Graines d'ancêtres

Graine d’Ancêtres

Mythe cosmogonique dogon (Mali)

d’après l’ethnologue Marcel Griaule (1898-1956) : Le renard pâle

Au commencement était la plus petite des graines appelée le Põ. C’était tout à la fois un œuf et un végétal, la première ébauche de création du dieu Amma.

Or, le Põ avait la particularité d’enrouler les paroles d’Amma en spirale autour de son germe. Ces paroles étaient au nombre de quatre et désignaient un à un, tous les éléments de la création.

Quand il fut à maturité, le Põ éclata, libérant sa spirale de paroles. Telle une arche, en forme de double hélice en torsade, celle-ci se déroula vers la terre. Elle était constituée de deux cordes jumelées, jalonnées d’une série de nœuds, appelés « nœuds du grand Amma ». Sur ces noeuds étaient accrochées les quatre paroles mâles, chacune tenant la main à quatre jumelles que le Dieu avait aussi créées. C’était le lien serré, quasi indissoluble, qu’Amma avait établi entre les ancêtres et leurs descendants.

Suite à la transmission d'Odile Anna sur "la seconde parole et le tissage" de Marcel Griaule, je comprends donc que Nommo est descendu sur terre, porteur de fibres végétales dont les plantes poussaient dans les champs du ciel…

De mon côté, j'avais été enthousiasmée par la lecture de "La Parole du Monde" de Geneviève Calame-Griaule (fille de Marcel et ethnologue, elle aussi) et j'avais retrouvé, dans la mythologie Dogon qu'elle relate, plusieurs pépites :

Dans l'Oeuf du Monde, les germes des deux êtres premiers

La notion de parole joue un rôle fondateur dans la mythologie de la création du monde. Les Dogons sont animistes, et l'animisme est caractérisé par la croyance en un dieu unique, contrairement à ce que l'on croit souvent ; il est créateur, il préexiste à toutes choses et a créé tout ce qui existe sur terre. (...) Son nom est Amma. Par sa parole contenu dans sa salive, il a créé un placenta (qu'on appelle aussi "l'oeuf du Monde") qui est donc une entité féminine, une image de mère. Il a fécondé ce placenta en y plaçant les germes des deux premiers êtres, qu'on décrit comme des jumeaux, mâle et femelle à la fois.Par la suite, il y a eu gestation, dont le terme avait été décidé par Amma, et l'un des deux êtres est sorti avant terme de l'oeuf du monde, désobéissant ainsi à son père. (...) Ce premier personnage est non seulement né avant terme, contre la volonté divine, mais il est aussi né unique, en ce sens que sa moitié est resté dans l'oeuf (Note: comme Adam !) (...) Par la suite, il a commis toutes sortes d'actes délictueux, en particulier l'inceste avec sa mère (Note : comme Oedipe !). Poursuivant ses méfaits, il a aussi volé à son père la parole et les huit graines primordiales qui étaient destinées à l'humanité, mais tout ce qu'il a volé lui a été repris par Amma (...) Il n'a jamais retrouvé sa moitié femelle et on dit qu'il la cherche toujours (...)

L'autre personnage de l'œuf, c'est Nommo. Lui, c'est l'être parfait. Il est le maître de l'eau, de la fécondité, le Moniteur qui, une fois descendu sur terre, a enseigné les techniques et la paroles aux premiers hommes. Pour purifier le monde des désordres du Renard, il a été sacrifié, coupé en morceaux qu'Amma a dispersés aux quatre coins du monde (les points cardinaux). On peut le comparer à Osiris. (...) Les morceaux ont été réunis, il a été ressuscité par Amma, puis est descendu sur la terre avec les premiers hommes, les huit ancêtres de l'humanité (quatre hommes et quatre femmes) sur une arche de terre pure qui s'est posée sur la terre du Renard (...) La descente est l'image de la première naissance. L'arche, l'autre image du placenta, descend en se balançant au bout d'une chaine, sorte de cordon ombilical et s'écrase sur le sol.

(Note : Ce mythe fait partie des « mythes de l’Ogdoade », c’est-à-dire qui fait état de huit divinités primordiales. Les tous premiers mythes de l’Ogdoade ont été retrouvés en Egypte ancienne, à Hermopolis et datent de 5000 ans)

Les huit ancêtres, base de la vie

D'autres recherches parallèles avaient complété cette lecture.

Amma, pour créer l'univers, décida de mélanger différentes graines, et de les fondre dans un mouvement continu. De ce mouvement naîtra la graine Pô. Le brassage d'Amma à l'intérieur de la graine entraîna les vibrations de la matière originelle, et le monde naîtra de la fermentation de ces graines dans l'œuf d'amma. L'œuf se changea en placenta, et donna naissance au premier être vivant.

Volet de grenier Dogon

Cette graine était donc, tout à la fois un œuf et un végétal, la première ébauche de création du dieu Amma. Elle avait, semble-t-il, la particularité d’enrouler les paroles d’Amma en spirale autour de son germe. Ces paroles étaient au nombre de quatre et désignaient un à un, tous les éléments de la création. On raconte qu' arrivée à maturité, la graine Pô a éclaté, libérant sa spirale de paroles. Telle une arche, en forme de double hélice en torsade, celle-ci s'est déroulé vers la terre. Elle était constituée de deux cordes jumelées, jalonnées d’une série de nœuds, appelés « nœuds du grand Amma ». Sur ces noeuds étaient accrochées les quatre paroles mâles, chacune tenant la main à quatre jumelles que le Dieu avait aussi créées. C’était le lien serré, quasi indissoluble, qu’Amma avait établi entre les ancêtres et leurs descendants. Généré par le souffle ininterrompu des quatre paires d’ancêtres primordiaux qui fonctionnait comme une respiration tourbillonnante, un mouvement hélicoïdal animait l’arche. C’était le mouvement de la vie …

Quelle surprise de reconnaitre dans cette image la structure même de l'ADN (acide désoxyribo nucléique) !

Pour rappel :

    • en 1928, le chercheur Griffith démontre l'existence d'un support chimique de l'hérédité.
    • en 1953, les chercheurs Watson et Crick, expliquent pour la première fois sa structure. Dans le noyau de la cellule - de la taille de 2 microns - se trouve la molécule d’ADN, filament entortillé, long de 174 cm (!) Elle ressemble à une double hélice faite de deux brins enroulés en torsade. Chaque brin est constitué entre autre d'une succession de quatre bases qui sont : l'adénine, la tymine, la guanine et la cytosine. Chacune des bases d'un brin s'associe de manière spécifique aux bases de l'autre brin, formant ainsi quatre couples, donc huit bases proposant les associations suivantes : Adénine/Tymine ; Cytosine/Guanine ; Tymine/Adénine ; Guanine/Cytosine.

Structure de la molécule d'ADN

Ainsi le mythe avait-t-il des fondements biologiques qui le rendait explicite ! Le Pô, graine primordiale (la cellule) absorbe dans son germe (le noyau) les paroles du Dieu Amma (l’ADN, genèse du vivant et support de la vie). Les 4 paires d’ancêtres (les 4 bases associées à 4 autres) véhiculent les informations nécessaires à la vie et à sa transmission de génération en génération. Le souffle des ancêtres (la vibration énergétique) anime l’arche (la double hélice de l’ADN) par un mouvement hélicoïdal… La graine Pô était donc une graine d'ancêtres ! Le travail transgénérationnel d'aujourd'hui n'est finalement qu'une actualisation de ce mouvement que la sagesse des Anciens vénérait bien avant nous dans leur Culte des Ancêtres.

Avant d'être tissée, la parole se forge dans le cœur

Quand Nommo est arrivé sur la Terre des ancêtres, il leur a enseigné les techniques, en particulier l'agriculture. Il leur a aussi enseigné la parole en même temps que le tissage et cela c'est un immense mythe qui explique toute la conception de la parole (...)

La parole se fabrique dans le corps. Cela commence par un processus intellectuel qui se déroule dans le cerveau, la pensée, l'idée première de la parole. Mais la parole proprement dite "se forge", et c'est bien le mot qu'emploient les Dogons, d'abord dans les viscères. Quatre éléments entre dans la composition de la parole. Ce sont les quatre éléments constitutifs de l'univers, une conception que l'on retrouve dans le monde entier : terre, eau, air, feu. Ils sont la matière première de notre corps comme tout ce qui existe dans la création. (...) D'autres éléments importants, outre ces éléments de base, entrent dans la composition de la parole. L'un des plus importants est ce que les Dogons appellent "l'huile du sang". Il y a une partie lipide dans le sang et, selon eux, cette substance se mêle à la parole et lui confère son charme, sa beauté, son caractère agréable. La bile donne de l'amertume mais est purificatrice. Il peut y avoir du sel , le sel de la parole, avec la même signification que chez nous. Quant au miel, au sucre, ils donnent une parole douce et très agréable mais dont il faut se méfier (...) L'élément eau est essentiel à la parole parce qu'il lui donne la vie. Contenue dans le foie, comme une poterie posée sur le feu, l'eau de la parole est chauffée par le coeur qui est le foyer de la forge. Entrant en ébullition, elle devient de la vapeur d'eau qui va être propulsée par les poumons, soufflet de la forge, et monter vers le larynx et les organes de la phonation. Arrivée au larynx, la parole, cette vapeur d'eau contenant en substance tout le discours, mais pas encore sonore, se sonorise.

La bouche est un métier à tisser

Dans la bouche, entre en jeu le tissage. Notre bouche est en effet un métier à tisser. La langue est la navette qui va et qui vient, qui bouge sans arrêt. Les dents sont le peigne à travers lequel passent les fils de la chaîne. La poulie est représentée par la luette. C'est donc dans la bouche que la parole tisse. Elle devient la bande de coton qui prend forme, couleur et dessin et qui en sort pour aller dans le monde. On comprend maintenant pourquoi les dogons interprètent le mot "étoffe" comme signifiant "c'est la parole". Nous disons nous-même "un tissu de mensonges" ou bien "la trame d'un discours".

La parole sous la forme de vapeur d'eau, mais sonore cette fois, se propulse selon une ligne hélicoïdale qui rappelle la spirale de la création selon laquelle toutes les choses se sont transmises dans le monde. C'est cette spirale en mouvement qui est représentée graphiquement sous la forme d'une ligne de chevrons, signe que l'on retrouve en égypte (…) Les Dogons accordent une importance immense à la parole échangée entre l'homme et la femme (…) D'elle va dépendre la fécondité (…) La parole fécondante agit sur les plantes, sur les animaux, sur toute la fertilité du monde (…) une fois "cuisinée" ou "forgée" dans le corps, "tissée" dans la bouche, cette parole devient sociale (…) Elle contient toutes les connaissances, toutes les valeurs, tous les modèles culturels du groupe. Couper cette bande, couper cette tradition, c'est provoquer la mort du groupe".

Correspondances

Le monde n'est pas un chaos, il a un sens, et ce sens a été déposé par le dieu créateur dans tous les éléments de la création ; en fait, c'est sa "parole" qu'il y a mise. Les choses parlent mais il faut savoir les écouter, les comprendre. Elles nous parlent par leur aspect, par leur forme (...) C'est cette "parole du monde" que les hommes doivent déchiffrer. (...) Lorsqu'on a bien observé tous ces éléments et qu'on les a nommés et interprétés, on les classe (...)

(...) Les classifications des Dogons sont bien connues maintenant : plantes, animaux, insectes, étoiles, tissus, dessins des bandes tissées, rythmes musicaux, paroles... Toutes ces classes d'être, de choses, d'objets manufacturés ou culturels, de phénomènes naturels, forment un immense réseau de correspondances Tous les éléments du monde correspondent les uns avec les autres. Ce sont les "Correspondances" de Baudelaire, la forêt de symbole ou tout se répond (...) Par exemple, à l'intérieur des familles d'insectes déjà bien répertoriées, on va distinguer des espèces ayant une caractéristique commune les s'apparentant symboliquement à une activité humaine : les insectes liés à la forge, ou au tissage, ou à la divination...

Patricia