6 - La "Charbonnade"
De bon matin , une lessiveuse remplie d'eau, est mise à chauffer, à grand feu, devant la porte ou dans la cour ( Chez l' Albert ,le feu est alimenté par deux vieux pneus dégageant une épaisse fumée noire et une odeur épouvantable – il n'était pas encore question de pollution ni de réchauffement climatique - )
Puis arrive le char à bœufs amenant le cochon , lequel pressentant un avenir assez sombre, ne ménage pas ses hurlements lorsqu'on le fait descendre du char, sans trop de précautions . Toute la famille est là avec les spécialistes : le " Féliçou du Mouonti " ( Félix Robert ) pour l'abattage la découpe et le tri des viandes , et la Camilla ( ma mère ) pour la confection des saucisses saucissons , boudins et autres pâtés , après avoir lavé , le plus souvent à la rivière, tripes et boyaux .
L'animal est allongé sur le banc et proprement égorgé par le Féli, tandis que le sang recueilli dans une cuvette additionné de vinaigre, est constamment remué , souvent par un gamin que n'émeuvent pas les hurlements du cochon .
Le cochon , devenu " porc" , copieusement arrosé d'eau bouillante, est raclé pour le débarrasser de ses soies, vidé, fendu en deux parties, puis installé sur la longue table de la cuisine pour y être charcuté .
Sous la direction du Félix chacun met la main à la pâte pour un travail qui s'étalera sur toute la journée .
Lorsque les saucissons, saucisses , fricandeaux .. etc .. sont rangés dans les corbeilles la table est dégraissée, nettoyée et l'on passe à la " charbonnade " .
La " charbonnade " dont le nom est tiré du plat obligé de ce repa , fait de morceaux de porc cuisiné avec des pommes de terre , réunit tous le protagonistes de la journée, mais aussi des voisins parents et amis … à charge de revanche.
Les plats tous à base de porc frais, dont le "pourchet " en entrée ,, défilent tandis que les souvenirs s'égrènent : souvenirs de la grande guerre, rappel des événements les plus marquants ou les plus cocasses de la vie au village ( cf .§ " répapiades " )
C'est une vraie fête qui se termine tard dans la nuit par l" l"ile flottante ", le " gâteau de Savoie " ou tout autre gourmandise accompagnée du café dument arrosé .. Puis chacun rentre chez soi .
Le lendemain, ma mère confectionnera un pâté dont je n'ai jamais retrouvé d'équivalent, bien que , chaque année j'essaie d'en perpétuer la recette .
Le " Féliçou " et la Camilla, tandem inséparable pour ce travail, ont ainsi tué des centaines de cochons . Pour ces taches qui , folklore oubli, étaient harassantes , ma mère était payée en nature ; un pli de saucisse une " maoucho " ( saucisse d'herbe ) un boudin , un fricandeau,un morceau de lard " mescladis " …aussi je pense que nous étions la famille du Bleymard qui mangeait le plus de porc frais tout au long de l'hiver !
J'ai également souvenance, que pendant la guerre, l'Albert ( aidé des mêmes ) acheta et fit abattre, clandestinement ( c'était l'époque des réquisitions et du contrôle économique ), un cochon à Orcières , chez " le Fusillet " . Le produit de la charcuterie, confectionnée sur place fut acheminé, de nuit , jusqu'au Bleymard sur des luges et traineaux de fortune, à travers le raccourci de Champredonde . . Inutile de préciser qu' à cette occasion on se passa de " Charbonnade .