On entend régulièrement « Le slam, c’est un peu comme du rap » ou « Le slam, c’est de la poésie parlée ». C’est peut-être vrai, mais comme le chapitre précédent a déjà pu le démontrer, le slam, c’est bien plus que cela ! C’est un mouvement qui fait preuve d’un tel élan de liberté qu’il ne peut se définir en une seule phrase. Ce chapitre a donc pour but d’éclaircir ses caractéristiques majeures.

« Slam », un mot qui claque !


Si ce mot a été choisi par Marc Smith en quelques secondes sans énormément de réflexion, il n’en est pas moins intéressant. Si ça vous intéresse voici tout d’abord un extrait de l’interview de ce slameur américain, racontant l’origine de ce nom.

Pourquoi le mot slam?

« That’s a great story, you know, as I said, I already started the show at the “Get Me High" jazz club and I was gonna start a second show, and there was a reporter name “Borish” who was gonna do an advance story to help me with getting people to go in the show and she said “Hey, how you gonna call the show?” And I said, “Oh Gee, I’ve never thought about that, what I’m gonna call the show? “And I was thinking about the time when a Chicago Baseball hero’s, Ernie Banks, I was thinking about the time when I was watching as a little kid watching the Chicago cup’s play. And I was wishing for Ernie Banks to hit all, and he did, he had a grand slam. And then, I was also thinking about slam dancing was around at the time. And the kind of positive and negative thing we were doing at the Get Me High, it’s just seemed to fit. The term slam in English can mean a very good thing but it also can mean “clac ” so that’s why I choose it. I wanted also to get the name at the neighborhood that the Green Meel was in because there was the rundown neighborhood when I started there and “Unpdown poetry slam” had a nice rhythm to it. She’s talking to me and I’m…"oh Updown poetry slam !” 176

Au-delà de ces réflexions qui se sont faites en seulement quelques minutes, on peut faire de nombreux liens entre ce terme qui est aujourd’hui universel et sa signification. Le film « Slam » a d’ailleurs su participer à la médiatisation de ce mot. L’expression « in the slammer » signifie « au cachot », ce qui n’est pas s’en faire rappeler l’intrigue.177

Tout d’abord, on peut remarquer sa consonance particulière et dynamique. En effet, ce mot contient une seule voyelle, le « a » qui est d’ailleurs la plus ouverte du système phonétique. De plus, il n’a qu’une seule syllabe, ce qui le rend plus percutant tout comme le mot « claque », qui est d’ailleurs une de ses traductions possibles.

Selon le « Cambridge Dictionary », « to slam » renvoie à l’expression « claquer une porte ». Le nom « slam » est également défini comme étant « un bruit soudain et fort ». 178 Dans le dictionnaire d’Oxford, ce mot se définit comme « mettre, pousser ou lancer quelque chose dans un endroit ou une position particulière avec beaucoup de force » ou encore comme étant « critiquer ou claquer quelqu’un ou quelque chose » 179

En argot, «to slam » fait référence à « boire cul sec ». On peut donc voir, dans ces trois définitions, le slam comme étant des paroles projetées avec bruit, choc et impact tout en faisant part d’émotions telles que la colère. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le slam « Attentat verbal » de Grand Corps Malade :

« Dans des salles ou en plein air, laisser des traces, faire des ravages

Va demander au 129H ce qu'on appelle le slam sauvage ». 180

Le Long Term Dictionary, lui, renvoie le verbe « to slam » à « critiquer avec virulence », ce qui peut faire penser à la facette engagée du slam qui n’hésite pas à remettre en question la société. On peut également percevoir par cette phrase l’aspect compétitif des soirées slam. Suivi de « bang », le mot slam est défini comme étant « au rythme passionnant, surtout de manière bruyante et violente ; rempli d’action; palpitant ». 181 On peut cerner par cette définition le moment fort et passionnant durant lequel le slameur partage son texte au public.


Par ailleurs, le mot « slam » donne son nom à l’émission française dans laquelle il faut trouver des mots cachés dans des grilles de lettres. Cela met en évidence ici l’importance de l’écriture, des jeux de mots et de la langue qu’a d’ailleurs souligné Ami Karim durant l’interview réalisée dans le cadre ce projet : « Le slam, c’est des fans d’écriture pour qui jouer avec les mots est presque plus important que de les dire. » 182

Dix ans après son apparition dans les médias français, le mot « slam » est défini dans les dictionnaires comme tel : « « slam » n.m. 1991 mot anglais, littéralement « claquement » forme d’art oratoire consistant à déclamer de manière très libre des textes poétiques. Tournoi de slam- slameur, slameuse». Il est également apparu dans le Larousse à la même période et est défini comme étant une « poésie orale, urbaine, déclamée dans un lieu public sur un rythme scandé ». Ami Karim précise toutefois que le slam n’est pas seulement urbain puisque la poésie est partout et ne se définit pas dans un milieu social précis.183

Dimension scénique


Ensuite, ce qui différencie le slam de la poésie est son aspect scénique, le but même du texte est d’être partagé par le biais de la scène.184 185 Le fondateur du slam dit d’ailleurs que la présentation est tout aussi importante que le texte en lui-même. Il définira le slam comme le fait de « mettre en jeu sa capacité à persuader, tout en veillant à la construction du texte ainsi qu’à la dimension physique de la performance ».186Ivy rejoint cette idée : « Dans la poésie l’enjeu est le texte, tandis qu’avec le slam, bien sûr le texte est un enjeu mais beaucoup moins, y’a une énorme proportion qui va à la performance scénique. » Pour l’artiste Rouda, le slam c’est « l’écriture qui prend vie à l’oral devant un auditoire ». 187

Le but du texte ici, est donc d’être écouté et non lu, comme le définit bien Guy de Bellissen « Le slam est un moment écrit pour être entendu ».188 Ce qui est confirmé par Léo Ferré : « La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie ».189 Au-delà d’avoir « ce courage d’aller dire un texte devant des gens », c’est donc aussi « un art de l’écoute plus que de la parole » , comme le dit Lisette Lombé . 190

Plus que le simple partage d’un texte, cette discipline met également l’accent sur le partage des émotions comme en témoigne l’artiste Chloé M. : « De voir les émotions du public, ça m’en donne : c’est vraiment du partage à fond ! » 191 ou le célèbre artiste, Grand Corps Malade :


« J'écris surtout pour transmettre et parce que je crois encore au partage,

à l'échange des émotions, un sourire sur un visage » 192

Le slam, c’est une parole brute, mise à nue face au public. Outre les mots, sa magie se marque également par les gestes et l’énergie qui en découle. La qualité d’une prestation est donc définie aussi bien par le texte en lui-même que la dynamique qu’il dégage.193 Lisette Lombé explique cette énergie en reprenant l’image d’un triangle avec d’une part, l’émotion de la personne et d’autre part, l’émotions des gens et le lieu qui sont tous trois différent. « Et tout ça sous une espèce de magie qui n’est pas reproductible » ajoute-elle. 194


Afin d’illustrer ces propos, regardons ces quelques vers issus du titre « Du côté chance » de Grand Corps Malade décrivant la scène slam.

« Y’avait plein de gens qui m’écoutaient,

J’ai vu des oreilles plein leurs yeux

Un tas de cœurs bien attentionnés,

Y’avait des jeunes puis des vieux. » 195


Comme on peut le lire dans cet extrait, les scènes slams offrent une grande diversité. C’est, en effet, transgénérationnel et transculturel : on y trouve des gens de tout âge et de tout milieu social: « Il y avait des gens tristes, des gens touchants, des gens techniques, des gens drôles, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, et ce mélange m’a plu », 196 témoigne également Narcisse qui y a participé de nombreuses fois.

A ces micros ouverts, n’importe qui peut s’exprimer et être entendu : « On a découvert un lieu où tout d’un coup, on pouvait se parler sans se sentir jugé. On rentrait chez nous avec un sentiment de plénitude, on vivait des moments extraordinaires, on rencontrait des gens… c’était fabuleux ! »,197 raconte cette fois Ami Karim en parlant de ces soirées. Tout cela, avec une vraie forme d’authenticité : « Il y a des gens qui viennent sur scène et qui vous balancent des trucs sur ce qu’ils pensent, leur vécu personnel, des choses parfois intimes, et on a l’impression qu’après ça, y’a pas de faux semblants possibles », confie Joy Slam. 198


De plus, le public ici est tout aussi important que les slameurs qui sont mis sur le même pied d’égalité, « Y’a pas vraiment de frontière entre artiste-public et ça montre aussi que tout le monde peut le faire », explique-t-elle encore.199 Ivy rejoint également cette idée : « On change les rapports habituels : la personne sur scène n’est pas plus importante que les gens dans le public, tu te mets au service de ta communauté » et applique ce principe d’égalité au sein même des slameurs : « Que tu sois un artiste chevronné ou un débutant, t’auras le même traitement ». 200

Lors des interviews, la communauté est un aspect qui s’est également dégagé. En effet, ce mouvement crée des liens et rassemble, que ce soit entre slameurs du monde entier ou plus localement lors des scènes slam, par exemple. « Y’a une idée de flamme ou de foyer dans le sens où, finalement (…), on reprend quelque chose qui est tellement ancré dans notre humanité : juste se rassembler», explique la fondatrice du collectif Slameke.201 Pour Marc Smith également, on ne peut pas parler de slam sans rejoindre cette idée de communauté qui grandit au fil des générations : « The slam, it belongs to everybody, nobody should say it’s this or it’s that, it’s got many different faces. The most important thing, I believe, is the community that is grows, that’s been passed on as a gift” . 202

Enfin, il est intéressant de préciser que, selon la tradition, ces soirées et évènements font partie intégrante du slam. Lorsque la question « à partir de quand devient-on slameur ?» était posée durant les interviews, les réponses d’Ami Karim et de Rouda ont été respectivement « à partir du moment où tu mets les pieds sur une scène ouverte et que tu poses un texte » 203 et « tu es slameur quand tu es sur scène ». 204 Tous deux précisent qu’au-delà de cet espace, ils sont artistes, auteurs ou rappeurs mais plus spécialement slameurs. « Quand j'écris un texte et que je veux le faire sur une scène ouverte, c'est un texte de slam et si je vais en studio et que je fais une instru hip hop dessus, c'est un rap. Le texte, il n'a pas de définition particulière, c'est la façon dont il est exploité qui va décider ce qu'il devient. » 205 Néanmoins les avis divergent, certains disent à contrario que le slam évolue et une de ses branches devient petit un petit un style musical, qui ne nie toutefois pas ses origines, comme évoque la phrase de Grand Corps Malade « Avant d’être un genre musical, c’est un moment de rencontre ».206

Slam, poésie, rap…. Quelles différences ?


Le slam est souvent associé au rap ou à la poésie. Ce qui peut l’en différencier est le côté plus ouvert et accessible du slam ainsi que sa dimension scénique et orale qui laisse place à une forme de « poésie du XXIème siècle ».207

Le slam se rapproche du rap : en effet, tous deux sont des textes dits sur un rythme plus ou moins marqué. Une des différences entre ces deux genres de texte se situe dans la musique qui les appuie. En effet, dans le slam, le rythme et la musique sont souvent moins présents pour laisser plus de place aux mots. Les slams peuvent être perçus comme plus « doux » et réfléchis alors que certains raps peuvent être vus comme plus « hard ».208 Lorsque la question a été posée à Marc Smith, il souligne que le rap a peut-être plus de codes à respecter alors que le slam offre une forme de liberté. 209 Joy slam semble également d’accord avec cette définition en évoquant les termes de « poésie parlée », là où le rap se rapporte davantage à des « morceaux de musique ».210

Lorsque le slam s’inscrit dans un contexte de partage, par exemple lors des scènes ouvertes, c’est l’écoute et la diversité qui peuvent également le différencier du rap ou de la poésie. Comme le décrit Rouda : « Sur une scène slam, les gens t’écoutent. Ce qui n’est pas forcément le cas dans la vie de tous les jours ou dans le rap où les gens ne t’écoutent pas forcément. Dans le slam, j’ai vraiment vu le vieux poète écouter le jeune rappeur, la conteuse écolo s’enflammer sur une impro… Ça s’inscrit vraiment dans la variété des styles ! »211

Là où le slam s’écarte d’un genre musical à proprement parler, c’est par sa communauté et les différents évènements qui s’organisent autour de celui-ci : « C’est vraiment un événement public », raconte Ivy.212

Pour cet artiste, le slam s’inscrit surtout à travers les tournois, qui se veulent toutefois bienveillants et ouverts. « Le cœur de slam, c’est ce qu’en France ou en Belgique on appelle le tournoi… 3 minutes, sans accessoire, et c’est jugé par le public. Derrière cette pseudo compétition qui n’en est pas une, y’a quand-même une ouverture incroyable à tous les genres de poésie ». 213 A l’opposé, Marc Smith nous dit que “A lot of people make the mistake that thinking that slam is about the competition.” 214 Pour le créateur du slam, la compétition était, en effet, un simple petit évènement pour s’occuper à la fin des soirées slam qui ne doit donc pas prendre trop de place dans le mouvement en général.


L’importance de celle-ci varie selon les cultures et les pays. Joy slam et Narcisse qui se sont tous deux rendus à des grands événements de slam à Madagascar ont tous deux mis en avant l’importance et l’ambiance des tournois là-bas. « Le premier prix du tournoi national de Madagascar, c’est d’être envoyé à Paris pour le championnat du monde. Mais si un slameur de Madagascar a la possibilité d’aller à Paris, c’est comme si moi on me donnait la possibilité d’aller slamer sur la lune ! Pour eux c’est incroyable, c’est la chance de leur vie ! Donc ils s’entrainent pendant une année, nuit et jour, pour gagner ce concours, c’est complètement fou ! » 215

Pour conclure, on pourrait dire que le slam offre avant tout une grande liberté. « C’est surtout une parole libre » nous dit Ami Karim. 216 Chaque slameur en crée sa propre définition et, comme le dit Rouda, « Enfermer une discipline dans une définition serait l’empêcher d’évoluer ».217 Pour résumer, considérons la définition de Grand Corps Malade, reprenant les différentes caractéristiques que nous venons d’aborder : « Le slam, c’est avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. C’est le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l’envie de jouer avec des mots. […] Le slam est sûrement un moment d’écoute, un moment de tolérance, un moment de rencontre, un moment de partage. » 218

Le slam est donc tout d’abord un mouvement dans lequel chacun est libre de s’exprimer et dans lequel de nombreux évènements sont organisés, promouvant les rencontres et l’ouverture et créant une communauté. C’est ensuite un texte déclamé, qui va parfois rechercher des jeux de mots, des figures de style pour ensuite les faire vivre avec une forme de performance. C’est enfin un moment, un espace et un partage d’émotions direct entre le public et le slameur qui délivre une parole projetée avec un message. Enfin, comme l’exprime bien le slam « Toucher l’instant » de Grand Corps Malade, le slam est un moment fort qui s’inscrit dans l’instant présent :

« C'est tout sauf une légende, on espère juste toucher l'instant.

Les quelques secondes du poète qui échappent à l’espace-temps ». 219


Notes de bas de pages

176 Interview Marc Smith, opcit 10’


177 Cambridge dictionary, https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/slammer


178 Ibid


179 Oxford learned dictionary, https://www.oxfordlearnersdictionaries.com/definition/english/slam.


180 Grand Corps Malade, Music story, Paroles attentat verbal


181 Dictionnary.com, https://www.dictionary.com/browse/slam-bang


182Interivew Ami Karim, opcit


183 ibid


184 Camille Vorger, « Slam une poétique, de Grand Corps Malade à Boutchou », les belles lettres, presse universitaire de valenciennes, cantologie 9 , 2010, p30


185 Interview Chloé M, 14/10/2020, voir annexe


186 Camille Vorger, opcit p 40


187 Interview Rouda opcit


188 Guy de Bellissen, Au coeur du slam : Grand Corps Malade et les nouveaux poètes, édition Alphée, 2009, p 14


189 Léo ferré, https://citations.ouest-france.fr/citation-leo-ferre/poesie-clameur-doit-etre-entendue-102922.html


190 Interview Lisette Lombé, opcit


191 Extrait interview Chloé M. Opcit


192 Key James feat Zaho et Grand Corps Malade, Je m’écris Live, https://www.youtube.com/watch?v=VRMmJyvptsg


193 Pascal Tescaud « Slam, ce qui nous brule » sur https://www.youtube.com/watch?v=QVSJ3K8vW0w&t, 2007


194 Interview Lisette Lombé, 29’


195 Grand Corps Malade, “Du côté chance » écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=_BCtx8av3R4


196 Interview Narcisse, opcit


197 Interview Ami Karim, opcit


198 Interview Joy Slam, opcit 51’


199 Ibid


200 Interview Ivy, 6’ opcit


201 Interview Joy Slam, opcit


202 Interview Marc Smith, opcit 60’


203 Interview Ami Karim, opcit


204 Interview Rouda, opcit


205 Interview Ami Karim, opcit


206 Europe 1, « Grand Corps Malade : "Avant d’être un genre musical, le slam est un moment de rencontre", publiée le 4 janvier 2019 sur https://www.youtube.com/watch?v=q4u53MSbfUI


207 Citation de Grand Corps Malade reprise dans l’interveix de Chloé M., voir annexe


208 Chloé M, opcit, reprise d’une définition de Grand Corps Malade


209 Interview Marc Smith, opcit


210 Interview Joy Slam 55’


211 Interview Rouda, opcit


212 Interview Ivy, opcit


213 Interview Ivy, opcit


214 Interview Marc Smith, opcit


215 Interview Narcisse, 31’


216 Interview Ami Karim, opcit


217 Interview Rouda, opcit


218 Catherine Gendron, « L’atelier slam, un lieu de collaboration, d’écoute et de respect de l’autre » sur https://www.cahiers-pedagogiques.com/L-atelier-slam-un-lieu-de-collaboration-d-ecoute-et-de-respect-de-l-autre, consulté en octobre 2020


219 Parole de la chanson « Toucher l’instant » par Grand Corp Malade sur https://www.paroles.net/grand-corps-malade/paroles-toucher-l-instant, consulté en octobre 2020



Bibliographie