Y a quelques mois de ça, je reçois un appel. Je sais pas pourquoi j'ai répondu, moi, quel con je suis. Si j'avais pu me douter...
à l'autre bout du fil (c'est bien une expression de vieux, ça, parce que des fils, y en a plus beaucoup, de nos jours, à part pour les possesseurs d'iphone dont la capacité de batterie se limite à aller de prise en prise), la voix d'un jeune (brrrr, rien que d'y penser...).
Ce gougnafier commence par un cavalier "allo tonton, c'est Lucas"... ils m'énervent, ces jeunes, avec leurs "frérot, cousin, etc"... tonton, c'est une première, et ça me met de suite de mauvais poil.
Je réponds pas, mais il se démonte pas pour autant, il continue son charabia en me disant qu'il est reçu , qu'il est super content, youpi tralala... mais bordel, comme si j'étais censé savoir de quoi il me parle et devais partager sa pathétique allégresse... mais qu'est-ce que j'en ai à cirer, moi ?
Ma mère se tient pas loin de moi (un peu sourde, mais toujours une esgourde qui traîne, celle-ci) et a manifestement tout entendu.
Elle me fait signe de raccrocher, l'air de me dire qu'on a autre chose à foutre que d'écouter un bonimenteur de bas étage.
Sauf que l'autre, il nous balance comme ça, toi et mamie (et il continue, le bougre), vous êtes invités à la cérémonie, puis au repas de gala.
à ces derniers mots, ma mère m'arrache mon téléphone des mains, et hurle "avec plaisir, on sera là heu... jeune !"
Et elle raccroche.
Je te cache pas qu'il a fallu mener enquête pour savoir qui était ce Lucas en question. Enquête bouclée lorsque ma soeur nous a contactés à son tour pour nous annoncer elle aussi la nouvelle.
C'est alors que je me suis souvenu de l'être étrange qu'elle avait mis au monde 23 piges auparavant dans un moment de faiblesse. Comment voulais-tu que je me souvienne, hein? 23 ans... c'est toute une vie... ouais, si t'as quelque chose à rajouter à ce sujet, tagueule toi plutôt, tu seras gentil(le).
C'est donc pour ça qu'il m'appelait tonton...
Ce miasme purulent, non content de nous avoir emmerdés tout petit quand la frangine nous rendait visite et se délestait de cette charge (heureusement que la cave est bien insonorisée, sinon jamais on n'aurait fermé l'oeil avec pareil zigomard), a par dessus le marché décidé de devenir condé... enfin, gendarme, quoi, si tu préfères, comme son père et son beau père... si si, je te jure!
C'est que ça commence à faire beaucoup, non ? Bientôt, les repas de famille ressembleront davantage à une garde à vue.
Alors voilà, il a validé sa formation d'élève gendarme (si si, y a une formation pour ça, moi non plus j'y croyais pas, mais si) et devient de fait gendarme à part entière.
Le jour J, j'embarque donc ma daronne dans la voiture, et nous voilà partis pour une expédition hasardeuse d'à peu près 5h sous un soleil à terrasser un dromadaire, avec comme point de mire la récompense ultime : le repas, avec si possible, en prime, la plus grosse cuite jamais enregistrée, mon Graal, mon Everest en plein centre d'une fourmilière de keufs.
En cours de route, pause pipi, obligatoire quand on trimballe une antiquité dont seule la datation carbone permet d'évaluer l'âge. J'ouvre le coffre pour la laisser s'ébattre dans l'herbe, puis direction chiottes publiques, parce que madame a ses exigences en termes de confort. J'ai eu des chiens moins emmerdants...
Quand j'ai vu à distance le chantier, j'ai compris que la séance pipi allait obligatoirement se transformer en séance varappe pour ma ptite vieille.
C'est pas possible, y avait sûrement eu un tremblement de terre juste avant, ou bien un bus entier d'incontinents fécaux sous dragée fuca avait choisi ce lieu précis pour lâcher du lest.
J'en ris encore.
Reprise du volant, il nous reste environ la moitié du chemin à faire.
Quelques kms plus loin, une voiture de gendarmerie me rattrape, se colle à mon cul.
Impressionné, je me dis que quand même, ils font les choses sacrément bien, ils escortent les invités jusqu'au point de rendez-vous. Incroyable.
Alors j'accélère, quoi, un peu euphorisé.
Bon, ils m'ont vite contraint à me garer et calmé. Pas aimables, hein, les gonzes.
Ils me ramènent ma mère qu'était restée accrochée aux murs des chiottes. Un oubli, que veux-tu que je te dise, c'est... l'émotion, voilà, c'est ça, c'est pas tous les jours qu'on a un neveu qui reçoit ses galons. Quoi ?
En tout cas, la note a été salée, entre refus d'obtempérer, excès de vitesse, abandon d'un animal de compagnie sur la voie publique... ah je m'en rappellerai, de cette journée.
Tu vois, déjà, j'ai un aperçu de ce que promet d'être cette foutue journée, noyé dans une marée gendarmesque. Petit a priori, ouais ouais, c'est pas de moi, pourtant, ça.
Tu sais, moi j'ai un profond respect pour nos forces de l'ordre... non ok, je me fous de ta gueule. J'en ai plein le cul, des flics, non contents de régir ma vie publique, je trouve qu'ils commencent un peu trop à investir ma sphère privée, ces sans gêne.
Bref, nous voilà rendus à cette putain de caserne.
Malaise profond. Où que mes yeux se posent, je ne vois plus qu'uniformes (j'ai failli dire têtes de cons, mais tu me connais, je suis bien trop respectueux pour cela... chut, tais-toi), où que mes pieds me portent, me voilà encadré par cette gent armée et un tantinet trop rigide pour moi.
Fouillés de la tête aux pieds, passés au scanner.
La daronne, plus une pièce d'origine, plus refaite que notre dame de Paris, des étais de la cave au grenier, dents en or, hanches en titane, genoux en inox, épaules en fer galvanisé (ouais ben elle commençait à manquer de moyens), tête de pioche... tu penses bien qu'elle sonnait à tous les portiques et mettait en émoi tout ce petit monde... à sa plus grande joie, cette mauvaise personne.
On retrouve ma soeur et son gendarmique mari. Lui, il a sorti son vieil uniforme pour l'occasion, il est presque beau. Un brin de nostalgie s'empare de moi, c'est comme revoir une vieille photo de ses grands-parents et constater à quel point le temps a pas été sympa.
On finit par passer toutes les étapes de contrôle, j'étais sur le point d'avouer toutes mes forfaitures, je te jure, c'est stressant, puis ils nous disent, attendez là, l'élève Leroux viendra vous chercher.
Un jeune se pointe devant nous, je lui ouvre grand mes bras, "mon neveu !", larmichette de circonstance.
Gêné, il ose pas trop me dire qu'il ne me connaît pas, qu'il vient juste vérifier notre identité.
Ouais ben moi aussi, c'était un test, trou du cul, tu crois que je reconnaîtrais pas un membre de ma famille, ou quoi?
Pis sont tous pareils avec leur uniforme, là.
J'entends enfin un "tonton" derrière moi, indice non négligeable, mais méfiant, je lui demande ses papiers, moi aussi, pas de raison.
Je le laisse s'épancher un peu, il a l'air heureux de me voir, ému à en trembler, je sais, je fais souvent cette impression aux inconnus (encore une fois, ferme la).
Ma mère court partout dans les pelouses, tu peux pas la lâcher des yeux une seconde, celle-ci. J'ai pas pensé à emporter mes sacs à crottes, je sens que je vais encore me manger une douloureuse, moi.
Le calvaire ne fait que commencer.
On se tape toute leur cérémonie un brin trop cérémonieuse à mon goût.
Et vas-y que ça défile, que ça tambourine, que ça chante (enfin, hululer conviendrait mieux pour ce que mes pauvres oreilles ont eu à endurer là), tout ça sous une chaleur à remplir d'espoir tous les débirentiers de viager.
On leur a pas dit que c'est pas bon de rester en plein cagnard ? Tu me diras, au regard vague de certains, ça doit pas beaucoup bouillonner sous le képi.
Niveau chants, c'est pas non plus de grands paroliers qu'ont écrit le répertoire, bon sang.
L'aprém, tu me croiras sûrement pas, mauvais esprit comme je te connais, mais direction l'église. Si si. Même moi.
Bon, escorté et forcé par une floppée de flics , mais ça compte quand même, j'ai gagné ma place au paradis.
J'ai pas compris le concept, mais mon neveu et quelques-uns de ses camarades ont chanté (ouais enfin, t'as compris, je me répète pas). Tu te doutes bien qu'encore une fois, c'était pas tout à fait le registre qui me fait frétiller les neurones, mais bon, journée pourrie pour journée pourrie, autant aller au bout, maintenant.
Mon naturel méfiant m'a poussé à surveiller le curé, mais définitivement, les élèves gendarmes avaient passé l'âge pour risquer quoi que ce soit de ce côté.
Je te passe tous les détails de cette journée horrible, c'est déjà une torture que de me la remémorer.
Seule compensation, j'ai vu mon beauf chialer, alors même si c'était de fierté, m'en fous, c'est toujours ça de pris.
On zappe direct au repas du soir. Ce pour quoi on est venus jusqu'ici, merde !
Finis les uniformes, le protocole militaire, les attitudes d'une rigidité priapique, les postures d'une rectitude à soupçonner un balai embastillé dans le fondement... à nous l'avachissement, le relâchement, merde au garde à vous, vive le saoulez vous.
Ma génitrice a bien pigé le concept. Intenable.
Elle court de serveur en serveur pour grappiller le plus de verres possible, et elle fait ses réserves dans un coin de la salle, pour le cas où ils auraient l'idée saugrenue de nous rationner.
Je ne me souviens pas de grand chose, plus tard dans la nuit, mais mon réveil en cellule de dégrisement aux côtés de ma mère m'a confirmé que la soirée avait été sacrément réussie. Mission accomplie.
Au dire des gendarmes, la personne qui un jour me mit au monde a monnayé les verres emmagasinés à la manière d'un écureuil quand l'alcool n'a plus coulé, jusqu'à amasser un joli pactole.
Cette personne est malfaisante... mais a un sacré sens des affaires.
Voilà voilà, Lucas Leroux est désormais gendarme.
Et au delà de la blagounette, on est bien sûr fiers de lui.
Encore Félicitations, lulu.
PS : Je compte sur toi pour me faire sauter tous mes PV !
Re PS : je sais pas pourquoi, quand je mets 3 photos, la première est de très mauvaise qualité. J'ai donc décidé de sacrifier celle où apparaît mon beauf !