1961

A travers villes et villages de Belgique.

« Cité du Porion » AUVELAIS, capitale de la Basse-Sambre par Marcel Clebant (1961).

Evitant de justesse un groupe de musiciens à casquette galonnée d’or, un étrange personnage, monté sur un vélo non moins étrange, stoppe devant moi. Je n’identifiai pas immédiatement le conducteur sous son grimage où dominaient le blanc et le rouge... Mais sa voix ne m’était pas inconnue. J’avais rencontré cet homme quelques heures plus tôt dans un magasin de l’endroit, où il faisait une abondante provision de serpentins.

Alors, me dit-il avec conviction, elle vous plait la cavalcade ?

Vous attendiez-vous à trouver ici une telle animation ? Pour vous, comme beaucoup de Belges, je suis certain qu’Auvelais n’était, jusqu’à présent, qu’une cité industrielle à mi-chemin entre Charleroi et Namur. Mais regardez ! Pensiez-vous découvrir autant de couleurs et de pittoresque dans cette région qui n’évoque que cheminées d’usines, terrils, grisaille ... ?

En fait, dans un défilé d’une longueur exceptionnelle se succédaient les uniformes chamarrées de nombreuses sociétés de musique, alternant avec la fantaisie parfois insolite de groupes folkloriques parés des teintures les plus vives.

Vous ne connaissez pas notre cavalcade ? ajouta mon interlocuteur, avec une nuance d’ironie dans la voix ! En tout cas, ne croyez pas vous excuser en objectant que c’est une manifestation récente... La première fut organisé en .... 1892. Et, depuis, elle est sortie presque tous les ans, le lundi de Pâques.

De joyeuses sociétés.

Il est temps que j’apporte ici quelques précisions, avant que nos lecteurs ne prennent l’auteur de cet article pour un aimable fantaisiste. Mon clown en vélo cocasse est un authentique Auvelaisien, appartenant à la société humoristique « Le Tour de France Sarthois ». Chaque membre possède un vélo burlesque, à une deux, trois roues, souvent inégal diamètre ou dont la circonférence se rapproche plus de l’ellipse, voir du carré, que du cercle. Cette société de joyeux lurons a succédé à celle, tout aussi pittoresque, des « Bons Buveurs sarthois », dont la fonction principale est, bien sûr, évoquée dans son appellation. On raconte même qu’elle possédait un âne mascotte qui participait allègrement à cette activité. Quant au terme « sarthois », qu’il ne vous intrigue pas plus longtemps : il vient de « Sarthe », nom d’un quartier particulièrement vivant et dont les habitants sont réputés pour leur bonne humeur et leur dynamisme.

Frite à la tonne.

Plus de 50.000 personnes se rendent chaque année à Auvelais pour y voir défiler ce cortège, l’un des plus imposants de Wallonie. Les groupes folkloriques y participent nombreux et comptent souvent parmi les meilleurs de Belgique ou même de l’étranger : il en vient notamment de France.

Mais, ce qui m’a le plus frappé, c’est l’ambiance qui règne ce jour-là dans la ville. Pour la définir, il faut rappeler que l’industrie jour un très grand rôle dans la vie de cette cité comptant plus ou moins un tiers d’ouvriers, un tiers de dirigeants et de cadre d’usines, un tiers de commerçants. Le paysage lui-même en témoigne : horizon jalonné de cheminées fumantes, de terrils, de bâtiments gris dont les murs vibrent sous le halètement des machines : lourdes péniches chargées de minerai, de coke ou de mazout, que la Sambre .... affluent de la Meuse ... emmène à travers le paysage où subsistent les prairies de la zone agricole, encore importante au siècle passé.

Eh bien ! le public qui se rend a Auvelais le lundi de Pâques, traduit le caractère laborieux de la région. C’est une grande majorité de travailleurs, qui viennent particulièrement de toute la Basse-Sambre, du Bassin liégeois, du Borinage, en un mot de la Wallonie industrielle. La meilleure démonstration, n’est-elle pas le nombre effarant de tonnes de frites, mets démocratique par excellence, débitées ce jour-là ? On en vend en effet environ 20.000 kg.

Une vie industrielle intense.

Tout ce qui précède laisse entrevoir de cette ville un visage particulièrement sympathique. C’est une localité agréable, où il fait bon vivre. Les entreprises y sont nombreuses, fait particulièrement intéressant pour cette population de 8.400 âmes qui trouve ainsi sur place des possibilités de travail. Au passage, citons, notamment, une glacerie, une boulangerie (produisant 10.000 pains par jour), une laiterie, deux feutreries, une centrale électrique, deux ateliers de construction, un atelier de fonderie, une usine de produits chimiques et pharmaceutiques, un charbonnage, une fabrique de cendriers, de pavements en grès, une demi-douzaine d’ateliers de moyenne importance, près de dix garages....

Un des signes de la prospérité des Auvelaisiens est sans nul doute le nombre impressionnant de véhicules à moteurs relevés dans la commune. Pour 2.400 ménages, on compte 2.406 autos, motos, vélomoteurs ! Il faut évidemment déduire de ce chiffre le charroi des firmes commerciales. Il n’en demeure pas moins que l’effectif des véhicules appartenant à des particuliers reste appréciable....

Un passé de souffrances.

Pourtant, cette joie de vivre, ce climat de progrès succèdent à un passé lourd de tribulations. La région souffrit beaucoup, au cours de l’histoire des excès de la soldatesque. Ainsi, en 1693, les troupes mercenaires du duc Charles de Lorraine ravagèrent la Basse-Sambre. Un détachement prit la route d’Auvelais. Les habitants, lorsqu’ils les aperçurent, se réfugièrent dans l’église dont ils condamnèrent les portes au moyen de barricade de fortune.

Mais les assaillants brisèrent les vitraux et y pénétrèrent par les fenêtres. Les Auvelaisiens, emmenant avec eux leurs biens les plus précieux, s’enfuirent dans la tour, au pied de laquelle les poursuivants allumèrent un brasier. Suffoquant, les malheureux villageois allaient succomber à l’asphyxie lorsque les assiégeants songèrent au butin qui serait détruit par l’incendie. Aussitôt, ils se mirent en devoir de circonscrire le sinistre. Ce fut en vain. Ils décidèrent alors de monter dans la tour où ils ne se contentèrent pas d’ailleurs de voler les malheureux ; sans ce soucier de leurs supplications, ils les massacrèrent jusqu’au dernier. Mais ce surcroît de sauvagerie devrait être fatal aux bourreaux. Pendant qu’ils se livraient à ce carnage, le feu se propageait et, lorsqu’ils voulurent redescendre, l’escalier était en flammes. Cette journée tragique se solda par la mort de 279 personnes : 103 Auvelaisiens, hommes, femmes et enfants, ainsi que 276 mercenaires dont 30 officiers et un major...

Mais tout ceci est de l’histoire ancienne. Dans le présent, il reste cependant une ombre : Auvelais est à la merci des crues de la Sambre. Les récentes inondations dont cette cité fut l’une des victimes furent catastrophiques. L’eau atteignit 1m80 à certains endroits et l’on dénombra plus de 400 sinistrés.

Les femmes majoritaires.

Quittons l’histoire et ses souvenirs dramatiques pour revenir à notre époque pendant laquelle Auvelais se développe avec une constance remarquable. Cependant, me voici bien embarrassé pour choisir entre les mille détails qui caractérisent le présent. Laissons faire le hasard et demandons à la première personne rencontrée sur ce pont qui enjambe la Sambre ce qui est ici le plus frappant

Eh bien ! me répond mon interlocutrice. Pourquoi ne pas parler de la place des administrées dans la ville locale ? Ville industrielle, Auvelais se devait de posséder au moins une femme chef d’entreprise. C’est Mme Boreux, qui dirige un atelier de construction d’où sortent notamment les charpentes métalliques et quantité de matériel destiné aux mines, aux centrales électriques et à diverses usines. Fait remarquable, elle a su faire fructifier l’entreprise, ce qui prouve que la gent féminine peut jouer un rôle important dans des domaines généralement réservés aux hommes. Quant à nous, les Auvelaisiennes, nos voix réunies permettraient d’élire au conseil communal : 6 femmes pour 5 hommes. Nous sommes, en effet, 2949 électrices pour 2632 électeurs. Mais, bien que cette situation puisse satisfaire notre orgueil, je ne pense pas que les choses iraient mieux.

Jean le Porion.

Il est temps maintenant que je justifie le titre donné à cet article, puisque, jusqu’ici, il n’y a pas encore été question de porion. J’aurais dû vous dire, lorsque j’évoquais le cortège du lundi de Pâques, que la plus haute personnalité présente mesurait 3,80 m !

Son nom : Jean le Porion, né le 29 août 1956.

Sa profession : géant.

Ses parents historiques : Jean-le-Houilleur, échevin en 1512, et Jeanne Quinquet, chef de file à la « Badauderie de la Haute Cour Saint Fauillin du Voisin », (le « Voisin, quartier d’Auvelais, comme la « Sarthe » ou « Seuris »). Mais Jean le Porion doit le jour au secrétaire communal, François Sarteel, qui ne néglige aucune occasion d’attirer l’attention sur la commune. Laissons-lui la parole !

- Jean le Porion ? Eh oui, il a déjà 5 ans. Sa première grande excursion fut à l’exposition de 1958, où il se rendit sous le chaperonnage du président de l’Association des commerçants, M. Jeanlin. Depuis, son succès n’a cessé de s’affirmer. Il personnifie très bien l’une des activités de la région, et plus particulièrement d’Auvelais qui fut de tout temps une importante pépinière de porions. C’est pourquoi nous avons baptisé notre ville « Cité du Porion », ce qui constitue d’ailleurs un hommage à tous les mineurs. Et, je saisis l’occasion de votre visite pour insister sur un point essentiel, c’est qu’Auvelais ne serait pas la cité prospère et joyeuse que vous avez découverte, sans le dynamisme et le dévouement de beaucoup d’entre nous. Je ne parle pas seulement du bourgmestre et de l’administration communale, mais aussi des organisateurs de toutes nos grandes festivités, et plus particulièrement de MM. Bailly, président du Comité des fêtes, F. Malevé, vice-président, R. Sévrin, trésorier et R. Maron, secrétaire.

« Gn’a qu’à Auvelais ».....

Quelle conclusion apporter à cet article si ce n’est répéter que l’on ne s’ennuie pas à Auvelais ! C’est vrai, et je me contenterai de confirmer ce jugement en versant au dossier de la « Cité du Porion » un dernier document : quelques vers du chant local « Gn’a qu’à Auvelais », chanté par le chanteur wallon Bob Deschamps (paroles de W. Félix et musique de J. Fahy) :

« Gn’a qu’à Auvelais, mès djins, qui l’viye èst bèle, Gn’a qu’à Auvelais qui nos-estans contints »

Ce qui signifie :

« Il n’y a qu’à Auvelais que la vie est belle... il n’y a qu’à Auvelais que nous sommes contents. »

Bien sûr, à première vue, ces affirmations peuvent sembler très prétentieuses, mais leur sens profond est plus subtil, plus nuancé. Elles expriment l’amour de l’Auvelaisien pour sa terre, ses usines, ses horizons. Transplanter ailleurs un véritable « éfant d’Auvelais », et il ne pourra oublier sa petite ville du bord de Sambre.

Cet attachement n’est-il pas un témoignage d’une certaine sensibilité et du climat sympathique qui caractérise la Cité du Porion ?