J'ai dîné avec Léon


J'ai dîné avec Léon .

Léon, c'est mon pote qui vit dehors, clodo de son état.

Il m'a accueilli d'un beau sourire, tout en gencives nues et vachement franc bien qu'il ne soit pas blanc, sans fausse dent ni faux semblants.

Il m'a reçu en grandes pompes, au moins du 47, vêtu de tâches successives et de vomi.

Mon pote Léon sait recevoir, il sent pas vraiment bon mais il a les mains propres, rien à se reprocher à part le temps qu'il tue.

Il avait mis les petits plats dans les grands, boite de conserve et papier d'alu, verres en plastique bien usagés.

Il m'avait préparé sa spécialité, un truc dont il est toujours vach'ment fier et qu'il a l'air de trouver fin et élaboré.

 Boîte de lentilles et miettes de pain, et deux cubits de rouge, un pour chacun.

Il est sympa, mon pote Léon, mais son pinard t'accroche comme un grappin, ça te déchausse les dents et te fond l'oesophage.

Il a un goût étrange, un peu le même que quand tu le vomis.

C'est pas bon à l'entrée, pareil à la sortie.

Il te sert ça façon grand sommelier, et t'as pas de crachoir, tu dois tout avaler.

Tu fermes les yeux pour faire passer, dégustation à l'aveugle et papilles endormies.

 Mais dans le fond, je me régale pas, mais je m'en fous.

Je ne viens ni pour boire ni pour manger.

Je viens lui quémander son temps, lui qui n'a plus que ça, et je lui donne en échange écoute et considération.

Deux âmes en perdition qui se raccrochent l'une à l'autre, épaules compatissantes qui nous servent d'appui.

Il est sympa mon pote Léon, on s'entend bien pour ça.

Sa cuisine est dégueulasse et sa cave est pourrie, mais il est si chaleureux et tellement humain... et ça... ça, ça nourrit son homme.