Entre les 2 guerres

LES PYRÉNÉES-ORIENTALES ENTRE LES DEUX GUERRES :

1914-1962 (1)

Jean LARRIEU

Quatre années difficiles

La mobilisation générale du 1er Août 1914 provoque l’émotion à Perpignan et dans le Département, surtout chez les femmes. Horace Chauvet parle d’émotion intense, les conscrits affluent au Bureau de recrutement (2). Les hommes se préparent, on en prend son parti, tout en mesurant la gravité du moment. Et puis, cette guerre sera courte et on sera vite à Berlin. Les troupes partent sous les acclamations de la population, elles vont faire leur devoir. Mais bientôt, ce seront les heures d’angoisse.

Dés les semaines suivantes, arrivent les premiers blessés. Ainsi, l’Indépendant du 21 Août 1914, relate dans ses colonnes l’arrivée de 258 militaires qui seront répartis dans les hôpitaux de Perpignan. Alors, le département s’installe dans le guerre avec, comme le relève Etienne Frenay (3), les peurs et les rumeurs qui alimentent les conversations et provoquent des incidents tout au long du conflit. Dés le début de la guerre, la censure militaire s’exerce et des mesures de suspension temporaire sont prises contre la presse qui aura les censeurs à demeure. Les pages des journaux s’orneront de « blancs ». La censure s’exerce aussi à la poste, on surveille les étrangers. L’Indépendant relate les exécutions des traîtres, donne des nouvelles du front et s’attache à entretenir le moral de l’arrière.

Les politiques ont fait l’union sacrée à laquelle se rallie l’Église dès l’entrée en guerre. Cette union est renforcée par la victoire de la Marne. Le vainqueur, Joffre, l’enfant de Rivesaltes, est glorifié, encensé, adulé. Ce culte, qui amène de nombreux parents à prénommer leur nouveau-né Joffre ou Jofrette, fait naître un nouveau « Pater » publié par Jules Escarguel dans L’Indépendant du 15 Décembre 1914 :

« . Notre Joffre qui êtes au feu, que votre nom soit glorifié,

Que votre victoire arrive, que votre volonté soit faite

Sur la terre comme dans les airs. Donnez leur aujourd’hui

Votre pain quotidien ; redonnez nous l’offensive comme

Vous l’avez donnée à ceux qui les ont enfoncés ;

Ne nous laissez pas succomber à la teutonisation

Mais délivrez nous des Boches Ainsi soit-il ! »

Cependant, l’euphorie, née de la victoire de la Marne, ne va pas tarder à se dissiper car la guerre dure et amène son cortège de malheurs et de désillusions.

Les arrivées des premiers blessés ont ouvert les yeux sur les dures réalités du conflit, bientôt des familles sont éprouvées par la nouvelle du décès d’un mari, d’un fils, d’un frère morts pour la France. La prolongation du conflit que l’on n’avait pas prévue inquiète et lasse. L’opinion suit avec attention les nouvelles du front, avec crainte aussi et le moral s’affaiblit.

Chez les politiques, comme le note Etienne Frenay (4), l’union sacrée se lézarde. Emmanuel Brousse, Nerel, Jules Pams et Deslinières soutiennent le gouvernement et le grand Etat-Major. Par contre, Victor Dalbiez et Rameil, mécontents de l’affaiblissement du rôle du Parlement face au pouvoir exécutif influencé par les militaires, n’hésitent pas à critiquer le Cabinet Briand et l’État- Major. Ils veulent rétablir la prééminence du civil sur le militaire et bientôt glissent vers le pacifisme. L’arrivée de Clemenceau au pouvoir, en Novembre 1917, fut pour eux un coup dur et leur influence recula fortement.

Un autre problème qu’on ne peut ignorer fut aussi celui des insoumis ou des déserteurs qui gagnèrent l’Espagne où, souvent, ils avaient de la famille qui les accueillait. La plupart étaient des permissionnaires des communes frontalières. Il est difficile d’évaluer leur nombre exact et ces manquements au devoir patriotique ne doivent pas faire oublier le sacrifice de l’immense majorité des mobilisés du département. Ainsi le canton de Saillagouse aurait eu 400 déserteurs (5) mais ce canton a, ne l’oublions pas, perdu 200 de ses enfants au combat soit 4,4 % de sa population, la France a perdu dans le conflit 3,5 % de la population de 1913.

Sur le plan économique, la guerre eut des conséquences importantes, plusieurs usines participent à l’effort de guerre. Les femmes ont pris en charge l’économie et n’ont pas hésité à suppléer les mobilisés. En 1915, plus de 300 couturières fabriquent à Perpignan des vêtements pour l’armée (6). Elles seront 1100 en 1918. Au Chef-lieu et dans les villages, on crée des garderies et des crèches pour permettre aux femmes de travailler. Pour préserver leur condition, elles n’hésitent pas à créer, le 6 Octobre 1915, leur syndicat.

Dans les villages, beaucoup d’enfants délaissent l’école pour travailler. La mobilisation a touché environ 50000 hommes pendant le conflit et sont restés au pays les femmes, les anciens et les enfants qui s’impliqueront dans des travaux souvent pénibles pour pouvoir faire face aux besoins du quotidien. Or, pour beaucoup, ce quotidien n’est pas facile.

La production agricole du département est axée sur la vigne, les fruits et légumes. Il faut donc faire venir les céréales, la viande. Par intervalles, le pain manquera surtout au moment de la soudure printanière. On fait alors appel à l’armée qui fournit des pains de munition. Bientôt, le pain est rationné et, en 1918, sont créées les cartes d’alimentation et de rationnement qui donnent droit à 400 grammes de pain par personne et par jour puis à 300 grammes, une livre de sucre par personne et par mois.

Les réquisitions des commissions de ravitaillement n’arrangent pas les choses et la pénurie s’installe génératrice de la hausse des prix et aussi des restrictions. Ainsi, en 1917, le Lundi et Mardi de chaque semaine deviennent jours sans viande. On incite les gens à cultiver leurs jardins, à créer de petits élevages (7). Les classes pauvres, elles, subissent durement le fardeau du conflit

Par contre , ceux qui en ont les moyens peuvent se procurer à prix d’or et sous le manteau ce dont ils ont besoin. Par ailleurs, la ville, en l’occurrence Perpignan, vu la structure de la production est bien moins lotie que les autres lieux du département où les professions agricoles dominent l’économie !

En effet, la viticulture est très prospère, l’armée (est-ce grâce à Joffre ?) autorise la vente des vins doux naturels dans les zones des armées et cette production prospère ( + 370 %) ainsi que celle des vins de liqueur (+350 %) au détriment des vins secs. Les cultures maraîchères et fruitières s’étendent aussi et la hausse des prix favorise viticulteurs et maraîchers.

Une autre activité est devenue primordiale : l’extraction du minerai de fer. Cette production stratégique est poussée à tel point que les mines du département en fournissent 450000 tonnes et en font le deuxième département métallifère du pays ( 8 ).

Il y eut aussi, pendant le conflit, une conséquence démographique importante : le développement de l’immigration nécessaire d’ouvriers espagnols attirés en plus par des salaires très supérieurs à ceux pratiqués dans leur pays : salariés agricoles, maçons, ouvriers d’usine viennent travailler dans le département et ils seront 20000 en 1917 ( 9). Beaucoup d’ailleurs feront souche ici.

Lorsque est connue la nouvelle de l’armistice, c’est la joie, la délivrance mais aussi la tristesse car le département a perdu au champ d’honneur 8346 tués soit 3,9 % de sa population, un taux plus élevé que le taux national.

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L’entre deux guerres politique

La paix revenue, passés les jours de joie, la vie reprend son cours mais les conditions ne sont plus celles d’avant 1914. De nouveaux types sociaux sont apparus comme partout en France : les veuves de guerre, les orphelins, les gueules cassées, les anciens combattants dont Clémenceau a dit : « Ils ont des droits sur nous ». Les femmes, qui ont assumé des responsabilités dévolues aux hommes, prennent une place de plus en plus importante dans la vie de tous les jours. La vie culturelle va reprendre son essor, la vie quotidienne évolue grâce à l’électricité et aux nouvelles distractions comme le cinéma, arrivé en 1902 à Perpignan.

La vie politique locale est marquée par l’arrivée d’un nouveau partenaire refusant la démocratie libérale et adhérant aux directives de la III° internationale : Le parti communiste. En 1920, la fédération SFIO approuve en majorité le Congrès de Tours et le nouveau parti va avoir un militant de choc, à sa libération en 1923 : André Marty, le mutin de la Mer Noire. Aux élections de Mai 1919, le Bloc National a eu trois députés et la liste de gauche un seul mais, à cause de la situation économique, la montée du mouvement ouvrier, la gauche domine peu à peu la vie politique avec les radicaux-socialistes et la SFIO

Pendant que le Parti communiste progresse. Les années Trente s’ouvrent par une crise économique sans précédent dans l’Histoire d’où sortiront les blocs de la seconde guerre mondiale et les tensions internationales vont aller croissant. Chez nous, ce nouvel avant-guerre est dominé par le problème de l’Espagne. Toute convulsion au Sud des Pyrénées est, depuis toujours, très ressentie ici et de la naissance de la Seconde République (1931) avec la victoire du « Frente Popular » à la guerre civile (1936-1939), les évènements sont suivis avec passion et accentuent les clivages politiques locaux.

Conséquence de la montée des forces de Gauche, accentuée par la crise économique et la montée des fascismes, la victoire du Front Populaire est aussi favorisée par le changement d’attitude du Parti Communiste Français après Février 1934. Fini le slogan stalinien du « classe contre classe » ; place au rapprochement avec les ex « sociaux-traitres » de la SFIO et les bourgeois du Parti radical-socialiste solidement implantés dans le Département avec François Delcos qui ont colonnes ouvertes dans l’Indépendant des Pyrénées Orientales. Les socialistes sont menés par Jean Payra, les sénateurs Georges Pézières, Joseph Rous et Joseph Parayre. En 1938, Louis Noguères est élu député de la circonscription de Céret. Les Socialistes publient un hebdomadaire, Le Cri Socialiste, dont le rédacteur en chef est Marcel Maynéris, chef de bureau à la Préfecture, qui sera « épuré » par Vichy en 1940. Les communistes ont, depuis 1936, leur journal, Le travailleur Catalan, dirigé par François Marty, instituteur à Saint Feliu d’Avall. André Marty, épaulé par Léo Figueres, Michel Athiel et Fernand Gély veille sur la Fédération.

A droite et à l’extrême–droite, on trouve tout un éventail : Républicains modérés, Conservateurs, le Parti Social Français du Colonel De la Rocque et, en 1937, le Parti Populaire Français assez important pour publier un journal, Somatent, qui disparut en 1939. Enfin les Royalistes sont toujours là, sous la présidence d’André Despéramons et de Marcel Carbonnell avec leur journal, Le Roussillon, qui diffuse les thèses de l’Action Française de Charles Maurras et de Léon Daudet, tout en restant attaché au Carlisme (10).

L’entre deux guerres économique ( 11 )

La fin de la guerre modifie la situation économique notamment de l’agriculture, première activité économique du département. Si, jusqu’en 1928, les cours du vin permettent des profits élevés avec une production de 4 à 4,5 millions d’hectolitres, la surproduction et la fermeture de débouchés étrangers firent s’effondrer les prix et par conséquent les revenus des viticulteurs. L’état de crise établi, on en vint à l’arrachage et à une sorte de « coltura promiscua » dans la plaine où on cultiva des primeurs dans les sillons des vignes.

De 1910 à 1930, la culture maraîchère a atteint son maximum de prospérité mais subira moins la crise que la viticulture à cause de sa structure agraire et des pratiques culturales. La petite propriété y domine et permet une culture intensive qui donne 3 et parfois 4 récoltes par an. Ce système permet d’amortir les cas de mauvaise récolte sur un produit (12).

Par ailleurs, on développe l’arboriculture, pêchers, abricotiers, notamment les cerisiers dans la région de Céret, dans les hauts cantons pommiers et poiriers dominent. Les jardins, protégés de la tramontane par des haies de cyprès et des écrans de canisses, donnent à la plaine un paysage bocager, la culture sous abri est encore peu répandue. Cependant à partir de 1933, il y a, pour ces cultures, une régression de la production de 31% liée à la perte de débouchés extérieurs ( 13).

L’industrie est dominée par l’agroalimentaire avec les activités dérivées de la vigne qui fabriquent vins de liqueur et apéritifs. La maison Violet avec son produit phare, le Byrrh est la première entreprise avec près de 2000 employés. On trouve aussi des distilleries qui éloignent du marché les piquettes et les conserveries, développées à partir de 1920 avec La Catalane basée à Ille sur Têt qui traite toutes sortes de légumes. L’Hydroélectricité s’est développée avec la Société Hydraulique Roussillonnaise (SHR), l’industrie électrique Ecoiffier et la Compagnie du Midi qui achèvent de 1920 à 1939 l’électrification du Département. Les industries extractives restent importantes mais peu à peu les mines de fer ferment à cause des rendements peu élevés, des difficultés d’expédition du minerai et de la concurrence des minerais étrangers et aussi la récupération du bassin ferrifère mosellan. Des productions du temps de guerre, on s’effondre à 10000 tonnes en 1936 d’où une extension du chômage en Conflent et Vallespir. Quelques carrières subsistent pour le granit, le plâtre, la dolomie et la chaux hydraulique (14).

Les industries diverses, fabriques de bouchons, tissages, industrie sandalière, chocolateries, tonnellerie, fabriques de manches de fouet, sticks, cravaches sont prospères. A Paulilles, la Société Générale pour la fabrication de la dynamite emploie 500 ouvriers et, à côté des explosifs envoyés dans les colonies et les mines de l’hexagone, fabrique des acides utilisés dans la viticulture. A Perpignan, domine la maison Bardou-Job qui produit 400000 cahiers de papier à cigarettes par jour, largement devant son concurrent local la maison « Nil » (15). On note aussi la présence de 3 tuileries et briqueteries qui fournissent le secteur de la construction et des travaux publics

A 30 kilomètres de Perpignan, Port-Vendres est devenu le port tourné vers l’Algérie grâce au Chemin de fer géré par la Compagnie du Midi (ligne Paris-Port-Bou qui a adapté ses horaires à ceux de la Compagnie de Navigation Mixte).

Il faut 22 heures au El Djezair ou au Président Cazalet pour rallier Alger et 30 heures pour Oran. La rade de Port-Vendres est bien abritée et, de 1920 à 1930, le trafic passagers ne fait qu’augmenter de 50000 à 100000 passagers environ. Le port importe aussi des vins des fruits et des primeurs d’Algérie. Port-Vendres est aussi un port de pêche comme Collioure et Le Barcares avec surtout la pêche à l’anchois et à la sardine qui alimente les salaisons de Collioure mais le nombre de pêcheurs a diminué et cette activité ne progresse pas face à la concurrence italienne et espagnole.

Les stations thermales et climatiques ont retrouvé aussi leur clientèle, Vernet les Bains qui a, comme Amélie les Bains, soigné les blessés du conflit, a retrouvé les curistes britanniques mais la station la plus dynamique reste Amélie car la douceur de son climat lui permet de fonctionner toute l’année. Sur la côte, les stations balnéaires se développent, beaucoup de Perpignanais y ont leur résidence secondaire, Canet – Plage, reliée par le tram à Perpignan, Le Barcares, Argelès, Collioure accueillent l’été nombre de vacanciers. En Cerdagne, Font-Romeu, Mont-Louis, Dorres sont devenus des centres climatiques fréquentés. La Cerdagne qui est la région la plus ensoleillée de France a vu se construire des sanatoria qui permettent de soigner la tuberculose et les autres maladies pulmonaires. La pratique du ski se développe grâce à la Compagnie du Midi qui met, par le Transpyrénéen, la Cerdagne à 2 heures de Toulouse et, par la ligne Prades- Villefranche de Conflent et le petit Train Jaune, Perpignan à 1 heure 30.

L’entre deux guerres culturel

La guerre finie, la culture reprend ses droits, le bouillonnement observé avant la guerre recommence. Les années folles vont se révéler génératrices de talents même si la Société d’études catalanes disparaît en 1920 d’autres prennent le relais. Ainsi, la Colla del Rossello organise les Jeux Floraux du Genet d’Or jusqu’en 1930 puis Alphonse Mias crée Nostra Terra en 1936 et va raviver le catalanisme dans le Département. Il est en contact avec Edmond Brazès, Jean Amade et milite pour la renaissance du Roussillonnais (16). A côté, on note la qualité d’une génération d’écrivains et poètes : Bausil qui honorera le jeune Charles Trenet de son amitié, Joseph-Sébastien Pons, Pierre Camo, Louis Muxart. On publie l’œuvre de Louis Codet, mort en 1914. Il ne faut pas oublier aussi Brasillach, Duclos, Badin et Ludovic Massé le meilleur romancier (17). Le département brille aussi en Histoire : Les noms de l’archiviste Pierre Vidal, et de Joseph Calmette, professeur d’Histoire médiévale à la Faculté des Lettres de Toulouse en témoignent.

Les peintres sont revenus à Collioure pour jouir de son climat engendrant une lumière exceptionnelle. En Bas-Vallespir, Céret la concurrence et accueille toujours de grands noms comme Chagall, Soutine. Il ne faut pas oublier à Elne, l’ami de Maillol : Etienne Terrus, à Céret : Pierre Brune, et aussi une pléiade de sculpteurs comme Farrail, auteur d’une remarquable statue de Hyacinthe Rigaud malheureusement fondue pendant la seconde guerre mondiale, Gustave Violet qui fit, entre autres, le monument aux morts de 1914- 1918 à Perpignan. Il y eut aussi Célestin Manalt, Raymond Sudre, Oliva et le plus grand de tous Aristide Maillol qui est mondialement reconnu et qui offrit à sa ville natale un remarquable monument aux morts empreint de grandeur dans sa simplicité !

La musique n’est pas en reste, André Peus, remarquable pianiste, a fondé et dirige le conservatoire de Perpignan, il aura plusieurs fois le plaisir d’accompagner le maître Pau Casals réfugié à Prades pendant la guerre. Déodat de Séverac, musicien toulousain, est venu avant 1914 s’établir à Céret et y compose plusieurs œuvres. Très vite « roussillonnisé », il se lie d’amitié avec les intellectuels du Vallespir et notamment Jean Amade dont il met en musique le poème : El Cant del Vallespir. La partition, pour chœur et orchestre, avec solo de soprano et de baryton, est à six voix mixtes. Après une introduction majestueuse glorifiant le Canigou, le compositeur fait apparaître une sardane, rend hommage au Cant des Ocells et termine par la reprise du thème initial. De plus en plus d’aplecs, de pèlerinages à Saint Martin du Canigou, à l’ermitage de Font Romeu, et à d’autres sanctuaires sont l’occasion de danser les sardanes au son des cobles de plus en plus nombreuses. D’ailleurs, les monarchistes, à la fin de leurs rassemblements terminent toujours par la « ballada de sardanes ».

1939/1944, les années noires ( 18 )

A la différence de la première, pendant laquelle le département fut loin des zones de combat, cette nouvelle guerre va ajouter aux conséquences habituelles d’un conflit déjà subies en 1914-1918, une implication précoce dans la lutte pour la liberté. En effet, par l’appel du 18 Juin 1940, le Général De Gaule a appelé à la Résistance et fondé la France Libre et très vite la situation frontalière du département en fait un des lieux éminents de la guerre de l’ombre, cette guerre invisible menée par les réseaux de renseignements et d’évasion.

Et puis, deux ans plus tard c’est l’ennemi qui foule le sol du Roussillon et ses habitants sont confrontés à l’ occupant. Ajoutons à ceci le fait suivant : La seconde guerre mondiale ne commença pas pour notre département en 1939 mais plutôt en 1936 avec la guerre civile qui déchira l’Espagne.

Les Nord-catalans avaient trop de liens avec leurs frères du Sud pour ne pas être concernés, les uns, notamment à droite, appelant de tous leurs vœux la victoire de Franco, la gauche soutenant les républicains. Lorsque la progression des nationalistes les amène en Catalogne, les combats se rapprochent, les premiers réfugiés arrivent et, en mars 1939, ce fut l’afflux massif de centaines de milliers de gens de la Cerdagne à Cerbère.

On pensait en haut lieu en accueillir 12000 à 20000 réfugiés. Les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de l’autre, parqués sans abri sur la plage à Argelès, à Saint Cyprien et au Barcarès. Ce fut le premier choc bientôt suivi d’un second. En Juin 1940, c’est la défaite qui, sans compter les morts a coûté au département 6000 prisonniers, le département accueille des réfugiés belges des gens du Nord et du Nord-Est chassés par l’avance allemande.

Le troisième choc fut l’aiguat. En Octobre 1940, le département est ravagé. Il faut alors reconstruire et comme on manque de bras on va créer des compagnies de travailleurs étrangers recrutés dans les camps du littoral et ainsi des centaines de réfugiés espagnols restèrent chez nous, chose bénéfique pour la Résistance, car ils fourniront les effectifs des guérilleros espagnols, organisés dès 1941, qui combattront à nos côtés contre les occupants.

Comme je l’écrivais plus haut, la Résistance s’est manifestée précocement ici, du fait de la situation frontalière de notre région. Dès juillet 1940, un premier tract, œuvre d’un lycéen de quinze ans, Pierre Solanes, appelle à résister. Des réseaux s’organisent, belges, britanniques, français et bientôt américains pour passer des renseignements et aussi des hommes, militaires, pilotes et combattants, d’abord vers Londres, via le consulat britannique de Barcelone puis plus tard par le consulat américain. Cette activité secrète, difficile à cerner est la partie cachée de « l’iceberg résistant ». Ainsi c’est à la Préfecture de Perpignan que Jacques Bruneau, chef de cabinet intérimaire du Préfet, établit au Capitaine De Hautecloque, futur général Leclerc, le visa qui lui permet de gagner l’Espagne et ensuite la France Libre, il arriva à Londres le 23 Juillet 1940.

Ensuite, les mouvements se structurent, impulsés par des hommes comme Jean Olibo, Martin Vives, Mathieu Py, Marius Rascagnères, Marcel Maynéris : Combat naît en 1941, avec deux formations paramilitaires : les Groupes francs et l’Armée Secrète, puis Libération avec Para dirigé par Louis Torcatis alias « Bouloc », Franc-Tireur dirigé par François Paulin directeur du magasin Lapasserie, Place de la loge et en 1942, le Front national animé par les communistes avec les Francs Tireurs Partisans Français (FTPF) et enfin L’Organisation de Résistance de l’Armée dirigée par le Commandant Puig.

Leur action, jusqu’en Novembre 1942, est de propagande par des graffiti sur les murs, des tracts, la diffusion des journaux clandestins comme Combat, Libération, Franc-Tireur et l’Humanité, la manifestation, Place Arago du 14 Juillet 1942 et également de passages de renseignements et d’évadés voulant rejoindre Londres ou simplement gagner la liberté. Mais les 6 et 7 Novembre, un événement change le cours de l’histoire, les Américains débarquent en Afrique du Nord.

Ceci eut deux conséquences : Des personnalités, jusqu’alors vichystes, tournent leur veste, ils se souviennent de la puissance démontrée par les Yankees de 1917à 1918. Pour eux, les Allemands, déjà affrontés à l’URSS, vont perdre la guerre. Ceux-ci envahissent la zone libre, ils sont à Perpignan le 12 Novembre et ils y resteront jusqu’au 19 Août 1944. Pour la Résistance, qui déjà affrontait les zélateurs de la Révolution Nationale : Légion française des Combattants, Parti Populaire Français, Service d’Ordre légionnaire, le temps des souffrances est venu mais aussi le temps de la lutte armée qui va se traduire par des sabotages, des attentats, la constitution des maquis et des combats dont les plus glorieux et tragiques à la fois furent ceux de Velmanya et de la libération de Perpignan.

Il y aura jusqu’à 12000 occupants avec leurs services d’espionnage de la Grenzschutz (Douane), de l’Abwehr (contre-espionnage militaire), du SS Sicherheitdienst (service secret de la SS) installé au 8 Quai Nobel, en face du Lycée Arago. Ils ont leurs espions français, espagnols qui traquent les résistants, et aussi les candidats au passage de la frontière et les « Untermenschen ». Leur arrestation les amène à la citadelle pour des interrogatoires musclés et, s’ils n’en sont pas morts comme Gilbert Brutus, à la déportation.

Déjà, ne l’oublions pas, Vichy leur a livré, entre le 11 Août et le 5 octobre 1942, 1596 Juifs de zone libre rassemblés au camp de Rivesaltes, vieux, jeunes, hommes, femmes, enfants. Le 23 Novembre, les Allemands videront le camp ce qui portera à plus de 2300 le nombre de victimes, étrangères au département, pour motifs raciaux. Dans le département, il y aura 1557 déportés pour motifs de résistance ou de race (543) pendant l’occupation : 458 ne revirent pas notre soleil.

Les Allemands, à partir de 1943, peuvent compter sur une véritable police supplétive qui pourchasse à leurs côtés la résistance : la Milice. C’est dans ces conditions que le combat pour la liberté s’est déroulé et lorsque les 19 et 20 Août, le département se libère, c’est au prix de souffrances, de destructions et de la mort d’une centaine de patriotes et des déportés disparus dans les camps nazis.

Pendant cette période la vie n’a pas été facile pour la population. La défaite consommée, les restrictions commencent, l’office du ravitaillement est créé pour contrôler les productions agricoles et fixer les réquisitions chez les agriculteurs. Les cartes de rationnement apparaissent dès le 16 Juillet 1940, sept catégories de bénéficiaires sont définies et manger à sa faim devient un problème pour beaucoup. Ainsi apparaissent les ersatz, les succédanés, l’Indépendant du 17 septembre annonce que la ration de café pour le mois d’octobre sera de 300 grammes de mélange ainsi composé : 100 grammes de café pur et 200 grammes de mélange. Diverses mesures vont ainsi encadrer l’économie, réduire l’alimentation. Pour janvier 1941, il est prévu 300 grammes de pain par jour, et, par semaine, 100 grammes de matière grasse, 360 grammes de viande, 50 grammes de fromages soit par jour un peu moins de 600 calories. Tout au long de la guerre, ces problèmes d’alimentation s’aggravent surtout dans les villes car à la campagne on se débrouille avec les petits élevages, la rotation des cultures et la possibilité de faire des réserves que l’on pourra vendre à prix d’or.

Ceux qui ont de l’argent s’en tirent car ils achètent au marché noir, les tonneliers font fortune en fabriquant des demi-muids que l’on remplit de vin et que l’on amène vers le Lot, la Corrèze ou d’autres départements du Sud-Ouest réputés « bons pays ». On échange contre des jambons, des haricots, des fèves, des pommes de terre et avec cela on peut vivre. Ce trafic sera, évidemment plus difficile avec l’arrivée des Allemands dans le département mais le marché noir n’en sera que plus florissant.

En effet, grâce à l’indemnité de guerre quotidienne de 350 millions de francs payée par Vichy, l’occupant a les moyens d’acheter à n’importe quel prix et ne s’en prive pas. Les meilleurs produits sont pour lui et les négociants perpignanais font de florissantes affaires avec eux, des citernes de vin doux, des caisses de Banyuls partent vers l’Allemagne, ainsi que d’autres produits en échange de chèques de 300000 francs. Un des organisateurs de ce trafic est le responsable allemand du bureau de placement Otto Bens.

Souvent, les rations sont mises à disposition avec retard ainsi, le 12 Décembre 1943, la ration d’huile de Novembre n’a pas été encore distribuée. Évidemment ce sont les plus pauvres qui souffrent le plus des pénuries. Souvent les ménagères font des queues interminables pour peu de choses. Cette situation aura d’ailleurs des conséquences physiologiques chez les plus jeunes. En 1945, les médecins scolaires constateront dans le département des retards de croissance de l’ordre de 10% en poids et en taille, des cas nombreux de rachitisme et de décalcification. Le troc devient courant. Les non-fumeurs échangent leur ration de gauloises contre des denrées, des professeurs se font payer leurs leçons particulières en nature, c’est le temps de la débrouille !

Mais, sur le plan social, la guerre a d’autres conséquences, il y a 6000 prisonniers de guerre en 1940 et, comme en 1914/18, ce sont les femmes, les enfants et les vieux qui essaient de suppléer à ces absences et à partir de 1942 s’ajoute le travail en Allemagne. Ça commence par la Relève le 16 Juin : un prisonnier libéré pour trois travailleurs, 963 personnes partirent ce qui permit le retour de 321 prisonniers. En Février 1943, le Service du Travail Obligatoire est institué, l’occupant établit son bureau rue de la Loge à côté de la Mairie, on recense les gens aptes à partir. Le bilan pour le département s’établit, relève comprise, à 4449 départs en Allemagne dont 1503 Espagnols réfugiés, victimes du chantage du Secrétaire général de la Préfecture Jean Latscha, futur préfet de la Libération : ou l’Allemagne ou Franco ! Les autres, habitants ici, furent 2946. Il faudrait d’ailleurs une étude sérieuse sur le STO pour évaluer son impact sur l’économie des Pyrénées Orientales.

Le 6 Juin 1944, a eu lieu le débarquement, le 25 Juillet l’armée Patton réussit la percée d’ Avranches, c’est le commencement de la fin. Les évènements sont connus chez nous et la Résistance multiplie les actions. Les avions alliés survolent le département et lancent des tracts sur Perpignan ; tracts rédigés en Allemand donnant les nouvelles du front de l’Est et de l’Ouest. Le moral de l’occupant faiblit surtout dans les unités de la Wehrmacht. Très vite, il faut envoyer des troupes en Normandie pour essayer d’enrayer l’avance américaine et, dès le 24 Juin, les effectifs allemands étaient passés de 12000 à 7500 . Partirent les premiers, les soldats de la 716° division du Général Richter qui furent relevés par des effectifs ramenés du front russe. Ils y avaient connu l’enfer et notre département leur parut le paradis en comparaison. Stationnés sur la côte, ils allaient chez les paysans chercher du vin et des légumes et souvent lâchaient dans la conversation : « Hitler Kaputt ! ». Le mouvement de retrait s’amplifiera au mois de Juillet, les 12 et 13, neuf trains quittent Perpignan avec 5000 hommes de la 272° division d’infanterie.

A la Libération, il restait environ 2000 occupants très nerveux et inquiets qui s’étaient livrés à des exactions, avaient tué sans motif des habitants et combattu les maquis. Dès le 15 Août, les SS , la police allemande étaient partis laissant les dossiers des collaborateurs qui furent récupérés par la Résistance, les Miliciens qui n’avaient pas fui en Espagne les accompagnèrent et ne restaient que quelques douaniers en Vallespir et les troupes de la Wehrmacht stationnées sur la côte, évacuée de sa population vers l’Ariège, l’Aude ou la Haute Garonne. Dès le 17 Août, l’occupant avait quitté Mont-Louis et Puyvalador et à la Libération les Allemands restants en Cerdagne passèrent en Espagne. La forte inquiétude de l’occupant s’exprime dans la démarche du Major Parthey de la Wehrmacht, commandant autrichien de la Place de Perpignan, qui demande le 16 Août à rencontrer les dirigeants des MUR pour éviter, dit-il, un bain de sang. L’entrevue eut lieu le 17 avec Camille Fourquet, chef des Mouvements Unis de Résistance. Ce ne fut pas du goût de tout le monde, notamment des FTPF qui protestèrent. Allait-on laisser partir tranquillement, avec armes et bagages, ces troupes qui pourraient ainsi continuer à combattre au Nord ? Cette entrevue n’empêcha pas les combats de la Libération et quelques destructions importantes, notamment la destruction des quais du port de Port-Vendres.

Il faut dire que la Résistance n’était pas restée inactive. Depuis le combat de Fillols du 28 Juin, l’occupant savait qu’il avait en face de lui des troupes organisées et décidées à en découdre : maquisards, guérilleros. Bien que mal armées, elles faisaient peser sur lui l’insécurité : les sabotages se multipliaient ainsi que les accrochages dans lesquels s’illustrait le groupe de René Horte dans le massif du Canigô. Il y avait eu le combat de Marquixanes et l’occupation de Prades qui a entraîné l’attaque du maquis Henri Barbusse et la destruction de Velmanyà mais aussi, le même jour, l’attaque d’ un peloton de cyclistes allemands au Col de la Bataille et le combat d’Estagel.

La constitution et la croissance de trois grands maquis 44, Henri Barbusse, Torcatis et aussi la présence de la première brigade de guérilleros montrent que les patriotes et les antifascistes de tous bords se mobilisent. Il ne faut pas oublier aussi le parachutage, au Pic de la Pelade, par les Américains de la mission Puente dirigée par le Capitaine Jacques Pujol membre du réseau Jacques. Même si certains résistants l’ont mal perçu, il a une mission importante : armer les maquis sur l’axe La Tour de Carol – Toulouse car les Américains avaient prévu, si le débarquement en Provence échouait, d’en effectuer un entre Le Racou et Port la Nouvelle. Jacques Pujol apporte munitions, argent et surtout la liaison directe avec Alger. C’est lui qui légalise, au maquis Torcatis de Sournia, le commandement de Roger Gaigné et qui fait opérer par les Alliés les derniers parachutages importants. Ainsi, la Libération survient et les 19 et 20 Août 1944, les « jours de gloire » sont arrivés ! Combats de Formigueres, de Reynes, de Perpignan, l’occupant est rejeté manu militari. La section FFI du lieutenant Deteuf accompagne leur retraite jusqu’à Narbonne qui est ainsi libérée par des catalans ! Après ces dates, les Allemands qui restent dans les Pyrénées-Orientales sont des Prisonniers de Guerre, environ 500.

Le nouvel après-guerre :

Le Dimanche 20 août 1944, à 9 heures précises, Camille Fourquet, Président du Comité départemental de libération (CDL) et Jean Latscha, nommé préfet par le Mouvement de Libération Nationale, quittaient le commissariat de la Rue Mailly où ils étaient restés toute la nuit. Ils se rendirent à la Préfecture et, après avoir destitué Paul Balley, le Préfet de Vichy, Camille Fourquet installa Latscha.

Le Préfet de la Libération connaissait bien les lieux, pour avoir été de Février 1942 à Octobre 1943, secrétaire général de la Préfecture.

Ceci fait, le Comité départemental de Libération et le Préfet s’attaquèrent aux multiples problèmes qui se posaient. Leur premier acte fut la suppression de l’Indépendant remplacé par Le Républicain du Midi. Pendant la clandestinité, Henri Noguères, membre du Comité régional de Libération, fils de l’ancien député des Pyrénées Orientales, futur président de la Haute Cour qui jugera Pétain, avait préparé la mise en place des journaux de la Libération et confié, sur l’ordre du Mouvement de Libération Nationale, à trois journalistes Julia, Charvet et Douel, le soin de faire paraître le Républicain. Dans la nuit du 20 au 21 Août 1944, les journalistes et plusieurs typographes, dont Charles Llati, rédigèrent, « linotypèrent » et mirent en pages photos et articles du numéro qui parût au matin du 21. Quelques jours plus tard, sous le titre, apparut un sous-titre : « Organe du Comité Départemental de Libération » . Le CDL s’offrait un moyen d’information pour faire connaître ses décisions et les expliquer. Dans l’atmosphère troublée et instable du moment, entre l’euphorie des uns, le jacobinisme outrancier des autres, la chasse aux « Collabos » menée souvent par des gens sans mandat, dont certains essayaient de faire oublier leur attitude pendant l’occupation, les fausses nouvelles et les problèmes de ravitaillement, cette main mise sur le journal lui avait paru indispensable.

Le problème le plus urgent à résoudre fut celui du ravitaillement car les denrées alimentaires manquaient et il n’y avait qu’un jour de réserve de farine à une époque où le pain était la denrée de base de l’alimentation. Le département ne produisant plus de blé, Fourquet eut l’idée de s’adresser aux CDL de l’Aude et de l’Ariège et leur proposa d’échanger des fruits et légumes et du vin contre de la farine. Ce fut fait et on approvisionna les boulangeries. Ensuite il fallut réorganiser l’administration, fournir des locaux aux Comités d’épuration, au Service de renseignements de la Résistance, analyser la situation du département, vérifier si la Libération était effective, arrêter les collaborateurs et rétablir la légalité républicaine.

Mais dés le 24 Août, à 8 heures du matin, il avait fallu affronter un autre problème, l’arrivée à la Préfecture de Marcel Egretaud alias « Dupuy », nommé par le Comité régional de Libération et le Commissaire de la République de la région R3 Jacques Bounin, membre du Front National. Ainsi, le département avait deux Préfets…Egretaud, membre du Parti communiste et du Front National devait sa nomination à le protestation de son mouvement qui n’avait aucun préfet dans la R3. Fourquet refusa, la nomination de Latscha étant signée par De Gaulle. Après une vive discussion, le CDL maintint Latscha à son poste par 9 voix contre 7 et une abstention. Bounin vint alors à Perpignan mais Fourquet (qu’il qualifia de « Saint Just ») ne se laissa pas faire et deux nouveaux votes confirmèrent Latscha.

Le 22 Août, eurent lieu les obsèques des victimes de la Libération, le 24, le défilé et le 25, le délégué militaire régional, le Général Gabriel Cochet, résistant de la première heure, vint à Perpignan analyser la situation. Les 3 et 4 Septembre, ce fut le tour de De Lattre de Tassigny et après, le CDL et le Préfet se consacrèrent à leur tache car en plus des problèmes évoqués plus haut il fallut évaluer et entreprendre la réparation des destructions, contribuer à l’effort de guerre car elle n’est pas terminée et mettre en route l’Epuration.

C’est, sans aucun doute, l’événement le plus controversé de notre histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Elle a donné lieu à une querelle toujours vivace, puisque, avec le Procès Papon, elle s’est poursuivie, et aussi à une floraison d’articles très souvent hostiles. Journalistes, polémistes et autres polygraphes s’en sont donné à cœur joie mettant en exergue un fait propre à frapper sinon horrifier leur lecteur, fait qui, comme l’arbre cache la forêt, déforme la réalité. Pour avoir été un des premiers historiens en France à étudier cet événement et pour avoir publié en 1978, vingt-six ans déjà, dans la très sérieuse « Revue d’Histoire de la Seconde guerre mondiale », N° 112 « Le Languedoc dans la guerre », le premier article sur l’épuration judiciaire dans un département, je pense pouvoir faire quelques mises au point !

Il n’y eut pas qu’une épuration ! Les censeurs, Robert Aron : le « bain de sang dans les Pyrénées-orientales », Raymond Cartier « une justice anarchique dans les départements du Midi et il faudra des mois pour que la légalité reprenne ses droits », entre autres, occultent benoîtement la première : celle de Vichy. Que l’on consulte donc le Journal Officiel de l’Etat français, on y trouvera la loi du 22 Juillet 1940 qui crée une commission des naturalisations, celle du 13 Août qui vise les francs-maçons et exige un serment des fonctionnaires, celle du 3 Octobre qui interdit aux israélites d’enseigner et d’occuper des postes de responsabilité ce qui prive d’ailleurs notre discipline d’un géant intellectuel : Marc Bloch. Dans cette même période, ne lance-t-on pas la chasse aux « individus dangereux », aux auteurs « de propos défaitistes, anti-français ainsi qu’aux propagateurs de « mots d’ordre relevant de la Troisième Internationale ».

Et, s’enchaînent alors les suspensions, mutations, révocations, arrestations, internements dans des camps de communistes soit en France soit dans le Sud algérien, les assignations à résidence de socialistes comme Blumel, secrétaire de Blum exilé en Capcir. Les tribunaux jugent et condamnent les opposants, on créera même des Cours de justice spéciales où les prévenus n’auront même pas droit à un jury ! Le Régime de Vichy a ses exclus et ça durera jusqu'à sa chute ! La Résistance ne pouvait que répondre à cela.

Henri Michel l’a bien montré, historien et grand résistant, président du Comité d’Histoire de la Seconde guerre mondiale qu’il a animé jusqu’en 1980 à sa transformation en Institut d’Histoire du Temps Présent relevant du CNRS et non plus du Premier Ministre ; il a, dans sa thèse : Les courants de pensée de la Résistance, publiée aux Presses Universitaires de France en 1962, expliqué le pourquoi de l’épuration. Il s’agissait ( p.239) de « venger les morts et de poursuivre les traîtres portant une part de responsabilité dans les excès commis par l’occupant...les poursuivre est un acte de patriotisme ». Que l’on se souvienne : Oradour sur Glane, le Vercors , les Glières et chez nous : Velmanyà !

Inscrite dans le programme du Conseil National de la Résistance, elle est organisée par l’article 5 du troisième paragraphe des statuts des Comités départementaux de Libération diffusés par le Mouvement de Libération Nationale à partir du 23 Mars 1944. Le texte interdit la justice sommaire et on sait que dans notre région la répression extrajudiciaire n’a touché que seize personnes : Une exécutée avant le 6 Juin 1944 sur ordre du Directoire régional, douze avant le 19 Août dont onze sur ordre du Mouvement de Libération Nationale et trois pendant les combats de la Libération. Il y eut 1672 personnes épurées judiciairement. Sans nier quelques excès et erreurs, on ne peut parler de « bain de sang » ici (version R. Aron) ou de justice anarchique (version Raymond Cartier dans son histoire de la seconde guerre mondiale). De toute manière les esprits étaient préparés à l’épuration. Depuis Londres, « Les voix de la Liberté » lançaient de nombreux avertissements, par la voix de Robert Schumann, aux « Miliciens futurs pendus », la presse clandestine clouait au « Pilori » les traîtres, les profiteurs, les « kollabos » comme le Travailleur Catalan clandestin d’Avril 1944 qui, en page 2, cite 13 noms. Donc, il était inéluctable qu’à la Libération, les comptes se règlent ! Il y eut, d’après l’enquête du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 14000 victimes à la Libération soit trois fois moins que pendant la Terreur révolutionnaire de 1793/94 !

Pour mener à bien l’épuration, les Mouvements Unis de Résistance avaient un organisme hérité du mouvement Combat, le NAP, Noyautage des Administrations Publiques. Chez nous, il fut dirigé à l’origine par Mathieu Py, passé ensuite à la région, puis par Pierre Gineste et absolument pas par Camille Fourquet comme l’affirment certains. Cet organisme avait établi moins de 300 fiches de collaborateurs notoires à punir. Mais, et c’est là que l’on peut mesurer la fragilité du pouvoir du Comité Départemental de Libération, les autorités furent très vite débordées. Camille Fourquet, dans ses mémoires (tapuscrit, pp 136/37) ne le cache pas : « Or, tandis que figuraient au fichier moins de trois cent personnes pour tout le département, le nombre de personnes arrêtées pendant la quinzaine qui suivit le départ des troupes ennemies dépassa largement le millier... ».

Le Comité Départemental de Libération créa alors des Commissions d’Interrogatoire avec un inspecteur de Police et deux résistants qui proposaient soit la libération immédiate, la mise en résidence surveillée, l’internement au Camp de Rivesaltes ou plus grave la comparution directe devant le Tribunal. Le travail des Comités d’épuration avait été facilité par la saisie, pendant les combats de la Libération, des archives de la Milice, fiches d’inscription, listes des collaborateurs et lettres de dénonciations à la Police allemande qui les abandonna généreusement à son départ de Perpignan. Mais aussi, les inspecteurs de Police résistants des Renseignements Généraux avaient dressé les listes des gens appartenant au Service d’Ordre Légionnaire, à la Milice et à la formation armée de celle-ci : Les Francs-Gardes, bref de tous ceux qui touchaient de près ou de loin à la collaboration.

Les sanctions avaient été préparées et prévues par le Conseil National de la Résistance avec l’accord du Gouvernement Provisoire de la République Française. Deux degrés d’inculpation avaient été retenus : La trahison impliquant un engagement actif, conscient, militaire, politique ou économique aux côtés de l’Occupant, et l’Indignité Nationale. La trahison fut sanctionnée en fonction de la gravité de la faute évaluée par les Jurys : Mort, Travaux forcés, Réclusion, Prison. Ces peines, assorties de l’Indignité nationale, furent parfois aggravées de la confiscation des biens ou d’amendes. Ce fut aussi quelquefois le cas de l’Indignité Nationale infligée à vie ou à temps !

En fonction de ceci, l’Ordonnance du 26 Juin 1944 prévit deux tribunaux : La Cour de Justice et la Chambre Civique mais c’était un Commissaire du Gouvernement et non un juge d’instruction qui déciderait de la comparution du prévenu et les jurés seraient choisis parmi les résistants. Avant la mise en place de ces tribunaux, le Chef régional FFI Gilbert de Chambrun institua, avec l’accord du Commissaire de la République, la Cour Martiale qui jugea du 8 au 15 Septembre 1944, 36 prévenus : 28 Miliciens, 4 agents français de la Police allemande et 4 présumés dénonciateurs. 16 furent condamnés à mort et exécutés, 12 aux travaux forcés, 4 à la Prison, 2 renvois et 2 acquittés. Les débats se déroulèrent dans un climat passionnel, la Cour martiale fut très sévère, la légalité pas toujours respectée. Ainsi, dans l’affaire de l’abbé Niort, curé de Tautavel, l’accusation produisit une lettre non signée, soi-disant écrite par l’accusé, dont l’avocat réclama en vain une expertise graphologique.

Ceci explique la cassation postérieure de tous les jugements de cette Cour pour vice de forme et non-respect de la légalité républicaine !

Le 22 Septembre, l’Épuration légale commençait avec l’installation de la Cour de Justice qui siégea jusqu’au 9 Août 1945. Elle prononça 310 sanctions dont 12 peines de mort exécutées et 104 non exécutées (77 contumaces), 101 peines de travaux forcés, 3 de réclusion, 79 de prison, 10 indignités nationales et 9 acquittements. Ici, la justice a fonctionné normalement. Les 12 peines de mort exécutées concernaient 6 Francs-gardes de la Milice ayant participé activement aux combats contre le maquis Henri Barbusse et à la destruction de Velmanyà et 6 français à la solde de la Police allemande. Le général De Gaulle, devant la gravité établie des faits reprochés refusa la grâce. La Chambre civique fut installée plus tardivement : le 5 Décembre 1944 et termina sa tâche le 25 Juillet

1945. Elle prononça 956 sanctions dont 802 à vie ou à temps et 154 autres aussitôt effacées car les condamnés furent « relevés de la dégradation pour contribution à la résistance et à la lutte armée contre l’occupant » tels des Miliciens enfuis du Département qui ont combattu avec la Résistance en Ariège, en Haute-Garonne ou aussi des résistants de la dernière heure.

Finalement, l’épuration a concerné 1672 personnes. Extrajudiciaire, elle a frappé 16 personnes avant et pendant les combats de la Libération. Judiciaire, elle a sanctionné 1144 personnes sur 1656 dont 63% au titre de la collaboration militaire Miliciens, Groupes d’Action Sociale du Parti Populaire français, Engagés à la Légion des Volontaires français contre le bolchevisme et dans la Waffen SS. 26% des condamnés l’ont été pour collaboration politique, membres du PPF ou du Groupe Collaboration. La collaboration économique a concerné 7.5% des sanctions : 60 STO volontaires et 10 gros négociants . Il y eut là le souci de ne pas désorganiser l’économie du Département c’est pourquoi le Comité de Libération préféra « taxer » certains gros industriels de sommes conséquentes pour la reconstruction de Valmanyà.

Ainsi, dans ses mémoires, Camille Fourquet raconte son entrevue avec le propriétaire des Etablissements Byrrh qui versa 1000000 pour le village-martyr. Fonctionnèrent aussi des commissions de confiscation qui, par les sommes recueillies, permirent d’alimenter les fonds d’aide aux familles de prisonniers et de déportés. Il y eut aussi 32 femmes jugées pour relations intimes (2.7%), professionnelles comprises, et pour 0.8% des sanctionnés impossible d’en connaître la raison ! Enfin, il y eut 512 acquittements soit 31% des prévenus. L’épuration judiciaire a été l’essentiel de l’épuration, mais on ne peut ignorer aussi l’épuration administrative qui a frappé des fonctionnaires compromis dans la fonction publique et qui a amené une centaine de cas de révocations, suppressions du droit à pension ou mutations disciplinaires.

Le Bilan ? Pas de « bain de sang » : 44 morts soit 2,6% des personnes impliquées et 0,3% des 14000 victimes de l’épuration au plan national ! La majorité des peines sont mineures : Prison, Indignité Nationale. « Justice anarchique », à cause du climat excessif des débuts, ça a duré huit jours et un mois et deux jours exactement après la Libération du département, la justice légale fonctionnait ! La répression est restée, de l’avis de Mathieu Py, ancien chef adjoint du NAP, et juré à la cour de justice, sévère jusqu’en Mars 1945, la guerre n’est pas terminée et les problèmes sont nombreux. A partir d’Avril, avec la proximité des élections prévues le 28, le public est moins nombreux et intéressé et la répression devient plus mesurée. Ainsi, un franc-garde condamné à mort par contumace le 24 Février 1945 pour : « avoir porté les armes contre la France » est arrêté le 21 Mai et jugé à nouveau le 2 Juin soit un peu plus de trois mois après la première audience. Il a 19 ans. La Cour s’aperçoit qu’il s’est laissé influencer par un ami, séduire par l’uniforme, la possession d’une arme, le goût de la parade et juge qu’il « a agi sans discernement ». Il s’avère qu’il n’a pas combattu les maquis. Il est relevé de l’inculpation et le tribunal lui inflige 5 ans d’indignité nationale.

Très vite, l’apaisement allait survenir. Dès le mois d’Octobre 1945, les premières remises de peine sont décidées. La première loi d’amnistie est votée en 1947, la seconde en 1951 et ainsi des condamnés à mort, graciés par le général De Gaulle, dont la peine avait été commuée en travaux forcés à perpétuité, ont retrouvé leur liberté dès 1951. Le paradoxe de l’épuration est là : des condamnés mineurs ont purgé la totalité de leur peine et des gens gravement compromis et sanctionnés n’en firent qu’une faible partie. Les contumaces (anciens LVF ou Waffen SS) qui se livrèrent plus tard à la Justice et qui furent jugés par les Cours de Justice de sièges de Cour d’Appel ou par les tribunaux militaires furent peu sanctionnés, quelquefois acquittés et vite libres. Le cas le plus éclairant est celui du Chef de la Milice : René Teisseyre. Enfui du Département, le 15 Août 1944 et passé à l’étranger, il fut condamné à mort, par contumace, le 8 Août 1945. Malgré les preuves accablantes accumulées contre lui, il ne fut condamné (en 1955, par le Tribunal Militaire de Marseille ) qu’à cinq ans de prison et il en fit deux. Il s’exila, dit-on, en Espagne et serait revenu beaucoup plus tard en Roussillon !

On peut donc prétendre que l’épuration a été manquée et que le menu fretin a payé mais on ne peut nier que, grâce à Camille Fourquet, au Comité Départemental de Libération et aux magistrats comme les Président Villarem et Salies, elle a, dans l’ensemble, été sérieusement menée mais n’a pu faire payer totalement tous ceux qui avaient choisi le camp de la honte.

Pendant ce temps, il y eut une vie politique agitée car aux différents problèmes à résoudre s’en greffait un de taille : Qui dirigeait vraiment le département ? Le CDL ou le Préfet ? Celui-ci assistait aux réunions mais devait entériner les décisions prises, sa marge de manœuvre était réduite alors qu’il représentait le gouvernement provisoire dont les préoccupations majeures étaient la reconstruction et la poursuite de l’effort de guerre. Le CDL, lui, voulait appliquer immédiatement le programme du Conseil National de la Résistance et ses décisions ne tenaient pas compte des volontés du préfet. A ceci, s’ajouta le jeu des partis. La belle unanimité, née de la libération, vola en éclats à l’approche des élections municipales et la lutte P.C. – S.F.I.O. permit alors à Jean Latscha de marginaliser le CDL qui disparût dans l’indifférence après les cantonales d’Octobre 1945. Les problèmes du ravitaillement et des restrictions furent exploités par le P.C. Le Travailleur Catalan critique systématiquement les décisions prises par le CDL ainsi que les jugements des tribunaux de l’épuration. L’Union des Femmes Françaises, menée par les communistes, organise des manifestations dont une envahira la préfecture et dévastera le bureau du Préfet et l’atmosphère est tendue.

Il se pose aussi le problème des guérilleros espagnols qui pensent que les alliés vont les aider à reconquérir l’Espagne et ont hâte d’en découdre avec les franquistes. Pour éviter des incidents, il fallut faire contrôler la frontière par les FFI. Leur chef, le Colonel Cayrol, créa le 2 Septembre 1944 le bataillon de sécurité composé de 5 compagnies : la première et la quatrième issues des Corps Francs de la Libération, branche armée des Mouvements Unis de Résistance, la deuxième et la cinquième des Francs Tireurs Partisans Français (Front National) et la troisième de l’Organisation de Résistance de l’Armée. A la suite d’incidents au Perthus entre guérilleros et la population espagnole, la Guardia Civil intervient et des troupes firent mouvement vers la frontière. Le CDL fit refluer les guérilleros et prit des mesures. A la première compagnie de Roger Gaigné fut confiée la frontière cerdane jusqu’à l’Andorre, à la quatrième, le secteur de Saint Laurent de Cerdans jusqu’au Perthus, la troisième eut du Perthus à Cerbère. Les deux compagnies FTPF, dont les sympathies à l’égard des guérilleros, étaient connues furent cantonnées à Perpignan.

Le 12 Décembre 1944, le colonel Zeller fit connaître au Colonel Cayrol l’autorisation ministérielle de former le 24° Régiment d’Infanterie Coloniale à partir du Bataillon de Sécurité qui en devient le premier bataillon. Le régiment formé, commandé par le Commandant Balouet, chef-adjoint des FFI du Département, rejoignit la première Division Française Libre en Alsace et participa aux combats de dégagement de Strasbourg. Le 10 Mars 1945, il partit dans les Alpes faire face aux Allemands refoulés d’Italie et la première compagnie de Roger Gaigné s’illustra par la prise de San Dalmasso ou, malheureusement, deux soldats furent tués. Ainsi, les combattants du département furent des combats de la victoire !

Pendant ce temps, la lutte entre les partis n’avait pas cessé et s’intensifia à l’approche des élections municipales prévues le 28 Avril et le 13 Mai 1945. Entre ces deux dates fut signée la capitulation allemande qui fut l’occasion de grandes manifestations de joie ! Pour la première fois les femmes votaient. Le CDL, où Fourquet se fit manipuler par les communistes, essaya d’imposer des listes uniques associant résistants et partis mais la SFIO et les radicaux-socialistes refusèrent. Le CDL publia une liste menée par le Maire de la ville de Perpignan, Félix Mercader, Maire de la Libération, et empêche la publication dans le Républicain du Midi des protestations et des mises au point de la SFIO et des radicaux. Louis Noguères alerta Paris, la SFIO retira ses membres du CDL et pactisa avec les radicaux. Les élections donnèrent leur verdict : le PC, avec 409 élus, quintuplait ses élus de 1935, la SFIO avec 840 conseillers municipaux progressait, les radicaux chutaient à 270 élus. La droite modérée avait 595 sièges, les listes uniques 115.

Bientôt, le Républicain du Midi s’affranchit de la tutelle du CDL et ne publia plus rien sur lui. Les 23 et 30 Septembre 1945, le Conseil Général fut élu avec 8 communistes, 9 SFIO et un radical socialiste. Le 21 Octobre eut lieu le double scrutin sur la Constitution et les législatives au scrutin de liste. La seconde guerre mondiale s’était terminée, le 11 Août, par la capitulation du Japon. Aux élections, le PC s’avère le premier parti des Pyrénées-Orientales avec plus de 40% des voix devant la SFIO et les radicaux mais chaque parti a un député : Léo Figuères (PC), Louis Noguères (SFIO) François Delcos (Radical-socialiste). Au Sénat, un communiste Cardonne et un radical, Gaspard sont élus. Très vite, l’influence du Parti communiste recule et il ne doit bientôt qu’à la personnalité d’André Tourné d’avoir un député. A la SFIO, s’opposent Noguères et Arthur Conte pendant que Léon-Jean Grégory, avocat résistant et Maire de Thuir, ravit aux communistes leur siège au Sénat en 1948. Chez les radicaux, François Delcos a en face lui Gaston Pams, petit-neveu de Jules qui devient sénateur. En 1956, Paul Alduy est élu et ces trois hommes, Alduy, Gregory et Pams vont dominer la vie politique départementale et évoluer vers un républicanisme modéré et même le net glissement vers le centre et la droite lors de la fondation de la Cinquième république ne les gênera pas ( 19).

Pendant ce temps, le département a pansé ses blessures, la côte a été nettoyée des mines posées par les occupants, les prisonniers allemands ont été utilisés pour cette tâche. En 1950, la reconstruction de Port-Vendres est terminée et le port a repris son activité avec l’Algérie mais l’industrie ne s’est pas développée et l’agriculture a peu évolué.

La grande modification est l’explosion du tourisme avec la mission Racine qui entame le développement de la Floride française: Port Barcarès, Toreilles, Sainte Marie, Canet, Saint Cyprien, Argelès puis Collioure et Port-Vendres, Banyuls sur Mer et Cerbère vont bénéficier de cet élan à partir de 1960 avec la réalisation d’infrastructures, qui font du tourisme la première activité économique du département.

Si le conflit indochinois a assez peu influencé la vie du Département, il n’en est pas de même du conflit algérien, d’abord par le nombre de Pyrénéens-Orientaux ayant combattu là-bas et aussi par ses conséquences. L’exode des 25 à 30000 Pieds-Noirs venus de l’Oranie et de la Mitidja qui vont peupler la ville nouvelle du Moulin à Vent, œuvre de Paul Alduy, et faire exploser la population de l’agglomération perpignanaise en est une preuve. Enfin, il ne faut pas oublier que sur nos monuments aux morts, sont gravés les noms de ceux qui sont tombés pour la France dans ces guerres.

J. Larrieu

25 Janvier 2004

NOTES

1) Bibliographie :

A. VIGO, L’évolution économique récente de Pyrénées-Orientales, Montpellier, Imprimerie de la Presse, 1936, 168 p.

H. CHAUVET, Histoire du Roussillon, 2°ed., Perpignan, Imprimerie du midi, 1962, 319 p.

F. BROUSSE (sous la direction de), Terre Catalane, Paris, Editions Eole, 1978, 483 p.

R. BERNIS, Roussillon Politique, 1) Le temps de Quatrième 1944-1958, Toulouse, Privat ed., Collection « le Midi et son Histoire », 1984, 286 p.

E. FRENAY, La grande guerre et le Roussillon 1914-1918, Perpignan, Archives départementales, 1989, 159 p.

J. SAGNES (sous la direction de), Nouvelle histoire du Roussillon, Perpignan, Editorial el Trabucaire, 1994, 382 p.

J. LARRIEU, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, Prades, Terra Nostra, Tome 1, 1994, 400p.

R. GUAL et J. LARRIEU, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, Prades, Terra Nostra, tome 2A, 1996, 424 p.

C. COLOMER, Histoire du Roussillon, Paris, P.U.F., 1997, 126 p.

R.GUAL et J. LARRIEU, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, Prades, Terra Nostra, tome 2B, 1998, 1112 p.

2) Horace Chauvet, Histoire du Roussillon, pp 265-266.

3 E. Frenay, La grande guerre et le Roussillon, pp21-24.

4) ibidem, p. 125.

5) J. Sagnes, Nouvelle Histoire du Roussillon, p. 301.

6) E. Frenay, op. cit., p. 108.

7) ibidem, pp. 64-98.

8) C. Colomer, Histoire du Roussillon, p. 95.

9) E. Frenay, op. cit., p. 108.

10) J. Larrieu,Vichy, l’occupation nazie, la Résistance catalane, T.2A, pp. 29-30

11) La source principale des pages qui suivent est l’étude fouillée d’André Vigo sur « L’évolution économique récente des Pyrénées-Orientales ».

12) ibidem, p. 43.

13) ibidem, p. 73.

14) ibidem, p. 140.

15) ibidem, p. 157.

16) P. Grau, spécialiste de Nostra Terra, a bien voulu donner à Raymond Gual une notice sur Alphonse Mias pour le Tome 2A de « Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane ». Elle s’y trouve à la page 68.

17) C. Colomer, op. cit., p. 103.

18) Les pages suivantes sont extraites de mes travaux et textes publiés dans les divers tomes de « Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane » et de recherches postérieures à cette publication.

19) Roger Bernis, Roussillon politique, 1 Le temps de Quatrième, pp. 22-26.