces lieux.

La restitution effective des corps, au frais de l’État, vers les familles qui en faisaient la demande (délai de dépôt de la demande jusqu’au 30 avril 1921), se réalisera selon les conditions de la loi (décret d’application) du 28 septembre 1920, loi des finances du 31 juillet 1920 ; tout ceci probablement sous l’impulsion du général Castelnau, président de la « commission nationale des sépultures militaires » (18 représentations d’organismes officiels).

Les premiers transports (à titre gratuit) (105) ont eu lieu à partir de 1921, une fois les repérages et regroupements terminés. Ces transports concernent les militaires et marins morts pour la France, les victimes civiles, et les réfugiés des départements envahis pour la période du 2 août 1914 au 24 octobre 1919, délai plus étendu pour les blessés ou malades, entrés dans les hôpitaux avant ce 24 octobre 1919, décédés par la suite. Les transports de corps vers les familles, collectifs, s’effectuaient soit par route soit par voie ferrée du premier lieu d’inhumation jusqu’au cimetière désigné par la famille. (« L’Almanach du Combattant », 1922, pp.149-154).

Après la Grande Guerre (d’après L. Capdevila et D. Voldman, op. cit. pp.100 à 112)

1939-1945

L’expérience de la première guerre mondiale amena l’État à prendre des dispositions identiques à la veille de 1939-1945.

La loi du 22 février 1940 réactualise la législation sur les sépultures militaires sans qu’elle soit profondément remise en cause. Bien entendu, il aura fallu s’adapter aux exigences allemandes au cours de l’occupation pour ensuite se préoccuper des victimes de leurs exactions, telle, par exemple, l’exhumation des corps des résistants fusillés déposés en fosses communes. Ils seront re-inhumés en tombes individuelles avec tous les honneurs militaires voulus.

Des mesures légales spécifiques aux victimes civiles (106) ne seront pas reconduites en l’état, jusqu’à être en contradiction avec celles prises initialement (18 février 1922). En particulier s’agissant de l’attribution de la mention « mort pour la France » qui ne donne pas « droit à une sépulture à perpétuité ».

D’où une certaine confusion qui pourrait régner, par exemple, dans le placement des corps dans les carrés militaires (cf. commune de Claira) et les nécropoles entretenues par l’État. Peut-être aussi constatera-t-on quelques « anomalies » apparentes dans les listes de noms sur les monuments aux morts, dédiés aux morts pour la France, surtout si l’on tente de faire quelques corrélations sans se référer aux textes en vigueur, divergents d’une guerre à l’autre.(L. Capdevila et D. Voldman, parlent de « mémoire discriminatoire », op. cit. p. 104)

La loi du 27 août 1948 stipule que « seuls parmi les civils, les Résistants pouvaient être inhumés dans les nécropoles nationales » (op. cit. p. 103) – Son décret d’application du 20 février 1952 qui indique les bénéficiaires civils de la sépulture perpétuelle, en résumé, concerne les Résistants, déportés, internés ou non, reconnus comme « morts pour la France ».

Par contre la loi du 16 octobre 1946, relative au transfert à titre gratuit et à la restitution aux familles des corps reprenait bien les dispositions de la loi de 1920 – « toutes les victimes de la guerre bénéficiaient d’un même traitement ». Si le décès était un conséquence de la violence de guerre, le défunt était automatiquement « mort pour la France » (concerne : résistant, requis, victime de bombardement - op. cit. p. 106).

Autres conflits

Pour la restitution des corps, on appliquera les textes de loi en vigueur pour la guerre de 1939-1940, y compris pour les opérations d’Indochine (inhumations dans les cimetières coloniaux, puis plus tard rapatriements sur la métropole pour les corps retrouvés, dont une partie est déposée à Fréjus, lieu du mémorial « Indochine »), des événements de Madagascar (1947-1948), de Corée (107), et du Moyen-orient, des Opérations de maintien de l’ordre et de pacification hors métropole (loi du 6 août 1955 - cf. « Guide 1964 du Min. ACVG », p. 222 )

Dien Bien Phû (108). Une mission - capitaine Belmont - peu de temps après la fin des combats est chargée « de reconnaître les cimetières et le lieux d’inhumation, et d’identifier le plus grand nombre de sépultures ». Résultats obtenus : « 638 tombes individuelles ont été reconnues dont 162 ont été identifiées. 300 corps sont inhumés dans une fosse commune à ‘Claudine’. 200 corps des deux camps ont été inhumés sur ‘Éliane I’ dans une fosse commune, par l’armée populaire… ».

Retour de la mission sans achever ses recherches. Elle ne reviendra pas sur ces lieux de bataille. L’idée d’une grande nécropole sur ‘Eliane 4’ restera sans suite.

« Les morts de DBP n’auront d’autre sépulture que les rizières et le flanc des collines ». « Les cicatrices du sol et les dépouilles des combattants » disparaîtront sous une végétation tropicale luxuriante.

[Je relève par ailleurs que de 1945 à 1954, le corps expéditionnaire aura perdu au total 64 500 hommes, dont 12 500 Français y compris 2 955 disparus]

Cas de l’Algérie (109). (op. cit. pp. 107 et 108)

La mention « mort pour la France » est attribuée aux militaires, de carrière ou du contingent, tués en cours d’opération, « bien que le pays ne fût pas officiellement en guerre » (op. cit. p. 104).

Dès le début, les inhumations - « à la sauvette […], pour dissimuler la vulnérabilité du corps expéditionnaire », ont lieu dans des carrés militaires provisoires avant de restituer les corps aux familles qui le désiraient.

Finalement tous les corps seront rapatriés en France. « Avant les rapatriements collectifs, une chapelle ardente rassemblait encore une fois la communauté de deuil, celle de la fraternité d’arme » (Organisation des rapatriement fixée en 1958 sous couvert de l’ O.N.A.C.V.G.).

Les familles étaient informées du décès selon une procédure appliquée depuis 1914-1918 : télégramme – puis notification de la « mort pour la France » - remise du corps - funérailles « à grandes pompes d’obsèques patriotiques » (pour tenter de mobiliser les opinions ?).

« Ainsi, la guerre sans nom avait ses morts pour la patrie ; morts discrets en Afrique du Nord, morts embarrassants en métropole car ils rappelaient les réalités d’une guerre à une population peu impliquée et qui ne consentait plus au sacrifice de ses enfants » op. cit.

Le 5 décembre 2002 le Président de la République Jacques Chirac, inaugurait le mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, à la mémoire des 24 000 soldats tués entre 1952 et 1962. Il se situe Quai de Branly à Paris (110).

Quelques statistiques (111)

Entre 1921 et 1923, dates auxquelles « la majorité des cimetières municipaux [auront] accueilli les restes de quelques-uns des enfants du pays » on dénombrera 240 000 dépouilles rendues aux familles à titre gratuit (le ministère en avait prévu 400 000 – En Juillet 1922, 16 000 demandes de transferts à titre onéreux avaient été déposées « L’Almanach du Combattant », 1922, p.152), « soit 30 % des corps identifiés » (112), sans que pour autant les recherches ne cessent jusqu’à nos jours. Pour la seconde guerre mondiale on restituera 144 274 corps.

A la fin du XXe siècle, les 252 nécropoles nationales rassemblent 720 000 corps de morts pour la France (à ajouter aux précédents restitués), dont 244 000 en ossuaire. Les cimetières communaux (3 200 carrés) ont reçu 115 000 corps. On compte 197 000 corps à l’étranger (58 pays) dont 234 cimetières principaux et 2000 plus petits.

Résistants : 1500 sur 30 000 morts pour la France, sont inhumés dans une sépulture perpétuelle. (op. cit. pp. 104, 110 et 111)

Avant la Grande Guerre

Après ce tour d’horizon sur un ensemble de mesures prises à l’égard des nos soldats « tués à l’ennemi » il me semble utile de revenir sur la situation avant la Grande Guerre et de montrer en quelque sorte le chemin parcouru depuis.

Les pertes françaises antérieures à la Guerre de 1914-1918 (Source Internet « Mémorial » - 2004).

- Révolution et Empire. On estime les pertes à 600 000 pour les guerre de la Révolution et 800 000 pour celles du Consulat et de l’Empire. Le pourcentage de tués au combat à proprement parler va de 2 % (Austerlitz) à 8,5 % (Waterloo). En fait, la plupart des décès surviennent à la suite de maladies (principalement le typhus) ou de contagions pour les blessés. Une découverte récente (2004) à Erfurt (Allemagne) d’une fosse commune où gisaient des corps de soldats de la Grande Armée, située sur l’emplacement d’un ancien hôpital, tend à confirmer ce constat.

- Conquête de l’Algérie (1830) selon certains auteurs chiffrent les pertes françaises de 2 600 à 10 000 morts dont 411 officiers.

- Guerres du second Empire :

- Guerre de Crimée (1854-1855) : la France engage 310 000 soldats dont 20 000 meurent au combat et 73 000 à la suite de maladies.

- Guerre d’Italie (1859), sur 120 000 Français engagés, 22 000 meurent (maladies et tués).

- Autres Guerres (Chine – Cochinchine – Mexique) période de 1861 à 1867. La France déplore 65 000 tués et blessés dans l’ensemble. Au Mexique sur un effectif à terre de 38 492 hommes 1 627 sont tués, 4 735 meurent de maladie. Les marins ont 2 000 morts par maladie.

- Guerres Coloniales du XIXe siècle les pertes seraient de 112 000 morts dont 5 736 à Madagascar (1895) et au Tonkin (campagne de 1882 à 1885) environ 7 000 morts.

- Guerre de 1870 : les effectifs des troupes françaises engagées s’élevaient à 935 760 soldats parmi lesquels 156 000 décèderont, dont 18 000 en captivité et 61 000 de maladies ou d’épuisement, avec 145 000 blessés. 20 000 mourront durant les sièges (Paris, Strasbourg, Belfort). La surmortalité est due aux conditions de vie.

Dans tous les cas visés ci-dessus, la règle sera d’enfouir les corps des soldats dans des fosses communes, seuls les officiers ont droit à une sépulture individuelle [en est-on certain, vues les conditions des combats dans des lieux lointains, sous le joug momentané d’envahisseurs français honnis ?]. Cela restera encore d’actualité bien après le début de la guerre, en 1914, alors que la société civile ne réservait la fosse commune qu’aux très pauvres et aux vagabonds, le caveau familial s’étant généralisé depuis 1870.

Les ossuaires de Sébastopol (113).

Des précurseurs (114) en la matière se sont inquiétés du repos des morts survenus lors de la guerre de Crimée, en attendant les premiers engagements de l’État à conserver les tombes des soldats tués à la guerre avec la loi du 4 Avril 1873. Que sont devenus les restes de ces morts de Crimée ?

Les corps, comme c’était la norme à l’époque, ont été ensevelis en fosses régimentaires hiérarchisées. En 1882 une mission venue de France, ouvrit 592 fosses communes. Les restes extraits furent placés dans 17 caveaux adossés aux murs d’un cimetière d’un hectare, au centre duquel fut érigé une chapelle. Ses murs extérieurs furent gravés des noms des morts. Lors de la seconde guerre mondiale la chapelle et les ossuaires furent détruits. Et depuis, un terrain vague s’est installé après son nivellement et abattage des murs d’enceintes encore debout. Les ossements de nos 100 000 morts ressurgissent des ronces, fouillés par les pilleurs de tombe. Ne faudrait-il pas que soit pris en compte le devoir de réparation envers « ceux, qui en d’autres temps, ont […] su donner leur vie parce que le service de la patrie l’exigeait » ?

Les ossuaires de la guerre de 1870-1871 (texte de Serge Barcellini : « Le culte du Souvenir (115) ») :

« Avant la guerre franco-prussienne de 1870 il existait une dissociation très importante entre la sépulture et la commémoration. Par souci d’hygiène, en effet, les soldats morts au combat étaient inhumés ou brûlés sur place. L’inhumation en fosse commune sur le champ de bataille se poursuit durant la guerre de 1870. Mais alors que le souvenir de l’homme de troupe n’était pas entretenu (seules les statues des chefs militaires, érigées dans les grandes villes marquaient un souci de mémoire sélective), apparaît dès 1871 la première manifestation d’une volonté de mémoire globale. Par le traité de Francfort du 10 mai 1871, article 6 ; les gouvernements français et allemand, s’engagent réciproquement à entretenir les tombes de guerre existant sur leurs territoires respectifs.

Dans de nombreuses communes, des monuments ossuaires sont érigés, le plus souvent par des associations qui se fondent, en 1887, au sein du Souvenir français.

Face à cette évolution des mentalités, l’État hésite. Le 4 avril 1873, une loi ambiguë définit la propriété nationale des tombes et ossuaires de la guerre de 1870, tout en remettant l’entretien aux municipalités sans leur donner d’ailleurs les moyens.

Jusqu’en 1914, les ossuaires (116) de 1870 sont des lieux de commémorations où s’exprime la volonté de ‘revanche’ ».

Pour la mémoire

Disparus

Je termine l’exploration du tragique des combats sans que tout soit dit sur la manière de mourir à la guerre. Est-il bien nécessaire d’aller au plus loin dans le détail pour donner à comprendre ce qui est notre essentiel dans ce moment présent ? Moment d’hommage à nos morts ? Rappelons : la guerre tue !

L’essentiel est donc de retenir la souffrance et la peine qui atteignent les hommes au combat comme les victimes civiles, en toutes guerres voulues, toujours, par l’homme lui-même. Souffrance et peine ressenties par les familles endeuillées, orphelins laissés sans père. Rappelons l’hécatombe de 1914-1918, environ : 1 400 000 morts, 600 000 veuves, 720 000 orphelins. L’immense douleur !

Immense douleur qu’il s’agira d’atténuer en allant pleurer les héros en leur champ de repos, bien que les héros ne devraient pas se pleurer. Les héros on les glorifie pour l’éternité. Ainsi l’essentiel sera à un moment donné de préserver leurs dépouilles. Corps défunts, morts pour la France, mis en terre, à proximité de monuments, des plus modestes, parfois simples plaques, aux plus imposants, sculptés et dressés pour leur « gloire éternelle » disait-on.

Hélas tous ne reviennent pas des pays où l’on mourait, pour s’aligner dans les colonnes et les rangs fuyant vers l’infini horizon des morts. Là, où tout est repos et silence : cimetières communaux, nécropoles de la nation. Ce sont les « disparus » : morts perdus dans les terres retournées ; morts envahis par la nature à présent dans ses droits après tant de folie humaine. Alors reste le souvenir : un nom gravé sur la pierre ou le fer, nom donné en lecture au passant… « Passant, souviens-toi ! »

« Il ne faut pas les oublier », nous dit Roland Dorgelès, « dire seulement leurs noms, c’est les défendre, c’est les sauver. Ils ne mourront pas tant que nous les aimerons.

Camarades des régiments, quand vous vous retrouverez parlez des morts… s’ils n’ont pas une tombe, qu’ils aient du moins nos cœurs. » (117).

Pour la France

« J’entends monter dans le froid matin le son des trompettes, j’entends encore résonner en moi le roulement des tambours, je revois le général épingler sur le linceul recouvrant mon fils la croix de la valeur militaire, mais je revois surtout tous ces gens pleurer. En burnous, en soutane, en complet veston ou en uniforme, ils ne pouvaient cacher leurs larmes : c’était pourtant mon fils, pas le leur. Ils pleuraient parce que dans ce cimetière l’union des cœurs était réalisée. A ce moment personne n’a contesté à mon enfant, que ce soit en Algérie, ou en métropole, le droit et la gloire d’être mort pour la France… Une seule parole fait parfois plus de bien qu’un discours si elle vient du cœur » (118)

Le Discours

Par le discours, après 1914-1918, « la mort se trouve déconstruite dans son ignominie, dans ses manifestations concrètes – le corps outragé - , par une conversion symbolique, et inscrite dans une économie où elle prend une valeur d’échange : les morts sont morts pour la patrie, pour la France, pour la liberté… voire pour que disparaisse à jamais la guerre […]. On conduit ainsi la pensée vers le but supérieur pour lesquels les héros ont sacrifié leur vie, et rares sont les discours qui disent brutalement la violence inouïe subie par le corps sans en fournir une justification.

Ces discours nous disent que les morts méritent mieux que des larmes ; il faut au contraire leur vouer un culte : leur sacrifice avait un sens et les pleurer trop longtemps supposerait qu’ils sont morts en vain […] » (119).

Le temps qui efface les larmes des endeuillés est venu.. Nous ne pleurons plus et les chants de gloire aux héros se sont tus. Temps de la sérénité ou temps de l’indifférence pour ceux moins enclins aux célébrations (120) ? A moins que ce ne soit ignorance ou pire refus de savoir après refus de vouloir. Temps passé ! Temps nouveau ! Persisterons-nous dans le devoir de mémoire, mémoire si douloureuse ?

« La douleur peut s’exprimer… admirable lorsqu’elle est stoïque et résignée, elle devient gênante et impudique, parfois scandaleuse quand elle refuse de se contenir. Il faut retenir et sécher ses pleurs » (121).

Le temps du deuil est passé, mais en mon for intérieur réside ma reconnaissance accompagnée de compassion pour cette jeunesse perdue à qui je dois d’être libre aujourd’hui. Ai-je besoin de manifester au grand jour ce que d’aucuns ne veulent connaître ? Qui dois-je convaincre par le discours aux mots ressassés, dévalorisés à force d’être rabâchés, usure du verbe et des sentiments ? Mots au sens perdu. Mots qui ne disent rien de ce qu’ils disaient naguère : héroïsme, honneur, gloire…

Anachronisme du discours pour le temps présent, ou insignifiant pour quiconque ne cherche ou ne veut connaître du temps écoulé ? Pourquoi des tirades stéréotypées, récitées devant nous, anciens combattants, convaincus de ce qu’il en est, debout face aux monuments de tous les morts ? Nous seuls, parfois accompagnés d’enfants d’école convoqués. Et tous, une fois assemblés au silence dans le recueillement, objets parfois de risées (122) de badauds amusés par la musique jouée. La Marseillaise ! Cérémonies commémoratives hors des temps communs !

« Soucieux d’apaiser la douleur des endeuillés, les discours de commémoration s’efforcent de voiler la réalité des corps meurtris, d’en alléger le poids en conférant à la mort un très haut prix » (123).

En ce début du XXIe siècle, des décennies après la fin des grandes guerres, est-il encore besoin de « voiler l’horreur » de la mort des soldats oubliés ? Qui pleure et s’abstient par là de « glorifier et sanctifier [leur] mort au combat » (124) afin de les assurer de leur belle mort ? Qui veut encore glorifier ? Qui veut pleurer encore ? Le deuil est fait, la gloire n’est plus chantée. Mais il reste la nécessité de mémoire, après avoir vu « l’horreur » de la mort donnée.

Le Souvenir

« 1914 a conféré au culte civique des combattants morts un prestige qu’il n’avait jamais connu auparavant. Anticipant une pratique qui ne sera effective qu’avec la Résistance et le combat de la Libération de Paris, on propose ainsi dès 1916, que soient gravés sur les maisons des vivants les noms des morts. Non seulement il faut que le plus obscur soldat sache, en tombant, que son nom sera retenu, mais l’inscription prend des allures d’ex-voto à ciel ouvert, rappelant sans cesse les morts à la mémoire des vivants. Orchestré par la nation, qui se porte garante du sens et de la vertu du sacrifice, ce culte permet de maintenir symboliquement le mort présent tout en apaisant les endeuillés. » (125).

Depuis, c’est aussi dans le marbre-mémoire que sont gravés les noms de nos morts pour la France, « de façon qu’ils ne risquent pas, pendant des décennies, de subir l’usure du temps » (126). Marbres dédiés à nos morts, dressés dans tous (ou presque) nos villages. « Ce sont les monuments aux morts qui constituent le lieu saint, le ‘temenos’ où se célèbre le culte du souvenir » (127)

Veut-on en savoir ou en voir encore de ces monuments du souvenir « impérissable » ? Peut-être les a-t-on ôtés de notre vue ? déménagés des places d’honneur de la commune ? déplacés en un coin anonyme de cimetière ? Ou sont-ils invisibles à force d’être vus ?

« Dans chaque ville , dans chaque village, vous trouverez les stèles de ceux qui sont ‘morts pour la France. Aujourd’hui cela ne veut plus rien dire. Tant de Français sont morts pour un principe. Que signifiait la France ? » (128)

Monuments aux morts ! « Nous avons fini par passer devant eux avec indifférence » (129). Monuments aux morts devenus encombrants dans les centres villes ou villages, en souvenir des sacrifiés des guerres, en veut-on encore au moins dans nos esprits ? Monuments aux morts oubliés ? « Pourtant, il est peu de spectacle aussi profondément émouvant et lamentable » (130)

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, si les monuments aux Morts pour la France sont dressés parmi nous, c’est par la volonté des populations de nos campagnes, émise dès la fin de la Grande Guerre. Les monuments aux morts « sont plus qu’un hommage de l’État ou de la nation [ils sont] un mémorial dressé par l’ensemble des citoyens » (131). Alors, encore une fois, ignorance ? refus d’apprendre ? ne pas vouloir savoir ? Ou, oublier pour ne plus pleurer ?

En remontant le temps, alors que la Grande Guerre n’avait cessé que depuis quatre ans, déjà le souvenir s’estompait. Ou, tout au moins, l’État, se faisait tirer l’oreille pour remplir ses devoirs qu’il s’était imposé lui-même par la « loi du 25 octobre 1919 relative à la commémoration et à la glorification des ‘Morts pour la France’ au cours de la Grande guerre ».

L’État prévoyait l’érection d’un Monument aux Morts dans chaque commune (cf. dans quelles conditions notre tome I), et qu’un « Monument national commémorant les héros de la Grande Guerre tombés au Champ d’honneur sera élevé à Paris… ». De plus il se chargeait de mettre en place dans les communes un Livre d’or portant les noms des « Morts pour la France » nés ou résidants dans les dites communes endeuillées. Pour finir, il souhaitait que ces mêmes noms soient inscrits sur des registres déposés au Panthéon.

En définitive, force est de constater avec « L’Almanach du Combattant » qu’en 1922, il n’est pas encore question ni ni du Monument national à Paris, ni du Livre d’or, ni d’inscriptions sur les registres du Panthéon. Heureusement les communes vont prendre le pas, et décideront de dresser leurs monuments aux morts, en mémoire de leurs morts à la guerre, de toutes les guerres.

La Mémoire

Il est vrai, nous dit Antoine Prost que « la vie pousse toujours, et c’est elle qui est bonne, non la mort, ni même le souvenir de la mort. 1914 s’estompe derrière nous. Les deux guerres mondiales tendent à se confondre dans la même image d’un temps révolu où il y avait des guerres » (132).

Un poète m’a dit : c’est à toi de te souvenir et j’accepte. C’est en moi que se trouvent les mots à me dire pour une reconnaissance fraternelle aux morts pour la France. Mots dictés par ma conscience. Qu’ai-je besoin, devant les marbres qui rappellent, de mentors pour déclamer aux seuls jours anniversaires, de mentors qui vont, viennent, partent et oublient (133) ? L’oubli renoncement laisse place au recommencement, même si, pense-t-on avec une pointe de naïveté rassurante, l’histoire ne se renouvelle pas (134).

« La guerre est terminée ! » s’écrient–ils, « de grâce laissez-nous tranquilles avec cette affreuse guerre ! »

« Vous laisser tranquilles ? Nous ne demandons pas mieux. Commencez par ressusciter nos quatorze cent mille morts, par rendre leurs jambes, leurs bras, leurs yeux, leur santé à nos douze cent mille mutilés, par combler nos entonnoirs, par remettre debout nos forêts brûlées. Alors nous vous laisserons tranquilles, nous ne parlerons plus de la guerre, car ce sera comme s’il n’y avait pas eu de guerre. » (« L’Almanach du combattant » op. cit.)

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Le devoir de mémoire a-t-il encore un sens aujourd’hui ? (135)

« Cette expression est un lieu commun. Je n’ai jamais bien su ce qu’elle voulait dire. Elle a surtout une importance dans les discours politiques. On ne peut pas forcer un être humain à se souvenir de ce qu’il veut oublier. Pourtant il ne serait pas raisonnable de tout oublier. »

(Imre Kertész, prix Nobel 2002)

Notes :

1) Cité in « Lecture pour tous » Ed. Hachette du 15 décembre 1918 p. 395.

2)Éric Desmons « Mourir pour la Patrie ? », PUF, Paris 2001. p. 98.

3) L. Capdevila et D. Voldman, « Nos Morts », Payot, Paris 2002, p.8 – Par ailleurs, Raoul Girardet rappelle qu’« on ne peut guère citer qu’un seul exemple de deuil réellement national : celui de 1918 » in « Deuils » Éditions Autrement, Paris 2000, p. 183

4) L. Capdevila et D. Voldman op. cit.. p. 11

5) Déclaration faite au moment où J-F-K décidait de s’opposer à la présence sur l’île de Cuba, de fusées intercontinentales soviétiques, menace intolérable pour les États-Unis si proches de Cuba. Une guerre de géant se préparait, elle n’aura pas lieu.

6) Ouvrage collectif « Vie et Morts des Français 1914-1918 » Hachette 1959 p.161.

7) Le virus de la grippe espagnole en « 1918 provoquera 91 465 décès » in revue « Historia » n° 501, 1988 - p. 121.

8) André Ducasse, « Balkans 14/18 ou le chaudron du diable » Robert Laffont, Paris 1964, pp.85 à 88.

9) Selon Frédéric Rousseau, op. cit. p. 75

10)Jean Norton Cru op. cit. p. 29.

11) Cité par Rémy Cazals et Frédéric Rousseau op. cit. p. 106 -Lettre de Morel-Journel, « Journal d’un officier de la 74e Division d’infanterie », 1922.

12) Alain, op. cit. p.112 –« J’ai fait la guerre de téléphoniste d’artillerie » déclare Alain, Engagé Volontaire à 47 ans en 1914, (Ibid. p. 22).

13) Cité par Rémy Cazals et Frédéric Rousseau op. cit. p. 37.

14) Nous sommes toujours dans l’optique de la guerre de 1914-1918, période productive de législation au titre du « Monde Combattant », sans que pour autant, on ne trouve de cas similaires dans les guerres suivantes.

15) Sophie Delaporte, « Le corps et la parole des mutilés de la Grande Guerre » in « Le Monde Combattant », PUF,Revue Historique mars 2002. p.13.

16) Ibid. pp.6 et 7.

17) Au sujet de la législation en rapport avec le « Monde Combattant », se reporter à l’ouvrage de Claude Petit et d’André Delvaux « Le guide social des Anciens Combattants et victimes de guerre » Charles Lavauzelle 1993.

18) Les termes « Mort pour la France » doivent normalement faire l’objet d’une mention marginale sur les actes de décès. Contentieux « Les litiges concernant l’attribution ou le refus de la mention ‘Morts pour la France’ relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires » (La Voix – UNC)

19) L. Capdevila et D. Voldman – « Nos Morts, les sociétés occidentales face aux tués de la Guerre », Payot 2002 p. 21.

20) Jérôme Wilson (site Parutions. com ) au sujet du mythe de guerre in « De la Grande Guerre au totalitarisme » G.L. Mosse – Hachette 20O3.

21) Cité par Rémy Cazals et Frédéric Rousseau op. cit. p. 114.

22) Selon Jacques Meyer (op. cit. p. 91), « Le lance-flamme particulièrement redouté de nos soldats …sera utilisé par les Allemands dès octobre 1914. Largement employé dans les Vosges, en Argonne, puis à Verdun. Notre riposte fut un lance-flamme improvisé qui resta très rudimentaire ».

23) « Tous les massacres de l’histoire ont eu des survivants. Lorsque les armées mettaient à feu et à sang les villes conquises, il y avait des survivants […]. Mais il n’y avait pas, il n’y aura jamais de survivants des chambres à gaz nazies. Personne ne pourra jamais dire j’y étais », Jorge Semprun - philosophe, déporté au camp de Buchenwald en 1944 – « membre d’un des réseaux anglais de résistance… devenu l’un des dirigeants des communistes espagnols du camp » - « L’écriture ou la vie », Gallimard, Paris1994, p. 60 et quatrième de couverture.

24) Cité par Rémy Cazals et Frédéric Rousseau op. cit. p. 26 -Lettre d’Elie Vaudrand, soldat auvergnat à sa famille, 13 novembre 1914.

25) Jean Galtier-Boissière « La fleur au fusil », Éditions Baudinière – Paris 1928, pp. 122-123.

26) Jean-Baptiste Duroselle « La Grande Guerre des Français - 1914-1918 », Perrin – Paris 1994 p.422.

27) Thierry Hardier, Jean François Jagielski, « Combattre et mourir pendant la Grande Guerre », Imago Paris 2001, pp.42 à 57.

28) Ibid. p. 77, « belle langue de bois » concluent les auteurs. Il s’agit en l’occurrence de « La Grande Guerre », 1923, ouvrage du général Thévenet.

29) Ibid. p. 59 – cf. Article de Léon Hudelle « Le Poilu » édité in « Le Midi Socialiste » 26 décembre 1915.

30) Jean-Baptiste Duroselle op. cit. p.198 – Le général Weygand pensait que la guerre aurait pu être gagnée au cours de cette année « perdue » (1917). Il en donne ses raisons dans son ouvrage « Idéal vécu » (op. cit. p. 442). Entre autres arguments, il estimait comme une faute grave d’avoir relevé le général Joffre de son commandement (sous pression du politique) alors que bien des éléments plaidaient en sa faveur pour obtenir la victoire. Et si cela avait été ?

31) Le général André Bach cite Vincent Suard, « La justice militaire et la peine de mort au début de la première guerre mondiale » in op. cit. p.15.

32) Alain, op. cit. p. 30, ce qui - remis dans le contexte de l’exposé de l’auteur - ne veut pas dire que le philosophe accepte « la méthode ».

33) Ibid. p. 28.

34) Général André Bach op. cit. pp. 23 et 595 note 5.

35) Georges Leroy « Pacifiques combattants au 414e R.I. » Marcel Leconte, Marseille 1936 pp.264-265.

36) L. Capdevila et D. Voldman, op. cit. p. 82.

37) Ibid. p.179 qui citent Nicolas Offenstadt (op. cit.).

38) « L’Almanach du combattant » op. cit. p.93.

39) En son article « Les anarchistes pendant la Grande Guerre de 1914 » Maurice Laisant (« Le Monde Libertaire » - 2003) demande : « Ne sont-ce pas les nôtres [les anarchistes, donc] qui forment la plus large proportion des réfractaires, des déserteurs et des insoumis ? ».

40) Voir par exemple, en d’autres circonstances, les disparus des « enrôlés de force » par les forces nazies, lors de la seconde guerre mondiale, Alsaciens et Mosellans. En 1955 on recense encore 18 529 disparus notamment en URSS. Cette question est incomplètement résolue dix ans après, « compte tenu de la nature des combats en territoire soviétique ». Cf. « Les Anciens Combattants et victimes de la guerre, dans la Paix » Min. des A.C.V.G., 1964 p. 231.

41) « Mourir sans sépulture ou plus exactement ‘pourrir’ seul entre les lignes hantait les Poilus » Stéphane Petit, « La mort au champ d’Honneur, une mort apprivoisée ? », « Cahier n°19 , Histoire socioculturelle des armées » - SGA 2003.

42) Citation de Carine Trevisan « Les fables du deuil »,, PUF2001, p. 78, cf. note 2.

43) Ibid. p. 79.

44) Alain : « Une citation est toujours glorieuse » op. cit. p. 128 - « L’Almanach du combattant » op. cit. p.108 : lors de la Grande Guerre, seuls les militaires tués à l’ennemi ou morts des suites de blessures reçues à l’ennemi ou en services commandés et cités, sont susceptibles de recevoir la Légion d’honneur ou/et la Médaille militaire à titre posthume, sur proposition du dépôt du corps d’affectation du militaire. Ne sont pas compris ceux morts des suites de maladie, mais sont concernés les disparus (déclarés décédés par jugement) ainsi que les condamnés réhabilités (cf. décret du 1er octobre et 4e décembre 1918 et suivants jusqu’en 1921). Rappelons que la croix de guerre créée le 8 avril 1915 a pour but de « commémorer les citations individuelles ».

45) Ces actions sont l’objet de citations (croix de guerre) souvent énoncées de manière convenue pour tous les récipiendaires. Elles rappellent entre autres, les circonstances de la mort du combattant. Sauf erreur nos morts ont dû être cités et avoir obtenu la Légion d’honneur ou/et la Médaille militaire.

46) Paul-Marie de La Gorce « Les ‘adieux’ à la gare de l’Est’ resteront une sorte de ‘cliché’ historique qui résume l’inconscience collective devant la réalité de la guerre moderne », in « La république et son armée », Fayard Paris 1963 p. 130.

47) Terme adopté (en forme de « raccourci ») par nos historiens contemporains. On peut préférer lui substituer celui de « violence » (Cf. Eric Labayle).

48) Jules Henches cité par Jean-Norton Cru op. cit. p. 521.

49) A-t-il le temps de passer par les trois phases préliminaires à la mort (lu dans « Le Monde ») ? Le refus de la mort ; la résignation ; le râle, ce dernier instant du non-retour peut-être tourmenté par de diaboliques remords, donc trop tard pour se racheter ?

50) Maurice Maeterlinck « La Mort », Arthème Fayard – Paris 1938, p. 12.

51) Maurice Matertinck cite Marie Lenéru (« Les Affranchis » – acte III, scène IV) in op. cit. p. 7.

52) Ibid.

53) Roger Bruge (Ancien enfant de troupe, école Montélimar 1940-1946) : « Les hommes de Dien Bien Phu », Perrin 2003 p. 403, il s’agit d’un constat au sujet du saut des derniers renforts constitués de volontaires non brevetés parachutistes, largués au dessus de Dien Bien Phu entre le 17 avril et le 4 mai.

54) Alain, op. cit. p. 91.

55) Ibid. p. 84.

56) Gabriel Chevalier. « La Peur », PUF 1951 p. 10.

57) Antoine Prost, op. cit. p.68.

58) Voir à ce sujet de « guerre injuste », ici le chapitre I précédent.

59) André Chamson « Préface », in « Ponts de lianes » Jacques Raphaël Leygues, Hachette , Paris 1976 - pp. 14-15.

60) Selon texte de Roger Bruge, op. cit. pp. 9, 14 et 22

61) Ibid. p 13, Viet-minh, « formation politique issue en 1941 de la réunion du parti communiste et d’éléments nationalistes qui furent par la suite écartés ».

62) Voir ici le chapitre II précédent

63) Carine Trevisan op. cit. p. 4.

64) Carine Trevisan op. cit. p.44.

65) Cité par Rémy Cazals et Frédéric Rousseau in « 14-18, le cri d’une génération », Privat 2001 p.112 – En l’occurrence, c’est plus la mort que je traite ici.

66) André Ducasse, op. cit. pp.85 à 88.

67) « Pour la veuve du militaire tombé au champ d’honneur de la première guerre mondiale, les conditions de mort de son mari demeurèrent le plus souvent énigmatiques. Aurait-il été décent en effet de lui révéler la stricte vérité ? La guerre n’est-elle pas une horrible boucherie, où les hommes meurent décapités ou dans d’affreuses souffrances, après une longue agonie […]. Il est évident que le silence s’avérait encore préférable. » Stéphane Petit, op. cit.

68) Jorge Semprun op. cit. p. 149.

69) Jorge Semprun op. cit. p. 98

70) Jorge Semprun, « La mort qu’il faut », Gallimard 2001, p. 130-131 et 136

71) In « L’Almanach du Combattant 1922 » – Les Éditions du combattant – Paris 1922 (n°1) – Rédacteur Jean Péricard, créateur.

72) Jean-François Montes, « L’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre » in «Le Monde Combattant », op . cit. p.71 : « En août 1914 […] ni l’opinion publique, ni les structures administratives ne sont préparées au choc qui va se produire ; A partir du 2 août, deux histoires parallèles vont se développer et perdurer durant l’entre-deux-guerres, celle des ayant droits, et celle des administrations ».

73) Termes utilisés par Luc Capdevila et Danièle Voldman, « Nos Morts », Payot, Paris 2002 - p. 11. L’entretien des tombes, a été amorcé dès 1870-1871.

74) Ibid.

75) Carine Trevisan op. cit. p. 80 et p. 57 en suivant.

76) Ernst Jünger op. cit. p.46.

77) Jacques Raphaël Leygues « Ponts de lianes », Hachette , Paris 1976 p. 20 – « 800 Saint-Cyriens sont morts en Indochine » – et 20000 métropolitains sur 92000 morts au total – Paul Marie de la Gorce op. cit. p. 469.

78) Carine Trevise op. cit. p. 47.

79) Carine Trevise rappelle l’existence de l’ossuaire de Douaumont : « Sanctuaire national des disparus sans sépulture », lieu de recueillement pour les endeuillés op. cit. p.80.

80) Ibid. p. 80. - Soldat inconnu, inhumé sous l’Arc de Triomphe, Paris le 11 novembre 1920, simultanément avec celui de l’Angleterre de l’abbaye de Weastminster. C’est N.D. de Lorette qui recueillera, le soldat inconnu de la Guerre 1939-1945, en 1950, et une urne de cendres de déportés inconnus en 1955. Ensuite les dépouilles des inconnus d’Afrique du Nord en 1977 et d’Indochine en 1980. (L. Capdevila et D. Voldman op. cit. pp.13 et 232). Notons que de son côté, le cimetière national rassemble 20 000 tombes. Dans ses 8 ossuaires reposent plus de 22 000 morts (« La Voix »-UNC, 12/2003)

81) Ibid. p. 81.

82) Ibid. p. 87.

83) Dans un cimetière communal, le cas d’état d’abandon de tombes de guerre, constaté par PV du maire, outre celle du public et des familles, doit être porté à la connaissance du Souvenir Français. Le cas échéant il se substitue aux familles défaillantes pour assurer la pérennité de ces sépultures « lorsque la dépouille mortelle du soldat avait, à l’époque, été rendue aux familles », Débats parlementaires A.N. J.O., 16/11/1998 p. 6263 et La Voix UNC Mars 1999.

84) Noter la présence de nécropoles sur les autres théâtres d’opérations (Orient, Tunisie, etc.), bien qu’une partie des corps fut rapatriée sur la France.

85) Luc Capdevila et Danièle Voldman, op. cit. p. 98.

86) Ibid. p. 25.

87) Nonobstant l’intervention de la Croix Rouge et du Souvenir français, déjà évoqués par ailleurs Tome I et II de notre devoir de mémoire, op. cit.

88) Luc Capdevila et Danièle Voldman, op. cit. p. 26.

89) Les exhumations et transports de corps (à l’initiative des familles ?), sont interdites par circulaire du 19 novembre 1914 du commandement en chef.

90) Luc Capdevila et Danièle Voldman, op. cit p. 28.

91) Ibid. p. 29 et p. 102, en 1914-1918 on comptait 45 000 victimes civiles pour 250 000 en 1945.

92) Ibid. p.86 et p. 95.

93) Ibid. p.89. Par exemple, en 1922 la Ligue des Chefs de sections et Soldats combattants, s’inscrit dans « la lutte contre les mercantis du champ de bataille » Almanach du Combattant op. cit. p. 199.

94) 1918 - L’offensive générale Allemande anéantit tout un travail de recherche bien avancé, entrepris depuis 1916, concernant le repérage de tombes isolées et d’inhumations insuffisamment protégées -(cf. Capdevila et Voldman, op. cit. p. 83).

95) Ibid. p.86 – Le haut commandement ordonnait de confectionner des cercueils en bois tendre préventivement aux assauts des grandes batailles, et de creuser les tombes par des territoriaux, d’où l’angoisse et la colère des combattants qui voyaient ces préparatifs (cf. Capdevila et Voldman, op. cit. p. 86).

96) Ibid. p. 99.

97) Ibid. p. 80 – concerne l’ensemble du paragraphe en suivant.

98) L’Union Fédérale (UF - proche des milieux radicaux-socialistes) et l’Union Nationale des Combattants (UNC - proche de la droite classique), représentent 60% de la Confédération Nationale des Anciens Combattants (CNAC) qui elle-même rassemble la majorité des Anciens Combattants de France. Ce qui n’empêche pas les oppositions internes et donc l’impuissance dans l’action. En 1935, les A.C. représentent 42 à 46% de la population masculine de plus de 20 ans - Claire Moreau-Trichet « Propagande nazie […] » in «Le Monde Combattant », op. cit. Notes 3, 6,11, 12 en pp. 55 et 56.

A ceci s’ajoutent les nombreuses amicales régimentaires regroupées, en grande partie, au sein de la Fédération Nationale des Unions et Sociétés d’A.C.

99) «Le Monde Combattant », op. cit. pp. 66 et 69. « Les dirigeants de l’UF et de l’UNC démissionnent du Comité Franco-allemand en mars 1939. ».

100) A l’issue de la guerre de 1914-1918 on compte plus de 600 000 veuves dont 140 000 sont remariées en 1924 – 262 500 en 1927 et 280 00 en 1934. (Site Internet SGA - Mémoire des hommes – FAQ - 2004).

101) Capdevila et Voldman, op. cit. p.102.

102) Cité par Olivier Faron – « Les déjeuners de l’Institut des Sciences de l’Homme » Dossier n°25 – Décembre 2001

103) « L’Almanach du Combattant 1922 » op. cit. p.140. Au passage, je relève que par ailleurs, s’agissant d’enfants, la loi du 7 avril 1917, fixait les conditions de légitimation d’enfants nés hors mariage alors que le père présumé était décédé à la guerre après le 4 août 1914.

104) « La Voix du Combattant » Février 2003.

105) Capdevila et Voldman, les transport à titre onéreux pour les familles sont réalisés au plus tôt contrairement aux corps transportés plus tard donc, au frais de l’Etat. Le lieu d’inhumation du corps est décidé par la famille, en cas des désaccord c’est la justice qui en décide. A ce jour l ‘Etat n’est pas en mesure de dire où les corps rendus aux familles (environ 200 000) ont été inhumés en définitive.

106) Guerre 1914-1918, on compte 40 000 victimes civiles mais 250 000 pour la seconde guerre mondiale.

107) Le bataillon français en Corée a eu 262 tués dont 44 d’entre eux sont enterrés sur place, cimetière des Nations Unies à Pusan. « Le Gouvernement de Séoul a érigé à Suwon un monument à la mémoire de nos combattants…Inauguré en 1974 ». (« La Charte », juillet août 2003 p. 7).

108) D’après Roger Bruge op. cit. pp. 19, 20 et 29.

109) Rappel : On compte 25 000 morts en Algérie, 65 000 blessés, et 150 000 victimes chez les harkis (« La Voix », UNC nov. 2003).

110) Au titre de ce mémorial, il est possible d’y faire inscrire les noms des morts pour la France qui y auraient été omis, en s’adressant au bureau des monuments historiques et des lieux de mémoire – Secrétariat aux Anciens Combattants – 37 Rue de Bellechasse Paris 75007 Paris.

111) Les statistiques sur les conséquences humaines des guerres, présentées dans mon étude, sont à considérer comme des ordres de grandeur. Les comptages d’un document à l’autre, pour un même fait, varient tout en restant dans une même fourchette, donc acceptables pour se donner une idée des dites conséquences. (cf. par exemple l’un des premiers documents contestés : le rapport du député Louis Marin présenté dès 1919).

Rappel concernant la guerre 1914-1918 : 1 357 800 morts et tués pour 8 410 000 mobilisés, dont 2 864 000 se trouvaient sur l’ensemble des fronts au 1er novembre 1918. Total des blessés français 3 5 95 000 (nombre approchant l évaluation d’A. Prost). (« La Charte » oct-noc 2003).

112) Capdevila et Voldman op. cit. pp. 226 et 89 en suivant.

113) Situation exposée par Vincent Marion, dans « La Charte » de juin-juillet du 1995, p. 15.

114) C’est à la suite des massacres et de la détresse des blessés sur le terrain des combats de Sébastopol - guerre de Crimée, 1854-1855, « une des plus sanglantes » du XIXe siècle - que cinq Suisses, dont Henry Dunant, créent la Croix-Rouge Internationale (C.R.I.).

115) In la revue « Historia » numéro spécial « 1918 la victoire » de septembre 1988 n° 501.

116) Au titre de la loi du 4 avril 1873 sont aménagés des tombes et ossuaires d’inconnus (les soldats français étant dépourvus de plaque d’identité) - 25 ossuaires seront édifiés et 87 396 sépultures réalisées. Une nécropole est inaugurée en 1985 à Saint-Privat-la-Montagne. Elle regroupe les corps de 1328 Français et Allemands morts en Moselle. Source : « Les Chemins de la Mémoire » édité par la DMPA, n°101 octobre 2000.

117) In « L’Almanach du Combattant 1922 » op. cit. p.7 – Les Éditions du combattant – Paris 1922 (n°1).

118) Il s’agit des obsèques du fils du Bachaga Boualam, in « Mon pays …la France », Editions Empire – 1962. pp. 10, 11, 123 - Bachaga Boualam était un ancien enfant de troupe de Saint Hyppolite du Fort et de Montreuil-sur-Mer (1919–1924). Il était Capitaine dans l’Armée française, commandeur de la Légion d’honneur, ex-vice président de l’Assemblée nationale française. Descendant d’une famille de soldats algériens qui ont suivi le destin de la France depuis 130 ans dans toutes ses guerres. 1962, la France quitte l’Algérie : le Bachaga Boualam s’installe en Camargue avec un millier des siens, loin des honneurs et de la sollicitude prodiguée auparavant [Je donne cet extrait en mémoire de tous ceux d’Outre-Mer qui ont donné leur vie à la France].

119) Carine Trevisan op. cit. p.4

120) « Qui participera à ces cérémonies ? Ça tend à devenir une sorte de rituel dépourvu d’une véritable signification profonde […]. Parce que de la même façon que le deuil tend à s’effacer de la mémoire individuelle, le deuil à l’échelle d’une nation - aussi gigantesque fût-il – tend à s’effacer de la mémoire collective » Raoul Girardet op. cit. p. 182.

121) Carine Trevisan op. cit. p. 11.

122) Philippe Barrière : l’esprit « Ancien combattant…est de nos jours trop souvent injustement brocardé… [Esprit qui agit], vraie prouesse, sur le présent au nom du passé… par le biais de son travail de mémoire ». Extraits de « Au nom de la mémoire » in «Le Monde Combattant », op . cit. p. 49

123) Ibid. p. 41.

124) Carine Trevisan relève (« Bleu Horizon » p. 119) « l’effort fait en 1914 pour voiler l’horreur et glorifier ou sanctifier la mort au combat ». Ibid. p.3.

125) Ibid. p. 5

126) Jean-Baptiste Duroselle op. cit. p.421

127) Antoine Prost « Les Anciens Combattants 1914-1939 », Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques Paris 1977 – Vol 3 p.52

128) Jean-Marie Rouart « Déclin de la France » in « Le Point » n°1634 22 août 2003, p. 20

129) Jean-Baptiste Duroselle op. cit. p.420

130) Ibid. p.420

131) Concerne la loi du 25 octobre 1919 - Ibid. p.39 et notre Tome I « Les monuments aux morts des P.O. », l’Agence – Rivesaltes 2002

132) Ibid. p. 236

133) Les cérémonies de commémoration donnent « l’occasion à un maire, à un homme politique de faire un beau discours. Pour le reste je dirai que les grands rythmes de la vie collective ne me paraissent pas marqués par le deuil. » Raoul Girardet op. cit. p. 182.

134) Alain en 1931, il n’y aura pas la guerre « par la seule raison que rien jamais ne recommence » soit ! - « Souvenirs de guerre », Flammarion 1952, p. 22.

135) Jérôme Béglé interroge Imre Kertész in « Voir Auschwitz et écrire… », Paris-Match (n°2860)- 2004, p.16. Imre Kertész, ajoute dans cet extrait « La Shoah me semble suffisamment présente dans la vie des survivants, de leurs enfants, de leurs familles pour s’obliger à perpétuer le souvenir ».