Auvelais et le Quartier de Seuris

Aller à maraude.

Les garçons de Seuris allaient «à maraude» à l’époque des fruits laquelle tombait toujours bien durant les grandes vacances comme si ces dernières avaient été créées spécialement pour cette activité. Il ne faut pas croire que c’était du vol ; un certain code d’honnêteté voulait qu’on ne prélève que des fruits qui pendaient en dehors des propriétés ; ils appartenaient, selon nos principes, à tout le monde.

On peut raconter cette histoire aujourd’hui, il y a prescription et on peut même citer sans risque les endroits connus des garçons à l’époque. Il y avait durant la guerre, à l’emplacement du temple protestant, un terrain vague qui donnait sur le mur du jardin de chez Deroo derrière lequel des poiriers vigoureux tendaient, au-delà du mur, des branches généreusement garnies des meilleures variétés de poires.

On était bien protégé de la maison du propriétaire par le mur, mais on était visible de la rue. Il va sans dire que le prélèvement se réalisait sans bruit et rapidement. Le butin était toujours partagé avec équité. Un autre endroit pour le prélèvement de poires était le fond des jardins de la rue de la Grippelotte, loin de tous les regards (la cité n’existait pas) protégé également des regards par un mur en plaques de béton. Il faut avouer que les fruits récoltés «à maraude» avaient tous une saveur particulière rehaussée par la poussée d’adrénaline provoquée par la hardiesse de l’acte. À la moindre alerte, on s’égaillait dans toutes les directions.

C’est le pêcher de mon père qui faisait les frais de notre désir de pêches. En bordure de l’avenue du cimetière, sous les regards de tout le monde, on ne pouvait «l’entreprendre» qu’à la vesprée. J’avais bien émis quelques réticences, mais on m’avait vite rappelé le code et j’avais dû m’incliner, la conscience légère, car on ne se maraude pas soi-même.

Pour les pommes, il fallait aller beaucoup plus loin, à l’orée du bois de Chèrevoie, près d’un ancien terrain de tennis, au bord duquel quelques vieux pommiers chétifs nous proposaient leurs fruits. On pouvait voir toutes nos manœuvres de la maison du «tcherpètî» qui se trouvait dans notre champ de vue, mais à une distance respectable. Lorsque l’homme Depauw sortait de sa maison en criant et qu’un des nôtres affirmait : «Il a on fuzik», c’était la débandade à travers les buissons du bois. Parfois on rampait et on collectait des pommes tombées généralement vermoulues, mais aussi plus sucrées. Il fallait seulement être prudent en les croquant.

Nous n’avons jamais manqué de fruits pendant les grandes vacances de la guerre, mais quelques-uns parmi nous ont perdu leurs dents de lait en croquant des pommes ou des poires qui étaient encore vertes ; il faut dire que, dans le feu de l’action, on prélevait un peu de tout.

Ce qui est étonnant, c’est que tous ces garçons ont été plus tard d’honnêtes citoyens. On pourrait croire que la maraude prédisposait à des choses plus graves. Mais il y avait ce code d’honneur qui était scrupuleusement respecté et je n’ai jamais vu un de mes compagnons prélever une pomme plus grosse ou une pêche plus rouge si elles étaient au-delà des limites que nous nous étions imposées librement. Au-delà, c’était du vol !

Tcherpètî = chapentier.

André ERGO. (16 août 2012)
Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)
andre.ergo@telenet.be


Les jeux de cartes à Seuris.

C’est surtout pendant les hivers de la guerre que les jeux de cartes ont eu beaucoup de succès à Seuris. Il faut dire que les hivers de guerre étaient particuliers. Dès que le soir tombait, les maisons devaient être occultées, pas un rayon de lumière ne pouvait être vu de l’extérieur sous peine de procès. Il y avait aux fenêtres, des stores, des rideaux épais, des tentures et rien ne filtrait. Les routes n’étaient pas éclairées et même les phares des vélos devaient être occultés. Dans ces conditions-là, on ne sortait presque plus dès qu’il faisait noir et on n’éclairait qu’une seule pièce de la maison pour ne devoir en occulter qu’une seule.

Comme il n’y avait pas de TV et peu de radios, les soirées étaient propices à jouer aux cartes en famille et parfois avec des voisins courageux qui osaient braver l’obscurité des chemins.

Tout gamin on apprenait les rites des jeux de cartes : il y avait tout d’abord le « mâcheu » celui qui mêlait les cartes ; celui qui le précédait dans le tour de table était le « côpeûs » celui qui coupait le jeu pour éviter la triche, et le suivant dans le tour était le « doneûs » celui qui distribuait les cartes, une à la fois, deux par deux ou suivant une autre convention entre les joueurs.

Le premier jeu de cartes auquel on jouait entre enfants était le jeu de « bataye » qui avait l’avantage de surtout faire connaître les cartes (cautes en wallon), leur valeur et qui familiarisait les enfants avec les chiffres, avec un problème cependant puisque le 1, plus petit chiffre, était la plus haute valeur. Mais on abandonnait très vite ce jeu pour des jeux plus intelligents comme le chasse cœur où il fallait éviter d’attraper le valet de pique (la plus mauvaise image) et tous les cœurs, ou comme le rami où il fallait essayer de construire des séries de cartes de même genre. Tout cela faisait l’objet de points qu’il fallait enregistrer puis compter ce qui favorisait l’apprentissage du calcul.

Mais le jeu le plus joué par les adultes et par les enfants les plus malins, était le jeu de «couyon». Ici, plus question de compter ; chacun commençait avec un passif de 7 «rôyes» qu’il fallait essayer de « rabate » en gagnant des parties. On gagnait à coup sûr si on avait « on bia djè ». Si on perdait après avoir «pris l’mwin», on rajoutait une «crole» au passif du perdant et une seconde si le perdant « était double » c’est-à-dire s’il n’avait fait aucun pli. Le jeu de «couyon» était aussi celui des joueurs de cartes dans les trains, car les parties étaient souvent très rapides et pouvaient se faire facilement entre deux arrêts.

Il existait aussi à Seuris une variante du jeu de «couyon» qu’on appelait le «spitch». Pendant la guerre, les hommes jouaient à ces jeux pour des «caurs» ; les pièces à trous, 5 centimes, la «mastoke» (0,00125€), 10 centimes (0,0025€) et 25 centimes (0.00625€), pas de quoi perdre ses culottes, même si l’argent avait plus de valeur qu’aujourd’hui. Un cervelas ou un sachet de frites coûtaient chacun 0,125€. Les garçons, eux, jouaient pour des allumettes qui étaient distribuées de manière égale entre les joueurs au début du jeu.

Après on passait à des jeux plus sérieux, comme le «whist» et plus rarement le «piquet» ; les plus snobs jouaient même au «bridge». Après la guerre, tout cela a parfois fait l’objet de tournois. Certaines femmes étaient aussi de redoutables joueuses de cartes, mais dans les « dicausses », les jeunes filles préféraient aller chercher des infos chez la «tireuse de cartes», une postiche qui siégeait dans une « gayole » éclairée et qui les renseignait sur la prochaine rencontre avec un «galant», et tout cela par écrit sur un petit papier qui sortait de la machine, après payement, bien sûr !

C’était acheter pour pas cher quelques minutes de bonheur ou d’espoir !

Pour revenir à la guerre et à l’occultation obligatoire, il est bon de rappeler que les enfants qui allait faire leurs «Pauques», allaient au catéchisme durant deux ans avant celles-ci, que le catéchisme avait lieu après la première messe et avant l’entrée à l’école, ce qui les obligeait à voyager jusqu’à la chapelle du Pont-à-Biesmes lorsqu’il faisait encore sombre. Pour vaincre la peur du noir, on voyageait en groupe.

Un autre détail encore, relatif à la guerre : à l’école de Seuris, des bandes de papier collant en grande quantité avaient été collées sur les vitres des nombreuses fenêtres, pour protéger les élèves des débris, au cas où celles-ci auraient été brisées au cours d’un éventuel bombardement. Ces bandes, collées de haut en bas, faisaient ressembler la petite école à une prison.

Mais qui se souvient encore de tout cela, septante ans après ?

André ERGO. (16 août 2012)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)
andre.ergo@telenet.be

Seuris et le tabac.

Dans toutes les maisons du quartier, il y avait, dans la pièce où on vivait, pendu au mur et bien souvent héritage du passé, un porte pipes, orné d’une panoplie de pipes de toutes sortes. Certains de ces porte-pipes étaient même des petites œuvres d’art, fabriqués maison, dans du contreplaqué verni, découpés en véritable dentelle.

Tous les hommes fumaient à l’époque et c’était plus rare chez les femmes, mais tous utilisaient du tabac de chez nous, cultivé et séché amoureusement dans la vallée de la Semois, abreuvé par l’eau de la rivière, lavé par les brouillards matinaux humides et la rosée généreuse et puis séché sous abri, en plein air. Tout tabac de premier choix, qui n’avait pas besoin d’être « saucé » car nourri des richesses de notre terre.

Pendant la guerre, un petit coin des jardins fut consacré à cette culture, à Seuris comme partout, mais la qualité n’était pas toujours au rendez-vous. Il y avait le tabac pour la pipe et celui, haché plus fin, pour les cigarettes, qu’on roulait soi-même dans du papier Job, Riz la Croix ou Zig-Zag. Certains fumaient le cigare et d’autres sa forme réduite, le cigarillo, qui se vendaient alignés dans des boîtes en bois et qui étaient munis d’une bague dont les garçons faisaient la collection. On prétendait même qu’ils avaient été roulés sur les cuisses des Cubaines. Il existait également une petite guillotine manuelle pour couper le bout du cigare que les fumeurs experts faisaient tourner dans leurs doigts, près de l’oreille, pour l’entendre craquer et affirmer à l’utilisateur qu’il était prêt à l’usage. Plus rarement, d’autres hommes chiquaient des rôles, cordes de tabac de la grosseur d’un pouce, enroulées comme le boudin sur un support et qu’on achetait au poids. Plus rarement encore, certaines femmes parmi les plus âgées – la mode se perdait déjà-, utilisaient de la poudre de tabac dans le nez pour dégager celui-ci ; on appelait cela une prise et cette poudre était gardée près du porte-monnaie, dans une tabatière.

On devenait un homme quand on avait déjà fumé une vraie cigarette qu’on avait roulée soi-même, mais les garçons s’entraînaient bien avant, en fumant les tiges creuses et sèches de certaines plantes pour apprendre à «avaler» la fumée. C’était en fait, une coutume séculaire ; il y a des siècles, la pipe servait à fumer des herbes aromatiques ou médicinales. La première cigarette laissait rarement un bon souvenir, on était parfois malade, tout tournait ; alors on n’osait même pas tenter de chiquer un bout de rôle car on était impressionné par les dégâts causés, quand les vieux disaient d’un autre homme qui titubait sur la route : « il a encore une chique ! » Les rôles devaient être très forts car les « ratchons brunâtres » faisaient sur les pavés, des taches indélébiles.

On reconnaissait sans peine les quelques vieilles femmes qui prisaient encore à la couleur de la goutte qui perlait au bout de leur nez, en hiver.

Tout servait dans le tabac ; les bouts de cigares et les mégots étaient mis à macérer quelques jours dans de l’eau et cette eau permettait de combattre les attaques de pucerons car la nicotine est un puissant insecticide. Elle est aussi dangereuse pour l’homme, c’est pourquoi les embouts des bonnes pipes étaient souvent munis de filtres et se nettoyaient avec des tiges poilues.

Les pipes et les tabatières étaient parfois de véritables œuvres d’art, sculptées, peintes, ciselées, fabriquées en matières nobles (bois, céramique, écume, ivoire etc.), parfois avec couvercles métalliques et faisaient l’objet de cadeaux ; on offrait une prise et un cigare, on bourrait une pipe entre copains, on partageait un rôle.

Il y avait même des simples pipes en terre, comme celles qu’on peut voir dans les kermesses ; elles étaient fabriquées près d’Andenne avec une argile très fine de couleur brique. Il existait également des bourre pipes métalliques.

Les gamins imaginatifs utilisaient parfois ces pipes en terre avec de l’eau dans laquelle on avait dissout du savon mou et cela leur permettait de faire, à bon marché, des bulles de savon énormes.

Aujourd’hui, les vieilles pipes culottées sont rangées sur leur râtelier et servent de décor ou de ramasse poussière ; les plus belles sont au musée, les autres, celles de tous les jours, qui ont partagé les petits bonheurs, les peines ou les angoisses, qui ont permis de faire une pose de repos au travail (fé toubac) ou qui ont aidé à la réflexion, n’ont même pas leur place dans les marchés aux puces.

Je vois toujours les pipes, au mur, à la maison et mon père qui en choisit une, élue pour le week-end, qui la caresse, qui la bourre de tabac : pas trop serré pour un tirage facile, pas trop lâche pour une combustion plus lente, qui l’allume en la penchant, un peu, latéralement, et puis qui la «déguste» lentement au centre de volutes parfumés, le regard perdu et l’esprit évadé dans une autre dimension.

Ces pipes-là sont des reliques ; je ne suis pas fumeur, mais je ne peux pas m’en séparer.

André ERGO. (16 mai 2012)

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Un Auvelaisien pionnier au Congo

Quand j’étais gamin, il y avait au mur à l’entrée de l’ancien hôtel de ville, une plaque commémorative rappelant aux Auvelaisiens qu’un natif d’Auvelais avait fait partie des premiers Belges qui avaient été au Congo. Je ne sais pas si cette plaque existe toujours ou si elle a été transférée dans le nouvel hôtel de ville.

L’homme en question s’appelait Paul Le Boulangé, ce qui n’était pas un nom courant à Auvelais, ni dans la Basse Sambre. Paul Le Boulangé est né à Auvelais en 1866. C’est donc un gamin âgé de 10 ans quand Stanley traverse l’Afrique de part en part ce qui ne peut pas manquer de l’impressionner. Il ira donc au Congo à l’époque de Léopold II mais aussi en Amérique latine et mourra relativement jeune en Belgique, sans descendance, à Hal, âgé de37 ans, comme la plupart des jeunes hommes qui sont allés sous les Tropiques à l’époque et qui sont revenus mourir chez nous, d’une maladie mal connue attrapée dans ces régions.

On peut avoir un bref aperçu de la carrière africaine de Paul Le Boulangé dans la Biographie coloniale publiée par l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, mais il a aussi raconté lui-même ses souvenirs dans la Tribune congolaise (un journal belge de l’époque) documents que je n’ai pas encore pu consulter mais qui se trouvent sûrement à la bibliothèque du Musée africain à Namur (merveilleux petit Musée, mal connu et qui mérite d’être visité et sauvegardé).

J’ai cependant eu la chance de retrouver une partie de sa généalogie qui nous informe sur ses origines.

Son arrière-grand-père s’appelait Jean La Volupté Le Boulangé ! Un nom qui sent bon la révolution française. Il était né à Paris en 1772 et était avoué au tribunal de Dinant, ville française à l’époque, où il avait épousé une Dinantaise du nom de Marie Anne Pauline Monseur. Leur fils Jean-Benoît né en 1797 à Dinant sera inspecteur des contributions, dans la toute jeune Belgique alors, et épousera une fille de Gembloux Pauline Thérèse Daube. Le père de Paul, Paul-Xavier, qui naît à Gembloux en 1827 sera receveur des contributions et épousera une fille de Virelles près de Chimay, Euphémice Anne Mathilde Carlier. Paul le Boulangé naîtra donc à Auvelais, un peu comme moi, probablement au hasard des mutations de son père fonctionnaire au ministère des Finances.

À l’occasion de ces recherches, j’ai essayé de savoir quel avait été l’apport de la Basse Sambre industrielle et d’Auvelais si possible, dans les débuts du Congo et j’ai été étonné de lire, parmi les écrits d’un curé historien de Tamines, que la toute première église de Matadi, construite entièrement en tôles, et qui existe encore aujourd’hui comme un des plus anciens vestiges historiques du Congo, avait été construite dans les ateliers de Aiseau, où travaillaient plus que certainement des ouvriers auvelaisiens. Et cela n’a rien d’étonnant. À l’époque, les Wallons étaient les maîtres des constructions métalliques dans le monde entier, la Belgique était la quatrième puissance économique mondiale (la quatrième, vous lisez bien !) et Auvelais et toutes les communes de la Basse Sambre, avec leurs nombreuses industries, participaient activement à ces performances.

André ERGO. (16 mai 2012)

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Suzanne Moraux

On ne peut pas parler de Seuris sans évoquer Suzanne Moraux, la Christiane Lenain d’Auvelais comme me l’écrivait l’autre jour, avec justesse et à propos, un de mes correspondants. Bien qu’elle soit un peu plus âgée que moi, je n’aurais aucune excuse de ne pas m’en souvenir, puisque j’ai souvent été jouer chez Jean Marie Bauloye, le fils des habitants de la maison voisine de celle où elle habitait. J’ai aussi connu très bien Georges Moraux son mari et François, le frère de celui-ci. J’ai d’ailleurs évoqué il y a quelque temps, la carrière sportive de Georges, brillant petit mitan et champion de balle pelote.

Qu’elle joue des pièces en wallon, ne pouvait pas m’étonner puisque c’était la langue du quartier ; qu’elle en écrive par contre comme je l’ai découvert sur Internet, (Al cwade à tot spiyî) et peut être d’autres, m’a particulièrement enchanté, c’est un don que je ne lui connaissais pas, mais qui ne m’étonne pas.

Le hasard ( mais est-ce le hasard ?) a amené sur mon bureau un papier en wallon que Suzanne avait écrit à l’occasion des soixante années de vie religieuse de la petite sœur Mariette qui s’est dévouée toute sa vie à l’école des petits sur les Ternes et probablement à l’occasion de celle de ses presque quatre-vingt ans. Il n’y a que Suzanne qui pouvait écrire ce papier ; les Ternes ne s’appellent-ils pas ….Ternes .Moreau ? Je ne citerai pas tout le papier qui est long poème d’une centaine de vers, mais simplement ceux qui justifient le fait que j’en parle : la description de la petite sœur tout d’abord :

Tout l’bén qu’elle a pu fé

Do timps di s’vicairîye

À Auv’lais, on l’sè bén,

Elle a sièrvu Marie,

Avou s’coeùr èt ses brès

Ses p’titès d’jambes ossi,

Elles z’ont branmint couru,

Todis pou fér plaîgi.

et la promesse par laquelle elle termine, ensuite :

Mins, faut dire « en rideau »

Pou ridiv’nu sérieux,

Qui c’est s’t’in bia cadeau,

Qu’nos a fè là l’Bon Dieu ;

Et si, dins vingt-deux ans,

Nos estans co su l’tèrre,

Nos sèrons autoù d’lèye

Pou fièstér s’centenaire.

Éh bien, il y aura 22 ans ce 22 avril 2012 que ce texte a été écrit. Je ne sais pas si la petite sœur de l’école gardienne a 100 ans et si elle vit toujours, mais je sais que Suzanne est toujours bien là bon pied bon oeil et qu’elle habite encore « su noss tèrre » dans une rue de notre quartier.

Elle, que le destin n’a pas épargné quand elle était petite fille, a choisi de faire rire les gens et de partager avec eux quelques instants de joie et de bonheur par la magie du théâtre. C’est, en fait, une grande psychologue.

Encore longue vie, et, … continue grande sœur !

André ERGO. (9 avril 2012)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

andre.ergo@telenet.be

Le sport cycliste à Auvelais.

De suite après la guerre, on vivait chaque tour de France dans l’espoir de voir un coureur belge ramener le maillot jaune chez nous, comme tant d’autres l’avait fait avant 1940. Des Wallons s’étaient illustrés aux temps héroïques, quand les vélos pesaient 20 Kg, que les étapes étaient interminables et qu’il fallait réparer son vélo soi-même ; puis les Flamands avaient pris la relève avec Sylvère et Romain Maes.

Après la guerre, à Seuris, je ne me rappelle que de Jean Massinon qui fut un honnête amateur et qui habitait l’avenue nouvelle, et de Pacorus, un coureur un peu plus réputé sur le plan provincial et qui devait habiter rue de la Bruyère si ma mémoire est fidèle. Il y avait à l’époque les juniors, les amateurs, les indépendants et les professionnels et dans la Basse Sambre, le coureur professionnel le plus réputé, fut sans conteste Alex Close qui fit plusieurs fois le tour de France, qui s’y comporta très honorablement et qui ne mérite pas d’être oublié des commentateurs sportifs comme il l’est aujourd’hui. Je crois même que la première fois qu’il fut sélectionné pour le tour,juste après la guerre, il n’a pas su y aller, car le coureur devait payer lui-même le mécanicien. C’était aussi un des meilleurs coureurs belges en cyclo-cross.

Je crois que ses parents tenaient le café en face de la Maison du Peuple, et si ce n’était pas ses parents, c’était de toute façon de la parenté. Alex Close était un domestique, comme Pino Cérami le fut aussi, mais à l’occasion comme lui, il était capable de gagner quelques courses importantes comme le Dauphiné libéré (c’était un bon grimpeur) et je sais même qu’il a fini, trois fois dans les dix premiers du tour de France, dont les équipes participantes étaient parfois, à l’époque, nationales pour les étrangères à la France et régionales pour les françaises. Dans le temps d’Alex Close, les champions belges étaient Stan Ockers et Raymond Impanis., les étrangers, Coppi et Bartali.

Après le tour de France, on organisait un creterium à Auvelais pour les indépendants et les professionnels ensemble, creterium auquel participaient bien sûr les meilleurs coureurs de la région. La kermesse de Seuris avait également sa course cycliste pour des coureurs plus modestes ; il y avait quelques grands tours avec montée de la Bruyère et la course se terminait par des circuits locaux et une arrivée sur la place, devant chez Dussart. Les autres kermesses de quartiers avaient aussi leur course et, à la Sarthe, on a organisé plusieurs fois des courses pour femmes, avec la montée du Rominet comme difficulté principale.

L’époque de Close terminée, on a eu celle de Brankart, un redoutable coureur liégeois qui avait terminé deuxième une année et qui avait même sa chanson que les gamins de Seuris braillaient dans les rues à l’époque du tour de France :

Vive Brankart, vive Brankart, vive Brankart / C’est le roi de la pédale / Vive Brankart, vive Brankart, vive Brankart/ Le petit gars de Momalle….. on ne comprenait pas pourquoi les vieux rigolaient quand on chantait cela !

Les garçons organisaient aussi des courses entre eux dans le quartier. Dix ou douze garçons s’alignaient avec des vélos disparates, ceux des papas ou des mamans, ils se mettaient d’accord sur un nombre de tours à effectuer, généralement 20 ou 30, au départ de la place, puis la rue Seuris, celle du cimetière, l’avenue Nouvelle et la place. Un garçon qui ne courait pas, comptait les tours et éliminait les doublés. On courait pour la gloire, avec quelques chutes spectaculaires quelquefois, aux changements de rues, mais sans véritable casse. Tout cela était possible car il n’y avait pas de trafic.

Heureuse époque !

André ERGO. (9 avril 2012)

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Souffrir pour le wallon

Resté quatre années dans la classe de Mademoiselle Laurent à l’école gardienne de Seuris, celle-ci ne se lassait pas de mes extravagances et, quand je parlais le wallon, elle ne me reprenait que lorsque les mots employés dépassaient la décence. On ne parlait pas le wallon à la maison, j’ai donc appris cette langue à l’école des garçons de Seuris et ce n’est que lorsqu’il fut pensionné et que j’étais déjà adulte que j’ai communiqué dans cette langue, avec mon père qui la parlait pourtant si bien.

On regrette souvent plus tard d’avoir trop peu parlé avec son père.

J’entrais donc à l’école primaire avec un bagage linguistique qui n’était pas envisagé dans les programmes les plus laxistes et cela allait me jouer des tours tout au long de mes études. Je n’étais pas à l’école Saint Joseph depuis plus de 2 jours que je me suis fait accrocher, à la cour de récréation par mon instituteur Waldor Destrée qui me demanda : « Pourquoi parlez-vous wallon ». Je lui répondis – ce qui me paraissait évident- « Je parle wallon parce que je suis Wallon ! ».

Waldor, prenant cette réponse pour de l’impertinence, me prit par l’oreille et me dit : « Venez répéter cela à Monsieur le Directeur ». Le directeur était Monsieur Stiénon, imposant par sa fonction et parce qu’il s’occupait des grands jusque 14 ans, qu’il était déjà presque fin de carrière et surtout parce qu’il portait un bouc à la Léopold II, carré, terrifiant. Je m’attendais au pire après avoir répété pourquoi je parlais wallon. Mais le maître Stiénon a caressé ma tête blonde puis m’a dit : « Va jouer ! » avant de s’entretenir longtemps avec son jeune instituteur.

Le wallon refaisait surface de temps à autre. J’étais en troisième primaire chez l’instituteur Maurice Guillaume qui débutait cette année-là et on parlait du pluriel en « aux » des mots en « al ». Tous les exemples étaient épuisés et mon doigt était toujours levé quand je fus invité à donner mon exemple ; et j’ai sorti tout fier la perle suivante : Vitrival – Vitrivaux. Maurice Guillaume a eu beaucoup de difficulté à garder son sérieux et s’est souvenu très longtemps de ce pluriel étonnant. Au demeurant, Waldor et Maurice, ma majorité atteinte, furent tous deux, pour moi, des amis aînés fidèles.

Je fus parfois insolent. J’étais en cinquième, chez le maître Tasiaux quand celui-ci me donna comme punition un cahier entier de conjugaison du verbe « devoir parler français », à tous les temps. La punition me paraissait nettement disproportionnée à la raison qui l’avait provoquée et je cherchais un moyen de m’en sortir. On m’avait raconté, jadis, que mon parrain à qui on avait donné 100 lignes à faire, avait remis à son instituteur une feuille sur laquelle il avait tracé soigneusement à la règle, 100 lignes droites. Cela me donna l’idée d’écrire en grand un seul mot par page. Ëtre impertinent, c’est une chose, encore faut-il avoir la témérité ; le courage ou l’audace de remettre la punition. Je la remis à un cours de chant où toute l’école était rassemblée. Le maître perdit son calme et m’administra une gifle magistrale qui me fit tomber par terre et qui projeta ma carnassière à l’autre côté de la classe. Ce fut trop soudain pour que je pleure, et puis il y avait toute l’école ! Allez dans notre classe, m’enjoignit le maître. J’en avais eu assez et, n’ayant pas l’étoffe d’un martyr, je me sauvai de l’école ; je savais que mes camarades de Seuris me ramèneraient mes affaires. Je n’étais pas encore rentré chez nous, quand le maître, inquiet, vint à la maison tout expliquer à mon père. Celui-ci me disputa pour l’insolence, mais chez nous, de toute manière et par principe, je savais que l’instituteur avait toujours raison. Je crois cependant que mon père était fier de l’audace qui lui rappelait ses propres frasques à l’école de son village. Un premier de classe qui se fait tabasser par le maître, cela lui donne inévitablement, une aura particulière dans l’école. Mais je dois convenir, en toute honnêteté, que la gifle était largement méritée.

Faisons un bond de quelques années, je suis en première année du secondaire supérieur, j’ai 16 ans, on me prend à parler wallon et le Frère Marcel des Écoles chrétiennes me donne, comme punition logique pour parfaire mon français, la copie du dictionnaire Larousse. Mon Larousse de l’époque a 1745 pages, soit grosso modo 90.000 mots. On ne m’a pas précisé la manière dont je devais le copier et je l’ouvre naturellement dans la partie Histoire et Géographie dans laquelle j’estime avoir plus de chances d’apprendre quelque chose d’utile. Je fais des fiches sur tout ce qui est écrit en petits caractères : les batailles en commençant par Aboukir, les tableaux en débutant par l’abreuvoir, l’accordée de village, les pièces de théâtre, les opéras etc. Je suis arrivé à la charte de l’Atlantique quand le Frère vient contrôler ma punition. Il trouve cette manière de faire très intelligente et…supprime la punition, avec, comme conséquence que je n’ai jamais été, pour mon savoir, au-delà de la charte de l’Atlantique.

Je ne fus pas ; loin de là, le seul à avoir été puni pour avoir parlé « ma langue » et j’ai une pensée émue pour tous ces forçats anonymes. Il y a toujours eu des résistances et ce n’est pas Willy Félix, qui fut mon premier chef aux scouts, qui me démentirait. C’est étonnant cette hargne qu’on a mise dans le passé pour supprimer la langue wallonne, inutilement d’ailleurs puisqu’il y a toujours des pôles de survie. Et puis, cette langue, ces mots, sont plus que notre patrimoine, ils sont notre âme. Alors, de mon exil flamand, propice à la nostalgie, je prends parfois mon bic que je laisse courir librement sur une feuille :

È quand gn’a l’vint qui ûle è qui l’vèra clicote,

Qui les ovrîs do fond rimontnu tot nauji,

Qui leu samwinne est féte è qui vont fé ribote

Ah qu’elle est bèle, mes djins, li linwe di vosse payis

André ERGO. (2 février 2012)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

andre.ergo@telenet.be

La chorale Sainte Cécile.

Petite ville industrielle prospère, Auvelais a toujours eu des fanfares, des harmonies et des chorales. Je me souviens même avoir vu, enfant, des chanteurs de rue au marché du mercredi, lesquels chantaient les ”tubes” du moment et vendaient les partitions des chansons de Maurice Chevalier, celles de Joséphine Backer, de Rina Ketty et de bien d’autres.

Les radios étaient très rares et on entendait parfois, à Seuris, la jolie voix d’une femme ou celle d’une jeune fille qui faisait, dans sa cuisine en préparant le repas, et sans le savoir, du “karaoke” avant l’heure. Elles chantaient l’amour, bien sûr, mais aussi des chansons plus tristes :

…L’Amour est passé près de vous, un soir dans la rue n’importe où,….

...L'Amour est un dieu si malin .....

...C'est aujourd'hui dimanche, tiens ma jolie maman

Voici des roses blanches, toi qui les aimes tant .....

C’était avant la guerre ; on a moins chanté pendant celle-ci, les idées étaient autre part, mais le conflit terminé la joie exubérante a vite refait surface.

À cette époque, la chorale Sainte Cécile existait déjà et avait déjà un certain renom puisqu’elle fut sollicitée pour chanter, en direct, à la radio Belgique, dont un studio se trouvait à Tamines entre la gare et le pont sur le chemin de fer ; petit studio dirigé par un certain “Luc Varenne”, retour de Londres.

La chorale Sainte Cécile était une chorale d’hommes qui s’était enrichie de nombreuses jolies voix de travailleurs immigrés italiens, ténors bien souvent, qui s’harmonisaient parfaitement avec les voix wallonnes, généralement d’une tessiture plus grave.

La chorale était dirigée de main de maître par Jules Dalebroux, un grand homme mince, discret, qui avait fait des études de droit et allait tous les jours à Bruxelles, où il travaillait dans une étude notariale. Il habitait une grosse maison, rue du Pont à Biesme, en face de l’école des soeurs. La chorale, pour Jules Dalebroux, était avant tout un lieu de rencontre et de mélange d’hommes de toutes les classes sociales, de tous âges, qui poursuivaient ensemble, un objectif commun.

Leur lieu de répétition était le cercle catholique, rue Radache et si leur répertoire comportait quelques chants religieux, ceux-ci ne l’emportaient pas sur les chants profanes, que ces derniers soient d’origine classique ou populaire. La chorale était réputée et, ambassadrice fidèle, elle portait souvent haut le nom d’Auvelais bien au-delà des limites de la commune. À Auvelais même, elle participait généralement aux grandes fêtes religieuses ou patriotiques.

J’ai souvenance précise d’un chant de Noël particulier que la chorale exécutait à la fin de la messe de minuit, tous les ans. Chant particulier par sa simplicité et son message, mais aussi parce que je ne l’ai jamais entendu autre part qu’à Auvelais ; chant particulier également parce que bien de chez nous, n’empruntant rien au folklore religieux désuet et commercial anglo-saxon.

À l’époque, véritable messe de minuit, qui commençait quand les cloches avaient fini d’égrener leurs douze coups ; que les scouts arrivaient en retard, comme d’habitude bons derniers, excités, tout crottés du jeu de nuit qu’ils avaient fait dans le bois carré, et prenaient place bruyamment dans la nef latérale. L’église, à l’époque, était bondée de croyants et de moins croyants, emmitouflés dans leur paletot.

Lorsque le curé se retournait pour annoncer que la messe était finie, la chorale, au jubé, débutait son chant de Noël, doucement, en sourdine. Seuls les ténors susurraient :

La douce vierge a mis au monde l’enfantelet divin…

C’était presque un texte de poésie. Au fur et à mesure du chant d’autres voix s’ajoutaient, donnant encore plus d’ampleur au texte et, au moment du refrain, toute la chorale : - basses, barytons, ténors, accompagnés et portés par un orgue qui soufflait de tous ses tubes -, réveillait, en sursaut, dans la foule, les quelques vieux qui s’étaient assoupis et un petit enfant qui dormait.

La pure voûte romane de l’église d’Auvelais, amplifiait et modulait le chant, qui pénétrait les assistants et les habitait :

Gloire au Seigneur dans les immensités,

Paix sur la terre aux bonnes volontés,

Paix sur la terre aux bonnes volontés.

Quelques années après la guerre, le message du mot “Paix” avait toujours, pour les Auvelaisiens, une saveur toute particulière, que la chorale Sainte Cécile leur faisait goûter, une fois encore, et qu’ils avaient toujours présent et gravé dans leur esprit quand ils se souhaitaient, les uns les autres, un joyeux Noël sur le porche de l’église, en quittant celle-ci, avant d’aller déguster en famille, ou entre amis, les « cougnous » de Marie-Jeanne.

André ERGO. (2 février 2012)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

andre.ergo@telenet.be

Gaston Laverdisse.

C’est la découverte par hasard de son avis de décès qui me fait penser à Gaston Laverdisse ; Auvelaisien comme nous tous bien évidemment.

J’ai connu Gaston quand il faisait une spéciale « mathématiques » alors que j’étais en rhéto et que nous avions quelques cours en commun. C’était le fils cadet du directeur de la Glacerie (brillant ingénieur civil co-inventeur du procédé DPC- Douci-Poli-Continu vendu plus tard aux Japonais). Son frère aîné était aussi un jeune ingénieur civil employé à la glacerie, mais comme de nombreuses familles wallonnes à l’époque, leur origine était rurale. Il était, comme moi, le raculot de sa famille.

C’est important de préciser tout cela pour la suite de l’histoire.

Gaston adorait faire des farces, même si celles-ci devaient lui valoir un zéro pointé à une interro. Ne racontait-on pas qu’à une interro de géographie alors qu’on lui demandait de disserter sur les espèces de nuages pour prédire le temps, il avait écrit, sur sa feuille, en wallon : “si ça continuwe, i va ploûre “ ! Il n’eut pas de point pour cette réponse précise et pourtant, disait-il : “ il a ploû à rlache”.

Gaston n’était pas un génie en mathématiques ; moi non plus d’ailleurs mais mon cas était moins désespéré ; c’est pourquoi j’ai été l’aider quelques fois rue des Glaces pour apprendre en commun les beautés des dérivées, du calcul matriciel, des nombres complexes et l’utilité de la série de Mac Laurin. Nos carences respectives cumulées étaient suffisantes pour obtenir un résultat satisfaisant. Pour nous permettre de survivre (les maths épuisent) on nous amenait, dans la salle de travail, des tartines beurrées, deux bottes de radis et du craus stofé.

Son père rêvait de faire un économiste de Gaston ; celui-ci penchait plutôt à faire de l’économie pratique, comme ses lointains ancêtres, dans une ferme à la campagne. Il fut quand même inscrit à l’Université de Louvain (avant le Walen buiten), fut membre de la Namuroise, roi des bleus (il lui fallait moins de temps pour vider un verre de bière qu’il n’en fallait au cafetier pour le remplir) et client assidu de La Fourmi, le café des Namurois près de l’hôtel de ville de Louvain (Ne le cherchez plus aujourd’hui, les Flamands l’ont débaptisé). En fait d’économie, Gaston a fait celle d’une seconde fois sa première candi et comme son père l’avait menacé d’un emploi comme ouvrier à la glacerie en cas d’échec, notre Gaston s’est retrouvé un matin en salopette bleue prêt à aller renforcer la main d’œuvre de l’usine.

Sa maman, émue, lui avait dit : « tu viendras manger à midi à la maison ». Mais Gaston voulait être ouvrier jusque dans les détails et il réclama une musette, une miche et un bidon de café pour partager son temps de repas avec ses compagnons de travail. On raconte même que c’est lui qui informait les autres de l’arrivée des « chefs ».

Gaston avait le don de sympathie et le souci du partage. Je l’ai perdu de vue à cette époque là, nos destins ayant pris des directions différentes.

Devant tant de détermination et avec, je crois, l’insistance des femmes de la maison, le directeur Laverdisse eut la sagesse d’accepter que Gaston suive la voie qu’il avait choisie. Je pense qu’il alla suivre comme élève libre quelques cours à Gembloux ou à Louvain et puis qu’il put exercer son art dans notre belle Entre Sambre et Meuse.

Si mes renseignements sont justes, sa sœur, qui adorait son petit frère, habite encore Auvelais aujourd’hui où elle a créé une famille.

André ERGO. (19 octobre 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Les cinémas, jadis, à Auvelais.

Le premier cinéma à Auvelais date de quelques années avant ma naissance, c’est vous dire s’il y a longtemps. C’était à la charnière entre l’époque des derniers films muets et des premiers films parlants, entre les deux guerres.

On doit le premier cinéma à Auvelais à la famille Dréval qui possédait entre la grand-place et la rue du centre, une surface assez grande pour ce genre d’activité. C’est un des vieux de Seuris qui raconte, al chîje, l’histoire suivante :

…le vieux grand-père Dréval ne ratait pas un seul des films et avait d’ailleurs son fauteuil permanent au fond de la salle. On passait ce jour-là un des premiers thrillers qui débutait par quelqu’un qui marchait dans une ruelle mal éclairée, la nuit. On entendait que ses pas sur les dalles du chemin. La salle de cinéma était tout à fait sombre.

L’homme entra dans une maison isolée dont la porte grinça et il dit à voix haute : Y a-t-il quelqu’un ?

Alors on entendit dans le fond de la salle, le vieux Dréval répondre tout haut pour le plaisir des spectateurs : Oyi dji su co véci, dji m’a èdwarmu !

Une autre histoire vraie s’est passée au cinéma La Renaissance avant la guerre toujours, mais quelques années plus tard. On y passait un film d’amour américain. Il faut savoir qu’à l’époque, dans la puritaine Amérique, la durée maximale des baisers dans les films avait été limitée à 7 secondes, Mais, pour le plaisir des spectateurs, l’opérateur, qui suivait le film par une “bawète”, freinait parfois la bobine avec son doigt pour faire durer le baiser plus longtemps. C’est ce qui s’était passé à la Renaissance ce jour-là, et l’opérateur avait eut le doigt assez lourd. Le gros Collige, spectateur attentif, hyperexcité par douze secondes de baiser fougeux, cria tout haut dans la salle : “Mougn-lu tant qu’t’y es”.

Éclat de rire général !

C’était comme cela, le cinéma à Auvelais, avant la guerre ; le spectacle était sur l’écran et souvent aussi dans la salle.

Il faut préciser que ces gens-là avaient peu de loisirs puisque les premiers congés payés datent de 1936, qu’on travaillait 6 jours semaines et que les gamins, pour la plupart commençaient à l’usine à 14 ans. Pas question d’aller en vacances à l’étranger et rarement à la mer, les voyages se faisaient à travers le cinéma.

Après la guerre on a eu droit aux actualités Belgavox qui commençaient toujours par les danses des Tutsis du Ruanda, puis aux premières réclames filmées ainsi qu’aux films en couleurs que j’ai été pour la première fois voir au cinéma avec ma mère : “Le livre de la jungle” (pas le dessin animé) avec Sabu dans le rôle de Mowgli, avec un vrai tigre, un vrai serpent, de vrais loups et de vrais singes. Cela nous changeait un peu des Buster Keaton, Charlot et Laurel et Hardy qu’on nous avait permis de voir jusqu’alors.

À Auvelais ou à Tamines, on bénéficiait assez souvent des plus grands films du moment, mais généralement avec quelques semaines de retard. C’était sans importance car on était averti dans les quartiers par un affichage régulier des films à venir dans tous les cinémas de ces deux communes.

Un dimanche (cela se passait à l’Harmonie) il y eut foule pour un grand film américain en technicolor, appelé “Peyton Place” -le nom d’un village aux États-Unis- qu’un traducteur astucieux ou facétieux avait traduit par un titre français très commercial : “Les plaisirs de l’enfer”. Tout Auvelais s’était précipité pour voir ces plaisirs-là, à l’ombre de l’église, encore ! On a même dû refuser du monde, frustré et fâché. En fait de plaisirs, les gens furent déçus, mais comme le film était beau, cela fut vite oublié, d’autant plus que Vadim et Brigitte Bardot se pointaient déjà à l’horizon avec la production « Et Dieu créa la femme » et que James Dean n’était pas loin non plus. Après ces films-là, on ne regarda plus jamais les filles d’Auvelais avec le même regard. Et pourtant on était encore très loin des mini-jupes, des bluejeans collants et des blouses « boutroules ».

On choisissait donc le film le plus attrayant entre les six cinémas (4 à Tamines et 2 à Auvelais) et on y allait en groupe, souvent à la dernière séance du dimanche. À Tamines, près de la Sambre, un film, dont je n’ai plus jamais entendu parler ensuite, « Mondo Cane », un monde de chien, m’avait particulièrement frappé. C’était une critique acerbe de la société américaine de l’époque.

Pour s’évader autre part, il y avait également les explorations du monde, au cours desquelles un reporter commentait les images qu’il avait été filmer au Pérou, en Chine ou en Islande mais c’était des moment plus éducatifs comme l’étaient aussi normalement les ciné-forums où, après la projection, un animateur essayait tant bien que mal de tirer, avec les spectateurs, une leçon du film qu’on venait de voir.

À Tamines les Alloux, notre groupe de jeunes avait complètement retourné l’opinion d’une salle après la vision d’un film au titre de « Nous sommes tous coupables » ; l’animateur qui plaidait la culpabilité avait été très vite dépassé. Le film était un « navet », nous ne nous sentions pas coupables et nous étions des contestataires. Les prémisses, quelques années à l’avance, de l’esprit de mai 68.

André ERGO. (19 octobre 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Auvelais, Histoire de la ligne de Chemin de Fer.

Gn'a qu'a Auv'lais, mès djins, qui l'viye èst bèle.

Gn'a qu'a Auv'lais qui nos éstans contints,

C'èst nosse tère da nos, nos oûchas, nosse mwèle,

C'èst l'coeûr di nos parints, c'ès nosse prétimps,

Gn'a qu'a Auv'lais, mès djins, qui l'viye èst bèle,

Gn'a qu'a Auv'lais qui nos éstans contints,

Et l'djoû d'nosse mwârt, nos vlans dins nos purnèles,

N'awé qu'Auvelais èt nos cousses Auv'laisyins.

En 1956, on annonçait dans les colonnes du journal « Vers l'Avenir » la création de « Gn'a qu'a Auv'lais », le chant dont Willy Félix, pour les paroles, venait de doter son village natal.

L'idée en vint, nous apprend « El Bourdon » de Charleroi à M. François Sarteel et la musique est de M. Jean Fahy. Le refrain est repris ci­dessus.

Des découvertes archéologiques établissent clairement l'existence d'Auvelais à l'époque romaine.

Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, le territoire actuel des communes d'Auvelais et d'Arsimont était divisé en deux parties indépendantes.

La première : Auvelais­ le­ Comté appartenait pour trois quarts à l'abbaye de Floreffe et un quart au chapitre de Fosse (principauté de Liège).

La seconde : Auvelais­ le­ Voisin faisait entièrement partie du Pays de Liège.

Plus près de nous : C'est en 1843 que l'on a établi avec difficulté la ligne de chemein de fer, car il y avait 17 ponts à construire sur la Sambre. Le chemin de fer a été conçu à l'origine pour l'industrie et non pas pour le transport des voyageurs. Les travaux ont duré 3 ans, utilisant un main d'oeuvre locale importante car il n'y avait pas de machines. Imaginons ce qu'à dû être le creusement de la tranchée du Cimetière des Français à la pelle et à la brouette.

Avant cela, il y avait 2 rues principales à Auvelais : La rue des deux Auvelais, qui venait de la place communale et se prolongeait, au-delà du Château Heuze pour rejoindre la rue du Voisin. C'était l'axe principale qui faisait la jonction entre les deux centres.

L'autre axe important, c'était la rue de Falisolle et la rue Saint-Sang, par la rue des Auges.

La création du chemin de fer a reporté l'activité essentielle sur l'avenue de la Libération. Un phénomène semblable s'est passé lors de la construction du pont de chemin de fer et la supression du passage à niveau. Jusque la guerre, la rue des Auges était une des plus calmes d'Auvelais. Elle est devenue une des plus fréquentées car elle mène notamment à la clinique et au collège Saint-André.

Une halte fut ouverte à Auvelais le 8 avril 1847, qui devint station le 1er janvier 1859. Jusqu'en 1859, la ligne était à simple voie entre Châtelineau et Namur. La première gare d'Auvelais fut construite en 1863. Partiellement détruite par un incendie provoqué par les allemands, en août 1914, elle resta utilisée jusqu'en mars 1937. La gare actuelle, située de l'autre côté de la voie, fut batié en 1936.

UCP, Mouvement social des ainés Auvelais-Sambreville (22 septembre 2011)

L’UBSA, l’Union Basse Sambre Auvelais.

Une cité industrielle comme Auvelais devait avoir un club de football de renom, cela participait d’ailleurs à la publicité pour ses entreprises. Située entre Charleroi et Namur, avec ses industries comme principaux sponsors, Auvelais était tout indiqué pour créer un club qui avait pour vocation d’attirer les meilleurs joueurs des villages environnants de la Basse Sambre, d’où le nom.

Avant la seconde guerre, le club jouait déjà en division d’honneur et comptait plusieurs groupements de supporters. Les joueurs trouvaient des emplois dans les industries et celles-ci leur faisaient des facilités pour assister aux entraînements. Cette manière de faire permettait les transferts de joueurs, tous amateurs, certains de trouver sur place un emploi d’ouvrier ou d’employé grâce à leur nouveau club. C’est ainsi que plusieurs joueurs flamands ont fait souche à Auvelais comme Brouns. Mais des garçons du cru ont eu également une certaine notoriété à l’époque comme Thérasse ou Pochet.

Ce dernier a encore joué une ou deux années après la guerre, toujours soutenu par sa mère, supporter au parapluie redoutable, si on critiquait son “gamin” grisonnant et déjà bien engagé pourtant dans la trentaine.

Après la guerre et la réforme du calendrier sportif, l’UBSA a fait du yoyo entre la première provinciale et la promotion avec des garçons de la ville comme le grand Bouchat, Guillaume un keeper remarquable qui avait fait construire à Seuris, avenue du cimetière, Mathieu qui jouait également à la balle pelote, Jules Libois policier et arrière facétieux et des transferts comme Aidans, un solide centre avant ardennais ou Hardy.

Dans ce jeu de yoyo, le grand adversaire de l’UBSA était le club namurois de Jambes et les derbies UBSA-Jambes amenaient au stade du Pont-à-Biesmes plus de monde qu’on en trouve aujourd’hui dans certains clubs de division 2. Autre époque.

Mais l’UBSA deviendra un grand club lorsque le comité engagera comme joueur entraîneur, un ancien international du Sporting de Charleroi, originaire de Ham, redoutable buteur : René Thirifays.

Il fera venir à l’UBSA d’autres grands joueurs de la région comme Bauloye (ex Olympic) de Falisolle, Doumont (ex Sporting) de Ham, le keeper Lebon (ex Olympic, ex international), Drobek (ex Olympic) entourés de jeunes joueurs du cru : Sacré, Willems, Revillod, Dury, Montigny, Lorand et plus tard Albert Oleffe de Seuris, etc. dont certains ont été transférés ensuite dans les grands clubs hennuyers.

Thirifays avait amené, avec la discipline, un fond de jeu des divisions supérieures et surtout la volonté de vaincre. L’UBSA devint un home-team réputé en division 3, où les meilleurs clubs flamands venaient mordre la poussière. Elle fut même bien près de monter en division 2 une année.

Au football, les gamins apprenaient sans peine leurs premiers rudiments de langue anglaise : keeper, back, half, corner, penalty, foul, off side etc, prononcés comme il se doit à la wallonne ( I djouwe au kép) et que les plus âgés poursuivaient ensuite grâce aux chanteurs et aux chanteuses populaires d’outre-manche ou d’outre atlantique, Brenda Lee (I ‘m Sorry), les Platters (The magic touch) et une foule d’autres dont les slows étaient très …dansants et …très dansés.

Après le match, le dimanche, les jeunes gens repassaient dans leur café préféré pour les commentaires inévitables et pour se refaire la voix avec une bonne bière. Leur petite amie les rejoignait là, sauf celles - il y en avait - qui avaient assisté au match, puis, toute la bande allait au cinéma, à la séance du soir, à la dernière rangée du balcon, dernière distraction de la semaine. Certains auraient même eu du mal à raconter le film.

Tous les matches avaient lieu le dimanche et lorsque l’équipe jouait à l’extérieur, les jeunes allaient voir sur la grand-place si le drapeau du club était mis au balcon de l’Harmonie, signe de non défaite.

Dans de nombreux cafés d’ailleurs, les résultats du dimanche de toutes les divisions étaient affichés.

Tous les jeunes gens d’Auvelais tapaient tant bien que mal sur un ballon à l’époque. Pour notre part, cela se passait le samedi en fin d’après-midi sur un terrain mal nivelé derrière l’école St. Joseph. Chacun arrivait à vélo de son quartier et se faisait transpirer une bonne heure de quoi évacuer les toxines accumulées durant la semaine.

Rien à voir avec le football de compétition, mais cela permettait de garder la forme. Parfois, Albert Burton (Auvelaisien -il l’est toujours- joueur de Sporting de Charleroi) venait taper sur le ballon avec nous et on transpirait plus ce samedi là. Plus jeunes, nous avions fait de longues parties de foot à Seuris, au bout de la rue du Progrès, à l’endroit actuel de l’école. Des pulls sur le sol marquant les buts des deux camps. Comme on n’était pas riche, la balle n’était pas toujours un vrai ballon de foot.

Les matches de football étaient des lieux de rencontres et de mixité sociales. J’y retrouvais deux fois par mois Jules, un petit être passionné qui travaillait dans une ferme des Ternes où j’avais été quelquefois avec ma sœur aînée, amie de Francine (1), la fille de la maison. Jules m’avait appris, parfois avec humour, les chevaux et les vaches, leur nourriture, leur utilité ; le lait, la crème, la baratte, la charrue, l’avoine, le froment, le débardage. Peut être avait-il été inconsciemment la source de ma vocation d’agronome. Un jour que, petit garçon, j’étais horrifié par un énorme Brabançon qui faisait sans gêne ses crottins dans l’écurie, Jules m’a dit : « regarde bien, pour se faire pardonner, il va faire un clin d’œil avec son derrière ». Et c’était vrai ! Les paroles de Jules étaient des oracles.

Nous étions tous les deux, fatalement, chauvins. Les couleurs du club étaient celles de la ville, chose curieuse et particulièrement rare : deux clubs seulement portaient des maillots oranges, un flamand et un wallon pour que l’équilibre soit respecté : Eeklo en Flandre et Auvelais dans le sud.

Au football, souvent au même endroit, à quelques mètres de distance, on se fâchait, Jules et moi, pour les mêmes mauvaises passes et on sautait de joie pour les mêmes goals, c’était une manière d’être en communion. Lorsque l’UBSA marquait, toute la ville était informée par les cris de joie des supporters qu’on entendait même jusque dans les quartiers périphériques.

Les loisirs étaient fatalement sociaux et locaux, car il n’y avait pas ou peu de TV et très peu d’autos et dans ces loisirs, le football et le cinéma tenaient une place primordiale et considérable.

Les dimanches où l’UBSA jouait à l’extérieur, les jeunes se défoulaient le dimanche après-midi en jouant au football de table, au ping pong ou au billard américain qu’on trouvait dans beaucoup de cafés avec les premiers juke-boxes. Les premières machines à sous faisaient leur apparition et, comme les gains étaient payés en cash à l’époque, en les mettant dans une cagnotte, notre groupe de jeunes put satisfaire sa soif, durant près de 6 mois sur les avoirs de cette cagnotte, jusqu’à ce que ces gains en cash soient interdits par la loi. Pas besoin de Bob à l’époque ; on n’avait pas d’auto.

(1) Francine vit toujours bon pied bon oeil, en France et doit avoir atteint la nonantaine

André ERGO. (28 août 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Auvelais, hier.

Alors qu’on parle de fermer les guichets de la gare et de remplacer le fonctionnaire par un distributeur de tickets, les Auvelaisiens d’aujourd’hui peuvent difficilement s’imaginer ce qu’était Auvelais il y a plus de soixante ans. Imaginez un passage à niveau fermé, une passerelle envahie, les quais de cette gare noir de monde à partir de 7 heures du matin, les étudiants qui partent vers leur collège ou leur Athénée ; les ouvriers qui arrivent en masse dans les nombreuses industries (il y a peu d’autos), d’autres ouvriers et employés qui partent vers Charleroi, vers Gembloux, Jemeppe, Moustier ou Franière où des industries prospèrent. En fait on peut dire sans beaucoup se tromper que la population d’Auvelais doublait au cours des heures de travail.

Le soir, vers 17 heures, c’était le mouvement et la fébrilité inverses.

La gare était le lieu des rencontres ; les groupes s’y formaient pour entamer quelques parties de couillon le long du trajet et le wallon était l’espéranto de tous ces gens. Quelques retardataires, souvent les mêmes, couraient sur la passerelle car le ou les trains étaient déjà en gare. Les horaires du chemin de fer avaient prévu que les trains vers Namur et ceux vers Charleroi se croiseraient chez nous, et l’unique quai était utilisé sur toute sa longueur car les deux convois comportaient 8 ou 9 voitures.

Le « Petit Gembloux » se distinguait des autres convois car il était d’un autre âge avec ses voitures en bois ayant une portière par compartiment. Plus poussif, il passait avant le train de Namur qu’il attendait sur une voie latérale à Jemeppe où transitaient les voyageurs à destination de Bruxelles.

Les jours se succédaient identiques suivant les mêmes rites : on achetait le journal en passant devant chez Tilis, on montrait son abonnement à la sortie de la gare vers le quai, et on choisissait sur celui-ci l’endroit supposé où s’arrêterait le wagon (toujours le même), fumeur ou non fumeur, qu’on prenait chaque jour, pour y rencontrer les mêmes personnes dans les mêmes compartiments.

Il y avait 3 classes à l’époque ; une presque vide avec des fauteuils rembourrés, rouges et beaucoup d’espace ; une à moitié pleine avec des sièges rembourrés, verts et un peu moins d’espace, et une bondée, celle des ouvriers qui devaient se contenter de banquettes en bois où les culottes de velours avaient vite fait disparaître le vernis. Dans cette classe, l’espace était mesuré entre les banquettes à tel point qu’on aurait pu dire comme dans la chanson : « vos gngnos conte mes gngnos … »

Le matin, les mallettes des employés ou les muzètes des travailleurs étaient gonflées des « miches », des thermos ou des bidons, et elles sentaient bon l’omelette, le lard fumé, le saucisson, le pâté de foie la tête pressée ou le cervelas. Posées dans le porte bagage au dessus des voyageurs, elles laissaient tomber sur ceux-ci des senteurs de cuisine, comme si la maison partait avec eux, avant d’embaumer tout le compartiment et même les couloirs.

En rentrant le soir, les voyageurs étaient moins pressés, la fatigue ou la flemme ; ils prenaient le temps de regarder parfois les vitrines des nombreux magasins.

Il faut d’ailleurs préciser qu’Auvelais était constellé de petits commerces, dans tout le centre et plus particulièrement dans les rues et les ruelles qui convergeaient vers la gare mais contrairement à aujourd’hui il n’y avait peu ou pas de petits restaurants. Mais il existait aussi des petits commerces dans d’autres directions, par exemple, la rue du Pont à Biesmes qui débutait fort avec à gauche, la pharmacie Dinant, le magasin d’électricité Hallouin, la quincaillerie Cauderlier, le peintre tapissier Allard, puis un marchand de tabac suivi d’un marchand de friandises et d’une modiste. De l’autre côté, le magasin d’instruments de musique Marquet et le marchand de meubles Jeanmart.

Mais le magasin incontournable du centre, par la taille, la longueur des vitrines et l’odeur des tissus, c’était le magasin Jeanne d’Arc, passage obligé des familles entières avant les mariages et les communions pour se « r’moussi fén noû », deux pantalons et une veste car celle-ci s’use moins vite. On pouvait y avoir un costume sur mesure ou en choisir un parmi la bonne centaine qui garnissaient les nombreuses penderies. Il y avait la section « femmes » et la section « hommes » bien séparées comme il se doit ; chacune possédait ses vitrines ou des mannequins statiques présentaient les nouveautés de la mode.

Quand on changeait les vitrines, pudeur exceptionnelle de l’époque, on cachait la nudité des mannequins avec des housses appropriées qui les faisaient ressembler à des fantômes ; d’autres prétendaient que c’était pour les poussières faites par l’étalagiste.

Aux grandes occasions, les villageois des environs descendaient « en ville ». Un jour une famille, papa, maman et fiston, (je ne dirai pas de quel village ils étaient) venaient faire tailler un costume pour le gamin qui allait faire sa communion, mais le costume devait être solide assez pour servir aussi, plus tard, à ses deux frères plus jeunes. Monsieur Gigot, de service au magasin, montrait plusieurs tissus à la femme en lui expliquant les avantages de chacun, quand celle-ci lui répondit (elle se devait de parler français, en ville, dans un tel magasin) : « pour nous, n’est-ce pas, ce n’est pas tellement la joliesse qu’on voudrait bien, mais c’est surtout la forteresse » et se tournant vers son mari : « n’est-ce pas Môssieu » !. Et l’homme surpris et interloqué, de répondre : « Mi, Mi, d’jin n’so né avou Madame, d’ji vins qwér one calote à pène ». Histoire véridique.

Dans la même rue, entre la pâtisserie Henry et le magasin Dréval, devant la banque de Bruxelles, il y avait un petit magasin tenu par une vieille femme, où on pouvait acheter des canevas représentant des paysages, des fleurs ou des scènes du passé. Beaucoup de filles d’Auvelais se sont exercées au point de croix sur ces canevas- là.

La saint Nicolas était l’affaire de deux grands magasins spécialisés, chez Tilis, déjà cité et chez Sottiaux, petit magasin près de l’hôtel de ville qui s’était agrandi largement en déménageant dans la rue du Centre, près de l’Arc en Ciel. On y trouvait toutes les tailles de meccano pour les garçons et toutes les espèces de poupées pour les filles, jeux orientés qui présageaient les fonctions et les charges de chacun plus tard.

Auvelais, c’était également le concours de la plus belle vitrine à Pâques avec le carrosse ou le château en sucre, hors concours, du pâtissier Henry, les têtes de cochon entourées de charcuterie des bouchers, et les vitrines à thèmes des autres, l’Italie ensoleillée, la Grèce et ses ruines, la Chine ou le Mexique.

On ne peut pas ne pas parler de la Cavalcade annuelle à la même époque; les géants n’existaient pas encore, du moins ceux d’Auvelais, il n’y avait pas encore de majorettes et la plupart des groupes étaient flamands ; les gilles de La Louvière et les chinels de Fosses se tenaient à distance dans le cortège où il n’y avait pas de prince carnaval comme on en voit se pavaner partout aujourd’hui. Le rondeau final, sur la grand’ place et la remise des récompenses attirait toute la population et les visiteurs, comme un aimant. Ce jour-là Auvelais était véritablement la capitale de la Basse Sambre même si, la veille, tout le monde avait regardé avec anxiété le temps qu’il faisait sur la cavalcade de Fleurus.

Et quand les flonflons de la fête mourraient et qu’Auvelais s’endormait enfin, le phare breton, gardien vigilant de la ville, accompagnait de ses rayons matinaux, les pas hésitants des derniers fêtards qui remontaient, tant bien que vaille, vers Seuris, la Sarthe ou les Ternes.

Auvelais c’était « notre terre » comme l’a si bien décrite et chantée Willy Félix, notre terre partagée.

André ERGO. (2 août 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

François, Willy, Roger, ABE

Les amitiés d’enfance sont les plus profondes et les plus solides. J’étais déjà à l’école gardienne depuis près d’un an quand ils y sont arrivés et c’est la dernière année de l’école primaire qui nous a séparés physiquement, 9 années ensemble (3285 jours), sans que les liens d’amitié ne soient jamais rompus.

François Vervotte était un voisin très proche qui m’a toujours dépassé d’une demi tête, il était plus grand, plus fort, plus calme également. Aussi loin que je me souvienne, il a toujours été près de moi, grand frère protecteur, comme mon ombre. Il était le troisième enfant d’une famille de quatre, avec un grand frère, Joseph et deux soeurs, une grande, Clémence et une plus jeune, Odette lesquelles habitent toujours Auvelais, je crois. Son papa était mineur et sa ma maman était la soeur d’Olivier Grégoire qui fut secrétaire général du MOC (Mouvement Ouvrier Chrétien). Le moins doué des quatre pour les études, il fit néanmoins son école primaire d’une traite, sans le moindre problème et entra dans le travail à l’âge de quatorze ans comme beaucoup de garçons du quartier de Seuris. Ce n’est peut être pas par hasard qu’il choisit de devenir monteur comme son grand frère qu’il admirait beaucoup, mort jeune homme dans un accident du travail sur un chantier. François est disparu relativement jeune aussi, il devait avoir moins de quarante ans.


Willy Warichet était incontestablement le plus doué des quatre. D’une intelligence vive qui transparaissait à travers ses yeux “ernaujes”, il appartenait sans effort et sans travail au groupe des premiers de classe. Il avait trois ans quand son papa, typographe chez Duculot, était mort en 1939, laissant sa jeune maman au seuil de la guerre avec deux petits garçons Willy et son frère Fernand de deux ans son cadet, qui ont « poussé » de ce fait comme des plantes sauvages. Willy n’était pas seulement très intelligent, il était aussi d’une audace folle et osait des choses qui me donnent encore aujourd’hui des frissons dans le dos, comme aller à trottinette sur le parapet en pierres du pont de Chère Voie (35 cm de large, 9 mètres de haut), ou plonger dans la Sambre du pont du chemin de fer, sans savoir nager. Le peu d’audace que nous avons acquise, c’est à Willy que nous la devons. J’ai souvent pensé à ce qu’aurait pu devenir un garçon de ce tempérament sous l’autorité tutélaire d’un papa pour canaliser l’intelligence et les audaces. Le sort est souvent injuste.

Willy avait deux chiens, chiots d’une même portée, qui avaient acquis, probablement par mimétisme, les qualités de leur maître. L’audace et l’éveil. C’est surtout dans ces deux qualités que résidait leur beauté. Milou était blanc et ressemblait au chien de Tintin, en plus « crollé » ; Moli était la copie de son frère en brun très clair. Ils étaient tous deux la terreur des chats du quartier et avaient un don particulier pour les dépister. Ils acceptaient facilement chacun d’entre nous comme maître. Mon intérêt actuel pour les chiens est probablement dû à la rencontre de ces deux là durant mon enfance. Willy, comme François a été en usine à quatorze ans et est devenu également monteur, métier qu’il a exercé jusqu’à sa retraite. Je le rencontrais parfois quand j’allais sur la tombe de mes parents à la Toussaint. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a expliqué qu’il créait des mots croisés pour les journaux et les revues.


Roger Fichefet était un garçon calme et un élève d’une bonne moyenne. Il habitait sur la rue de Falisolle avec ses parents et son petit frère Claude ; tous les deux m’ont suivi dans la branche louveteau du scoutisme et ont fait partie de ma sizaine jusqu’à ce que je quitte l’école primaire. À l’âge de quatorze ans, il a été mis au travail avec son père, comme apprenti, mais plus tard j’ai appris qu’il avait créé sa propre PME de plomberie-zinguerie du côté de Baulet. Je ne l’ai plus jamais revu, mais il est venu à la maison de mes parents faire des travaux alors que j’avais déjà quitté celle-ci.

Nous avons terminé notre sixième primaire ensemble en 1948 et chanté, sur la scène de l’Harmonie, à la remise des prix (la première après la guerre) :

Les bancs de notre classe Sont tordus et boiteux Je ne sais rien qui lasse Comme leur bois rugueux…


Nous n’étions pourtant jamais lassés d’être ensemble.

Je n’ai pas honte d’avouer que j’ai pleuré, tout seul, quand nous avons été séparés à la fin des primaires, c’est comme si on avait détruit une fratrie. Eux sont entrés dans le circuit du travail pendant que je continuais des études et qu’on m’apprenait des tas de choses peu utiles, bien moins de toute évidence que cette amitié qui avait pris naissance à l’âge de trois ans dans cette nouvelle petite école du quartier de Seuris sous l’œil attentif et vigilant des demoiselles Lorand, Yvette et parfois d’une jeune stagiaire Huguette.

À ma connaissance, tous trois sont disparus aujourd’hui et n’existent plus que dans leur descendance et dans ma mémoire. Je trouve injuste que les gens simples n’aient jamais droit à une simple biographie de quelques lignes comme s’ils n’avaient pas d’histoire et n’avaient jamais existé.

Nous avions 10 ans sur ces photos et le monde nous appartenait puisque la guerre venait de se terminer.

Voilà une injustice humblement réparée.

Comme le chantait Le Luron, j’ai la certitude que « nous nous reverrons un jour ou l’autre, si Dieu le veut ! » et, tant pis pour le calme du paradis

André ERGO. (3 mars 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Les martinets à Seuris et ailleurs.

Je ne parle pas des oiseaux cousins des hirondelles, mais des instruments inventés par les parents pour rétablir la discipline chez les enfants trop turbulents, martinets qu’on appelait parfois “juges de paix” dans certaines maisons. En fait, plusieurs lacets de cuir attachés au bout d’un manche en bois. Cette pratique n’était pas l’apanage de notre quartier, on la pratiquait partout à une certaine époque comme on pratiquait la bastonnade dans les écoles en Angleterre ou les coups de règle sur les doigts autrepart.

N’allez pas croire qu’on battait les enfants à Seuris plus qu’ailleurs! Il fallait avoir fait une très, mais vraiment très grosse bêtise pour mériter du martinet, punition annoncée d’ailleurs d’une manière imagée : “ tu vas avoir une danse !” ou « tu vas avoir une correction ! ». La correctionc’était le but : remettre le fautif dans le droit chemin, corriger la mauvaise direction qu’il prenait ; la danse, c’était la gymnastique inévitable du «martyr» au moment de l’administration.

Parfois le martinet était donné à cause de l’énorme peur qu’on avait suscitée chez un des parents, en imaginant a posteriori une catastrophe qui n’était pas arrivée. En fait le martinet était plus un instrument de dissuasion qu’un instrument de discipline ou de correction ; le savoir là, visible, prêt à servir, était bien souvent suffisant pour stopper les ardeurs des plus “ernaujes” ; mais pas toujours ; parfois il servait.

Le martinet était un châtiment discriminatoire, son usage était très rare pour les filles, (l’inégalité des sexes, à ce sujet, était totale) ; celles-ci vous jureront évidemment qu’elles étaient plus sages. Les garçons, objets habituels des sévices, avaient donc été obligés d’imaginer toutes sortes de parades selon les circonstances. Ces parades se transmettaient dans la bande, des plus vieux qui les avaient expérimentées, aux plus jeunes qui allaient, peut être, devoir les utiliser bientôt.

Pour peu que ma mémoire soit fidèle voici quelques manières d’appréhender et d’adoucir le supplice.

Première parade, la fuite. Mais une fuite réfléchie, raisonnée résultat d’une série de paramètres obligatoirement présents : de bonnes jambes, beaucoup d’espace et une certaine avance au départ car certains parents couraient vite !

Le but, fatiguer l’adversaire pour qu’il abandonne : lui laisser croire qu’il vous rattrape, changer brusquement de direction et recommencer plusieurs fois, jusqu’àce qu’on entende derrière soi une voix essoufflée dire : “ tu ne perds rien pour attendre “ annonce de l’abandon de la poursuite.

On ne perd rien en effet, on gagne du temps et l’espoir que le courroux du poursuivant s’estompera avec ce temps, ce qui est souvent le cas si on reste assez longtemps à distance.

Deuxième parade, la fuite étant impossible il faut esquiver ou subir les coups, mais les subir intelligemment. Ne pas essayer de les éviter mais les parer avec l’avant-bras garni d’un gros pull si nécessaire ou avec le plat du pied d’après les situations, le plus près possible du manche mais sans toucher celui-ci. Cette défense est toujours accompagnée de pleurs abondants et de cris bruyants pour faire croire que les coups portent et pour attendrir un des deux parents (la mère généralement) ou leur faire honte chez les voisins, surtout si ce sont de personnes âgées. Si la punition est administrée avec une baguette, utiliser le même principe mais en parant près de la main qui tient la baguette. Ne jamais présenter les fesses, cible recherchée, mais être toujours de face de manière à prévenir les coups, par la gauche si le « bourreau » est droitier et par la droite s’il est gaucher.

Une troisième parade préventive mais plus délicate consiste à cacher le martinet de manière à ce qu’on ne le trouve pas au moment de la punition, sans pouvoir être accusé de l’avoir caché et même réduire discrètement le nombre de lanières. Il doit être visible mais à une place impossible et impensable. Cette parade nécessite énormément d’imagination.

Si je raconte tout cela, c’est par souci du devoir de mémoire ; cela n’existe plus aujourd’hui, trop dangereux … pour les parents qui pourraient se retrouver devant le juge.

N’allez surtout pas croire que les parents n’aimaient pas leurs enfants ; ils les adoraient et chose curieuse, ceux-ci les respectaient, je pense, davantage qu’aujourd’hui.

Le martinet avait été inventé, paraît-il, comme instrument pour battre les habits. Dans nos pays, on appelle aussi martinet, un marteau mobile qui bat le fer. Il faut préciser aussi que la langue wallonne de chez nous est plutôt riche en mots désignant les types de corrections qu’on pouvait donner aux enfants : one tape, one clape, one bafe, one tchofe, one calote, one pètéye, one clatche et quand la correction était d’importance : one trampe, one ratoûrnéye.

André ERGO. (6 janvier 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

La grève des enfants de chœur à Auvelais.

J’étais un assez bon élève en première primaire à l’école Saint Joseph, car je bénéficiais de l’avance appréciable que j’avais prise à l’école gardienne de Seuris chez Mademoiselle Lorand. J’ai, de ce fait et dès le départ, été embrigadé dans un tas de choses : les croisés de l’abbé Honin, les chantres de l’abbé Leurquin et les enfants de choeur dirigés de main de maître par l’abbé Philippot.

Je parle d’Auvelais pendant la guerre. L’église est fermée au public, les messes du dimanche se font dans la salle Saint Joseph et tous les autres offices religieux, les messes en semaine, les mariages, les enterrements, les baptêmes, les vêpres et les saluts sont organisés dans la petite chapelle de l’école des soeurs rue du Pont-à-Biesme, où sont organisées également les deux années obligatoires de catéchisme préparatoires à la communion solennelle. L’organisation de celle-ci, comme celle de la confirmation qui attire à Auvelais l’évêque de Namur, André-Marie Charue (un Auvelaisien), et les confirmés de toutes les communes du doyenné, se passent également à la salle Saint Joseph.

Il y a donc du travail pour une pléiade d’enfants de choeur uniquement masculins à l’époque, choisis généralement très tôt parmi les bons élèves, car il faudra s’absenter parfois de l’école, surtout pour les enterrements. L’apprentissage de la fonction est progressif et on gravit généralement les échelons d’une hiérarchie bien établie. On commence comme “posture”, ceux qui ne servent à rien sinon au décor, utilisés uniquement aux grandes fêtes. On accède ensuite au poste d’acolyte gauche, celui qui ne fait presque rien sauf observer l’acolyte de droite dont il espère un jour prendre la place. Ce dernier a un poste de confiance, il répond (en latin) aux prières de l’officiant, change les livres de côté, apporte les burettes, manipule la sonnette à l’élévation. Bref c’est un petit chef des cérémonies usuelles et c’est lui qui se fait rappeler à l’ordre quand il est trop lent ou trop rapide. Le grade suivant est celui de thuriféraire, le maître du feu et de l’encensoir utilisé plus rarement et dans les grandes occasions, comme le poste le plus important, celui de chef de enfants de choeur, qui dirige ceux-ci dans les grandes cérémonies et qui porte la crosse et la mitre de l’évêque si celui-ci est présent.

J’ai donc gravi tous les échelons jusqu’à celui de chef des enfants de choeur, atteint au seuil de ma 11ème année, non sans anicroche d’ailleurs. Comme thuriféraire, au cours d’une cérémonie, j’ai reçu une gifle de l’abbé Philippot pour avoir mal calculé la longueur de la chaîne de l’ostensoir et cogné celui-ci, en le balançant, sur le tapis persan devant l’autel , répandant partout les cendres brûlantes au risque de provoquer un incendie. Métier dangereux !

Enfin comme chef, j’avais une mission d’organisateur et je décidais des calendriers et des rôles de chacun. Je contrôlais également la caisse des enfants de choeur car nous recevions souvent des “dringuèles” à l’occasion des baptêmes et des mariages, mais aussi à Pâques, quand nous portions dans les maisons du buis et de l’eau bénite en agitant des crécelles (bruit farfelu que j’ai fait supprimer). Nous avions décidé démocratiquement, ensemble, de mettre tout cet argent dans un pot unique et qu’il serait utilisé pour effectuer un voyage en commun. Mais voilà que le vicaire Philippot voulait consacrer le contenu de cette caisse à un autre usage.

En écoutant les vieux à Seuris, j’avais appris beaucoup de choses sur les droits, les manières de les défendre, les grèves etc. J’ai donc décidé une grève générale des enfants de choeur ; plus de calendrier, plus de charges, plus de présence à aucune cérémonie et, après trois semaines de ce régime, le vicaire de la JOC et des ouvriers avait dû céder, étonné mais curieusement et intérieurement assez content de la tournure qu’avait prise l’événement. Il ne m’en a jamais tenu rigueur, du moins je crois. Encore, qu’à bien y penser, j’étais plus puni que les autres quand je rigolais avec les filles durant le catéchisme !

Quand je n’officiais pas comme enfant de choeur, j’allais chanter du grégorien avec une petite chorale d’enfants dirigée par l’abbé Leurquin. Dans le fond de la salle Saint Joseph, du côté droit avait été construite une estrade sur laquelle perchait un vieil harmonium poussif que maltraitait tous les dimanche à la grand messe un clerc chantre nommé Volont dont nous essayions, en vain, de couvrir la voix nasillarde de nos voix enfantines. Le fond de la salle était surtout le lieu de rencontre des jeunes gens des deux sexes et on y papotait plus qu’on y priait. Plus d’une fois, le vicaire Philippot dont la voix portait fort s’en était pris aux bavards sans vraiment réussir à les faire taire tout à fait.

On sortait de la guerre et la jeunesse retrouvait toute son exubérance.

L’année de mes douze ans, j’avais dû laisser la place de chef des enfants de chœur à un autre pour cause de communion solennelle. Ah les communions de jadis ! Il n’y avait pas d’autos et tous les communiants descendaient au centre d’Auvelais, de leur quartier, à pied, en famille, les petites filles en mariées miniatures et les garçons, habillés de neuf et à la tignasse brillantinée comme celle les stars masculines de l’époque (Valentino). Les habitants des rues de passage regardaient tout cela, en badauds, sur le seuil de leur porte. Tout ce monde se retrouvait dans la cour de l’école des sœurs et, en procession, les communiants réunis rejoignaient la salle de l’école Saint Joseph où les petites filles prenaient place à gauche et les petits garçons à droite.

Les premières places de chaque rangée étaient occupées par d’autres petites filles habillées en anges, qui, ayant répété la cérémonie, dirigeaient tous les déplacements prévus. L’ange qui me précédait était une fille Scohy de l’impasse Botte qui prenait un malin plaisir à ralentir brusquement sa marche pour que je me cogne dans ses ailes.

C’est donc en essayant d’éviter des ailes d’ange que je suis entré dans l’adolescence.

André ERGO. (6 janvier 2011)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

La résistance dans la Basse Sambre et à Auvelais (1940-1945).

L'histoire de la résistance à Auvelais durant la seconde guerre mondiale n'a jamais été écrite à ma connaissance et bien que j'étais un jeune écolier à l'époque, je me souviens de quelques péripéties qui m'avaient frappé et qui appartiennent à cette histoire.

Il est certain qu'il y avait plusieurs groupements de résistance dans la commune, lesquels n'avaient pas de contact à l'échelon communal pour des raisons de sécurité, de protection et d'anonymat des membres. Les faits dont je me souviens concernent au moins 4 groupes de résistance.

Par ordre chronologique, le premier des faits a eu lieu dans le quartier de Seuris, le soir ou la nuit, lorsqu'un camion est venu arrêter le père Pietquin, mineur qui faisait partie d'un réseau communiste. Le camion était garé près de notre maison et je me souviens surtout des bruits de pas précipités, des ordres gutturaux et surtout de la voix de l'épouse, accourant de sa maison en apportant le pardessus de son mari en criant : " Tiens, prend ton paletot pour ne pas avoir froid ".

Florent Pietquin ne reviendra jamais à Seuris, il mourra au sinistre camp de Buchenwald.

Le second fait se passe alors que j'étais en seconde année à l'école primaire de Saint Joseph, rue Radache. Les Allemands étaient venu au domicile du maître Tasiaux pour arrêter celui-ci. Comme il était à ce moment à l'école où il enseignait en 5ème primaire, le maître avait pu être informé à temps et, comme il enseignait dans les bâtiments au fond de la cour, il put s'échapper par les jardins des maisons de la rue de Falisolle.

Le troisième fait se passe après la libération d'Auvelais lors de l'enterrement de plusieurs résistants armés, abattus au cours de combats avec les troupes allemandes en retraite. Parmi ceux-ci, un Auvelaisien, Noël Legrain tué au feu à Graide. Les enfants des écoles (j'étais en troisième année) étaient présents le long du cortège funèbre que des résistants armés encadraient. Noël Legrain repose depuis 65 ans dans le caveau de famille au cimetière d'Auvelais, au début de l'allée centrale à main droite.

Un quatrième fait se déroule à la libération d'Auvelais, lorsque les Allemands ont détruit le pont sur la Sambre qui conduit aux Alloux et dont des résistants ont tenté sans succès d'empêcher la destruction. On entendait les tirs de mitrailleuse jusqu'à Seuris. Peu de temps après cet événement, des camions avec des résistants arrêtaient les collaborateurs pour les soustraire à la colère des gens.

Je n'ai su qu'après le guerre (sécurité oblige) que mon père faisait aussi partie d'un groupement de résistance, le Mouvement National Belge (MNB), dans lequel son activité principale consistait à recueillir des renseignements, ce qui était assez facile avec son métier d'accisien qui le faisait voyager beaucoup et partout. C'est lui qui fit connaître le petit champ d'aviation (chasseurs) que les Allemands avaient installé dans les bois de Taravisée. Cette appartenance expliquait les inquiétudes de ma mère et de ma sœur aînée (au courant de cette activité) lorsque des Allemands se pointaient dans le quartier.

C'est le seul mouvement de résistance dont je connais l'organisation et les activités. Il comportait plus de 30.000 membres, était reconnu par Londres et était dirigé par un Directoire siégeant discrètement à Bruxelles. Il existait un comité provincial dans chaque province du pays, des zones, des secteurs subdivisés en comités locaux comportant plusieurs brigades selon l'importance de la population. Chaque brigade comportait en général deux sections et neuf équipes de 5 à 6 hommes chacune. Mon père avait constitué une équipe à Seuris avec quelques voisins dont Joseph Lahaye, Hyacinthe Vandenheede, Alphonse Wautelet entre autres. Cette structure très compartimentée, où on ne connaissait que le responsable de l'étage supérieur, a permis au mouvement de supporter la décapitation du Directoire de Bruxelles, par deux fois (en 1942 et en 1944) et sa reconstitution immédiate chaque fois avec des éléments de l'étage inférieur.

Le MNB avait 4 types d'activités :

organisation paramilitaire (récupération d'armes, sabotage d'usines et de matériel ennemi…) ;

presse clandestine (périodiques, tracts, tracts défaitistes en langue allemande, faux papiers…) ;

renseignements (mouvement de troupes, endroits de dépôts, etc.) ;

secours (aux familles des prisonniers politiques, évacuation d'aviateurs, cache des réfractaires)

Le périodique édité par le MNB était La Voix des Belges.

Il y eut, à ma connaissance, parmi les 670 journaux clandestins du pays, deux revues patriotiques publiées dans la Basse Sambre : La Jeune Garde et Les Mineurs de la Basse Sambre, mais je ne sais pas où elles étaient imprimées.

32 résistants de ce qui deviendra plus tard Sambreville ont été tués pendant la guerre. Il n'existe pour eux, je crois, aucun monument, aucune plaque souvenir. Que la liste suivante rappelle aux Sambrevillois que parce qu'ils sont morts pour la liberté dont nous jouissons aujourd'hui, ils ont le droit de vivre dans nos mémoires.

Martyrologue de la Résistance à Sambreville (1940-1945)

Aout Arthur de Tamines mort à Buchenwald

Auquière Joseph de Tamines abattu en Allemagne

Casellas Emilio de Moignelée mort à Buchenwald

Cereghetti Georges de Tamines tué à Noville

Cobut Fernand de Falisolle mort à Ellrich

Corbu Fernand d'Auvelais mort à Flossenburg

Couvreur Camille de Tamines mort à Buchenwald

Degimbe Joseph d'Arsimont tué à Arsimont

Demarcelle Noëlla de Moignelée morte à Neubrandenberg

Deprez Georges d'Arsimont massacré à Mont Gauthier

Dereppe Ferdinand d'Auvelais mort à Bergen Belsen

Destrée Joseph d'Auvelais mort à Buchenwald

Dufaux Théodule de Tamines mort à Nordhausen

Gilson Joseph d'Auvelais mort à Bergen Belsen

Gossiaux Vital de Tamines fusillé à Schaerbeek

Hambenne Émile d'Auvelais tué à Auvelais

Houdy Émile d'Auvelais tué à Auvelais

Jacques Fernand d'Auvelais mort à Gross-Rosen

Jeanmart Aimé d'Auvelais fusillé à Charleroi

Legrain Noël d'Auvelais tué à l'ennemi à Graide

Michaux Jules d'Auvelais tué à Weillen

Mottart Adelin de Tamines mort à Sachsenhausen

Nicolay Raymond de Tamines mort à Anvers

Patris Théodore de Tamines mort à Boussu en Fagne

Pietquin Florent d'Auvelais mort à Buchenwald

Piette Jules de Tamines fusillé à Schaerbeek

Piette Jules de Moignelée fusillé à Flawinne

Rodrigue Alphonse de Falisolle mort à Ellrich

Rousseau Jules de Tamines mort à Ellrich

Stavaux Estelle de Tamines morte à Ravensbrück

Vanhal Émile d'Auvelais mort à Auvelais

Vausort Lucien d'Arsimont tué à l'ennemi à Maibelle

Volan Jean-Baptiste de Moignelée mort à Breendonck

Il est probable que beaucoup d'Auvelaisiens connaissaient d'autres faits relatifs à la résistance.

65 années après la seconde guerre, il serait peut être intéressant qu'ils écrivent leurs souvenirs.

André ERGO. (9 novembre 2010)

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Al Batte.

Les gamins de Seuris s’étaient attribué “la Batte” comme terrain de jeu occasionnel. On y accédait généralement en longeant le chemin de fer vers Falisolle au départ de la rue Chère Voie, en bordure de terrains cultivés 1, et en traversant la grand route à la limite d’Auvelais où un chemin de terre, appartenant à Falisolle, conduisait vers la Biesme, une vingtaine de mètres en contrebas.

Le lieu dit “Al Batte” était l’extrême sud de la commune d’Auvelais où la Biesme devenait auvelaisienne et limitait la commune d’Arsimont sur une petite centaine de mètres. La rivière caracolait au milieu des prés et l’endroit choisi pour les ébats était un des coudes de celle-ci où une «gofe» permettait d’avoir de l’eau jusqu’au dessus de la ceinture lorsque les eaux étaient basses. Nous avions aménagé un barrage de pierres qui élargissait de deux petits mètres le lit de la rivière et nous faisait gagner 15 centimètres de profondeur, de quoi nous permettre de réaliser trois brasses et de nous faire croire que nous savions nager. Les moins pudiques nageaient tout nu, les autres barbotaient en culotte courte.

La Batte était aussi le lieu où nous pouvions attraper des percots 2 et des têtards et parfois des dytiques et des araignées d’eau que nous ramenions à la maison dans une vieille boîte à conserve, avant d’improviser un aquarium dans un grand bocal à stériliser emprunté à notre mère. Quelques galets ronds, dont un avec un peu de mousse pour faire joli, de l’eau du robinet et ce petit monde vivait quelques jours jusqu’au moment où, un matin, on découvrait le percot, flottant le ventre en l’air et que la maman décidait qu’il était temps de jeter tout çà. Il ne nous restait plus qu’à recommencer.

Les dytiques nous fascinaient car les plus vieux de la bande nous faisaient croire qu’ils respiraient par leur derrière, et il faut avouer que ces insectes faisaient tout pour nous convaincre.

Parfois nous rentrions à Seuris via la rue de la Bruyère, par un sentier qui aboutissait à quelques maisons construites perpendiculairement à la route dans le dernier tournant avant d’arriver au pont près du moulin, sentier qui nous conduisait à la rue de Falisolle. C’était toujours un chemin de retour, car en l’empruntant à l’aller, on risquait d’éveiller l’attention de la bande des garçons du Pont-à-Biesme, bande adverse et ennemie qui revendiquait aussi le territoire.

À d’autres occasions, nous longions le chemin de fer, dans la tranchée, jusqu’au pont de Chère-Voie, probablement parce que c’était défendu, et nous remontions sur le pont, à flanc de colline, par un sentier qui débutait derrière un signal muni d’un téléphone.

Nous n’allions nous ébattre à la Batte que durant les vacances d’été et lorsque la chaleur nous conduisait vers l’eau.

Ces terrains sont occupés aujourd’hui par l’hôpital.

Petits poissons avec des nageoires épineuses (épinoches ?)

André ERGO. (9 aout 2010)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Seuris, à la vesprée.

Mon intention première en écrivant ces petits textes sur les gens de Seuris, c’était surtout de continuer à les faire vivre par la magie des mots, car eux, qui sont disparus pour la plupart je ne voulais pas qu’ils restent des morts anonymes.

Pour avoir vécu mon enfance à Seuris, même pendant la guerre, je ne me souviens pas de jours réellement malheureux. On avait bien des fessées, souvent méritées, sans avoir cette attitude étonnante qu’ont certains jeunes aujourd’hui d’envoyer leurs parents s’expliquer à ce sujet devant un juge.

La société a bien changé et je ne suis pas sûr que c’est en mieux et qu’on y soit plus heureux.

Jadis on était construit de l’amour de sa mère, toujours présente ou du moins souvent et de l’autorité et du respect de son père. Tout le monde se connaissait ; on respectait les vieux, on partageait son temps, on se parlait, on apprenait en écoutant.

Les gens se rassemblaient les soirées où il faisait beau. Près de chez nous, dans l’avenue du cimetière, le lieu de rassemblement était le mur de la petite école, à l’abri du vent s’il y en avait et à l’ombre des platanes si le soleil était encore fort. Chacun apportait son siège, les enfants s’asseyaient sur la bordure et écoutaient les “vieux” qui racontaient leur jeunesse, leur travail, leurs farces ou leur guerre, tout cela dans une langue wallonne imagée, riche, qu’on apprenait comme cela, sur le tas, par osmose, sans livre mais avec quels maîtres.

Parfois ils nous demandaient de chanter et je me taillais un petit succès (du moins je le croyais) avec une chanson que m’avait apprise un de mes oncles habitant le long de la Molignée à l’ombre du monastère de Maredsous, chanson innocente qui racontait ceci : “ A Bioul, à Bioul, i gna des bèllès fîyes, à Bioul, à Bioul, c’est mi qui coutch’avou “ !

Raison du succès : j’avais 4 ans.

Ces réunions tenaient lieu de journal, de radio, de télévision. Les gens y riaient beaucoup, c’était leur thérapie. Je dois avouer qu’il y avait beaucoup moins de malade qu’aujourd’hui ; sans doute parce qu’il y avait moins de médecins et moins de maladies. Et puis, les remèdes étaient parfois terriblement efficaces.

Avez-vous seulement entendu parler du bleu de méthylène ? Il y en avait dans toutes les maisons, dans une petite armoire inaccessible aux enfants, à côté de l’eau oxygénée, de la teinture d’iode, de l’éther, de l’huile gommenolée pour le nez, des aspirines et de la poire à lavements. Premières notions de chimie. C’était pour celui qui l’administrait, le remède miracle contre les infections de la gorge. C’était un supplice pour ceux qui le recevaient.

À la moindre infection de la gorge, un gros tampon d’ouate tenu par une espèce de pince était trempé dans cette mixture et enfoncé dans la gorge du patient qui faisait des efforts pour ne pas remettre son dîner. Cela s’appelait un badigeon. On guérissait toujours, soit par l’effet de la mixture et plus souvent je crois, par la crainte d’une seconde intervention.

Mais il y avait toujours une énorme surprise à la clé : la prochaine fois qu’on allait à la cour, on pissait écolo avec effroi, tout vert ! Et la maman interrogée nous expliquait avec amusement que le bleu et le jaune mélangés donnent toujours du vert. Leçon de chose à peine rassurante car on savait qu’elle mettait du bleu dans le linge pour qu’il devienne plus …blanc.!

Les réunions de vieux se tenaient dans les volutes de fumée des pipes car le tabac ne tuait pas à l’époque, les deux petites gouttes journalières (une pour chaque jambe), le verre de bière qu’ils buvaient de temps à autre (c’est bon pour les pierres au reins) ou la bistouille quand il faisait froid ne tuaient pas non plus. Quand un autre vieux mourrait, on disait simplement “ il est rallé “ et on parlait plus volontiers du moral des proches qui restaient. Quand deux jeunes se mariaient, la mémoire collective retraçait leur généalogie jusqu’à bien haut avec des anecdotes historiques sur la mémé Suzanne de l’un, qui pouvait valser sur un seul pavé ou le tonton Bertrand de l’autre qui manoeuvre de maçon pouvait porter trois sacs de ciment d’un coup (pas les minimes d’aujourd’hui, des 50 Kg) et qui était un chaud lapin, manifestement les personnages éminents des deux familles. Langage énigmatique et poétique pour les enfants que nous étions: je voyais des lapins construisant des maisons et des vieilles dames en tutu faisant des pointes sur un pavé unique et minuscule ! On n’avait pas besoin de dessins animés pour se créer un monde merveilleux, l’imagination suffisait.

Les seuls tags qu’on pouvait découvrir dans le quartier étaient les jeux de marelle des filles dessinés à la craie, à même la route et qui ne résistaient pas à la moindre averse. Jeux de marelle partagés souvent avec les garçons ; exercices de fitness de l’époque.

Quand l’averse s’annonçait au cours d’une de ces réunions de vieux, un de ceux-ci disait péremptoire : « V’la qui rattaqu’à ploure » et tous empoignaient leur siège pour rentrer à l’abri chez eux.

Mais les quelques garçons présents et incrédules attendaient encore à l’abri des platanes pour bien humer l’odeur particulière de cette pluie tombant dans la poussière en y dessinant de petits cratères et, quand finalement ils s’encouraient chez eux ou vers un abri plus sûr, Seuris redevenait pour un moment, désert et calme.

André ERGO. (15 octobre 2009)

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Incendie à Seuris

Le quartier de Seuris a été relativement protégé des catastrophes naturelles durant les quarante premières années de son existence. La foudre est bien tombée une ou deux fois dans le quartier, une première fois sur la maison Yernaux dans la rue Seuris, sans grands dégâts et une autre fois, sur un des poteaux électriques de la même rue. La bande des garçons qui se trouvait à ce moment sur la place, avait assisté au spectacle, un éclair, le bruit caractéristique d’un arc électrique et instantanément l’explosion. Ce qui avait aussi marqué les esprits, c’est le fait que la place était toute humide du côté du cimetière et sèche du côté de Chère voie, coupée en deux par la pluie. Mais les orages, qui suivaient la Sambre, étaient souvent spectaculaires à Seuris ; les garçons comptaient les secondes entre l’éclair et le bruit, ce qui marquait la distance en kilomètres du centre de l’orage. Pour « voir » des « dérèglements » de la nature, il fallait descendre au bas de Chère voie, où la Sambre débordait parfois dans les prés voisins, pour notre plus grand plaisir quand les inondations étaient prises par le gel, ce qui nous donnait des immenses patinoires gratuites, notamment derrière l’abattoir.

J’ai déjà évoqué l’obus de DCA qui était venu se fracasser, sans éclater, dans une façade d’une des dernières maisons de la rue Seuris, mais la cause était due à la bêtise des hommes et pas à des circonstances naturelles.

Aussi avons-nous été surpris quand un incendie important s’est déclaré à l’arrière d’une maison de l’avenue du cimetière. J’étudiais le soir, dans ma chambre à l’arrière de la maison, volet baissé mais fenêtre ouverte car la température était encore élevée. C’est le bruit (des éclatements comme des pétards) qui m’a intrigué et, en relevant le volet, j’ai vu les flammes sortir du toit de l’atelier de menuiserie d’Angelo Parisi à une cinquantaine de mètres de chez moi. Le bruit qu’on entendait était l’éclatement des plaques d’éternit du toit. Je suis descendu rapidement à la cave prendre notre tuyau d’arrosage car je connaissais la maison Parisi et je savais où brancher le tuyau. Sur place, René Lorand (le gros René, un ancien para) avait déjà mis un tuyau en batterie et protégeait l’arrière de la maison de sa mère, proche de l’atelier. Le fossoyeur Jacquy et quelques autres faisaient la chaîne avec des seaux d’eau. À mon arrivée, le toit de l’atelier s’est effondré sur les machines et l’incendie a redoublé d’ardeur. L’atelier était manifestement perdu et les tuyaux d’arrosage avaient peu d’effet sur les flammes. Il fallait porter son effort sur la maison d’habitation et la protéger en l’arrosant, après avoir branché mon tuyau sur le point d’eau. Notre travail s’est arrêté à l’arrivée des pompiers quelques minutes plus tard, quand ils ont pris le relais. Ces minutes nous avaient paru une éternité. Nous étions tous noirs de suie. Les maisons n’avaient pas subi de dégâts majeurs.

Angelo Parisi était effondré et désespéré. Menuisier indépendant, c’était son gagne-pain et tout le travail d’une vie qui venaient d’être détruits avec toutes ses machines et ses réserves de bois. Mais grâce à un arrangement avec Joseph Lahaye (un modeleur qui travaillait à l’époque chez HMS), Angelo a pu utiliser rapidement l’atelier de ce dernier, à quelques mètres de chez lui, satisfaire les commandes de ses clients, reprendre courage et, comme on dit, se refaire !

Le lendemain matin, j’ai dû subir l’assaut des journalistes : pourquoi, comment ? dans un exercice que je n’aimais guère. Comment : par réflexe ! Pourquoi : par amitié ! Comme les autres d’ailleurs.

L’esprit de Seuris.

André ERGO. (2 décembre 2008)

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Les Toussaint de jadis.

On était évidemment aux premières loges à Seuris pour voir passer toutes les familles qui se rendaient au cimetière aux abords de la Toussaint. Cela commençait à la mi septembre, période à laquelle les familles allaient toiletter les tombes, frotter les pierres ou ratisser la terre. À l’époque, tous les chrysanthèmes étaient blancs, bien fournis en grosses fleurs et lorsqu’on entrait dans le cimetière le jour de la Toussaint, toutes les tombes blanches faisaient déjà penser à l’hiver. On achetait peu de fleurs à l’époque; on n’en vendait d’ailleurs pas à l’entrée du cimetière. Mais on les préparait, dans la famille, longtemps à l’avance, en faisant des boutures, puis en pinçant les tiges sans fleur pour que toute la force de la plante se porte sur les gros bourgeons floraux qu’on laissait en place. Avec cette manière de faire, on pensait aux défunts souvent, pendant une grande partie de l’année et la « potée » de fleurs qu’on conduisait au cimetière était en fait la somme de toutes ces pensées cumulées. En attendant la Toussaint, les pots étaient placés dans une pièce non chauffée de la maison, souvent dans le corridor, pour que les fleurs ne subissent pas une trop grande différence de température quand on les conduirait sur les tombes.

Comme il y avait très peu d’autos, les gens « montaient » au cimetière à pied, en famille, endimanchés s’il faisait beau, emmitouflés dans de longs paletots fermés par un cache nez si le temps était au gel et à la neige ou si la bise soufflait sur le plateau de Seuris. L’automne couvrait l’avenue du cimetière d’un tapis multicolore de feuilles de platanes. Certaines personnes, dont les défunts étaient nombreux, amenaient leurs fleurs dans des brouettes ou des charrettes ou dans des voitures d’enfants modifiées et aménagées pour l’occasion. Parce qu’ils étaient à pied et qu’ils avaient le temps, le cimetière était le lieu de rencontre de nombreuses gens qui ne se retrouvaient qu’à l’occasion de la Toussaint; certaines venaient de loin, au train; d’autres profitaient de l’occasion pour rencontrer de la famille encore présente à Auvelais. On prenait le temps de la visite aux morts pour se promener dans le cimetière, pour visiter la tombe d’amis décédés ou de voisins. On allait voir le monument aux fusillés, le jardin où reposaient les petits enfants ; on expliquait aux plus jeunes la signification d’une colonne brisée ou celle de la petite plaque tricolore à laquelle ont droit les anciens combattants.

Quelques jours après la Toussaint, à la fête de l’Armistice de 1918, de nombreux drapeaux montaient également au cimetière et des gerbes étaient déposées au monument aux soldats tués et à la plaque commémorative des fusillés à la maison du peuple et encore au cimetière des Français. Il y avait, à l’église, un Te Deum particulier pour les défunts des deux guerres. Le jour des morts, le lendemain de la Toussaint, le curé montait au cimetière entièrement fleuri pour bénir toutes les tombes en commençant par celle d’un ancien curé d’Auvelais, contre le mur, à gauche de l’entrée.

Mais parfois, on rendait visite au cimetière en dehors de la Toussaint. Il y avait eu, au début de la guerre, un soldat enterré rapidement dans le cimetière de Seuris, dans le fond, à droite, dans une partie en friche, avec une simple croix de bois, sans nom, sans rien, tout à fait anonyme. C’était notre soldat inconnu. On ne connaissait pas sa nationalité, mais on supposait qu’il était français puisque c’était les seules troupes à avoir occupé le quartier. À la saison des fleurs des champs, on cueillait des coquelicots, des bleuets et des grandes marguerites qui poussaient encore à l’époque dans les terrains cultivés près du cimetière et on lui portait, timidement, un bouquet aux couleurs de la France.

Il y avait quand même à la Toussaint, des morts oubliés ; certains de ceux du vieux cimetière dans lequel on pouvait se rendre par une rue empierrée devant l’entrée de la fonderie Sevrin-Migeot. La nature y reprenait cruellement ses droits, mais quelques tombes y étaient toujours visitées, ce qui rendait les autres encore plus tristes, plus abandonnées et misérables. Ce cimetière est aujourd’hui totalement disparu.

André ERGO. (14 novembre 2008)

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Une des figures marquantes de Seuris : Victor Vigneron

Il habitait à droite de la rue Seuris, à mi chemin de la première section, une maison possédant une avant cour et, ce qui était rare et exceptionnel à l’époque, un garage sur le côté droit. Les Vigneron avaient perdu une fillette en bas âge et, si mes souvenirs sont corrects, une petite chapelle avait été construite sur sa tombe, à gauche dans le cimetière, le long du mur d’enceinte parallèle à l’avenue du Progrès. Mais les Vigneron qui avaient aussi un grand coeur, avaient adopté une petite fille Suzanne qui vit, je crois, toujours à Auvelais, laquelle avait épousé bien plus tard, à sa majorité, un garçon de Seuris, Georges Moreau. On m’a même appris récemment que c’est elle qui avait fait, en wallon, (la langue de Seuris), le discours pour le départ en retraite de la petite sœur qui tenait l’école des Ternes.

En 1937, une autre petite fille appelée Josette était née dans la famille. Elle aussi a épousé plus tard un garçon de Seuris, André Hanquet. Je cite ces mariages, car, malgré le nombre important d’enfants dans le quartier, ce n’était pas si courant que des garçons et des filles de Seuris se marient entre eux.

Mais revenons à Victor et à ce qui le caractérisait. Il avait une marotte (on dirait aujourd’hui un hobby) qui prenait une grande part de son temps libre, c’était la peinture à l’huile sur toile qu’on pouvait dans son cas apparenter, toutes proportions gardées, à la peinture du douanier Rousseau. Il était autodidacte en la matière et s’il y avait des défauts de perspective dans ce qu’il peignait, il avait néanmoins un style personnel et lorsqu’il dessinait des paysages avec des arbres ou des fleurs, cela avait un certain charme. Je ne sais pas pour quelles raisons, mais les arbres qu’il peignait étaient toujours des arbres habillés d’automne où il mettait dans la frondaison moins de couleurs vertes que de couleurs vives. Il est vrai que les avenues de Seuris étaient belles en automne et que le tapis de feuilles de platane tombées intéressait plus le peintre que les femmes de la rue, en bataille permanente avec le vent, pour les ramasser. Pendant la guerre, les fruits des platanes trempés dans des restes de couleurs on fait des boules de Noël originales, bon marché et par la force des événements, tout le monde était un peu peintre.

Faut-il rappeler aussi que Victor avait peint des fresques murales de plusieurs mètres carrés dans un corridor de la maison des Luc qui conduisait à une salle construite dans le jardin. C’était des oeuvres d’imagination qui représentaient des moments de la vie courante des gens, mais personne en particulier ne pouvait se reconnaître dans les personnages qu’il avait peints.

Il y avait aussi d’autres peintres à Seuris, pour la plus grande curiosité des garçons, car ceux là travaillaient en plein air. La saison foraine terminée, les Peeters revenaient à l’Avenue du cimetière où ils avaient leurs quartiers d’hiver et ils nettoyaient à grandes eaux savonneuses les panneaux et rafraîchissaient les peintures du carrousel des chevaux de bois et des balançoires, leur spécialité et plus tard, celles des autos scooter qu’ils avaient rachetées. Le spectacle était garanti; chaque panneau, garni de miroirs et de fresques, était bichonné, réparé si nécessaire et repeint. On repassait sur les anciennes peintures si possible avec de la couleur de même ton. Mais pas toujours et quelquefois, certains personnages retouchés semblaient revenir de vacances à la Méditerranée, plus bronzés que leurs voisins, à tel point parfois qu’on aurait pu parler de mélange des races. Les animaux, quant à eux faisaient de manière récurrente, d’année en année, des mutations de plumage et de pelage.

Les Peeters parlaient le flamand entre eux, mais un flamand différent de celui qu’on apprenait à l’école, que le père ponctuait régulièrement de jurons bien sonnants, qui constituaient les premiers mots de la langue de Vondel que nous retenions, mais dont on avait très vite pris conscience qu’on ne pouvait pas les répéter en classe. La remise en état du matériel était le travail des enfants déjà adultes, fils et fille. Cette dernière, Julia, nous étonnait beaucoup car elle était habillée alors comme un homme, avec une salopette bleue, ce qui n’était pas courant à l’époque chez les femmes, toujours en jupes ou en robes sinon en tabliers. Cette Julia maniait d’ailleurs aussi bien la clef anglaise et le tournevis que le pinceau ou la peau de chamois.

André ERGO. (22 octobre 2008)

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Les enfants de Seuris et l'éducation.

Au début du quartier de Seuris, l’éducation était obligatoire pour tous les enfants jusqu’à l’âge de 14 ans. La commune avait créé immédiatement une école gardienne composée de deux classes où pratiquement tous les enfants du quartier et de la rue de Falisolle faisaient leur premier apprentissage avec la discipline scolaire et la gentillesse de Mademoiselle Lorand et de Mademoiselle Yvette et plus tard, de Mademoiselle Huguette. Mais quand les enfants arrivaient en âge d’école primaire ils devaient rejoindre les écoles primaires situées dans le centre d’Auvelais, soit l’école communale, soit l’école Saint Joseph pour les garçons ou l’école des RR. Sœurs rue du Pont à Biesmes. Les écoles primaires comportaient à l’époque 8 années, les six années classiques du primaire et deux années supplémentaires pour ceux qui arrêteraient leur scolarité à l’âge de 14 ans, ce qui était le cas de la majorité des garçons. Ceux-ci allaient travailler à l’usine avec leur père et apprenaient sur le tas les métiers tout en suivant parfois les cours de promotion sociale qu’on appelait à l’époque cours du soir

Ceux qui continuaient leurs études devaient aller suivre les cours soit à Namur, où il y avait des collèges, des athénées et des lycées, soit à Tamines où ils pouvaient suivre les Humanités complètes à l’Athénée ou bien les trois premières années, qu’on appelait les « Moyennes », chez les Frères des Écoles chrétiennes. D’autres élèves quittaient l’école après les « Moyennes » et entraient alors dans la vie active comme employés en suivant également souvent d’autres types de cours du soir.

Enfin, il y avait ceux qui finissaient leurs Humanités classiques (latin-grec ou latin-math) ou leurs Humanités modernes (math-sciences), ou l’enseignement normal (gardienne, primaire et régence)1 mais ils étaient relativement peu nombreux et moins nombreux encore étaient ceux qui poursuivaient leurs études au niveau supérieur car il fallait aller chercher cet enseignement encore plus loin, dans les grandes villes du pays.

À l’époque des pionniers du quartier de Seuris, peu de garçons du quartier poursuivront leurs études au niveau supérieur.

Le premier de ceux-ci habitait sur la rue de Falisolle, près de la boulangerie Zicot. Alix Motquin fera des études d’ingénieur agronome à l’Institut Agronomique de Gembloux tout comme le second, Roger Henrioul, habitant également la rue de Falisolle, près de la rue Chère Voie. André Lannoye de l’Avenue du Cimetière fera des études d’architecte. Le quatrième, également de la rue de Falisolle, Léon Brouns, sera diplômé de l’École Royale militaire, où il sera d’ailleurs répétiteur, et fera une carrière d’officier à l’armée. Pour ma part, je choisirai l’agriculture des régions chaudes à l’Institut supérieur agricole de Huy.

Trente années après la naissance du quartier de Seuris, il n’y aura donc que 5 diplômés de l’enseignement supérieur.

Suivront rapidement Jacques et Michelle Paye de la rue Seuris qui obtiendront leur grade à l’Université Libre de Bruxelles, puis Freddy Legros et Michel Mouyart, tous deux de la rue de Falisolle, qui obtiendront leur grade à l’Université de Liège.

Il est probable qu’il y en eut beaucoup d’autres depuis.

Michelle Paye fut donc, à l’époque, la seule fille à faire des études supérieures. Il faut dire que les filles n’étaient pas gâtées au point de vue enseignement dans la Basse Sambre. Mis à part l’Athénée de Tamines, elles pouvaient faire, à Auvelais, tout au plus des études professionnelles. Heureusement, tout cela a changé depuis.

Beaucoup de jeunes de Seuris avaient la capacité de faire des études supérieures, mais les temps étaient différents et les « quinzaines » des gamins et des gamines étaient parfois nécessaires dans les familles pour boucler les fins de mois. Et puis, il y eut la guerre qui a obligé beaucoup de jeunes à faire d’autres choix.

Lorsque, après la guerre, le Foyer Taminois a construit la cité entre la Grippelotte et Seuris, le nombre d’enfants sur le site devint plus important encore et la petite école gardienne s’agrandit de deux années primaires, tandis qu’au bout de l’avenue du Progrès, l’enseignement libre confessionnel ouvrait une école gardienne et le premier cycle des primaires.

Dès lors, dans l’important quartier Seuris-Grippelotte on pouvait, comme à la Sarthe et aux Ternes, aller à l’école jusqu’à neuf ans.

1 On accédait à l’enseignement normal (gardienne et primaire) après les moyennes inférieures. La régence (en deux ans) était déjà de l’enseignement supérieur; on y avait accès après les Normales ou après les Humanités.

André ERGO. (26 septembre 2008)

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Le vieux Ponlot.

Nous faisions le chemin de l’école quatre fois par jour, car nous rentrions le midi à Seuris où il y avait toujours quelqu’un à la maison pour nous attendre avec un bol de soupe chaude.

La rue Radache n’avait donc plus de secret pour nous. Elle était d’ailleurs propice à plusieurs leçons de choses pour ceux qui savaient regarder et se poser des questions.

En quittant l’école, sur le trottoir de droite, le plus emprunté, il y avait l’atelier du menuisier Émile Piret, charron à l’occasion, où on pouvait voir parfois et comprendre le cerclage des roues de chariot. Plus loin, au coin de la Jonction Radache, un atelier de menuiserie faisait sécher le long du chemin des arbres entiers débités en planches épaisses séparées par des calles. Nous comprenions mal qu’on puisse sécher le bois en l’exposant à la pluie. Par la porte ouverte de l’atelier, on pouvait voir les ouvriers s’activer autour de raboteuses, de ponceuses, d’un tour ou d’une toupilleuse et d’une scie circulaire. Chacune de ces machines avait un bruit particulier que nous avions appris à reconnaître

Plus loin il y avait, porte grande ouverte, le hall de Remy Bodart, le marchand de pommes de terre avec la bascule, la trieuse et l’ensacheuse. Plus loin encore l’atelier de Camille Falise dont on ne voyait, du trottoir, que les courroies de transmission car les vitres basses étaient en verre dépoli, mais dont le bruit nous informait si on sciait des tôles ou si on travaillait une pièce au tour et dont les poubelles contenaient de nombreuses spirales métalliques.

À l’autre main, avant la ruelle Evraux, le petit atelier de fabrication de souliers de chez Taulaire nous laissait apprécier les différentes senteurs du cuir et des cirages.

Plus haut, au début de la côte, on pouvait voir, les hangars de l’entrepreneur Schwartz où étaient entreposés des poutrelles, des blocs de béton, des pierres taillées, du sable et des graviers de tous calibres, bref tout ce qui est indispensable pour les constructions.

Mais le lieu magique où nous nous arrêtions souvent au point d’arriver parfois en retard à l’école était l’atelier du vieux Ponlot, au-dessus de la rue Radache, juste avant le jeu de quilles du café des étrangers. Bâtiment bas au toit plat, construit sur un terrain triangulaire en pente. L’habitation était en sous-sol et jouxtait un atelier dont les portes coulissantes étaient toujours grandes ouvertes laissant voir un bric à brac de pièces de moteurs, de roues, de barres de fer, un poste à souder, une petite forge, un compresseur et bien d’autres choses. Le vieux Ponlot savait tout faire à nos yeux, mais ce qui nous impressionnait le plus, c’est lorsqu’il mettait, comme un chevalier, un casque protecteur pour souder et qu’il apparaissait sombre et massif, à contre jour, entouré de milliers de « scrabilles ». Il nous criait alors : « N’faut né rwétî, c’est mwé po les ouyes », et on regardait prudemment à travers nos doigts.

Il nous demandait parfois de l’aider à bouger quelque chose et on était fier de participer à son travail.

Je ne sais plus dans quelle circonstance, François Vervotte, mon copain qui me dépassait d’une tête, avait été travailler un jeudi après-midi dans l’atelier du vieux Ponlot. Nous étions un peu jaloux de ce privilège aussi est-ce sans hésiter que j’acceptai d’aller avec lui le jeudi suivant.

Le vieux Ponlot nous avait installé dans un coin de l’atelier, avec des pièces de moteur à nettoyer. Nous avions pour ce travail des loques et une boîte de conserve remplie d’essence. Le but était d’enlever le cambouis des pièces et de les rendre propres. On y arrivait mais, il faut bien l’avouer, en mettant du cambouis aussi sur nos vêtements. Quand le travail était fini, on se lavait les mains dans un seau d’eau savonneuse et le vieux Ponlot nous donnait cinq francs pour la peine. On n’était pas plus fier de ce premier argent gagné que de nos mains dont les lignes gardaient une légère trace noire, preuve de notre activité. Preuve qu’on essayait de garder le plus longtemps possible.

C’était autre chose quand on rentrait à la maison et que la maman passait l’inspection des vêtements.

Mais le travail ne se limitait pas au nettoyage, il y avait aussi les réponses à nos questions. Le vieux Ponlot nous montrait le vilebrequin où s’attachent les pistons, l’arbre à cames qui active les soupapes et, si on ne comprenait pas toujours tout, on emmagasinait des mots qui enrichissaient notre vocabulaire et qu’on replaçait parfois, pas toujours à bon escient, dans les rédactions : carter, culasse, bougies, bielle, à l’étonnement amusé de notre instituteur.

La rue Radache éveillait chez nous d’autres intérêts communs à beaucoup de garçons de l’époque. Il y avait dans le denier tournant avant l’école une propriété entourée d’un mur au-dessus duquel, des vieux poiriers généreux tendaient, vers la route, leurs branches garnies de poires bien tentantes. On savait que ce n’était pas bien de marauder mais fort du principe que : tout ce qui pend sur la rue appartient à tout le monde, sans remord, on délestait les poiriers de quelques poires qu’on mangeait rapidement avant d’entrer à l’école. Fort du même principe, je n’ai pas honte d’avouer que je maraudais des pêches, également avec mes camarades, sur le propre pêcher de ma propre maison.

André ERGO. (9 septembre 2008)

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La Saint Éloi et la Sainte Barbe à Seuris.

Avec la procession au départ de la chapelle de Saint Sang, les saints les plus fêtés à Seuris étaient Sainte Barbe et Saint Éloi. Rien d’étonnant à cela puisque la majorité des hommes étaient des mineurs ou d’anciens mineurs et une grande partie des autres travaillait dans les ateliers de constructions, dans les fonderies ou dans la métallurgie à Charleroi ou à Châtelet.

Sainte Barbe était la patronne des mineurs qui lui vouaient un culte particulier lequel n’avait pas toujours des motifs cléricaux. Dans toutes les fosses, on trouvait d’ailleurs une statue de la sainte dans une potale (encore un mot de chez nous) creusée dans la pierre dès l’entrée des galeries, où elle était souvent fleurie. La statue les accueillait à l’entrée et était la dernière à les voir remonter.

C’était la même chose pour la statue de St. Éloi qui, elle, se trouvait généralement en hauteur comme si elle surveillait l’atelier. Si tous les corps de métier avaient leur saint, tradition datant du Moyen-Âge, Saint Éloi et Sainte Barbe étaient de loin les plus fêtés.

Les femmes de Seuris voyaient d’ailleurs arriver ces deux fêtes avec quelque crainte car il faut dire que leurs maris ou leurs fils ne fêtaient pas ces saints là à l’eau bénite mais plutôt à la cuvée spéciale de Chassart, un pèket dévastateur qui ne ressemblait à l’eau que par la couleur. Cela faisait surtout des ravages chez ceux qui n’avaient pas l’habitude de boire. Ceux-là remontaient du Centre en mesurant toute la largeur des trottoirs, et quand ils avaient la volonté de dépasser le café des Écoles, puis la Maison du Peuple et le café qui lui faisait face, ils étaient à peu près certains de rentrer directement à la maison. Il y avait ceux qui essayaient de marcher droit en s’alignant sur les façades des maisons sur lesquelles ils se cognaient parfois, d’autres marmonnaient des espèces de litanies qui n’avaient leur place dans aucun missel, d’autres prenaient les passants à témoin, surtout les femmes et les jeunes filles qui, effrayées avaient changé de trottoir.

Mais Sainte Barbe ou Saint Éloi les ramenaient toujours à la maison, où leur femme rassurée, leur avait préparé du fort café et les mettait au lit, comme des enfants, sans les gronder.

Et le lendemain, quand ils se levaient la bouche pâteuse et le regard perdu, les dix tartines de leur « miche » se trouvaient déjà sur la table avec une omelette de quelques œufs cuite autour de plusieurs tranches de lard; leur bidon était rempli d’un café bouillant encore plus mordant que celui de la veille et leur femme leur demandait avec un petit sourire en coin : « ça a stî l’ Sainte Baube ? »

L’histoire qui suit est véridique mais je ne sais plus si elle se passe dans notre quartier. Le jour d’une Saint Éloi fort arrosée, le vicaire Philippot rencontre une de ses connaissances qui en tenait une carabinée et qui essayait de rentrer chez lui, malgré des genoux qui ne le tenaient plus debout. Le vicaire (en soutane à l’époque) décida d’aider l’homme en le soutenant sous le bras et le reconduisit chez lui en essayant tant bien que mal de réduire les titubations du bonhomme. Et bien, figurez-vous qu’une pieuse bigotte, « racusette » invétérée, scandalisée par la scène et baignée de charité chrétienne, alla chez le doyen Baugnée l’informer que son vicaire et un poivrot étaient, la veille, saouls comme des Polonais. Cette langue de vipère ne savait pas que le vicaire ne buvait pas, car il avait une sérieuse maladie du foie.

Je pense qu’au Paradis, s’il existe et si elle y est, elle aura eu des comptes à rendre à Saint Éloi.

André ERGO. (9 septembre 2008)

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Seuris et les bandes de garçons.

En écrivant ces lignes, j’ai une pensée émue pour François Vervotte, Edgard Vassart, Roger Fichefet, Jean Marie Bauloye, Maurice Istasse, Roland Pietquin, Willy et Fernand Warichet, Marcel Rigaux, Gino Parisi, Nestor Laviolette, Hector Bruyère, René Wauthelet, Lucien Noël et quelques autres, dont beaucoup sont hélas déjà disparus, et aussi pour les deux terriers bâtards Milou et Moli qui nous suivaient partout et partageaient nos jeux et nos expéditions Cette bande a vécu de 1944 à 1948.

Entre neuf et douze ans, la plupart des garçons de Seuris vivaient leurs jeux et leurs temps libres en bande. Cela n’avait rien à voir avec les bandes d’adolescents qu’on peut observer aujourd’hui mais il existait quand même une hiérarchie entre les gamins, basée sur l’âge, la force et l’audace. Il y avait des épreuves non formelles mais qu’il était bon d’avoir surmonté comme le saut du mur de la petite école dans le bac à sable blanc qui se trouvait au pied; comme le saut du muret au bout de la rue du Progrès pour atterrir dans le pré en contrebas en ayant passé 80 cm de vide et une clôture de fils barbelés ou comme la fabrication d’un sifflet au départ d’une branche de sureau et même d’une fronde qu’on appelait « catapulte », ou la capacité de siffler avec une herbe entre les deux pouces pour annoncer sa présence.

La bande constituée n’excédait pas six ou sept garçons, pas toujours les mêmes, ce qui avait pour conséquence que les garçons d’une même classe d’âge se connaissaient tous. La réunion de la bande n’était pas programmée, elle se faisait au hasard des rencontres et des temps libres de chacun, ou du projet d’un leader : construire une cabane, un barrage, aller à la pêche, mener une expédition dans un autre quartier ou vers le terril de la fosse de Falisolle, derrière le bois de Chère-Voie, parce que c’était interdit à cause des évacuations d’eau, canalisées et profondes, qui passaient par là pour rejoindre la Sambre.

Il fallait pouvoir s’alimenter en cours de route et donc apprendre ce qui pouvait être consommé sur le terrain. Le bois de Chère-Voie était riche de quelques noisetiers dont on connaissait l’emplacement et d’un merisier (cerisier sauvage) dans sa partie basse lequel nous offrait des fruits à la saison comme d’ailleurs quelques rares fraisiers des bois qu’on pouvait trouver à cet endroit. Avec les mûres au bord des routes et des sentiers, dont on ne cueillait que celles situées sur le dessus des plantes en négligeant (conseil des plus vieux) les plus grosses au raz du sol, … sur lesquelles les chiens vont pisser ! On retrouvait aussi les mûres sur la ligne de crête du plateau de Seuris, entre la fosse de la Grippelotte et le chemin de fer venant de Falisolle où on pouvait aussi trouver du prunellier arrivé là probablement grâce aux oiseaux, mais aussi, pas loin d’une maisonnette accrochée au flanc du coteau, une ou deux aubépines dont on mangeait également les fruits farineux qu’on appelait, je ne sais pourquoi, des « pèpêches », et qu’il ne fallait pas confondre avec le fruit de l’épine vinette, qui leur ressemblait beaucoup, qu’on consommait également mais qui était acide comme un citron. Les chemins d’expédition passaient toujours à proximité de ces endroits.

Arrivé au talus du chemin de fer, la progression se faisait à l’abri des regards, en file indienne, à travers les genêts du remblai. En bordure des champs, sur les trottoirs non entretenus, on trouvait aussi deux dernières plantes comestibles, l’oseille sauvage, sûre, et la mauve qui donnait, juste après la floraison, un calice charnu de peu de goût, qu’on appelait du « bebeurre ». Au même endroit, on trouvait également de la grande bardane dont les capitules globuleux (appelés chez nous boutons de soudards) sont garnis de bractées crochues qu’on utilisait comme projectiles dans des bagarres épiques et sans danger, car ils s’attachaient à merveille aux vêtements de laine, marquant de manière non discutable les points d’impacts. Ils servaient aussi à taquiner les filles dont on visait alors les cheveux.

Dans les orées du bois, aux espaces plus éclairés, on pouvait faire provision de graines d’églantier qu’on appelle « grette culs » succédanés de poil à gratter et qui servaient aux mêmes usages.

La plupart des garçons coupaient des jeunes pousses de charme pour en faire un bâton de marche. Chaque bâton était personnalisé par des découpes au canif dans l’écorce. On y gravait généralement nos initiales entourées de dessins dus à l’imagination personnelle. Chaque membre se devait d’avoir sa propre catapulte et les corneilles et les pies ont souvent fait l’objet d’un « canardage » en règle avec, il faut l’avouer avec humilité, très peu d’impacts.

Généralement, après douze ans, à la fin de l’école primaire, les garçons avaient d’autres motivations que celles de la bande. Les plus jeunes prenaient du galon, accueillaient de nouveaux garçons moins âgés auxquels ils transmettaient les connaissances acquises ou les contraintes; et la bande se perpétuait

C’est dans la bande également qu’au moment venu on creusait des betteraves rouges si possible mais aussi sucrières, jusqu’à ne laisser qu’une très fine peau, dans laquelle on taillait des yeux, un nez et une bouche laquelle était garnie de bouts d’allumettes ou d’hampes de plumes de poule en guise de dents. Un morceau de bougie allumée à l’intérieur; deux bâtons en croix, dont le plus long fixé dans la betterave, étaient recouverts de friperie et permettaient de fêter des Halloween non coûteux et pleins de fantaisie, bien avant la lettre et le battage médiatique des Américains et des commerçants.

Les gamins de SEURIS et les collections.

Faire des collections est un passe-temps qui peut être hautement culturel. Les garçons de Seuris n’ont pas échappé à cette manie et beaucoup se sont essayés à plusieurs types de collections avant de se concentrer sur une seule, les autres tentatives faisant l’objet d’échanges et de marchandages au profit de la collection choisie définitivement.

Tout était objet de collection, même les choses les plus farfelues comme les cartons de bière, les capsules de bouteilles, les bagues de cigares ou les boites d’allumettes. Plus tard certains collectionneurs en herbe passaient à des choses plus sérieuses comme les timbres postes ou les pièces de monnaie.

Les firmes agroalimentaires avaient très vite compris l’intérêt de cette pratique comme stimulant des ventes et de nombreuses collections d’images, puis de photos en couleur ont vu le jour chez les fabricants de chocolat et même chez les marques de café. Mais ces collections de chromos ont commencé, de suite après la guerre, dans les chewing gums (les chiques) amenés par les Américains, dans lesquels on pouvait trouver, sous forme réduite, les photos en noir et blanc des stars américaines du moment, hommes et femmes, qui faisaient surtout le délice des petites filles.

Les collections d’origine belge étaient beaucoup plus éducatives : le chocolat Jacques avait mis en place une belle collection intitulée Notre Congo pour laquelle il était possible d’obtenir un album. Le chocolat Côte d’Or quant à lui avait lancé plusieurs collections de photos en couleurs sur les thèmes Faunaflor, Faunaflor Congo, Faunaflor aquatic et Antartic qui ont permis à beaucoup d’enfants du quartier de faire des voyages au loin sans se déplacer et de pouvoir mettre des noms sur certains animaux entrevus au cours des voyages scolaires incontournables au zoo d’Anvers ou au Musée de Tervueren.

Avant la guerre, quand ces collections n’existaient pas, on pouvait acheter dans un petit magasin en face de la maison du peuple, rue de Falisolle, des pages d’images dessinées en couleurs, sur des sujets précis, images aux coins arrondis, dont le but était d’illustrer les cahiers. Ces pages étaient manifestement destinées à des élèves de plusieurs pays et nationalités car les légendes y étaient écrites en plusieurs langues :

Le singe cynocéphale (du grec kynoképhalos, de Kynos : chien et de Képhalê : tête, explication qu’on retrouve dans les noms d’origine germanique)

De hondskopaap

The dog-headed monkey

Der hundsköpfiger Affe

El mono cynocefalo

La scimmia cinicefala

O maccaco cinocefalo,

ce qui avait pour avantage de préfigurer l’Europe et d’apprendre, en s’amusant et en s’instruisant, les langues et l’origine des mots.

La firme des cafés La Créole de Marcinelle avait imaginé une collection intéressante et touristico-géographique en présentant des images photos couleur de cathédrales et de châteaux, des clochers et des tours ainsi que des vieilles pierres. On pouvait s’évader ainsi, en esprit, dans les châteaux de la Loire ou sur les sites mégalithiques d’Irlande et de Bretagne.

Les conversations entre les échangeurs d’images devenaient hermétiques pour un public non averti : « Je te donne une sauge écarlate et un flamboyant pour le Camara corbeille d’or »! Ce qui voulait dire je te donne les images 75 et 23 pour la 43 ! On mémorisait des noms et des images car la plupart des garçons avaient une bonne mémoire visuelle ce qui nous permet aujourd’hui de paraître intelligents et de répondre aux questions de nos petits enfants.

C’est quoi papy cet oiseau-là ? (vu à la télé ou à Paradisio) : c’est un serpentaire car sur ses longues pattes il attrape les serpents sans danger. Et celui-là ? : c’est un tisserin, regarde comme il « tisse » son nid ! Les collections nous apprenaient beaucoup de choses.

Les collections développaient également le sens des classements, des contrôles et des inventaires et aussi la pratique du marchandage, du troc et des contacts humains. Plus tard d’autres collections d’images ont été créées notamment par les produits Liebig, par les points Artis et par Historia et bien d’autres.

Ainsi les matières les plus boudées des études primaires, la biologie, l’histoire et la géographie étaient illustrées par les collections et, comme pour l’informatique aujourd’hui, certains élèves étonnaient leurs maîtres par leurs connaissances à ce sujet.

Il y avait également chez les garçons d’autres pratiques bizarres, difficilement explicables, comme celle du comptage des chapeaux de paille (encore nombreux à l’époque), comptage qui correspondait à un rite précis : on mouillait le bout du pouce droit avec la langue, on appliquait ce pouce sur la paume de la main gauche qu’on frappait ensuite du poing droit, comme si on voulait enregistrer le comptage en le cachetant. Comptage cumulatif qui permettait (d’après la rumeur) de découvrir quelque chose d’intéressant lorsque le compteur arrivait à la centaine. Une application sous forme de jeu du proverbe « qui cherche, trouve ». Et, l’attention aux aguets, on trouvait parfois une pièce de cinq francs, un vieux canif, un vieil outil démarqué, ce qui vérifiait la promesse et incitait les gamins à recommencer un nouveau comptage. On classait alors ce trésor dans une vieille boîte à chaussure qu’on cachait dans un endroit connu de nous seul et parfois les objets du trésor faisaient aussi l’objet d’échanges fructueux.

Les filles avaient un jeu similaire en comptabilisant, de la même manière, les chevaux blancs ce qui, après un certain nombre leur donnait la garantie de faire une rencontre galante. N’ont-elles pas toujours été plus romantiques ?

André ERGO. (20 août 2008)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

La vie à Seuris avant la télé, le plastic et l’informatique.

Les personnes nées après la guerre imaginent mal qu’on puisse vivre sans ces attributs de la vie moderne. Et pourtant, à la naissance du quartier de Seuris, rien de tout cela n’existait. Mais comment vivait-on alors ?

Je vais essayer de peindre la vie familiale à l’époque en précisant toutefois que ce dont je vais parler ne se limitait pas au quartier de Seuris; mais c’est là que j’ai pu l’observer.

Les pampers n’existaient pas, le rôle de ceux-ci était tenu par des pièces carrées de tissu absorbant qu’on appelait d’un beau mot de chez nous d’origine celtique, les braies. Les braies se pliaient en deux sous forme de triangle, la grosse pointe passant entre les jambes, sur laquelle on rabattait les deux pointes latérales, l’ensemble étant tenu par une épingle de sûreté. Cela faisait une petite culotte que les mamans lavaient chaque fois que c’était nécessaire. Si le bébé n’allait pas bien à selle, on fabriquait une espèce de suppositoire avec un bout de savon de Marseille qui, placé où il fallait, était rapidement rejeté par le nourrisson. Dans les cas plus préoccupants, une poire en caoutchouc et de l’huile faisaient l’affaire. Aujourd’hui on mettrait les parents au tribunal pour des pratiques pareilles. Cela ne coûtait pratiquement rien et cela marchait.

Le contact physique avec la maman durait très longtemps. Peu de mamans travaillaient et celles qui travaillaient le faisaient souvent à temps partiel. Pas question de mettre les petits dans des garderies ou des nurseries, cela n’existait pas; tout au plus les mettait-on chez la grand’mère si elle habitait tout près, et celle-ci utilisait les mêmes pratiques, celles apprises à sa fille. Il n’y avait pas non plus toutes ces nourritures en petits pots, coûteuses, scienti-fiquement préparées, supposées fabriquer des athlètes et des génies. Des fruits de saison pour de la panade, de la farine lactée Nestlé (déjà), des biberons préparés avec du lait de ferme bouilli fabriquaient une ossature solide chez les enfants; en fait, je n’ai pas souvenance de fractures chez aucun de mes copains. Au demeurant, lorsque le lait « tournait » durant les journées lourdes et chaudes de l’été, on ne le jetait pas, on le versait dans un essuie de vaisselle qui, noué par une petite corde était pendu dehors, au fil à pendre les linges. Lorsque l’essuie était sec, on le dépendait et à l’intérieur on avait un délicieux fromage blanc crémeux, qui, retravaillé avec du poivre et du sel était un délice si on pouvait le manger avec des radis, ou étendu sur une tartine grillée ou même sucré à la cassonade.

La présence permanente de la maman était comme un cordon ombilical fictif qui était seulement coupé au moment de rejoindre l’école gardienne. Rupture pénible pour certains. À ce moment là, le contact changeait, il y avait au départ vers l’école la caresse dans les cheveux du gamin pour redresser une mèche rebelle, ou le lissage de la robe de la petite fille pour que les plis tombent bien. On n’était pas riche à Seuris mais on avait sa fierté. Au retour, le bol de lait et les tartines étaient toujours prêts sur la table; on était attendu.

J’ai parlé plus haut des lessives. N’allez pas croire qu’il y avait des machines à laver à programmes, automatiques dans les maisons et qu’on était suffisamment riche pour mettre son linge aux rares lavoirs. Rares d’ailleurs étaient les maisons où il y avait une machine activée à la main, plus rares encore une machine à moteur électrique. Chez la plupart, le linge se lavait dans une grande bassine en zinc dans laquelle une planche à rainures remplaçait la pierre des lavandières.

Les machines qui existaient étaient fabriquées en bois, comme les tonneaux avec, au centre, trois bras qui malaxaient le linge et qui étaient activés soit par les bras de la maman, soit par un moteur. C’est seulement bien après la guerre que les premières petites machines électriques Hoover sont apparues en même temps que les premiers aspirateurs. Avant cela c’était le règne des brosses dont les poils étaient fait de fibres naturelles.

Le vendredi était le jour où les brosses s’activaient, c’était le grand nettoyage de toutes les maisons, le jour des serpillières, des seaux en tôle étamée, des peaux de chamois (des vraies) et des loques à poussière coupées dans une vieille robe de la maman ou dans un vieux singlet du papa. Tout était recyclé naturellement sans qu’il y ait besoin d’inciter les gens à le faire. Les vieilles loques à poussière finissaient leur vie dans la remise, près des outils du jardin. Elles servaient à graisser les outils après l’usage, puis elles passaient finalement, irrécupérables, à la poubelle.

Parlons des poubelles. Comme on jetait peu, il y avait peu de poubelle dont les cendres du feu constituaient le principal contenu, et encore, comme le charbon, unique moyen de chauffage, était excellent dans la région, il laissait relativement peu de cendrées. Certains les récupéraient même pour le jardin, après les avoir tamisées et n’évacuaient que le machefer qu’on appellait « crayats » chez nous. Les chutes de légumes allaient aux animaux de basse cour ou aux lapins, les inutilisables allaient dans le fumier au bout du jardin. Les journaux après lecture servaient d’allume feu, parfois d’emballage, avant d’être ramassés et recyclés par les papeteries. Comme le plastique n’existait pas de nombreux emballages, dans les magasins du quartier, étaient fait de papier journal, il n’y avait que la viande, la charcuterie et le beurre qui bénéficiaient d’un papier spécial, mais sans plastic comme aujourd’hui. De quoi faire frémir le monde aseptisé dans lequel on vit maintenant.

Les journaux pour enfants étaient conservés précieusement numéro par numéro. Il y en avait deux pour les garçons pendant la guerre, SPIROU et BRAVO et un plus particulièrement pour les filles LISETTE. Les mamans étaient abonnées à Femmes d’Aujourd’hui ou au Petit Echo de la Mode où elles trouvaient les modèles de pulls pour les enfants.

Les jouets étaient sommaires et bien souvent imaginés et construits par les garçons eux-mêmes.

Je me souviens particulièrement d’un pistolet à élastique construit avec un bout de bois, une boite d’allumettes et une pince à linge en bois comme dans le dessin ci-dessus. La portée du tir dépendait de la longueur du bois et de la tension que l’on donnait à l’élastique. L’ouverture de la pince à linge déclenchait le départ du projectile, sans danger (l’élastique).

On fabriquait des arcs et des flèches, des épées (un bout de bois et une boite de conserve adroitement découpée), des coiffes d’indien (une bande de carton ondulé qu’on décorait de dessins et dans les trous de laquelle on plantait des plumes de poule); les jouets achetés les plus courants étaient les billes (en verre ou en terre cuite; ces dernières servaient de paiement dans les jeux lorsqu’on perdait), des petits soldats de plomb (en plâtre !), une balle.

Les garçons construisaient aussi des pétards à bon marché comme dans le dessin ci-contre. La poudre utili-sée (en noir sur la coupe) était de la poudre d’allumette. Celle-ci était serrée entre les deux tiges filetées qui se rejoignaient dans un seul écrou. Lancé en l’air, ce projectile explosait lorsqu’il tombait sur la tête d’une des tige; parfois dangereusement lorsqu’une des tiges était mal introduite dans l’écrou.

Comme il n’y avait pas de TV, il n’y avait pas de raison de se coucher tard, ce qui ne veut pas dire qu’on dormait de suite, mais en principe, on se reposait nettement plus qu’aujourd’hui et je pense qu’on lisait beaucoup plus également.

Comme il n’y avait pas d’auto, on apprenait très vite à aller seul à l’école; mais vers 16 heures, les instituteurs nous ramenaient, en rang, dans les différents quartiers. C’était valable pour les garçons mais pas pour les filles qui rentraient d’ailleurs à la maison quelques minutes avant les garçons, mais qui les attendaient parfois lorsque les rangs étaient disloqués. On avait école six jours par semaine; un demi-jour de congé le jeudi et une heure en moins le samedi, soit 32 heures par semaine. Dans une mallette, qui servait bien souvent durant les 6 années de primaires, on trouvait un plumier en bois au couvercle coulissant, avec un crayon, une plume ballon et une touche pour écrire sur l’indispensable ardoise en carton, le journal de classe, les livres peu nombreux et les cahiers recouverts soigneusement de papier uni, bleu, rouge ou vert et munis d’une étiquette rectangulaire écornée à chaque coin.. Toutes les semaines, on recevait un bulletin que les parents devaient signer, où était côté le travail de la semaine (devoirs et leçons) mais aussi la politesse, l’ordre et la tenue, l’assiduité et les remarques éventuelles de l’instituteur parfois pleines d’humour. On y trouvait aussi le règlement de l’école et les points des examens trimestriels. Plus tard, lorsqu’on faisait des études, il n’était pas question d’avoir des calculettes (elles n’existaient pas), mais on avait des règles à calcul qui facilitaient la tâche de ceux … qui savaient s’en servir.

Il n’y avait pas de comité de parents dans les écoles comme aujourd’hui; on laissait les enseignants faire leur travail à leur gré et à leur rythme et cela donnait de bons résultats. Il arrivait même que les papas doublent une punition méritée infligée par le « maître » d’école.

La seule musique qu’on pouvait entendre était celle de la radio (chez les gens qui en possédaient une). Certains possédaient aussi des phonos qui, avant la guerre, marchaient avec un ressort et qu’il fallait remonter à la manivelle, sur lesquels on pouvait écouter des disques de 98 tours. Musique étonnante parfois lorsque le ressort se détendait progressivement et que la voix de la chanteuse devenait grave comme celle d’un homme, avant de mourir dans un gargouillement incompréhensible.

Les habits des garçons étaient aussi très différents de ceux d’aujourd’hui. Tout d’abord, on portait des culottes courtes pratiquement jusqu’à la communion solennelle; été comme hiver. Pas de blue jeans, d’anorak ni de cawé mais de gros pulls, des moufles, une écharpe au besoin et un passe montagne tricotés par la maman, faisaient l’affaire et fabriquaient des enfants résistant au froid. Pour la communion on descendait au magasin Jeanne d’Arc faire tailler un beau costume sur mesure, avec la première culotte golfe bien souvent. La première culotte d’homme venait encore plus tard, quand on allait voir les filles.

On ne chauffait dans la maison que la pièce où on vivait. Il n’y avait pas de chauffage central et on dormait dans des chambres non chauffées que la maman s’empressait d’aérer dès qu’on était parti à l’école. Juste le contraire de ce qui est pratiqué aujourd’hui où on calfeutre tout, où on favorise l’apparition de moisissures et où on collectionne les allergies de toutes sortes.

Les congés payés ont été créés l’année où je suis né, mais je ne me souviens pas avoir eu des camarades dont les parents allaient à la mer à cette occasion. Les congés payés, pour les papas de Seuris, se passaient souvent à bricoler à la maison : mettre en couleurs, maçonner une annexe, réparer un toit, aménager le jardin, retapisser une pièce ou une chambre, etc. On voyageait peu à l’époque sinon pour aller visiter de la famille, des oncles ou des grands parents habitant encore à la campagne. Expéditions toujours programmées en train et parfois en tram à vapeur qui sillonnaient tout le pays et qui n’allaient pas vite pour qu’on puisse jouir du paysage. Les voitures d’alors étaient construites en bois et la locomotive à vapeur fumant de tous côtés, était impressionnante au démarrage, quand elle patinait sur les rails où quand les chauffeurs, noirs comme des africains, se penchaient pour voir si le garde avait terminé de mettre les loquets aux portières. On entendait de loin le train qui haletait en laissant derrière lui un panache de fumée blanche généralement et noire lorsqu’on chargeait la chaudière. Les gamins de Seuris qui jouaient près de Chère-voie, couraient alors sur le pont pour être pris dans la fumée et sentir ainsi, le reste de la journée, une odeur de vacance.

André ERGO. (8 août 2008)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

La maison parentale à Seuris.

Dans le cas de notre maison, on aurait dû dire la maison maternelle, puisqu’elle était née surtout de la volonté de ma mère. Elle n’est devenue la maison paternelle que plus tard, après que mon père se soit investi dans des travaux d’embellissement ou d’utilité. Je ne suis pas sûr qu’elle ait été l’œuvre d’un architecte et j’ai même connu le maçon qui l’a construite au départ de croquis précis d’un dessinateur coaché par ma mère. Celle-ci souhaitait une maison isolée (une quatre façades), voilà pourquoi le choix de mes parents s’était porté sur une parcelle, à la jonction de la rue Seuris et de l’avenue du cimetière, qui correspondait à leur désir. Les plans de lotissement du quartier étaient d’ailleurs déposés chez nous.

La maison était construite parallèlement à ces deux rues, mais en retrait, avec l’entrée principale sur l’avenue du cimetière. Le long de la rue Seuris, deux mètres de terrain bordés par un muret la séparaient du trottoir mais sur l’avenue du cimetière le retrait était plus important et laissait un trottoir herbeux de trois mètres au moins. Un haut mur, en dalles de béton protégeait notre jardin des vents du nord et marquait la limite du trottoir. Devant la porte d’entrée, une avant-cour entourée également d’un muret tronquait avec bonheur l’angle formé par les deux rues et bordait une petite loggia, dernière coquetterie de l’imagination maternelle.

L’avant cour de notre maison était la seule du quartier qui possédait deux arbres, des Acer panachés qui, l’été, cachaient toute la façade Deux pilastres, soutenant chacune des barrières ajourées toujours fermées, séparaient l’avant cour de la rue et s’appuyaient sur le muret qui entourait la propriété, auquel s’adossait une haie de troènes, taillée au cordeau par mon père, géométrique et impénétrable. Une balustrade construite également par mon père, nous empêchait de courir dans les parterres où poussaient des Wegelias d’un vert tendre aux fleurs roses odorantes et quelques rhododendrons exotiques. Le long de la rue Seuris, surplombant la haie en s’écartant du mur de la maison couvert d’une vigne vierge, alignées, quatre espèces de lilas blancs, bleu ciel et violets, simples ou doubles, étaient flanqués d’un Viburnum boule-de-neige. Par ci par là dans les parterres, poussaient des petits massifs de phlox bigarrés dont on arrachait en cachette les fleurs pour sucer la base du calice qui était sucrée.

Mais le domaine sacré de mon père était le jardin dans lequel il passait la plus grande partie de son temps libre et de ses congés. Celui-ci avait été divisé en quatre parcelles inégales accessibles par des sentiers pavés et reliés au système d’évacuation des eaux de pluie par deux crapaudines judicieusement placées. Tous les murs disponibles avaient été utilisés pour y adosser quatre variétés de poiriers taillés en espaliers qui nous gratifiaient jusqu’au nouvel an de nombreuses poires succulentes aux noms mystérieux : Conférence, Durondeau, Beurré Hardy et Doyenné du Comice. Mais ce n’était pas les seuls fruits, de grosses pêches Amsden hâtives, à chair blanche juteuse nous annonçaient le mois de juillet; plantés en bordure, des fraisiers de plusieurs espèces parmi lesquelles nous préférions les petites fraises des bois surettes et permanentes, des cassissiers, des groseilliers aussi, à épines ou à grappes rouges avec lesquelles, en les pressant, ma mère faisait mystérieusement une délicieuse gelée à froid, sans la cuire.

La grande fierté de mon père était la cinquantaine d’espèces de rosiers hautes tiges qu’il avait greffés lui-même, sur des églantiers sauvages qu’un de mes oncles lui amenait de la vallée de la Molignée. L’opération se préparait de longue date et débutait, l’hiver, par la fabrication des tuteurs de chêne qu’il allait acheter à la scierie Gabriel de la rue Saint Sang. Il rabotait d’abord les 4 angles pour en faire des huit faces, affinait la base jusqu’à obtenir une pointe qu’il passait au minium pour qu’elle ne pourrisse pas puis peignait le reste du tuteur en vert, sauf les quinze derniers centimètres qui avaient droit à une couche de couleur blanche. Au printemps, chaque églantier aligné au cordeau avait droit à son tuteur, planté exactement à la même hauteur, aussi vertical que possible. L’opération du greffage se faisait à l’aide d’un canif spécial dont une des lames était en corne. À la même hauteur, sur chaque tige, il pratiquait avec grande précaution deux incisions en « T » puis soulevait l’écorce, avec sa lame spéciale, à l’intersection des incisions, en mettant à nu une fine pellicule transparente, qu’il ne fallait jamais toucher, m’expliquait-il. Il prélevait alors, avec son canif, un bourgeon dormant sur tige de rosier ramenée de ses voyages dans la région ou de chez Lepas à la rue de Falisolle, enlevait le bois aoûté qui adhérait encore au greffon et plaçait celui-ci dans l’entaille faite dans l’églantier, puis rabattait l’écorce sur le greffon et maintenait le tout au moyen de raphia acheté chez un fleuriste. Et l’attente commençait; chaque jour on allait voir si le bourgeon dormant s’était réveillé et lorsque la greffe était prise, mon père coupait le morceau d’églantier qui surmontait celle-ci et auquel il avait laissé quelques feuilles, dont le rôle était, m’expliquait-il, d’attirer la sève.

À la jonction de deux sentiers il avait construit une gloriette pour soutenir un rosier grimpant généreux et prolifique qui portait un nom de femme et des centaines de fleurs; le sentier qui y conduisait était bordé d’un côté d’œillets blancs doubles et de l’autre de plantes grasses à fleurs roses si fines qu’on les avait appelées désespoir de peintre.

Le jardin proprement dit, qui n’était pas grand, était utilisé de manière intensive et avait droit, tous les quatre à cinq ans, à une charretée de fumier de ferme que mon père faisait venir à la sortie de l’hiver, avant la période de bêchage. Pour fumer la terre, les autres années, il utilisait, le contenu d’un fumier qu’il avait construit en béton, auquel était jointe une fosse à purin recouverte d’une dalle. À côté du fumier et bénéficiant de la chaleur dégagée par celui-ci, une couche sous châssis vitré était destinée aux semis hâtifs des plantes à repiquer.

Le jardin de mon père était tout un cours pratique d’horticulture.

Les femmes de la famille pouvaient y cueillir des fleurs, et ne s’en privaient pas, mais elles ne pouvaient pas entrer dans les parcelles de légumes car, m’expliquait-il en rattrapant son wallon : « Elles pestèlenut pat’tavau tot ». Elles piétinent à travers tout !

Je suis presque né dans le jardin, en pleine guerre d’Espagne, dix jours avant l’été, dans la dernière pièce du rez-de-chaussée où la fenêtre était entr’ouverte car il faisait déjà chaud. À la gloriette du jardin, le rosier Caroline Testou, envahissant, était tout en fleurs; dans le parterre jouxtant la maison, un seringa embaumait tous les environs et deux tourterelles blanches roucoulaient dans un colombier sur pilotis construit par mon père.

À Seuris, ce n’était pas impossible de naître au paradis !

Je suis le seul de ma famille à être né dans cette maison et mon père est le seul à y être décédé, mais elle aurait beaucoup de bons souvenirs à raconter, le mariage de mes sœurs, les fêtes de Noêl en famille, et les nombreuses vacances des petits enfants de mes parents jusqu’au départ de ma mère à l’âge de nonante ans, celle qui l’avait voulue et imaginée.

Aujourd’hui, que je suis moi-même un homme âgé, c’est toujours dans mon propre jardin que je pense à mon père, en tondant la pelouse ou en taillant les quelques rosiers chétifs dont il ne serait pas très fier. J’imagine même qu’il me parle : « Po z’awè des craus porias faut mèt del nouv’ancenne »! Pour avoir de gros poireaux il faut mettre du nouveau fumier !

Et je me suis déjà surpris à répondre à haute voix : « Oyi, pa »!

André ERGO. (15 mai 2008)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Us et coutumes à Seuris.

Avant la guerre, on ne voyait pas souvent le médecin à Seuris et les bobos quotidiens étaient bien souvent soignés avec les moyens du bord. C’était probablement le cas dans tous les quartiers populaires mais c’est à Seuris que j’ai observés ceux dont je vais parler.

Lorsqu’un enfant toussait, l’hiver, on n’allait pas chercher du sirop chez le pharmacien, mais on utilisait celui que les mamans avaient fabriqué à l’arrière saison et qui était composé de jus de fruits de sureau pressés, cuit avec du sucre candi brun jusqu’à réduction en sirop. Avant de le mettre en bouteille, on y ajoutait un peu de rhum, mais cela n’était pas nécessaire. Le sirop se conservait au frais, à la cave, pendant toute la saison. Et cela marchait ! De nombreuses toux ont été éradiquées grâce à ce sirop.

Les enfants chétifs étaient revigorés au moins par deux traitements qui ne devaient rien à la médecine. Le premier utilisait de la bière de table de la Bonne Source à Velaine, ou de la brasserie de Falisolle. On faisait fondre un sucre pour casser l’amertume dans un tel verre de bière rempli au deux tiers et on plongeait dans celui-ci un tisonnier rougi au feu, ce qui permettait à la bière d’absorber du fer; et comme le fer est un constituant du sang ! Rempli au deux tiers, parce que çà « chimait » ! Rien à voir avec la trappiste. L’enfant devait boire le tout, mousse comprise. Le second traitement était plus coûteux et consistait à mélanger un jaune d’œuf avec un verre de Malaga (espèce de porto) et il fallait engloutir cette mixture sirupeuse, ce qui n’était pas facile.

N’allez surtout pas croire que ces traitements avaient été créés pour que les enfants de Seuris deviennent des alcooliques.

Les grands aussi avaient leurs médecines. Les maux à droite, à gauche, dans le dos, étaient combattus par des ventouses. Traitements spectaculaires qui relevaient de la science des fakirs. On plaçait de l’ouate dans des espèces de pots à confiture vides, on faisait flamber celle-ci avec une allumette et on plaquait le pot sur le dos du malade. L’ouate s’éteignait et l’air raréfié à l’intérieur du pot, aspirait la peau en faisant adhérer la ventouse. Le nombre de ventouses dépendait de l’importance du mal. Quand on retirait les ventouses, le dos du patient était parsemé de ronds rougeâtres, par où s’échappait la douleur. Et cela marchait! C’était peut être psychologique, mais cela permettait de ne pas ingurgiter à tort et à travers des produits chimiques, en gardant à ceux-ci leur efficacité lorsqu’on en avait réellement besoin.

Les vieux n’allaient chez le dentiste que pour se faire arracher les dents, et encore, certains jouaient eux-mêmes au dentiste avec leurs dents branlantes. Il faut dire que les lois sociales n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Rares étaient ceux qui utilisaient un ratelier (mot plus évocateur que dentier et surtout que prothèse dentaire). On savait l’âge approximatif d’un vieux à sa façon de parler ou à la distance séparant le bout de son nez de son menton. Pour que ceux-ci puissent se nourrir sans dents, on avait inventé la « potée ». On mettait dans un gros bol une ou deux tartines de pain rassis bien beurrées, découpées en une vingtaine de morceaux sur lesquels on plaçait une ou deux cuillerées de sucre. On versait là-dessus du café chaud et, pour les plus gourmands, la crème épaisse qui surnageait au dessus de poêlon de lait (du lait de la ferme bien sûr, l’autre lait celui en bouteille, n’a qu’une peau). Cela se mangeait à la cuillère et c’était bien meilleur à la santé et bien meilleur marché que les Corn Flakes du docteur américain.

L’hiver on allait chercher chez le boucher de la graisse de porc fondue à feu doux, qu’on appelle je ne sais pourquoi « saindoux » et on la retravaillait avec des épices. On en tartinait du pain grillé encore chaud et le saindoux fondait dans la mie, embaumant celle-ci de la senteur des épices. Un délice. Le cholestérol n’était pas encore inventé !

Pendant la guerre, certaines femmes du quartier on même fait du sirop de Liège avec le jus des betteraves sucrières. Un peu plus foncé, un peu plus piquant à la gorge que le véritable sirop, il a fait passer plus facilement le pain collant qu’on allait chercher avec des timbres. Époque curieuse où on donnait des timbres pour avoir du pain, alors qu’aujourd’hui, on distribue parfois des timbres avec le pain !

Ce qui était rare mais très spectaculaire à Seuris, c’était les feux follets, ces petites émanations de gaz, au raz du sol, qui s’enflammaient à l’air libre et qui semblaient courir sur le sol avant de disparaître Certains disaient que cela provenait des vieilles mines; d’autres prétendaient que cela venait du cimetière et ceux qui pensaient cela avaient généralement une frousse bleue du phénomène en l’attribuant aux morts. Parfois, en été, une explosion secouait le quartier. C’était le revêtement de la rue qui s’était soulevé sous l’effet de la chaleur et qui avait explosé. Il ne restait plus aux ouvriers de la commune qu’à venir réparer les dégâts, après quelques semaines, et cela ne dérangeait personne puisqu’il n’y avait pas d’autos.

André ERGO. (19 octobre 2007)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Quand des jeunes gens d’Auvelais encadraient un centre de vacances pour enfants de mineurs à Oignies.

L’histoire se passe un peu avant 1960. Madame Henry, l’épouse de l’ingénieur en chef du Roton de Farciennes avait organisé, avec l’aide du charbonnage, un centre de vacances dans les locaux de l’abbaye d’Oignies. Des dizaines de bus amenaient les enfants des environs (650 à 700) sur deux plaines contiguës, une pour les garçons, l’autre pour les filles. Le chef de plaine des garçons, un instituteur de Tamines qui avait été scout à Auvelais, m’avait demandé d’aller diriger la section des aînés, car les moniteurs dont il disposait, avaient peu de pratique d’encadrement de jeunes.

La plaine était très bien gérée, mais en effet, l’encadrement des garçons était un des problèmes majeurs.

L’année suivante, l’instituteur étant indisponible, Madame Henry me demanda de diriger la plaine des garçons. Pour ne pas avoir de problèmes d’encadrement, je fis appel au milieu du scoutisme d’Auvelais et à des amis proches pour encadrer les enfants (dans le scoutisme, les responsables ont toujours été obligatoirement brevetés et les chefs de patrouille ont une très bonne formation sur le tas de chef d’équipe.)

La plaine cette année-là eut un très grand succès et se termina par une belle exposition des travaux des enfants à l’intention des parents qui vinrent très nombreux.

Il était de coutume d’organiser, le dernier jour, une fête et un goûter pour tous les moniteurs et toutes les monitrices, qui avaient passé bénévolement six semaines au service des enfants.(Eh oui, c’était comme cela à l’époque). Pour agrémenter la fête, les moniteurs avaient décidé de créer un groupe vocal reprenant une douzaine de chansons en vogue réaménagées quant à l’accompagnement vocal (3 ou 4 voix) et instrumental (guitare et harmonica). Le soliste (et guitare) Guy Cereghetti était un instituteur Taminois, les 3 autres étaient auvelaisiens, Jules Marchal (instituteur), Roger Deltombe (étudiant et harmonica) et André Ergo (étudiant).

La fête fut très réussie et le groupe vocal qui chantait sans micro eut un succès bien au-delà des espérances, ce qui l’incita à continuer. Quelqu’un appela le groupe « Troubadours de la Basse Sambre »; et le nom est resté.


Les Troubadours de la Basse Sambre.

De gauche à droite : Jules Marchal, Guy Cereghetti, Roger Deltombe et André Ergo, en répétition. (photo sur une affiche imprimée à l’IBSA et reçue grâce à l’amitié de P. Boulvain).

On étudiait les 4 voix séparément, au piano, on les chantait ensemble en les enregistrant, on perfectionnait la synchronisation, parfois on changeait des accords jusqu’à ce que cela nous plaise. Ensuite la chanson était mise au répertoire.


Ce sont les services militaires successifs qui ont dispersé le groupe :

Pour ma part, j’avais fait partie d’une chorale d’enfants pendant et après la guerre, dirigée par le vicaire mélomane Leurquin (avec notamment Pierre Ratier de la rue des Glaces et André Hubert de la rue Hicguet). Nous avions même été chanter à la radio, à Tamines, en face du chemin de fer, en 1944 ou 45 (La Truite de Schoubert, la Berceuse de Mozart, et le Dies Irae de Rouffiange) avant d’aller goûter chez Duculot avec la chorale Sainte Cécile. C’était, si j’ai bon souvenir, Luc Varenne qui était à la radio, à Tamines à l’époque.

Nous avions fait également une petite prestation à trois, avec Raymond Remacle et Joseph Rasador, pour une réunion (?) de femmes, quand nous avions tous trois une dizaine d’années. Après avoir persévéré à l’Académie d’Auvelais, seul Joseph a fait la carrière de ténor que l’on sait.

André ERGO. (11 octobre 2007)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

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Le passé charbonnier de Seuris.

On pourrait croire que le passé charbonnier de Seuris se résume au puit creusé derrière le cimetière un peu avant la seconde guerre mondiale et aux très nombreux mineurs qui avaient choisis ce plateau schisteux pour y construire leur maison, ou même à ceux du quartier qui descendaient encore à la fosse de Falisolle il y a soixante ans.

Eh bien non ! Une veine de charbon affleurait à Seuris et elle s’appelait « la platteuse »; on en fait mention dans les actes de procédure de l’Abbé de Floreffe, à la fin du 18ème siècle, qui concède l’exploitation de cette veine au bois de Seury, à Jean Carlier de Velaine.

Pourquoi la platteuse ? Probablement parce qu’elle affleurait sur un terrain élevé et plat dominant la contrée environnante. Mais ce n’était apparemment pas la seule veine puisqu’à la fin du 18ème siècle, on cite encore l’attribution d’une veine à la Radache (1775) à Jean Carlier toujours , puis une autre comme étant en exploitation et appelée « Veine du trésor » concédée à un nommé Pierre Legrain. Cette veine devait être particulièrement riche pour porter ce nom, elle devait se situer dans les champs entre le quartier de la Grippelotte et celui de Seuris, à l’endroit où le Foyer Taminois a construit une cité, et voilà probablement l’explication du nom de la petite rue du Trésor.

Il y a eu d’autres évidences du passé charbonnier de Seuris. À l’endroit où on a construit la cité, un fermier qui ramassait ses récoltes avec son cheval tirant un lourd tombereau, s’est retrouvé brusquement avec tout son attelage quelques mètres plus bas, dans un trou dû à l’effondrement de galeries souterraines proches de la surface. Un autre effondrement de ce type s’est produit récemment dans le jardin d’une des maisons de la cité. Il y a aussi dans certaines maisons du quartier, les dégâts classiques (importantes crevasses) observés sur les habitations des régions minières. Mais il y a aussi des preuves plus étonnantes. Des habitants de l’avenue du cimetière prétendaient que leur maison était hantée car on entendait des bruits de pas dans leur cave. Un vieux mineur descendu constater le phénomène est remonté en souriant; c’était tout simplement l’eau de remplissage des galeries de vieilles exploitations qui clapotait contre les parois de celles-ci; un bruit que le mineur connaissait de la fosse.

Faut-il rappeler comment on reconnaissait un mineur à sa manière de se reposer, accroupi, assis bas sur ses talons dans une position qui fatiguerait après quelques instants n’importe quelle autre personne. Quand je rentrais de l’école primaire avec ma « carnassière » en cuir sur le dos, un de ces vieux mineurs assis de la sorte sur le pas de sa porte m’a souvent demandé « çà a stî, à scole gamin ? Faut studî savoz pou dné aller à fosse ! » Ils ne voulaient pas de ce métier pour leurs petits enfants, et pourtant, ce métier, ils y étaient tous attachés avec une ferveur presque amoureuse.

Y-a-il encore du charbon sous le quartier de Seuris et dans la région? D’après les dires du porion Jules Bauloye lorsqu’on a fermé la fosse de Falisolle, je suis persuadé qu’il y en a encore beaucoup, car on n’a pas creusé très profondément. Je suis aussi persuadé qu’à l’époque de la robotique on pourrait aller le chercher sans que les hommes soient obligés de descendre. Mais ce serait une autre et belle histoire.

André ERGO. (14 septembre 2007)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

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Les maisons de Seuris.

À Seuris les gens vivaient généralement à l’arrière des maisons, dans la dernière pièce où dans une petite annexe qu’ils avaient fait ajouter et dans lesquelles on trouvaient une armoire, une table, quatre chaises et … le poêle. Ce poêle était manifestement l’objet le plus important de la pièce, surtout pendant la guerre; il avait toute l’attention des mamans. Tout d’abord il avait un nom, un nom de ville de chez nous qu’il portait comme une garantie de solidité, il y avait les Ciney, les Tamines (Tamines domine) ou ceux de la Couvinoise, spécialement inventés pour apprendre la géographie régionale aux enfants. Ils étaient lourds, construits pour l’éternité, en fonte brute pour les plus pauvres, émaillés et décorés pour les plus riches, mais à quelques détails près, ils avaient tous la même forme utilitaire.

Il y avait tout d’abord le pot, rebondi comme le ventre d’une femme enceinte, qui rougissait parfois et qu’on apprenait très tôt à ne jamais toucher. C’est à l’intérieur de ce pot que le charbon brûlait au dessus d’une grille épaisse, en fonte également, qui retenait les « crayats » et laissait passer le charbon consumé et les cendres recueillis dans un bac. L’arrière du poêle était plus mystérieux, plus volumineux aussi. On pouvait y accéder par deux portes situées latéralement et qui donnaient sur un large coffre où les mamans plaçaient leurs fers à repasser, des briques réfractaires et les platines qui servaient à « faire » les tartes ou le pain. Tout cela avait été très bien étudié : on cuisait les aliments au dessus du pot, on les faisait mijoter à feu doux au dessus du coffre, près du pot et on réchauffait les aliments ou la soupe au bout du coffre, près de la courte buse qui reliait celui-ci à la cheminée. La buse aussi était mystérieuse et on ne pouvait pas y toucher; elle était munie d’une clef qui, couchée, excitait le feu et debout, ralentissait ses élans. On disait de la cheminée qu’elle « tirait », mais elle tirait sans bruit, sauf les jours où les grands vents d’ouest balayaient le quartier de Seuris; alors on entendait les cheminées chanter et le vent porter jusqu’aux maisons les plaintes des morts du cimetière.

Tout avait été créé en fonction du poêle; les fers à galettes et à gaufres, en fonte également ou le grille pain, en fil de fer qui se plaçaient au-dessus du pot après avoir enlevé, un par un, toute une série de cercles concentriques premiers éléments de géométrie homothétique.

Le charbon lui-même était source de formation. On brûlait dans le poêle du charbon arithmétique, le 10-20, le 20-30 produits du système métrique des tamis du charbonnage, des boulets ou des briquettes aux formes géométriques éprouvées et pendant la guerre du « Schlamme », un ersatz de charbon fabriqué à base de poussier, à qui on avait donné consciemment ou pas un nom à consonance teutonne pour bien lui marquer l’estime où on le tenait.

Le poêle chauffait la maison, il la réveillait aussi quand la maman, toujours la première levée, secouait la grille, le matin, pour réactiver le feu qu’on avait laissé dormir la nuit ou lorsque la bouilloire clamait à la maisonnée que le café serait bientôt prêt. Le café se faisait dans un grand pot brun en terre cuite surmonté d’un ramponneau dans lequel on plaçait, mystérieusement comme un pharmacien, X cuillerées de café Java et deux pincées de chicorée Pacha ce qui en faisait un breuvage exotique, noir comme le charbon, et dont les senteurs embaumaient l’étage et tiraient de leurs rêves les plus endormis.

Ah, les senteurs des maisons de Seuris comme elles étaient humaines et très différentes des senteurs artificielles d’aujourd’hui qui se calfeutrent égoïstement dans des maisons où l’air ne peut ni entrer ni sortir. C’était des senteurs partagées; les tranches de lard qui cuisaient quelque part attisaient l’appétit des gamins du quartier qui passaient par là et leur annonçaient l’heure du repas. Mais les odeurs marquaient aussi les jours de la semaine et rythmaient leur succession; il y avait l’odeur du savon mou, le vendredi, quand on nettoyait la maison entièrement en finissant par la rigole de la rue; celle du début de semaine quand, sur le poêle, on bouillait le linge pour faire la lessive, opération mystérieuse où le mélange au savon en paillettes d’un peu de poudre bleue fabriquée à Jemeppe Froidmont suffisait pour faire humblement ce que les enzymes d’aujourd’hui ne font qu’à force de publicités répétées; l’odeur aussi, le lendemain, du linge qu’on repasse à l’envers, avec une « pattemouille » pour ne pas le salir, au moyen des fers chauffés sur le poêle, encore.

Mais il y avait un autre poêle dans la maison, dans la belle pièce, la pièce de devant, celle où on allait plus rarement et qui contenait un buffet et les souvenirs de famille. Il était plus petit que l’autre, plus ramassé. Il n’avait aucun pot et aucun coffre mais une fenêtre permettait de voir l’intérieur. Ma mère disait que c’était un « continu » et j’ai pensé longtemps qu’on lui donnait ce nom parce qu’il était presque continuellement éteint. Mais lorsque on l’allumait et qu’on laissait la pièce dans le noir, c’était un poêle magique, il marquait les formes des meubles et les faisait danser; il créait des ombres bizarres et si, par hasard, les vents d’ouest, ceux qui caressent le cimetière, faisaient gémir la cheminée, on se trouvait en pleine ambiance Harry Potter avec des frissons dans le dos. Mais le feu dans la pièce de devant, c’était le luxe qu’on ne se permettait que les jours de fête, un baptême, une communion, la cavalcade, parfois un mariage, la Noël en famille; c’est pour cela également que le poêle était magique; ne dit-on pas « un feu de joie ». On ne l’allumait pas lorsque le grand-père mourrait et qu’on le plaçait dans la pièce de devant, toute garnie de tentures sombres et que tous les habitants du quartier venaient lui rendre un dernier hommage en l’arrosant d’eau bénite.

Alors tout Seuris était en peine car la tristesse y était collective.

André ERGO. (11 septembre 2007)

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Le scoutisme à Seuris.

Une première troupe scoute avait été créée à Auvelais dans les années vingt, mais elle n’avait duré que peu de temps. En 1932, Jean Devuyst relance le mouvement à Auvelais et deux garçons de Seuris deviennent scouts; Julot Namèche qui a habité rue Seuris d’abord puis rue de Falisolle ensuite et Roger Vandeneynde qui était son voisin et qui, après sa promesse, porta le totem de Moustique.

Pendant la guerre, Jean Devuyst fut prisonnier en Allemagne et les Allemands avaient d’ailleurs interdit les mouvements de jeunesse; mais le scoutisme à Auvelais a continué clandestinement sous la direction de Georges Bouchat, qui organisa même un camp sous tente à Wanfercée Baulet au nez et à la barbe des occupants.

Mais la branche des petits (les louvetaux) avait été stoppée pendant toute l’occupation et ce n’est qu’à la fin de la guerre (1944-1945) que deux étudiants, anciens scouts eux-mêmes, ont relancé la meute. Trois garçons de Seuris avaient été invités à faire partie de la nouvelle meute; Gino Parisi, Jean-Marie Bauloye et André Ergo. Seuls Gino et André resteront dans le mouvement.

La photo qui suit et qui est prise près de la grand’place, est une photo de la nouvelle meute en 44-45 avec les deux louvetiers de l’époque, Willy Félix ( Akéla) et Firmin Lambot (Bagheera). Le local de l’époque est dans un petit bâtiment dans la cour d’une ancienne brasserie qui a arrêté ses activités.

Willy Félix (qui deviendra professeur) est à droite et Firmin Lambot (qui deviendra ingénieur) à gauche de la photo sur laquelle on trouve de haut en bas et de gauche à droite, Dorchain (?), Jean-Marie Demoulin, Camille Massart et Gino Parisi, Georges Legrand et André Ergo et, le plus bas, Pierre Deporter qui n’était pas Auvelaisien mais qui avait été choisi comme chef de la sizaine car il était dans le mouvement depuis un an ou deux. Cette meute fera un premier camp en 1945 à Thuin puis disparaîtra faute de chefs et de déménagement vers une autre ancienne brasserie à la rue Saint Roch. Elle reprendra en 1947 avec des cheftaines cette fois, avec André Ergo comme responsable de la sizaine des « blancs » dans laquelle on retrouvera notamment les frères Roger et Claude Fichefet de la rue de Falisolle. André passera à la troupe en même temps que Jean-Marie Demoulin en 1948 alors qu’elle est dirigée par un chef remarquable,Yves de Wasseige, le bouvreuil, (celui qui deviendra sénateur plus tard). A partir de ce moment, plusieurs jeunes garçons de Seuris entreront dans le mouvement, Pol Schutz, Jackie Lahaye, Christian et André Hanquet, Claude Sandron, Vigneron, le petit Baudoux etc.

André Ergo deviendra chef de troupe plus tard durant cinq années, avec Pol Schutz comme assistant et aura le bonheur de voir son ancien second de patrouille créer une troupe à Tamines. Jackie Lahaye et Claude Sandron seront chefs de patrouille, marqueront la troupe de leur passage et seront un des relais qui ont permis au scoutisme d’Auvelais d’être encore très vivant aujourd’hui et de bientôt fêter 75 années d’existence sans discontinuité.

Cette longévité a deux raisons essentielles; la fidélité à la méthode et la volonté que le mouvement soit le reflet le plus fidèle possible de la société auvelaisienne et même de la Basse Sambre par un mélange raisonné d’enfants de toutes les classes sociales, de tous les réseaux d’enseignement et de toutes les origines.

André ERGO. (31 août 2007)

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Seuris et les petits métiers.

La vie du quartier était rythmée par l’apparition régulière de petits commerçants ambulants. Il y en avait un qui excitait particulièrement la curiosité des gamins deux fois par an. Il poussait une charrette à bras particulière, elle avait un toit, et une planche qui se rabattait sur les bras pouvait servir de siège à celui qui poussait la charrette lorsque celle-ci était à l’arrêt. Il y avait aussi des pédales qui actionnaient plusieurs meules, dont une blanche, plus grande que les autres, qui pouvait être mouillée, car elle était surmontée d’une boite remplie d’eau et munie d’un minuscule robinet.

L’homme annonçait sa venue en raclant une ferraille sur la petite meule dure, ce qui faisait du bruit mais ce qui provoquait surtout une gerbe de « scrabilles » du plus bel effet, son enseigne lumineuse. On lui conduisait les couteaux, ciseaux et tous les objets qui servaient à couper et à piquer et qui avaient perdu leur coupant et leur piquant.

C’était le rémouleur.

Tous les ans, une charrette tirée par un mulet passait également dans le quartier durant la belle saison. Elle était tellement chargée qu’on avait de la compassion pour le mulet qui devait tirer une masse pareille. C’était un marchand d’objets en osier ou en rotin, des fauteuils pour les plus gros objets, mais surtout des paniers de toutes les sortes, les marchandises les plus vendues, car le plastic n’existait pas encore. Le travail de l’hiver était vendu durant l’été. Et le commerce « marchait » bien car il fallait souvent ici ou là, une « banse » pour aller pendre le linge au jardin ou un panier pour aller y chercher les légumes.

Deux ou trois fois par an, passait dans les maisons, un homme qui n’avait qu’un bras, l’autre ayant été perdu au travail ou à la guerre, et qui vendait de la petite mercerie qu’il portait dans une espèce de gibecière sur son épaule valide. Il vendait du fil, de l’élastique, des boutons ou des aiguilles à coudre car toutes les mamans de l’époque savaient utiliser ces objets là, parce que’ elles avaient eu des cours pratiques à l’école primaire. Il vendait aussi des craies spéciales pour tracer les tissus à l’endroit où il fallait les découper; on n’achetait pas beaucoup de confection toute faite, les longues soirées étaient propices aux tricots : des écharpes, des gants ou des passe-montagnes pour l’hiver pour les enfants et le papa mais aussi la découpe d’une robe ou celle d’une courte culotte pour le gamin dans les jambes d’une vieille culotte du père ou du grand-père. Dans ce temps là la fierté venait moins des dépenses qu’on pouvait faire que de l’habilité des mains des mamans.

De suite après la guerre, on a eu la visite régulière du Flamand, le marchand de fruits. Il avait déjà un vieux camion de l’armée avec un haut parleur et s’annonçait en criant la marchandise : « les bigarreaux, dix francs les 3 kilos » ! Eh oui, c’était une époque où un franc avait de la valeur. Comme il n’était pas avare d’une poignée de cerises ou d’une poire il vendait une grande partie de son camion dans le quartier et les kilos qu’il pesait étaient des kilos d’avant guerre. Il travaillait en famille et c’est comme cela qu’on a vu grandir le Kamiel et la Godelieve. Ils venaient de la région de Saint Trond et, parce qu’on les acceptait, ils étaient aussi de chez nous. Et je ne serais pas étonné qu’ils y aient fait souche.

Le marchand de crèmes glacées venait aussi avec une petite charrette dont la lenteur assurait aux clients d’arriver toujours à temps. Mais il n’annonçait pas sa venue proche par une ritournelle électronique comme aujourd’hui, mais plutôt avec une espèce de cor de chasse dans lequel il soufflait plusieurs fois, suivant un rythme que les gamins de Seuris avaient traduit par : « V’nez les p’tits enfants, dépenser les sous d’ vos parents » ! Une boule, un franc et quelle boule !

J’ai déjà évoqué les gros chevaux brabançons de la Bonne Source de Velaine qui apportaient la bière de table toutes les semaines et dont on ne se lassait pas du spectacle lorsqu’ils mangeaient leur avoine ou lorsqu’ils buvaient leur seau d’eau; le « brasseur » quant à lui avait un long tablier de cuir contre lequel il posait les casiers ou les tonnelets avant de les mettre sur la charrette dont le plancher était incliné vers l’intérieur, pour bien les maintenir en place. Il apportait aussi de la limonade gazeuse à laquelle on avait donné un joli nom de chez nous, poétique et évocateur, « champagnette », très loin du coca américain et de ses produits chimiques.

Toutes les semaines passait également dans les maisons, le marchand de beurre et d’œufs, qui, bien souvent amenait, avec son quarteron d’œufs et ses deux livres de beurre, les potins de la ville. « Vous ne saviez pas qu’un tel est mort ? Ou qu’une telle se marrie ? Il était temps elle est déjà à son troisième mois » Et la nouvelle se répandait de bouches à oreilles et paraissait importante à l’époque; aujourd’hui elle serait banale.

Les petits métiers sont malheureusement disparus et pourtant ils avaient un rôle social essentiel, ils parlaient avec les gens.

André ERGO. (27 août 2007)

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La première kermesse à Seuris.

Je ne sais plus en quelle année la première kermesse eut lieu exactement, mais c’est de suite après la guerre. Les jeunes gens du quartier avaient créé un comité des fêtes et décidé de faire une kermesse à Seuris, comme avaient d’ailleurs leur kermesse les autres grands quartiers d’Auvelais, le Voisin, la Sarthe et le Pont à Biesmes.

La nouvelle excitait les gamins d’autant plus que les préparatifs débutaient quelques semaines à l’avance. Le comité allait voir les commerçants du quartier pour obtenir un « soutien » qui leur vaudrait une visite de la fanfare, puis les jeunes gens décoraient eux-mêmes les entrées du quartier au début de l’Avenue du Cimetière et de la rue Chère-Voie, ensuite on plaçait des hauts-parleurs et on les essayait, … une, deux, trois…une, deux, trois … avant de passer un disque, le tube du moment et d’entendre le préposé à la musique affirmer, bien haut, à tout le quartier, que … ça marchait.

Mais la première kermesse c’est comme une première amourette, elle marque plus les esprits et les garçons surveillaient l’arrivée des forains et essayaient de deviner le type de manège d’après la taille et le nombre des véhicules.

Il n’y avait pas beaucoup de carrousels à la première kermesse de Seuris; un carrousel à chaînes pour les amateurs de sensations fortes, un carrousel à tonneaux qui ondulait comme une chenille et passait dans un tunnel sombre propice aux gestes amoureux et un petit tir à pipes où les plus adroits pouvaient gagner un plumeau coloré pour leur petite amie ou bien montrer leur patriotisme en bottant le derrière d’Hitler en tirant sur une cible ronde impossible à rater, qui déclenchait le ressort de la jambe vengeresse. Tout cela éclairé de lampes de toutes les couleurs.

Une kermesse inoubliable quand même pour plusieurs raisons !

On pouvait dédicacer gratuitement des disques et pendant les trois jours on a entendu une bonne centaine de fois, pour la bobonne des uns ou le pappy des autres …. Étoile des neiges (au mois d’août, encore !) et … Ma cabane au Canada qu’un présentateur facétieux ou innocent annonçait de temps à autre … ma cabane à canadas. Et la rengaine recommençait …. mon cœur amoureux, est pris au piège, de tes grands yeux ce qui fit dire à un vieux mineur assis sur le pas de sa porte : « Oyi, one fameuse attrape à biesse ! »

Une autre raison était la guinguette qui avait été construite sur le côté de la maison Dussart et où le fils André, qui taquinait l’accordéon, faisait le bal aussi longtemps qu’il y avait un couple en activité; un slow pour amener les gens sur la piste, un tango pour qu’ils y restent et une valse pour qu’ils aient bien soif, et de temps à autre une farandole, ou bien la danse interminable de la « grawiye » pour bien mélanger les gens.

Il y avait aussi les jeux organisés pour les enfants; les courses en sacs pour les filles et la course à pied autour du quartier pour les garçons à laquelle je pris part. Nous étions quatre au départ et il y avait 4 prix. J’eus le dernier prix car je m’étais fait harponner par ma sœur aînée en passant près de la maison …- tu es tout en nage !- et j’avais dû me dégager d’un coup de pied. Ce qui m’avait valu deux prix, un tour gratuit au carrousel à tonneaux et une fessée gratuitement administrée en rentrant, plus tard, à la maison.

Mais on ne peut pas parler de la kermesse de Seuris sans évoquer le vicaire Philippot. Il avait étonné tous les curés du doyenné en souhaitant être le vicaire de Seuris, le quartier qu’aucun curé ne voulait. Il montait chaque année à la kermesse (car on montait à Seuris et …tout ce qui monte converge) et en voyant certains gamins qui flânaient près des tourniquets et qui, manifestement ne monteraient jamais dessus, il allait près du patron du manège et lui payait de quoi assurer deux tours gratuits pour les enfants. Et c’était la ruée. Et d’aucuns se demandaient pourquoi le vicaire redescendait à Auvelais en souriant.

Voilà la première kermesse de Seuris; elle dut avoir du succès, car les mêmes attractions sont revenues avec d’autres les années suivantes. Il y eut aussi une vraie guinguette cette fois, avec des instruments de musique …qui jouaient seuls, sans musiciens. On ne parla plus de l’étoile des neiges qui n’avait été que l’étoile filante d’une seule kermesse.

Mais je doute qu’on se souvienne de ces kermesses là comme on se souvient de la toute première. Je venais d’avoir dix ans.

Eh bien non ! Je me souviens d’une autre kermesse, c’était la première fois que des vrais chevaux venaient à Seuris. Ils aimaient bien le quartier car il y avait des prés tout autour et aux heures de relâche, ils allaient y brouter l’herbe. Ils aimaient tellement bien les lieux, qu’un jour, un des chevaux s’est sauvé du manège au galop, avec une fille du quartier, accrochée à sa crinière, braillant comme une auto de pompiers. Et le cheval s’est arrêté de lui-même, au bout de l’avenue du progrès, dans le pré où on l’avait conduit durant la matinée. La fille était toujours sur son dos, verte comme le pré. Je ne sais plus avec certitude qui était la fille; je ne dirai donc pas de nom pour ne pas me faire une ennemie; mais je me souviens très bien du cheval farceur, une petite jument à la robe blanc pommelé.

André ERGO. (22 août 2007)

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Auvelais Pelote, champion de division 1 en 1945 à Seuris.

Le ballodrome de Seuris, situé sur la place Joseph Wauters, était un des plus beau du pays, par sa forme idéale tout d’abord, par le fait qu’il était entièrement couvert de pavés en béton maçonnés et pour les dégagements qui permettaient au public d’assister à l’aise aux différents matches. Il n’est pas étonnant qu’à la fin de la guerre, le club de balle pelote d’Auvelais ait choisi cet endroit pour y jouer ses matches. Mais il y avait aussi d’autres équipes moins réputées dans d’autres quartiers de la ville.

Le jeu de balle était très en vogue dans la région et deux sports de balle différents y étaient représentés. La balle au tamis, qui se jouait sur la grand’ place, devant l’église, au moyen de petites balles très dures de 3 cms environ de diamètre. On livrait à main nue une de ces balles qu’on avait fait rebondir sur un tamis. Les joueurs du champ avaient un gant spécial ressemblant à celui de la pelote basque. Toutes les fenêtres des maisons de la grand’place étaient protégées par des grillages, car il n’était pas rare que les balles frappent les façades. Les arbitres eux-mêmes, près de la ligne centrale du terrain, étaient à l’abri dans une cage grillagée. Les balles ne servaient qu’une seule fois, et elles finissaient souvent leur vol dans la Sambre toute proche, chaque fois qu’un des joueurs avait « talonné ».

La balle pelote était beaucoup moins dangereuse pour le public. Plus grosse que la balle au tamis (+ ou moins 5 à 6 cms de diamètre) elle était composée de morceaux de cuir entourés de fine corde et recouverts d’une peau en cuir fin. On livrait également à main nue, mais sans tamis et les joueurs du champ avaient un gant de cuir renforcé à la paume.


Une équipe était composée de 5 joueurs (c’est pourquoi ce sport était prisé dans les villages car on ne devait y trouver que 5 jeunes gens) qui avaient une place bien déterminée sur le terrain selon leurs talents de frappeurs. Le plus éloigné (le mouchtî en wallon) était précédé du « grand mitan » lui-même précédé du « ptit mitan ». Les deux joueurs de la ligne centrale étaient les « passîs ».

Le jeu était très simple, le point était marqué dès que la balle dépassait la ligne du fond dans le prolongement du terrain. Lorsqu’elle sortait du terrain après au moins un bond dans celui-ci, on marquait une chasse à l’endroit de sortie. Lorsqu’il y avait 2 chasses, les équipes changeaient de côté et les points se jouaient pour les chasses. Le point était gagné lorsque la balle sortait du terrain après au moins un bond dans celui-ci, au-delà de la chasse, dans le camp adverse. Quatre points avant l’adversaire attribuait le jeu. Un tableau marquoir tenait la comptabilité des points et des jeux. Le match était terminé après 15 jeux.

Les gamins qui connaissaient les règles (bien souvent des joueurs d’équipes d’âge) étaient marqueurs de chasse ou préposés au marquoir.

Equipe championne en 1945.

Alphonse Wauthelet est la quatrième personne debout, la 2è étant Raoul Debilde et la 5è ???, accroupi en chemise blanche Camille Massart qui habite/habitait avenue centrale.

Il y avait un arbitre près de la ligne centrale, hors du terrain et des juges de ligne sur les lignes de fond.

De chaque côté du terrain, il y avait des bancs de bois, mais il n’était pas rare que les spectateurs amènent leur propre chaise pliante. Les matches à Seuris étaient suivis par un nombreux public de connaisseurs.


L’équipe auvelaisienne qui fut championne de division 1 en 1945 comptait dans ses joueurs un jeune homme de Seuris, Alphonse Wauthelet, qui fut un très bon « grand mitan » durant quelques années. Peu de temps après, cette équipe comptait 3 jeunes gens de Seuris, Alphonse Wauthelet, bien sûr mais aussi Georges Moreaux (ptit mitan) et Firmin Franquin (passî). On peut dire que le sport de balle pelote était devenu le sport du quartier.

De gauche à droite : debout, Maurice Haecke, Raoul Debilde, Le Grand Gusse (mouchtî), Georges Moreaux (ptit mitan), Alphonse Wauthelet (grand mitan), Ducoffre président ?, Gilain; accroupis, les passîs : ? et Firmin Franquin.

Le Comité, excepté le président, habitait le quartier ou très près. Maurice Haecke habitait l’avenue du cimetière, Gillain sur la place et Raoul Debilde habitait la rue de Falisolle.


Les gamins de Seuris jouaient également à la balle pelote, dans la rue et sur des terrains plus petits qu’ils dessinaient à la chaux, avec les balles qui n’étaient plus bonnes pour les matches officiels et que leur donnait le comité. N’étant pas un grand frappeur, j’ai joué quelque temps à la place de « passî » avec des amis, Gérard Lambert, Jean-Marie Bauloye, Nestor Laviolette et René Wauthelet, le petit frère d’Alphonse. On passait sur le « grand terrain », quand on était capable de livrer au-delà de la ligne centrale.

Beaucoup de gamins possédaient un gant, à la taille de leur main, cadeau souvent d’un papa qui avait été lui-même joueur de balle pelote. On prenait déjà les poses des grands joueurs et comme eux, on criait avant chaque balle, en se tournant vers eux, les prénoms de nos compagnons : « Gérard, Jean-Marie, Nestor, René ! » de quoi stimuler l’esprit d’équipe, en insistant, selon la trajectoire de la balle, sur le prénom de celui qui allait devoir la renvoyer, « Jean-Marie !! ». Et on suivait du regard la balle qui retournait loin, dans le camp adverse, que nous avions déjà investi, en champions ou bien, comme les grands, on contestait déjà l’emplacement des chasses en essayant d’influencer l’arbitre.

André ERGO. (21 août 2007)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

La première cavalcade qui est montée jusque Seuris.

Les quartiers périphériques d’Auvelais étaient souvent oubliés par le cortège de la cavalcade. Le quartier de Seuris existait depuis plus de 25 ans à la fin de la guerre et il n’avait pas encore été visité par cette réjouissance importante. C’était assez incompréhensible et particulièrement injuste, car le quartier était très populeux et qu’il avait la voierie la plus moderne et la plus belle d’Auvelais. .

C’est en 1948 que le comité des fêtes décida de monter vers Seuris par la rue de Falisolle et de redescendre vers le Pont-à-Biesmes par la rue de la Bruyère. La cavalcade passait donc à l’entrée de Seuris, au carrefour de la rue Saint Sang où se trouvait le seul café du coin, le café des étrangers, tenu à l'époque par la famille Hellas (2 fils : Marcel et Alfred). Tous les habitants du quartier étaient évidemment massés au carrefour puis ceux qui souhaitaient voir les rondeaux et la remise des prix sur la place communale descendaient par la Radache pour rejoindre et suivre le cortège devant la chapelle de l’école des soeurs.

Ce fut une des plus belles cavalcades. La guerre était déjà oubliée et malgré qu’il y avait encore des timbres de ravitaillement, les tartes au sucre et celles aux fruits et le café passé au ramponneau avec une pincée de chicorée avaient été préparés dans toutes les maisons. Je finissais l’école primaire, je venais d’avoir ma première culotte golf, comme Tintin, j’entrais dans le monde des “grands”!

Les quelques photos qui suivent ont été prises au cours de cette cavalcade.

Le quartier de Seuris pendant la guerre 1940-1945.

Les rues du quartier et la place Joseph Wauters viennent d’être pavées avec les pavés de bétons que l’on a connu jusqu’il y a pas longtemps. Les pavés du centre de la rue sont marqués par un côté renforcé par un angle en fer marquant le centre de la rue. L’évacuation des eaux est très moderne et installée profondément sous la rue. Les trottoirs sont très larges mais pas encore pavés. C’est le quartier d’Auvelais qui a la plus belle voirie. La rue de Falisolle qui joint le quartier au centre de la cité est encore pavée avec les gros pavés de Quenast; la rue de la Bruyère et la rue Radache ne sont pas pavées du tout du moins dans la partie pentue pour cette dernière.

C’est très difficile à imaginer aujourd’hui, mais le quartier de Seuris était pratiquement à la campagne, entouré de tous côtés par des champs cultivés ou par des prairies.

En 1940, lorsque la guerre éclate, la plupart des gens du quartier évacuent et les maisons restent sous la surveillance de quelques vieux couples. Pour expliquer cet exode, il faut rappeler les exactions des troupes allemandes pendant la première guerre mondiale et les nombreux fusillés dont le cimetière tout proche rappelait le souvenir. Mon père fonctionnaire ne voulait pas quitter son poste; et ce sont les demandes répétées de ma mère qui l’ont décidé à partir, quelques jours après les autres habitants. Entre temps des troupes françaises avaient pris quartier dans la petite école où de la paille avait été amenée, et lorsque ma famille a quitté Seuris, mes parents, après avoir fermé la porte de la maison, ont remis une clef au sous-officier qui commandait le détachement. Ce sous-officier qui a été prisonnier en Allemagne durant 5 ans, nous a renvoyé cette clef après la guerre, avec une photo de sa femme et de sa fille.

Nous avons évacué par des chemins de campagne jusqu’à Monceau Saint Vaast en France, où les troupes allemandes nous ont rattrapés. Nous sommes rentrés à Seuris parmi les premiers. Le quartier était intact et je ne crois pas qu’il y eût des décès parmi les habitants, en cours de route.

Les gens de Seuris ont dû, comme partout, s’organiser pour survivre à la guerre. Il y avait des timbres de ravitaillement pour la plupart des choses utiles; et la population était très rationnée sur la nourriture. Mais un quartier d’ouvriers, c’est bourré d’initiatives et de savoir faire. On a vu apparaître à Seuris chez certains des chèvres et des moutons qui étaient mis au piquet dans les terrains vagues, des poules chez d’autres ou des lapins. Mon père avait opté pour ceux-ci; il avait fabriqué des cages dans une remise et les lapins mangeaient les pelures de pommes de terre (que ma mère faisait très fines), les rebus de légumes et les pissenlits que nous allions chercher dans les champs en face de la maison. Les enfants donnaient des noms aux lapins; c’est difficile de manger un lapin qui a un nom, mais c’était la guerre Quand on nettoyait les cages, la paille souillée était mise dans le fumier et servait à enrichir la terre du jardin. Partout dans le quartier, les jardins étaient utilisés à bon escient et les cultures s’y succédaient avec la pomme de terre, suivie des poireaux et des choux pour l’hiver.

Les enfants participaient à la chasse aux doryphores. Les surplus de légumes ou de fruits étaient mis dans des bocaux et stérilisés pour plus tard. Les fumeurs gardaient un petit coin du jardin pour y faire pousser quelques plants de tabac. Mais cela ne suffisait pas; alors, les gens ont loué des parcelles dans les terrains de culture entourant le quartier pour y planter bien souvent un complément de pommes de terre et des haricots. Parcelles qu’il fallait bêcher avant ou après la journée de travail ou le dimanche si le temps le permettait.

Le pain aussi était rationné, pas question de pain blanc bien sûr, mais un pain gris, collant dans mes souvenirs, et les tartines étaient comptées. C’est pourquoi, en été, à l’époque de la récolte du froment, les gens partaient en famille dans les villages des alentours pour aller ramasser, sur les champs récoltés, les épis qui restaient sur le sol (on disait en wallon qu’on allait « mèchner » = glaner). Quand on avait beaucoup de chance on ramassait sur la saison 6 ou 7 Kg de grains qu’on allait faire moudre dans un moulin à Arsimont et les mamans du quartier pouvaient cuire de cette manière quelques beaux pains complets. Il y avait aussi des réductions sur le charbon, on ne chauffait qu’une seule pièce de la maison et le poêle de chauffage servait aussi pour cuire les aliments. Le soir, il fallait occulter les pièces où on vivait et où la lumière était allumée; l’éclairage public était également éteint.

Les soirées d’hiver étaient mortelles et très longues, avant d’aller coucher, on plaçait sur le poêle des pierres réfractaires et lorsqu’elles étaient chaudes, on les enroulait dans un papier journal et on allait les placer dans le lit, une dizaine de minutes avant d’aller dormir.

Les soirées d’été étaient plus plaisantes; les habitants, aussi bien les femmes que les hommes, se rassemblaient à certains endroits, les uns apportant une chaise, les autres un banc et ils bavardaient jusqu’à ce que le soir tombe et parfois jouaient aux cartes. Il faut dire qu’il n’y avait pas de TV à l’époque et qu’il n’y avait que quelques radios, qu’on n’ouvrait pas trop fort parce qu’on y écoutait parfois la radio belge de Londres.

Toutes ces petites choses ont rapproché les gens.

Les dimanches se succédaient suivant les mêmes rites. On voyait tout d’abord passer certains hommes avec de petites cages à la main. Ils allaient dans les cours Scohy pour faire chanter leur coq. Le chant des coqs remplaçait les cloches des églises. L’église du centre était inutilisable et les offices religieux avaient lieu à la salle Saint Joseph, souvent bondée, car la frousse stimulait la piété des gens. L’après-midi, les hommes organisaient quelques jeux. Sur le trottoir de la maison, du côté de l’avenue du cimetière se trouvait un jeu de quilles, ancêtre du bowling mais où il n’y avait que 5 quilles et où les boules faisaient l’objet d’un tir tendu. Les points se marquaient sur une planche à trous au moyen de broches. Un plan incliné permettait de renvoyer les boules vers la zone de lancement D’autres jouaient « al Djass » au moyen de grosses billes de roulements avec lesquelles on devait retourner des pièces de monnaie placées sur une large pierre plate ; un autre jeu d’argent « al flote » se jouait également, les pièces d’argent étaient empilées ici sur un bouchon. Tous ces jeux avaient leurs règles que j’ai oubliées, mais les mises en argent étaient très petites et n’étaient là que pour stimuler les joueurs. Tout cela se faisait sur les trottoirs, improvisés terrains de sport.

Les garçons du quartier vivaient en bande; on les voyait généralement une dizaine à la fois, mais pas souvent les mêmes. Il y avait parmi eux une hiérarchie basée sur l’âge, la force ou l’audace Curieusement, alors que les garçons des autres quartiers, scolarisés dans des écoles différentes, appartenaient davantage à leur école qu’à leur quartier, ceux de Seuris ne faisaient pas cette distinction. Ils étaient tous passés par la petite école du quartier.

On était de Seuris comme on est d’un pays.

Et ce pays avait des frontières, défendues âprement contre d’autres bandes (Saint Sang, Pont à Biesmes, Tamines les Alloux) autre version de la guerre des boutons. Il y avait des sites privilégiés par la bande; la vieille fosse derrière le cimetière, fortin inexpugnable dont les garçons connaissaient tous les coins et recoins et où les anciennes canalisations permettaient de prendre l’ennemi à revers. Le bâtiment principal avait été muré et le chevalement du puit central avait été heureusement recouvert d’une dalle en béton. De ce fort, on passait facilement, par les champs et par le chemin de fer, au bois de Chère Voie, autre lieu magique, où on construisait des cabanes tellement bien cachées qu’on ne les distinguait pas des sous-bois environnants. Parce que c’était interdit, on passait parfois derrière le débarcadère du charbonnage de Falisolle sous le carrousel des wagonnets amenant le charbon à la Sambre et on poussait jusqu’au pied du terril où on cassait des pierres pour découvrir ce qu’elles cachaient, des dessins de fougères. Nous ne savions pas que c’était des fossiles. On y pêchait aussi …les grenouilles nombreuses à l’endroit. Une épingle à boule pliée comme un hameçon attachée à du fil à coudre blanc, au bout de laquelle on plaçait un bout de laine rouge. On balançait le tout au dessus des marais et la grenouille se faisait prendre en sautant après le bout de laine. On récoltait aussi les têtards dans de vieilles boites à conserve.

L’hiver, lorsque la neige était présente, le « tienne » de Chère Voie était un lieu de sport incontournable. Tous les garçons s’y rendaient avec le traîneau fabriqué par le papa; on n’achetait pas les traîneaux à l’époque. La descente s’effectuait sur le côté gauche et la remontée se faisait sur la droite qui était plus haute, à partir du premier tiers de la descente, à cause d’un affleurement schisteux. Ceux qui rataient la partie basse s’engageaient en traîneau sur la partie de droite et finissaient toujours la descente sur leur derrière ou sur le ventre, loin derrière leur véhicule.

Chaque saison avait donc ses jeux et ses activités.

L’automne était ma saison préférée car le plateau de Seuris était balayé par les vents d’ouest. On pouvait voir alors, dans le ciel du quartier, jusqu’à une vingtaine de cerfs-volants à la fois. Tous ces cerfs-volants avaient été fabriqués par les garçons eux-mêmes. Il fallait d’abord choisir les baguettes, droites; enlever l’écorce puis les laisser sécher pour qu’elles deviennent plus légères. Il fallait alors les joindre en croix, au moyen d’un nœud de capelage en fil à coudre puis joindre les quatre sommets avec le même fil à coudre. On appliquait tout cela sur un papier fort qui, découpé un peu plus large que le modèle, était alors retourné sur celui-ci puis collé. La construction la plus délicate car elle allait conditionner la capacité de flotter en l’air du cerf-volant, était l’attache du fil qui se faisait sur la plus longue baguette suivant un triangle rectangle, théorème de pythagore sans le savoir. On finissait le tout par une longue queue garnie de papillotes et il ne restait plus qu’à tester le prototype. Lorsque le cerf-volant était bien haut dans le ciel de Seuris, on lui envoyait des messages composés d’un bout de papier placé autour du fil et collé à la salive, sur lequel on écrivait bien souvent le nom de la petite amie du moment. Le vent se chargeait de le faire grimper jusqu’au cerf-volant. C’était un mauvais présage pour l’idylle lorsque le papier se décollait avant d’atteindre le sommet, et redescendait en virevoletant

Un été, l’entraîneur de boxe Tréfois, était venu à Seuris avec des gants d’entraînement et tous les garçons avaient voulu se mesurer au noble art. On avait dessiné un ring sur le trottoir, et opposé des adversaires de même taille. Je devais combattre contre mon ami Jean Marie Bauloye, mais les gants étaient trop lourds pour mes bras et j’avais la garde un peu basse. J’ai été deux fois au tapis en deux coups, et on a jugé bon de me retirer les gants. Je ne serais jamais boxeur! Heureusement, j’excellait dans d’autres types de sports, comme les billes par exemple, où j’étais un champion à la « potelle ».

Pendant la guerre, nous avons eu un hiver long et rigoureux et nous avions construit dans les champs de l’avenue du cimetière, pour nous mettre à l’abri, un véritable igloo. La technique avait été simple, on faisait de grosses boules de neige, qu’on équarrissait en blocs, puis on empilait ceux-ci en donnant à la construction la forme d’un igloo, avec une petite entrée. Cet igloo avait survécu quelque temps à la neige.

La fin de la guerre amena les bombardements (pas à Seuris) et le passage des forteresses volantes nombreuses, qui traçaient des faisceaux de lignes blanches dans le ciel et qui lâchaient des tonnes de papier argenté pour notre plus grand plaisir. Parfois elles étaient accompagnées par des bandes de chasseurs qui repassaient seuls quelques minutes plus tard et qui en profitaient pour mitrailler çà et là quelques objectifs. Ainsi, deux lightnings (avion à deux queues), après être passés en rase motte au dessus de Seuris, ont lâché deux petites bombes sur la centrale électrique, bombes qui n’ont pas explosé par bonheur car la chaudière de la centrale était sous pression et son explosion aurait créé de sérieux dommages. On était averti des attaques par un système d’alerte; les gens se précipitaient alors dans les caves ou dans l’abri qui avait été construit sous terre au coin de la rue Nouvelle et de la rue du Progrès. Les alertes de nuit étaient particulièrement pénibles, elles étaient aussi plus impressionnantes; parfois on voyait repasser des forteresses volantes en feu.

Après la guerre, la bande de garçons prendra cet abri comme quartier général. Mais la guerre laissa d’autres séquelles dans l’esprit des garçons. La résistance avait essayé sans succès de faire dérailler des trains dans la région. En jouant à la résistance, les garçons ont donc essayé de faire dérailler le train Dinant-Tamines dans la tranchée de Chère Voie, en plaçant un gros boulon dans un aiguillage. Et la locomotive se coucha sur le côté des voies, sans dommages pour les passagers. On ne peut pas en dire autant des fesses des garnements, ni de la bourse des parents qui durent payer le déplacement d’une grue du chemin de fer. J’étais heureusement absent ce jour là.

La fin de la guerre amena d’autres festivités. On pendit et on brûla Hitler sur la place de Seuris devant la plupart des habitants du quartier. Les femmes avaient confectionné des drapeaux et lorsque la libération arriva, toutes les maisons étaient garnies. Aussi la déception fut grande quand on apprit que les Américains ne passeraient pas à Auvelais, mais à Velaine et à Fosses; Auvelais était isolé du reste du monde, car les ponts étaient détruits. On se déplaça donc pour « voir » nos libérateurs. Plus tard on accueillit à Auvelais, dans le garage Lauten (ensuite Lecharlier) un peu au dessus de la maison du peuple, une boulangerie de l’armée américaine, composée uniquement de grands soldats noirs. C’était pour chacun des garçons, les premiers hommes noirs qu’ils voyaient. Ils distribuaient des « chiques » aux enfants avec un large sourire et parfois leur donnaient un curieux pain blanc, qui reprenait sa forme après avoir été écrasé. Ces soldats furent reçus chez l’habitant à leur grand étonnement car les Noirs étaient toujours des parias aux Etats-Unis.

Sur le petit terril de la fosse derrière le cimetière, d’autres américains avaient installé un canon de défense aérienne (il n’a jamais rien tiré) et le lieu fut interdit à la bande des garçons.

Une autre manifestation qui eut son succès pendant la guerre fut la procession du Saint Sang, dont la chapelle appartenait manifestement au quartier de Seuris. La procession suivait la rue de Falisolle , prenait la rue Chère Voie et retournait par la rue Seuris. Sur le parcours, de nombreuses maisons improvisaient de petits autels, sur une chaise garnie d’un drap blanc ou bleu, d’un crucifix ou d’une vieille statue et de beaucoup de fleurs, parfois placés à la fenêtre et plus souvent dans la porte ouverte.. Les habitants du quartier s’étaient appropriés cette procession.

La guerre finie, comme la vieille fosse était interdite aux gamins, ceux-ci allèrent à la découverte d’autres terrains de jeux, notamment sur la Biesme au lieu-dit « La Batte » où ils construisirent des barrages de cailloux pour remonter le niveau d’eau afin de pouvoir « nager »! Mais le vrai sport, que je n’ai jamais osé pratiquer, était de plonger du pont du chemin de fer dans la Sambre et de rejoindre le chemin de halage sur la lancée. C’est aussi l’époque où la bande allait sur le territoire des Alloux, provoquer les garçons de là-bas, en utilisant le bac placé pour que les ouvriers puissent traverser la Sambre pour rejoindre leur lieu de travail.

Les plus âgés du groupe quittaient celui-ci pour aller travailler à l’usine (à 14 ans) après avoir fait une septième et une huitième primaire, d’autres allaient à l’Athénée et portaient fièrement la casquette à penne qui les consacraient « étudiants »; comme j’étais le « raculot » de la famille, mes parents se privèrent pour me mettre en pension, dans une institution de grand renom, grâce à un de mes instituteur de l’école primaire. L’éloignement cassa certains liens avec mes copains d’hier que je ne rencontrais plus que durant les week-ends des vacances ou pendant la fête du quartier. Je m’efforçais de ne pas devenir le petit bourgeois, destin qui me semblait tracé, et je cultivais la langue wallonne qui était celle de « mon » quartier, celle qui me valut mes plus grandes punitions, mes blessures de guerre : « vous me conjuguerez le verbe parler français à tous les temps » !

André ERGO. (mars 2007)

Mulkstraat,7 - 3300 Tirlemont (Tienen)

ergo1234@base.be

Le quartier de Seuris.

Ce quartier doit son origine à la mise en chantier d'un nouveau cimetière. Terrains agricoles de valeur médiocre sur une base schisteuse qu'on aperçoit très bien dans la tranchée du chemin de fer près de pont de Chère-voie. Le lotissement créé à Seuris était particulièrement bien situé à deux pas des industries de Tamines et à courte distance de la fosse de Falisolle en pleine activité à l'époque et d'une autre en devenir derrière le cimetière, et également pas trop loin du centre d'Auvelais. La seule rue existant sur ce plateau était la rue Chère-voie qui reliait la route provinciale de Falisolle à la Sambre sur le territoire de Tamines. Cette route non carrossable comportait quelques maisons avant la création du nouveau quartier.

Le lotissement avait été très simple; une avenue qui conduisait au cimetière depuis le carrefour de la rue Saint Sang, à bonne distance de celui-ci une longue rue parallèle à la rue de Falisolle reliait l'avenue du cimetière à celle de Chère-voie. Tout cela avait été calculé pour que toutes les parcelles aient un grand jardin. Plus tard trois autres rues furent créées, la rue Nouvelle bordée d'Acacias du côté du cimetière, qui joignait l'avenue du cimetière à celle de Seuris, puis deux rues cul de sac partant de la place, la rue du Progrès et l'avenue Centrale. Les trottoirs de ces rues sont très larges car on a demandé aux acheteurs de parcelle de faire une avant-cour à chaque maison. Les premières maisons bâties dans le lotissement auront toutes ces avant-cours, puis cette exigence coûteuse sera levée.

Le quartier de Seuris est un quartier d'artisans et d'ouvriers, particulier car chacun des ouvriers a contracté un emprunt pour devenir un jour propriétaire de sa parcelle et de sa maison. Le quartier est composé de jeunes couples et il y a beaucoup, beaucoup d'enfants. La langue du quartier est celle des ouvriers, le wallon, même chez les couples où le mari est flamand ou chez ceux qui sont originaires d'Italie.

Tout le monde se connaît; il n'y a aucune auto et aucune moto. Les enfants jouent à même la rue. Nous sommes aux environs de 1930.

On entre dans le quartier par l'avenue du Cimetière qui a été bordée de platanes comme le montre la carte ci-dessus qui doit dater de +/-1950 ? Le côté droit de la rue ne possède que 3 maisons. Celle du coin, qui est une magasin de poêles avec un petit atelier de plombier zingueur; chez les Lannoye où il y a un garçon, André, qui fera des études d'architecte. Une deuxième maison chez les Lambert où le papa marbrier à un petit atelier de polissage et de découpe du marbre; un garçon également, Gérard, qui deviendra, je pense, enseignant. La dernière maison, près du cimetière, celle du fossoyeur, la famille Massinon où il y a aussi plusieurs enfants mais je ne me souviens que de Nelly qui avait à peu près mon âge. Tous les terrains autour sont des prairies ou des champs cultivés. Sur ce côté de la route, il y a aussi pratiquement dès le début du quartier, une petite école communale gardienne justifiée par les nombreux enfants. Deux classes, la plus grande celle de Mademoiselle Yvette (Patriarche) où on retrouve les 3 et 4 ans; la plus petite classe, celle de Mademoiselle Lorand, celle des 5 ans, où on apprend déjà des éléments de calcul et d'écriture. Je suis entré dans cette école en 1938, à l'âge de 2 ans après m'être sauvé de la maison (en face) probablement attiré par les cris des autres enfants et après être passé à travers les barreaux de la barrière J'étais sur le bras de Mlle Lorand quand ma mère apeurée est revenue me chercher. L'institutrice a insisté pour que je reste à l'école puisque j'y avais été de ma propre initiative. C'est comme cela que je suis resté toujours chez elle, dans la classe des grands jusqu'à mon entrée à l'école primaire. C'est comme cela aussi que j'ai arrêté de boire un biberon car les autres se moquaient de moi.

Il faut parler de Mademoiselle Lorand qui était une vieille jeune fille, institutrice par vocation, parce qu'elle était appréciée de tous les habitants du quartier et qu'elle le méritait bien.

Autour des platanes de la cour de l'école, il y avait des parterres bordés d'un cercle de béton et remplis de terreau, qu'elle attribuait entre les "grands" élèves pour qu'ils y plantent des fleurs. En 1940, la petite école fut occupée par les troupes françaises et quand tout le monde fut rentré d'évacuation, les enfants de l'école ont dû affronter les restrictions de la guerre. Mademoiselle Lorand veillait à ce que chacun des enfants boive jusqu'à la dernière goutte du bol de soupe qu'on recevait du secours d'hiver et surtout la cuillerée d'huile de foie de morue qui était plus difficile à avaler que la grosse pilule rose de vitamines que chacun allait chercher à son tour dans un gros bocal au couvercle rouge, pour la croquer comme un bonbon. A midi, on mangeait en classe la "miche" préparée par notre maman. Combien de fois Mademoiselle Lorand n'a-t-elle pas compensé de ses propres tartines la miche trop pauvre d'un des gosses. J'étais trop petit pour m'apercevoir de ces choses, c'est ma mère qui me l'a raconté beaucoup plus tard.

Laïque convaincue, Mademoiselle Lorand a été déçue quand mes parents m'ont mis à l'école Saint Joseph. Mais le samedi, jour du bulletin, elle changeait son itinéraire et descendait au centre par la rue Radache, caillouteuse et boueuse à l'époque, pour me rencontrer.

Je peux voir ton bulletin ? Et je m'exécutais. Tu as 8/10 en discipline, pourquoi ?

J'ai bavardé à l'école ! Elle souriait et murmurait pour elle-même : ils ne pourront jamais rien changer à cela. Comme elle avait raison.

Mademoiselle Lorand est morte en 1943; j'avais 7 ans. Il ne manquait pas un seul des ses anciens bambins à l'enterrement. C'était mon tout premier contact avec la mort d'un être cher.

J'ai souvent été frustré que l'école de Seuris ne s'appelle pas Ecole Mademoiselle Lorand.

Les familles pionnières du quartier de Seuris

Le côté gauche de l'avenue du Cimetière était presque entièrement construit. La première maison, celle où une rampe inclinée conduit à un garage souterrain, était occupée par la famille Lambinet un jeune couple qui avait 2 enfants un garçon Pierrot et une fille, mais qui ne sont pas restés longtemps à Auvelais. Ils ont été remplacés par la famille Rigault qui avait aussi un garçon Marcel, et une fille. Ce Marcel était un personnage. Avec une cape noire, un chapeau comme zorro et des hurlements de loup, c'est lui qui fut tout un temps l'homme loup du bois de Chère-voie à tel point que la gent féminine du quartier n'osait plus passer là-bas sans être accompagnée. La mafia des garçons de Seuris savait qui était l'homme loup, mais la loi du silence était scrupuleusement respectée. C'est dans le garage des Rigault que j'ai vu mes premières séances de cinéma organisées par Marcel, moyennant l'une ou l'autre pièce qu'on prélevait sur le stock de "mastoques" collecté aux baptêmes assez nombreux à Seuris.

Je n'ai pas de souvenir précis des gens de la maison suivante qui étaient un couple assez âgé, sans enfant. Après la guerre la maison fut d'ailleurs vendue à une jeune fille de la rue, Edith Latour, qui venait de se marier.

L'espace qui suivait était occupé par une famille flamande de forains; les Peeters, qui avaient à l'époque un manège de chevaux de bois et des balançoires, ils ont eu par la suite des auto-skooters. On ne les voyait qu'en dehors de la saison des foires et des fêtes. Les enfants qui étaient déjà des adultes avaient repris le manège des parents et remettaient le matériel en ordre durant la morte saison. La maman une petite flamande rondelette qui souriait toujours était appelée ons Moe (notre mère) par ses enfants et par mimétisme par tous les enfants du quartier qui croyaient que c'était son nom. Son mari était plus rugueux et courait après nous quand notre balle s'égarait dans le champ de patates ou de poireaux qu'il cultivait de l'autre côté de la route, en ponctuant sa course de nombreux Godferdomme. Ce fut la première rencontre des gamins de Seuris avec la langue flamande. Un jour, le vieux Peeters remontait à vélo la rue Seuris le long de la bordure gauche. Je commençais à peine à tenir sur un vélo mais je faisais déjà la course avec les copains autour du quartier, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre; à l'entrée de la place, il était sur ma trajectoire et je n'avais pas encore appris à freiner. Le choc fut violent et le vieux Peeters se retrouva à terre, la chaîne sautée, le bas du pantalon pris dans les rayons et une jambe entre la cadre et le pédalier. C'est ce que mes copains m'ont dit, car je n'avais pas attendu mon reste, poursuivi par une litanie (je ne sais pas si le mot convient à la situation) de mots flamands prononcés de telle manière que j'en devinais sans difficulté la signification et les conséquences. Il ne sut jamais que j'étais l'auteur de son malheur.

Le bâtiment suivant était occupé par la famille de Félicien Vassart qui avait une fille, Micheline. Félicien était un ouvrier qualifié, qui savait tout faire; C'est d'ailleurs lui seul qui a construit plus tard, le garage qui jouxte sa maison.

Le temple protestant devant l'école n'était pas encore construit et les mauvaises herbes qui poussaient à cet emplacement, cachaient parfaitement ceux qui allaient marauder les poires sur espaliers du premier jardin de la rue Seuris.

La dernière maison avant la rue Seuris était un magasin crèmerie où vivaient Anselme Drèze et Virginie (presque un titre de roman) et leurs parents Mèlie et François Doumont, des gens originaires de Ham sur Sambre. ( Les gamins sans pitié disaient des baloûches) Anselme et Virginie, couple sans enfant, allaient collecter en voiture du beurre et des oeufs pendant que Mèlie tenait le petit magasin. François se reposait de ses années de fosse en embaumant la rue de la fumée des pipes de tabac semois qu'il fumait sans discontinuité. On aimait bien accompagner notre maman au magasin, car Mèlie qui était aussi gentille qu'elle criait fort, nous donnait souvent soit un caramel Lutti, soit un Cuberdon.

Le début de la rue Seuris séparait le magasin de notre maison. Comme nous étions parmi les premiers habitants du quartier, celle-ci était entourée d'une avant cour sur les deux rues et mon père y avait planté une haie de troènes. Une petite cour devant la façade était flanquée de chaque côté de deux beaux arbres, des Acer panachés qui furent longtemps mon école d'escalade. Du côté de la rue Seuris, 3 ou 4 sortes de Lilas et des boules de neige. Mes parents avaient trois enfants, deux filles et un garçon dont les naissances avaient été relativement espacées. Ma sœur aînée avait quinze ans quand je suis né et ma seconde sœur avait six ans. Mon père était fonctionnaire au Ministère des Finances et pendant la guerre, le bureau des Accises se trouvait à la maison où arrivaient chaque année de la guerre des centaines de déclarations de plantations de tabac (700 rien que pour Auvelais) sur lesquelles l'Etat prélevait des taxes. Nous étions réquisitionnés, mes sœurs et moi, pour plier ces formulaires qui devaient partir au Ministère dans des délais prescrits.

Un petit jardin clôturé par un treillis, séparait notre maison de la suivante, celle de la famille Lahaye, où il y avait deux enfants, une fille Arlette qui a épousé Aril Sterck de la même rue, et un garçon Jackie Le papa Joseph avait un atelier derrière la maison; il était artisan modeleur et travaillait pour les industries d'Auvelais. C'est lui qui m'a appris à voir dans l'espace au départ d'un plan; ce qu'on appelait pendant les études secondaires, la descriptive de Monge, matière qui ne fait plus partie des programmes des Humanités aujourd'hui. Il m'a aussi appris les types de bois, les coupes sur dosse, sur champ et les retraits qu'elles provoquaient ce qui était essentiel à connaître pour les modèles. J'ai encore dans les oreilles le bruit strident de la raboteuse et dans les narines, la senteur des copeaux et des sciures que j'allais parfois brosser en fin de semaine.

La maison suivante était occupée par un couple d'âge moyen sans enfant, Alice et François, remplacé assez tôt par la famille Haeck, sans enfant également, dont le mari Maurice était l'afficheur public officiel la semaine et un fervent supporter de l'équipe de balle pelote le dimanche. Les femmes de la famille, épouse et belle-mère, étaient terriblement effrayées par les alertes durant la guerre et on les entendait courir sur la route pour rejoindre un abri précaire dans la rue Seuris. La vitesse de la course mesurant l'intensité de leur peur.

Cette maison était suivie de celle de Vassart Léon qui avait épousé une fille du quartier, Rosa Dubois. Il y avait deux fils, François et Edgard dont le plus jeune qui habite toujours Seuris avait mon âge et était un de mes compagnons de jeu. Emile Vassart, le frère aîné de Léon était un ami de mon père car ils avaient longuement fait la première guerre mondiale ensemble.

La maison suivante était celle des Latour où il y avait deux jeunes filles, Irène et Edith dont je viens de parler plus tôt. Attenante à la maison Latour, celle d'une veuve, Louisa Legrand qui avait un jeune homme assez trapu, René, que les garçons du quartier appelaient sans raison apparente, le gros René, puisqu'il fit son service militaire chez les paras un peu après la guerre.

Les deux maisons suivantes qui tiennent ensemble, avaient été construites par un maçon italien, la première, pour la famille de son frère, la seconde, pour lui, bien qu'il y habitât peu de temps. Angelo Parisi, un menuisier du Tyrol italien avait épousé une fille du quartier Gilberte Deroo. Ils eurent trois enfants Gino, Ginette et Gina qui sont toujours à Sambreville aujourd'hui. Gino et Ginette furent des compagnons de jeu de ma petite enfance. La seconde maison était occupée par les Wauthelet qui avaient deux fils, Alphonse et René. L'aîné, Alphonse fut un excellent joueur de balle pelote dans l'équipe d'Auvelais; on en reparlera plus tard. La maison fut aussi occupée par la famille Sterckx, profession ardoisier-couvreur, il y avait 3 fils Aril (habite toujours le quartier), Willy (électrocuté par lampe "baladeuse") et Raoul qui épousa Arlette Lahaye. Une particularité de tous les membres de la famille : leur taille se situait entre 1,90 et 1,95 m.

La dernière maison du côté gauche de l'Avenue du Cimetière était occupée par la famille Debrulle qui avait une fille Evelyne d'un an mon aînée; des gens très discrets qui vivaient un peu repliés sur eux-mêmes. Après cette maison et avant l'avenue Nouvelle, on trouvait les terrassements d'un futur bâtiment qui n'a pas été construit faute à la guerre; ce lieu était connu sous le nom de " trou de chez Debrulle ". Il fut totalement remblayé pendant la guerre par des immondices.

Près du cimetière, en face de la maison du fossoyeur, un bâtiment contenait le ou les corbillards.

Tous ces gens n'étaient pas riches; beaucoup de maisons n'avaient comme porte de devant qu'un assemblage de planchettes rainurées de plancher, muni d'une grosse serrure et d'un imposant verrou. La " belle " porte ne viendra que beaucoup plus tard, après la guerre. Les courtes culottes des garçons seront bien souvent taillées dans les " jambes " des vieilles culottes des papas et leurs nouveaux pulls seront souvent tricotés au départ de vieux pulls détricotés. Ce qui n'empêchait pas d'être heureux. L'avenue du cimetière voyait passer tous les enterrements; les civils avec de la musique et les religieux avec le curé. Je pouvais les regarder à travers la haie de troènes sans être vu. La musique recommençait à jouer devant la maison et j'avais remarqué que c'était toujours la place où le cheval, probablement effrayé par le souffle du bombardon qui le précédait, faisait sans pudeur son paquet de crottins en perturbant l'ordre de ceux qui suivaient le corbillard. Quand tout le monde était repassé, on courait vite chercher les crottins pour la vigueur des poireaux de nos papas.

La rue Seuris était la plus longue rue du quartier. Parallèle à la rue de Falisolle, elle était pratiquement construite d’un bout à l’autre, sauf près de la rue Chère-voie, où il restait quelques emplacements à bâtir. Du côté droit, elle était divisée en deux parties séparées par la place Joseph Wauters. Sur ce côté, la première maison qui suivait la nôtre était celle de la famille Vandeneynde-Tondu; Hyacinthe Vandeneynde était un Flamand d’origine gantoise, parfaitement intégré qui, après un accident de travail aux mains, faisait un second métier de chauffeur pour les dirigeants de l’ESMA, la centrale électrique. Le couple avait deux enfants, un jeune homme Roger et une jeune fille Antoinette.

La maison suivante était occupée par la famille Genot-Thys qui avait deux filles, Marcelle et Jacqueline. Pendant la guerre, Julia Thys, une robuste femme d’origine flamande conduisait sa brebis sur les trottoirs de droite de l’avenue du cimetière pour qu’elle puisse brouter les plantes qui y poussaient. Chaque jour, le mouton était déplacé de quelques mètres. Cela a permis à la famille Genot d’avoir du beurre et du lait de brebis pendant toute la guerre

Jules Mathieu et sa famille habitaient la maison suivante. Le fils, qui était électricien avait épousé la fille Noël du bout de la rue et le baptême de leur fille, la petite Yvonne, fut mémorable chez les enfants de Seuris, par le nombre de piécettes qui y furent jetées aux cris de « potches trawées » des enfants.

Marthe Sinte, de la maison suivante, était déjà veuve lorsque j’étais gamin; elle avait un grand fils qui a habité le quartier après son mariage. Un espace séparait sa maison de la suivante, qui était un petit magasin de jouets tenu par une femme que nous appelions « Gènie » dont je n’ai pas mémoire du nom de famille ni de celui de son mari, un ancien mineur, pas trop grand, trapu, qui était déjà retraité. Le couple avait un fils, déjà âgé, que je n’ai pas connu.

Une petite avant cour garnie d’arbustes et d’une barrière métallique protégeait l’entrée de la maison des Capuzzo, un couple d’Italiens discrets, dont la fille Lydia était le lien social avec les voisins. Cette jeune fille a d’ailleurs épousé le fils des voisins d’en face, Fernand Vassart, et le jeune couple a fait construire après la guerre une maison sur un des emplacements libres de la rue Seuris, juste après la maison Brosteaux.

La maison suivante était celle de la famille Pietquin où il y avait trois enfants d’âges assez espacés; la fille aînée s’est mariée dans le quartier après la guerre avec un jeune homme habitant en face de chez elle; le garçon Roland notre aîné de 3 à 4 ans qui fera carrière à l’aviation, était le chef de bande des gamins du quartier et la plus jeune fille Ginette qui, ayant perdu son papa trop tôt, était plus réservée et plus timide. Le père Pietquin fut arrêté par les Allemands pendant la guerre. Cela s’est passé de nuit et je ne dois pas faire un gros effort de mémoire pour encore entendre le bruit des portières du camion, les pas, les coups de crosses sur la porte, les cris, et le dernier geste d’amour de sa femme se hâtant près du camion: « tiens, prends ton paletot ». Parti malade, de la maladie des mineurs, il ne reviendra jamais à Seuris et disparaîtra au camp de Buchenwald.

Un grand espace séparait la maison des Pietquin de celle des Legrand, ménage recomposé où la femme tenait un magasin d’alimentation et où le mari Omer réparait tous les souliers du quartier. Il était connu surtout par le surnom qui lui avait été attribué, « le flatte », pour sa démarche particulière, comme un squelette qu’on secoue. Chacun des parents avait amené deux grands enfants dans le nouveau ménage et ils avaient eu ensemble 3 autres enfants, Josée, Albert et une plus jeune fille qui avait mon âge et que je n’ai jamais connue sous un autre prénom que « Fifille ».

La maison des Legrand était attenante à celle des Luc dont le père était marchand de souliers et où il y avait trois fils, deux jeunes hommes et un garçon de mon âge. Quelques jeunes gens de Seuris ont porté l’uniforme de l’occupant pendant la guerre; certains en noir, certains en gris. C’était des garçons un peu simples qui s’étaient laissé impressionner et embrigader bien souvent contre le gré de leurs parents, pour la honte ou la rage de ceux-ci.

Un père mineur avait même dit de son garçon : « si rvins al maujone, djel tuwe! ». Et il l’aurait fait.

Je ne parlerai pas d’eux davantage.

Chez les Luc, c’était différent, le père et les deux fils aînés ont porté l’uniforme noir et étaient des militants de l’idéologie nazie. Les arrestations de Seuris ont été effectuées peu de temps après qu’on eût tiré au fusil sur le père en uniforme qui remontait la côte de Chère-voie et la concordance des deux événements ne fut pas interprétée comme un hasard par les habitants du quartier.

La maison suivante était celle d’un porion de la fosse de Falisolle, Jules Bauloye. Homme d’une force tranquille. Il était marié à Julia Warichet originaire de la rue Chère-voie, une petite femme nerveuse qui lui avait donné un garçon, Jean-Marie d’un an mon aîné et qui était mon meilleur ami et mon compagnon de jeu depuis l’école gardienne. Doué pour tout, études, musique, sports, c’est lui qui m’a entraîné dans le scoutisme à la fin de la guerre, mais contrairement à moi, il n’y est pas resté. Jules Bauloye avait été étonné de la fermeture de la fosse de Falisolle : « où il y avait encore tellement de charbon ». Le charbon y est toujours !

Victor Vigneron, propriétaire de la maison suivante, était un personnage pittoresque du quartier. Son hobby était la peinture qu’il pratiquait comme un peintre naïf. Il avait d’ailleurs décoré de fresques de la vie courante, les murs d’une salle que les Luc avaient fait construire sur le côté et l’arrière de leur maison. C’était aussi un homme sociable qui avait organisé pendant la guerre un abri dans les caves de sa maison, où la sécurité était moins assurée matériellement que mentalement. Les personnes peureuses qui s’y réfugiaient trouvaient sans conteste un apaisement au contact des uns et des autres. Le couple Vigneron avait adopté une fille Suzanne, qui a épousé plus tard un garçon du quartier Georges Moreau, puis avaient eu eux-mêmes une petite fille Josette, d’un an ma cadette et qui a épousé André Hanquet de l'Avenue Centrale.

La maison suivante était celle des Stassart qui avaient deux enfants; un jeune homme et une fille un peu plus âgée que moi et qui s’appelait José. Un peu après la guerre toute la famille a émigré au Québec.

Quatre enfants, trois filles Irène, Denise et José et un garçon Albert, étaient nés à Seuris, dans la famille Oleffe qui habitait la maison suivante. Le père, maçon, était un homme de grande stature comme sa femme d’ailleurs avec laquelle ils formaient un des plus beaux couples du quartier. A la maison adjacente, chez les Hambursin, il y avait une fille et un garçon, Jenny qui avait mon âge et Jean un peu plus jeune, lesquels auraient pu jouer le rôle de poil de carotte à cause de leur chevelure rousse éblouissante.

La famille Sanglier, de la maison suivante, n’avait qu’un seul fils appelé Willy, littéralement couvé par sa maman. C’était des gens très discrets et tout le monde fut étonné lorsque le papa fut arrêté puis déporté comme prisonnier politique en Allemagne. Il eut plus de chance que le père Pietquin puisqu’il survivra aux camps de la mort et qu’il reviendra à Seuris après la guerre.

J’ai oublié le nom des premiers occupants de la maison suivante, mais ceux-ci furent rapidement remplacés par la famille Yernaux, dont le père était un grossiste en bonbons. Il y avait deux enfants, une fille de mon âge, Josette et un garçon plus jeune José qui habite maintenant (en 2007) rue François Dive à Falisolle.

La dernière maison de ce premier tronçon avant la place était occupée par la famille Noël dont le papa était prisonnier de guerre en Allemagne. Il y avait deux enfants à cette époque, Lucien qui avait mon âge et Lucie, une sœur plus jeune. Une seconde fille naîtra après la guerre. La maman Andrée tenait le salon de coiffure pour dames du quartier et vivait avec ses parents.

La place Joseph Wauters à Seuris fut longtemps un des plus beaux ballodromes du pays. Il faut avouer que sa forme triangulaire s’y prêtait parfaitement et que le revêtement en briques de béton permettait d’éviter les faux bonds imprévus. Des centaines de personnes venaient de partout pour suivre les parties de balle le dimanche et certains jours de fête. Comme il y avait très peu d’autos à l’époque, le jeu était très rarement interrompu. C’était l’événement social majeur du quartier. Après la guerre, les jeunes gens de Seuris ont créé un comité des fêtes chargé d’organiser une kermesse. La première kermesse fut un succès. Il y avait sur la place un carrousel à tonneaux, un carrousel à chaînes et un petit tir aux pipes. Bien qu’on soit en plein été, Line Renaud a seriné tout le week-end la chanson « Etoile des neiges » et le cœur amoureux des petits garçons fut pris au piège des grands yeux des petites filles. Une autre ère commençait.

La rue Seuris continuait au bout de la place. C’est un couple de Français qui habitaient la maison du coin. Le papa, un petit homme nerveux était un technicien radio. Les radios étaient assez rares et n’existaient que chez quelques privilégiés; on était encore très loin des télévisions dans chaque ménage. Cette famille et ses deux enfants ont quitté Seuris très tôt après la guerre, et c’est un boucher qui est venu s’installer dans cette maison.

La maison suivante était celle de la famille Burton, dont le mari, homme grand et droit, travaillait au chemin de fer. Il y avait une jeune fille appelée Lucienne. Dans la maison de la famille Evrard qui suivait, les trois enfants, un garçon et deux filles étaient déjà des jeunes gens à la déclaration de guerre. Pour peu que je me souvienne et pour peu que je puisse me permettre cette appréciation, les soeurs Evrard étaient parmi les plus jolies filles du quartier.

Il y avait deux fils, Firmin et Robert à la maison suivante, chez les Franquin. Dans le garage attenant à la maison, Robert, qui était un adolescent avait créé le club ADS (Amis de Spirou). Le journal de Spirou avait été lancé par les éditions Dupuis quelques mois auparavant et des clubs de ce type naissaient un peu partout; les garçons mettaient des fanions triangulaires au logo du club à leurs vélos.

Les plus grands construisaient les modèles réduits dont les plans paraissaient chaque semaine dans le journal; les plus petits jouaient à Red Ridder et à Petit Castor ou à Valhardi et à Jacquot, les héros des bandes dessinées de l’époque

La maison suivante appartenait à la famille Noël qui n’était pas apparentée à celle de la place de Seuris. On y trouvait un petit magasin de cycles et, dans une annexe à l’arrière de la maison, un petit atelier de réparation. La fille de cette famille était la maman de la petite Yvonne dont on a évoqué le baptême plus haut.

Les deux maisons suivantes étaient identiques et attenantes. La première était un magasin de mercerie; la seconde dont les habitants étaient apparentés à la famille Turcry (taxi de la rue Chère-voie) avait été touchée, pendant la guerre, par un obus de DCA qui n’avait heureusement pas explosé, mais qui avait fait de sérieux dégâts à la façade.

La dernière maison était celle de la famille Warichet dont le papa, typographe chez Duculot, était décédé très jeune en 1939. La maman élevait seule, courageusement, ses deux garçons, Willy qui avait mon âge et Fernand, plus jeune de deux ans. Il y avait deux chiens célèbres dans la famille, Milou et Moli, deux terriers qui suivaient les garçons comme leur ombre et qui participaient à tous leurs jeux. Willy était un garçon très éveillé, d’une extrême intelligence et il aurait probablement fait de hautes études si son père avait vécu et si la situation de sa famille n’avait pas été aussi précaire.

La première maison du côté gauche de la rue Seuris était occupée par la famille de Henri Deroo, un ancien mineur, dont les trois enfants Gilberte, Georgette et Roger étaient déjà mariés. Georgette habitait avec ses parents et avait épousé Marcel Bourguignon prisonnier en Allemagne durant la guerre. Ils avaient une fille, Marcelle d’un an mon aînée. Henri Deroo était souvent assis sur le seuil de la porte d’entrée pour puiser le plus d’air possible dans ses poumons malades, comme beaucoup de mineurs du quartier. Notre maison avait une sortie sur la rue Seuris, fermée par une barrière, et je bavardais avec lui quand un soldat allemand s’approcha de moi, me caressa la tête et me tendit une barre de chocolat que je refusai malgré son insistance. C’est Henri Deroo qui a rapporté la scène à ma mère tout heureux qu’un gamin de 4 ans ait montré aux boches qu’il ne les aimait pas. En fait, l’explication était beaucoup plus simple, mes parents m’avaient appris à ne pas accepter quelque chose de personnes que je ne connaissais pas.

La maison est toujours occupée aujourd’hui par Georgette Deroo.

La seconde maison était occupée par un couple italo-français assez discret, la famille Despinito qui avait un fils déjà adulte, Léopold. L’homme était un mineur pensionné et la femme répondait au prénom assez spécial de Marie-Ange.

Louis Vervotte, un porion mineur, et son épouse Oliva Grégoire occupaient la maison suivante avec leur famille nombreuse. Ils avaient 4 enfants, Joseph, l’aîné qui deviendra monteur et sera tué encore jeune sur un chantier, Clémence qui habite toujours Seuris, avenue du cimetière dans la nouvelle cité; François mon ami dès l’école gardienne et sa plus jeune sœur Odette. Le frère d’Oliva qui habitait aussi Auvelais, devint plus tard, le secrétaire général du MOC (mouvement ouvrier chrétien).

La maison suivante changea souvent d’occupants. On y retrouve successivement la famille Namèche, qui s’établira plus tard sur la rue de Falisolle, Eloi Goffin le coiffeur, qui fera construire rue centrale, et une femme appelée Germaine qui y ouvrit un magasin de lainages et qui fut remplacée plus tard par la famille Germinal qui y développa un magasin de quincaillerie

L’agent de police Victorien Jonet , son épouse et sa jeune fille, habitaient la maison suivante. C’était en quelque sorte le shériff du quartier. Il s’activait beaucoup et s’annonçait de loin pour ne jamais nous attraper quand on montait sur les murs de l’école ou bien quand on allait « pesteller » le champ de patates qu’il cultivait tant bien que mal dans la rue du Progrès le long du cimetière. Mais il nous aimait bien. J’en eus la preuve en 1955, quand, avec les étudiants de Gembloux je fus arrêté par la police de Leuven devant La Fourmi, le local de la Namuroise parce que je chantais dans la ville thioise des chansons hostiles à la police (c’était déjà les prémisses du Walen buiten). Le procès verbal arriva jusqu’à la police d’Auvelais pour suite. Victorien chargé du cas, vint m’interroger à la maison.

Et si on ne t’avait pas rendu ta carte d’identité ? On embarquait de force le policier avec la carte dans notre bus, on récupérait celle-ci et on lâchait le policier en petite tenue dans le Brabant wallon. Vous n’auriez pas fait cela ? Sans hésiter ! Et Victorien, qui imaginait la scène, me faisait répéter pour son plus grand plaisir. Il n’y eut jamais de suite.

La maison suivante qui avait une avant cour était occupée par une famille dont j’ai oublié le nom, mais dont le mari ancien mineur, s’appelait Clément. Celui-ci qui était déjà très pris par la maladie souhaita la présence de mon père au moment de mourir. Et mon père qui pourtant avait vu beaucoup de garçons disparaître à la guerre de 14-18 en revint bouleversé tant la mort d’un mineur à la recherche d’une dernière bouffée d’air, est douloureuse et stressante.

Les Marion qui habitaient la maison suivante avait un fils appelé Robert, de deux ans mon aîné. Ce sont les premières personnes du quartier que nous avons rencontrées près du mur d’enceinte du château de Presles à notre retour d’évacuation; un de mes tous premiers souvenirs. Je venais d’avoir 4 ans.

La famille Vassart habitait la maison suivante; il y avait trois enfants dont deux grands jeunes gens Denise et Raoul et un plus jeune, Fernand qui épousera après la guerre sa voisine d’en face.

La maison suivante était un magasin d’alimentation, chez Léa Hue laquelle avait un fils appelé Raymond. Lorsque le magasin arrêtera un peu après la guerre, les Vanhal qui occupaient la maison suivante ouvrirent eux-mêmes un magasin d’alimentation. C’était un couple sans enfant. Ils adoptèrent une fille de mon âge.

Le couple Lorand qui habitait à côté, était un couple disparate; le papa mineur, grand, bien bâti, bel homme avait épousé une petite femme rondelette et la disparité s’était reportée sur les 7 enfants (4 filles et 3 garçons) dont certains ressemblaient au papa et les autres à la maman. Les aînés étaient déjà des jeunes gens lorsque les derniers étaient encore des enfants. C’était la plus grande famille de Seuris et on les appelait, je ne sais pourquoi, les manants.

Suivait une série de trois maisons attenantes. La première était occupée par la famille Grégoire dont le fils unique a épousé l’aînée des filles Pietquin. La seconde était habitée par un vieux couple dont le nom m’échappe, qui avait deux fils déjà adultes en 1940. La troisième était occupée par la famille Grolet qui avait 4 enfants, une fille, déjà âgée, un fils Désiré et deux autres filles un peu plus âgées que moi, Monique et Lucie.

C’est un couple âgé, les Dubois, qui occupait la maison suivante. Certains des plus vieux enfants étaient déjà mariés (notamment Rosa Dubois) mais deux jeunes hommes étaient toujours avec les parents, Emile et Achille. Le père Dubois s’était coupé l’index de la main droite pendant la guerre en vannant du froment au moyen d’un tarare.

Le couple de la maison suivante avait un fils, François Vassart de deux ans mon aîné, et dont la mère, très petite était appelée par les habitants du quartier : la petite Hélène. Les Dumonceau qui habitaient la maison adjacente, était un couple très discret qui avait 3 enfants, deux filles et un garçon de mon âge,Victor.

La maison suivante était occupée à l’origine par la famille Heuvart dont la fille unique s’est tuée à vélo. Ils furent remplacés plus tard par les Jeanmart qui avait une fille. Les parents de la femme Jeanmart , les Lambiotte, habitaient la maison suivante; leur deuxième fille Dina fit construire une maison après la guerre à la rue Nouvelle.

La maison suivante, en retrait derrière une avant cour, était occupée par la famille Servais dont le père était maçon et qui comptait 3 jeunes gens, un fils et deux filles. Je ne me souviens plus du nom des habitants de la maison suivante, dont l’homme était un ancien mineur qui s’appelait Maurice et était un fervent de la balle pelote. Ces gens avaient une fille déjà adulte au début de la guerre.

La maison des Laviolette était la première de la rue Seuris donnant sur la place. Il y avait deux enfants avant la guerre; Nestor plus âgé que moi et Jeanine qui avait mon âge. Un deuxième garçon naîtra après la guerre.

Un menuisier retraîté, Alidor Alardo et sa femme la petite Lucie habitaient la maison suivante. Ils avaient un fils qui fut déporté pendant la guerre et dont l’histoire miraculeuse mérite d’être racontée.

A la libération des camps, un déporté du Pont à Biesmes regardait les tas de morts pour voir s’il n’y avait pas d’Auvelaisien parmi eux. Il reconnu le fils Alardo et en s’approchant il vit qu’il respirait encore faiblement. Il en avertit les alliés. C’est ainsi que cet homme fut sauvé, mais il dut être amputé d’un bras. Il revint en bonne santé à Seuris où il habita avec sa femme au 33 avenue du Cimetière.

La maison suivante était celle de la famille Baecke, apparenté aux Baecke de la rue nouvelle, où il y avait un jeune homme appelé André; elle était suivie de la maison de la famille Guyaux, les beaux parents du boucher Moret établi au début de la rue Saint Sang, lequel fut longtemps le seul boucher disponible pour le quartier de Seuris.

La maison suivante dont la façade était particulière parce que recouverte de toutes petites pierres colorées comme des morceaux de silex, était occupée par des gens très discrets dont j’ai oublié le nom, mais qui avaient un fils malade qui est mort à l’âge de 15-16 ans et à l’enterrement duquel tous les jeunes gens de Seuris ont participé.

La maison suivante était celle des Dussart qui avaient deux enfants, un fils André qui jouait de l’accordéon et une fille Marie-Rose. Au cours des premières kermesses, une guingette était construite à l’arrière de la maison et André y jouait de l’accordéon pour le plaisir des nombreux danseurs.

La maison suivante, en retrait de la rue à l’époque et précédée d’une large avant cour remplie de fleurs, était occupée par deux vieilles personnes, la famille Degueldre, qui élevaient leur petite fille. Cette maison fut occupée ensuite par la famille Ganhy qui avait une fille ayant épousé un nommé Schutz. Cette famille Schutz eut trois enfants, un garçon Pol et deux filles. Cette famille a construit la maison actuelle où elle ouvrit un commerce d’alimentation, elle doit aussi avoir habité Avenue Centrale dans la maison occupée par la suite par l'instituteur Guillaume.

La famille Jaumotte qui avait une fille Jeanine occupait la maison suivante. Le père Jaumotte était un monteur aux ateliers Heuse-Malevez-Simon (HMS). C’est la famille du facteur Rouffiange qui habitait la maison suivante. Les Rouffiange avaient un fils déjà adulte au moment de la déclaration de guerre.

Les deux maisons suivantes qui tenaient ensemble étaient occupées par les deux frères Paye. A la première maison, il y avait une fille, Yvette et à la seconde, où le père, Alphonse, était employé au chemin de fer, il y avait six enfants, Georgette qui fut institutrice primaire à l’école communale de Seuris, Marcel, Jacques qui fit des études universitaires à l’ULB tout comme sa jeune sœur Michèle car, toute bouclée, elle était parmi les plus jolies filles du quartierquartier , le plus jeune des garçons se prénommant Jean et la plus jeune des fille Annie. Le père Paye a été conseiller communal communiste à Auvelais.

Quant à la maison suivante, elle était occupée par la famille Brosteaux qui avait une fille qui a épousé un jeune homme de la Grippelotte.

Plusieurs emplacements n’étaient pas encore bâtis entre la maison des Brostaux et celle des Quertinmont, la dernière du côté gauche de la rue Seuris. Cette maison qui avait une avant cour, est la plus ancienne du nouveau quartier. Le père était connu sous le nom de « gros Quertinmont » c’était un grand fort homme dont l’épouse était par contraste une petite femme bien portante. Ils avaient une fille, Micheline, qui avait fait des études d’infirmière et qui fut plusieurs fois conseiller communal socialiste à Auvelais.

Cette longue rue Seuris comptait pas moins de 64 familles et près de 250 habitants.

A côté de la maison Noël que j’ai classée à droite de la rue Seuris, on peut voir sur la carte de la place Joseph Wauters deux maisons, la première appartenant à la famille Albert où il y avait trois enfants, Catherine, une fille de mon âge et des jumeaux Jules et Gisèle. L’autre maison est celle de la famille Marchand dont l’épouse limbourgeoise était une infirmière répondant au nom de Croes, elle exerçait son métier comme indépendante sur un lourd vélo comme il se devait à l’époque, harnaché d’un bissac à l’arrière. Jules Marchand était un personnage qui mérite une longue description. Originaire de Le Roux, il avait fait des études moyennes à Fosses mais était entré ensuite comme ouvrier dans les glaceries où il était très vite devenu un ouvrier d’élite. Jeune homme, il avait réalisé seul un poste à galène qui était toujours opérationnel dans les années 50. Cavalier au premier régiment des Lanciers à Namur pendant la guerre de 14-18 pendant laquelle il avait été grièvement blessé, il avait fait construire à Seuris une petite maison avec un atelier en sous-sol et s’était établi à son compte après avoir acheté un vieux tour déclassé qu’il avait réparé lui-même. Il travaillait pour les entreprises d’Auvelais et des environs et avait inventé un appareil très performant pour réaliser des roues dentées dont certains avaient voulu lui acheter le brevet, ce qu’il a toujours refusé. Ferronnier d’art à la force des poignets, il avait même gagné un concours européen en la matière en représentant en fer forgé une plante de gui. Curieux de tout il avait acheté une vieille voiture qu’il entretenait en fabriquant lui-même les pièces qu’on ne trouvait plus dans le commerce. Il venait souvent passer des soirées à la maison pour discuter avec mon père, ancien cavalier au premier Chasseur à cheval de Tournai pendant son service militaire et durant la première guerre pendant laquelle ils s’étaient battus dans le même secteur du front de l’Yser. C’est comme cela que gamin, j’ai fait des dizaines de fois cette guerre là, chargeant au sabre à la forêt d’Houthulst, piétinant dans les tranchées du Reigersvliet, protégeant la retraite d’Anvers ou étant évacué, vers la France, blessé devant Dixmude. Il ne fait aucun doute, que dans des conditions sociales plus favorables, Jules Marchand aurait fait des études supérieures. A la fin du 19éme siècle, le destin n’était pas clément pour les fils d’ouvriers

La première maison sur la place était celle de la famille Geonet, des parents du moins puisque le fils avait fait construire une maison dans la rue du Progrès. A côté on trouvait la maison des Moreau où il y avait deux fils, Georges qui épousa plus tard Suzanne Vigneron et qui était un très bon joueur de balle pelote et François de quelques années plus jeune.

La maison suivante était occupée par une famille apparentée aux Moreau dont j’ai oublié le nom.

La maison suivante, qui était seule, était occupée par un ancien mineur qu’on appelait le « petit Maurice » » (Maurice Scieur), qui a été plusieurs fois conseiller communal socialiste à Auvelais et que les gens de Seuris appelait humoristiquement « Not’ Maieur ».

La première des deux maisons suivantes qui tenaient ensemble était occupée par une grande jeune femme qu’on appelait Simone, dont le mari Pierre était prisonnier en Allemagne. Suivait la maison de la famille Bertrand, dont le grand père Gillain était un comitard fervent de l’équipe de balle pelote.

L’avant dernière maison était celle de la famille Van Herck où il y avait trois enfants, Georges, Yvonne et Alice qui avait mon âge. Le père Van Herck avait, si ma mémoire est bonne, inventé une amélioration au masque que portaient des mineurs.

La dernière maison qui était une épicerie appelée "Au Variéta", était occupée par la famille Vandenbossche dont le surnom était les Biouche où on trouvait une fille appelée Lucie, elle-même mère de Martine, mais aussi les grands parents. Le vieux Biouche a été longtemps, lorsque j’étais jeune, le doyen d’âge de Seuris, ce qui ne l’empêchait pas d’être bon pied bon œil. Martine a épousé Jean Willem, vedette du football auvelaisien.

On pouvait aussi rejoindre la place Joseph Wauters en venant du cimetière par l’avenue Nouvelle, route parallèle au cimetière et séparée de celui-ci par une bande de terrains communaux divisés sur leur longueur par un sentier central. Le côté droit de la route était planté de petits arbres que les services communaux taillaient en boule. Seul le côté gauche de la route comportait une dizaine de maisons.

La première était celle de la famille Baecke, apparentée aux Baecke de la place J. Wauters (voir ci-avant), dont la fille épousa plus tard Firmin, l’aîné des fils Franquin.

La maison suivante était celle d’un vieil Italien qui y vivait seul mais dont je ne sais plus le nom.

La troisième maison était occupée par le fils aîné du fossoyeur et sa famille, Jean Massinon, qui s’était essayé au sport cycliste comme amateur après la guerre. J’ai oublié le nom des habitants de la maison suivante mais ils avaient un fils plus âgé que nous et appelé Anatole, que les plus jeunes du quartier surnommaient avec ou sans malice « balatum ».

La maison suivante était occupée par la famille d’un ouvrier communal appelé Baptiste et par celle des parents de sa femme. Ils avaient un fils qui quittera le quartier plus tard pour ouvrir un commerce de beurre et de lait.

La famille Bruyère qui occupait la maison attenante avait trois enfants, deux garçons et une fille. Le plus jeune des garçons était mon aîné de deux ans et s’appelait Hector. On accédait à la maison suivante par un escalier de quelques marches. Celle-ci était occupée par la famille Massart, qui avait quatre jeunes filles ( ?, Félicie, Lucienne, Marie-Jeanne) et un fils de mon âge Camille. Marie-Jeanne Massart épousa un jeune boulanger pâtissier du bout de la rue Radache au centre d’Auvelais et tint pendant très longtemps une pâtisserie en face du photographe Namèche.

La maison voisine était occupée par la famille Lucien Maghe dans laquelle il y avait deux enfants, un garçon de mon âge, Francis qui avait une plus jeune sœur (Lucienne, je crois!) . La famille Tondu occupait l’avant dernière maison; il y avait 3 jeunes filles et un garçon prénommé Roger.

Enfin, dans la dernière maison un peu en retrait de la route vivait une famille dont j’ai également oublié le nom, où il y avait deux filles dont la plus jeune épousa Jean Geonet, lequel habitait avec ses parents et sa sœur Camille la première maison de la rue du Progrès, Camille Geonet fit des études d’infirmière puis entra comme religieuse dans l’ordre des sœurs soignantes à l’hôpital Romedenne-Delos.

La rue du Progrès était une rue cul-de-sac également parallèle au cimetière et perpendiculaire à l’avenue Nouvelle. Seul le côté gauche était construit et on n’y trouvait à l’époque que trois maisons.

Celle des Geonet, une seconde occupée par un vieux couple qui servait de famille d’accueil à une jeune fille et une troisième dont je n’ai pas souvenir des habitants.

Au bout de la place et parallèle à la rue du Progrès, on avait une rue nettement plus bâtie, appelée assez curieusement vu sa situation, l'avenue Centrale. C’était également une rue en cul-de-sac dans laquelle certaines maisons étaient en cours de construction au début de la guerre.

La première maison du côté gauche était celle de la famille d’Eloi Goffin, qui avait un atelier de coiffure pour hommes où j’allais régulièrement avec mon père. Il y avait un billard russe à l’entrée du salon sur lequel les clients en attente pouvaient tuer le temps. Le rituel de ma taille de cheveux était immuable. Eloi demandait : court ou pas court ? Et mon père répondait invariablement : « comme à l’armée ! » Eloi y allait alors de bon cœur, comme à l’armée. A la fin du massacre, mon père disait : « mets-lui du patchouli ! » Et Eloi me frictionnait la tête avec une mixture probablement de son invention qu’il tirait d’un récipient en inox secoué au dessus de moi, avant de séparer la touffe des cheveux mouillés qui me restaient suivant une ligne aussi droite que la rue Seuris. Je rentrais fier à la maison, donnant la main à mon père et éloignant à coup sûr tous les moustiques du quartier par l’odeur du patchouli.

Une maison en construction suivait le salon de coiffure et précédait celle de la famille Hennuy qui avait une fille de mon âge répondant au prénom peu commun d’Antoinine.

La maison suivante était celle de son oncle et de sa tante, couple sans enfant.

La famille Legrain occupait la maison suivante; famille nombreuse où il y avait au moins deux filles dont la plus jeune Madeleine avait mon âge. A la fin de la guerre, toutes les écoles d’Auvelais ont été à l’enterrement de plusieurs résistants décédés au combat dont un jeune homme Legrain apparenté au Legrain de Seuris (fils, frère, cousin ?) et mis dans un caveau de famille à l’entrée de l’allée centrale du cimetière, à main droite.

La famille Joseph Quertainmont occupait la maison suivante; il y avait deux fils, Fernand et Victor déjà jeunes hommes durant ma jeunesse. La dernière maison était habitée par la famille Jeanmart, apparentée aux Jeanmart de la rue Chère-voie.

Le côté droit de la route était également construit et la première maison qui suivait le jardin de chez Biouche était celle d’une famille dont j’ai oublié le nom, mais dont le père était électricien de fond dans la mine. Ces gens n’avaient qu’un fils, Georges d’un an mon aîné.

La maison suivante, constituée de 2 "villas" jumelées, était celle des Berlaimont, où il y avait trois enfants, deux garçons, Robert et Claude, et une fille Annette.

La maison jumelle était occupée par des personnes dont je ne me souviens pas.

Cette maison "jumelée" était suivie d'une maison de même type que la précédente, la première était occupée par la famille François Boucher où il y avait trois garçons Raymond (Menuisier), Jean et Claude ( moins âgé que moi) et deux filles Suzanne et Mireille plus jeunes que les garçons.

Suivait la maison de la famille François Deroo, frère d'Henri précité, ( les épouses Deroo et Boucher étaient les sœurs Euphrosine et Denise Vigneron originaires du pont à Biesme) où il y avait trois fils , Henri, Maurice et le plus jeune Léon.

Je ne me souviens plus des habitants des deux maisons suivantes qui précédaient celle de la famille Braeckman dont le fils Henri avait mon âge. Les Braeckman père et fils se sont établis plus tard à leur compte comme marchands de charbons. A côté des Braeckman habitait dans les années 50 monsieur Guillaume instituteur à l'école St Joseph et la maison avant la maison Deroo était occupée par un plafonneur nommé Vigneron qui avait un fils prénommé Georges. La mère de Georges était fière de montrer son meuble-radio "avec tous les musiciens dedans". Meuble-radio avec platine tourne-disques qui devait être le premier de la rue.

La dernière maison non encore terminée à l’époque de la guerre était déjà occupée par un Italien, Eugenio le frère d’Angelo Parisi qui fut occupée vers 1947 par la famille Brosteaux – Maghe et leur fils Raoul, monsieur Brosteaux était un cousin de François et Henri Deroo, madame Maghe une cousine de Lucien Maghe..

Je n’ai pas parlé des habitants de la rue Chère-voie parce que celle-ci existait longtemps avant la quartier de Seuris et qu’elle était habitée bien souvent par des personnes plus âgées. J’aurais pu cependant parler de la famille de Eugène Istasse, le plafonneur qui avait deux fils et une fille; de celle des Malengré qui avaient une fille ou de celle des Turcry qui avaient un fils, des jeunes de l’âge de ceux du nouveau quartier.

A l’emplacement actuel de l’hôpital, il y avait des roulottes où habitait une famille dont le mari s’appelait Hadrien, et qui faisait les marchés en vendant de la mercerie. Ils avaient une charrette et un cheval et charriaient parfois du charbon pour les gens. Leur petit fils qui habitait Bruxelles a vécu pratiquement toute la guerre à Seuris où il revenait en vacances par la suite. Pour être complet, il faut aussi parler de la famille Depauw qui habitait une maison isolée sur un petit chemin à gauche de l’autre côté du pont de Chère-voie et qui avait trois enfants, une fille et deux fils, Joseph qui avait mon âge et Emile. Le père devait être charpentier car son surnom en wallon était le "Tcherpettî". La maman était une des filles Dubois de la rue Seuris. Devant leur maison se trouvait un petit verger de pommiers et de poiriers que nous avons souvent visité et, à côté, un ancien terrain de tennis en briques pilées, pratiquement à l’orée du bois, un des terrains de jeu privilégiés des gamins de Seuris.

Combien reste-t-il aujourd’hui de ces familles pionnières dans le quartier, qui pourraient remplir les vides de ma mémoire ?

On vivait pratiquement en autarcie à Seuris sauf pour l’achat des souliers et des vêtements, mais comme la plupart des femmes restaient à la maison, elles allaient au marché d’Auvelais le mercredi à celui de Tamines, qui n’était pas plus éloigné, le vendredi. La seule boucherie était celle des Moret, comme on l’a vu, au début de la rue Saint Sang. Les deux boulangers disponibles se trouvaient sur la rue de Falisolle; la boulangerie Zicot, près du carrefour de Saint Sang et la boulangerie Capelle en face de la rue de la Bruyère. Mais l’essentiel était amené par des marchands ambulants, le pain par la coopérative socialiste et par le Bon Pain qui amenait aussi le lait. La Bonne Source de Velaine amenait la bière et les limonades. Il passait même régulièrement un aiguiseur de couteaux.

André ERGO. (février - mars 2007)

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