ANTIGONE, une pièce en faveur de la collaboration ou de la résistance ?
Anouilh, Jean, 1944
Présentation de la pièce
La pièce fut composée sous sa forme quasi-définitive en 1942, et reçut à ce moment l'aval de la censure hitlérienne. Sans doute à cause de difficultés financières, elle ne fut créée que deux ans après, le 4 février 1944, au théâtre de l'Atelier, dans un Paris encore occupé, dans une mise en scène d'André Barsacq, avec Suzanne Flon dans le rôle d'Ismène (afin de faire face au froid, elle portait sous sa robe blanche des pantalons de ski). Elle connut un triomphe, ayant plus de cinq cents représentations.
Les costumes qui donnaient aux gardes des imperméables de cuir qui ressemblaient fort à ceux de la Gestapo aidèrent à la confusion.
Après une interruption des représentations en août 1944, due aux combats pour la libération de Paris, elles reprennent normalement.
Antigone sera ensuite à nouveau représentée à Paris en 1947, 1949 et 1950 mais aussi dès mai 1944 à Bruxelles, en 1945 à Rome, et en 1949 à Londres
Résumé de la pièce
Œdipe : Il tue son père (par hasard), épouse ma mère (par hasard) , parricide et incestueux. Quand la monstruosité de sa vie est connue, il se perce les yeux et devient mendiant, accompagné d’Antigone qui refuse d’abandonner son père dans le malheur. Créon, son beau frère, prend le trône. Œdipe meurt lorsqu’il trouve un passage pour les enfer.
Antigone : Dans la ville de Thèbes, après la mort d'Oedipe, ses deux fils, Polynice et Étéocle, décidèrent de régner chacun un an. Mais Étéocle, au terme de la première année, refusa de quitter le trône.
Après une guerre terrible où ils se sont entretués, Créon, leur oncle, prit le pouvoir, ordonna des funérailles somptueuses pour Étéocle, mort en défendant sa patrie, tandis qu'à l'égard du traître Polynice décréta que son corps, laissé sans sépulture, devait pourrir sur le sol, ce qui, pour les Grecs, était l’enfer assuré. Quiconque irait l’enterrer serait puni de mort.
La « petite Antigone », leur sœur, rompt avec son fiancé, Hémon, le fils de Créon, sans lui dire pourquoi et, rend au défunt les honneurs funèbres en le recouvrant, avec sa pelle d'enfant, d'un peu de terre.
Elle est arrêtée par trois gardes qui la mènent à Créon. Celui-ci préfèrerait ne pas punir sa nièce et la fiancée de son fils. Comme personne d'autre ne l'a vue, il lui suffirait de faire disparaître les gardes. Mais Antigone s'obstine : si Créon la libère, son premier soin sera de retourner enterrer son frère.
Ébranlée par le discours de Cléon montrant l’absurdité de se sacrifier pour cette histoire politique, il commet l'erreur de lui dire qu'elle doit être heureuse avec Hémon et consentir à la vie qui n'est en fin de compte que le bonheur. Or elle ne veut ni être heureuse ni même vivre.
Créon doit donc la condamner à être enterrée vivante. Elle se pend dans le tombeau. Son fiancé se donne la mort à ses côtés. Eurydice, la reine, se tranche la gorge de désespoir.
Contexte historique : pourquoi réutiliser cette histoire dans les années 40
Anouilh est incité à écrire la pièce en août 1942, à la suite de l'attentat commis par un jeune résistant, Paul Collette, qui tira sur un groupe de dirigeants collaborationnistes au cours d'un meeting de la Légion des volontaires français (L.V.F.) à Versailles. Il blessa Pierre Laval et Marcel Déat. Le jeune homme n'appartenait à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique ; son geste était isolé, son efficacité douteuse.
La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque et inutile frappèrent Anouilh. Il songea alors à l'''Antigone'' de Sophocle, qui pour un esprit moderne évoque la résistance d'un individu face à l'État. Anouilh pensait à cette figure antique en voyant des petites affiches rouges placardées sur les murs, comme il le raconte lui-même.
Anouilh raconte que l’idée lui est venue aussi en voyant « le jour des petites affiches rouges ». Ces petites affiches rouges dont il parle sont certainement des affiches posées dans les rues pour informer des représailles prises lors des meurtres d’officiers. On tuait des otages, et on proposait une prime pour toute délation. C’est dans ce contexte qu’il décide de parler de la pièce .
Il fit d'autres allusions à la Seconde Guerre mondiale, au fascisme, et la pièce était donc, à sa création en 1944, une œuvre d'actualité. Et les questions s'imposent :
Ne fait-il pas d'Antigone le symbole du patriotisme, de la résistance au totalitarisme de Créon ?
Comme il fait de Créon un pauvre roi, condamné par sa fonction à imposer la violence, il justifie Pétain et le régime de Vichy. Régime qui fait de la politique réaliste depuis 1940, préférant la sécurité d’un armistice et de la collaboration à l’aventure de la continuation de la guerre.
La mise en scène de 1944, voulue par Anouilh sème le trouble (voir photo) : un décor dépouillé, des acteurs habillés à la mode. Créon est en costume, les gardes, en imperméables en cuir, comme la Gestapo.
Réception à l’époque
Mais elle engendra une polémique, des réactions passionnées et contrastées.
Une pièce pour la collaboration :
Le journal collaborationniste ''Je suis partout'' l’adora : Créon est le représentant d'une politique qui ne se soucie guère de morale, Antigone est une anarchiste (une « terroriste », pour reprendre la terminologie de l'époque) que ses fausses et mauvaises valeurs conduisent à un sacrifice inutile, semant le désordre autour d'elle.
Des tracts clandestins, issus des milieux résistants, menacèrent Anouilh, accusé de défendre l'ordre établi montrant Créon sous un jour favorable.
Une pièce de résistant
Mais simultanément, on entendit dans les différences entre Antigone et Créon le dialogue impossible de la Résistance et de la collaboration, celle-là parlant morale, et celui-ci d'intérêts. Antigone dit « que l’on doit faire ce que l’on peut », même si c’est peu. L'héroïne triomphe auprès du public le plus jeune, qui aima la pièce.
Bilan ?
Pourtant, même sur ces exécutants brutaux, Anouilh ne porta pas de jugement : Antigone doute de son acte de bravoure. Les bourreaux s’excusent d’être bourreau. C’est l’idéalisme contre le réalisme. C’est l’anarchisme et l’absurde : on meurt pour rien.
Pourquoi l’Antiquité ?
Dans le théâtre, il y a comédie ou tragédie. Antigone est une tragédie reprise de celle de l’auteur grec Sophocle.
Dans les années 1930- 1940, la mode est à l’anachronisme. On imagine dans une Grèce antique de carte postale des actions, qui décrivent la société contemporaine. Ex : Jean Giraudoux, la Guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935 Jean Cocteau et Orphée ou Antigone adaptée dans les années 1920
Pourquoi la jeunesse et les femmes ?
Antigone rappelle régulièrement son âge à Créon, et inversement. C’est l’impétuosité de la jeunesse face à la maturité, plus réfléchie et posée. Le public jeune en 1944 et même après la guerre a vite été conquis par cette opposition.
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