Que ce soit pour le slameur, le public ou même l’évolution de la société à travers son engagement, ce mouvement a de nombreux impacts positifs. « On est changé par l’écoute, on est changé par la parole » affirme la fondatrice du collectif L-Slam. 265 Comme en ont témoigné tous les slameurs interviewés pour ce projet, le slam est au cœur de moments forts, de changements, de rencontres, et surtout, de partages ! C’est tout cela que nous allons découvrir ci-dessous.

Un outil d’expression pour le slameur

Tout d’abord, la pratique du slam se transmet à travers de nombreux ateliers qui peuvent avoir lieu dans les écoles, les lieux publics, les homes, les hôpitaux… Ceux-ci permettent à tous d’apprendre à exprimer son vécu et sa sensibilité à travers les mots. Ami Karim décrit également cet aspect dans son slam « Écrire ça ne suffit pas » avec ces paroles :


« Mais se livrer ça s’apprend, c’est pas un cadeau de la nature,

A ton avis pourquoi y a autant de monde dans les ateliers d’écriture ? »266

Pour Ivy, ils permettent aussi aux participants de s’affirmer : « Débusquer ce personnage qui se cache derrière le masque qu’on a souvent pour avoir des relations sociales, c’est ça mon travail. » 267 « It would slowly wake the people in, for a little bit and then a little bit more, and all of sudden, there shyness is gone” témoigne également Marc Smith.268

Selon l’étude de Murielle Barioni et Esther Herel, analysant l’impact du slam sur les élèves à haut potentiel, les ateliers slams leur permettent de développer leur identité, leur confiance en eux et en les autres, d’exprimer leurs émotions, de former des groupes d’appartenance, de promouvoir les relations et les compétences cognitives.

Ces deux femmes constatent que les ateliers dans les écoles permettent également de laisser plus de place à la pensée divergente qui est plus créative et ouvre le champ des possibles. Le slam à l’école est donc un « espace d’expression artistique qui respecte le ressenti des élèves et les interroge sur eux-mêmes. » 269 Joy Slam qui en anime régulièrement témoigne d’ailleurs de toute l’émotion qui s’y exprime : « A chaque fois, y’a des choses très fortes qui se passent, c’est arrivé plein de fois qu’il y ait des gens qui pleurent mais aussi qu’il y ait des fous-rires, c’est très fort en émotions ». 270 Marc Smith qui en a également animés nous dit que : « It’s giving kids a voice that they sometimes don’t have. » 271

Que ce soit à l’école ou partout ailleurs comme aux micros ouverts, tous ces effets sont bien sûr applicables à toutes les personnes qui prennent le micro et se lancent dans le slam. Même si certains peuvent parfois trouver cela stressant272, les scènes slam sont également un espace où chacun peut être écouté, quoi qu’il dise. Il se sent alors valorisé et entendu. « Moi, le slam a changé ma vie », témoigne Ami Karim.273 Ce mouvement a d’ailleurs permis à cet auteur et à beaucoup d’autres de développer leur propre univers artistique : « Il m’a ouvert d’autres portes que je ne pensais pas avoir envie d’ouvrir et où j’ai découvert deux choses : la première, c’est que quand j’écrivais des textes, je pouvais intéresser les autres et la seconde, c’est qu’après l’étape du slam, il y a une autre porte derrière qui t’ouvre tout un monde artistique où les possibles sont infinis ».274

Ce partage permet aussi de transmettre ses valeurs et ses expériences, comme le dit bien Grand Corps Malade dans son titre « Je m’écris», composé avec Kerry James :


« S’il y a tant de jeunes dans nos banlieues qui décident de remplir toutes ces pages,

c'est peut-être que la vie ici mérite bien quelques témoignages ». 275


Ce slam exprime également un moyen de s’évader, une inspiration, une forme de thérapie ou un besoin qui peut être comblé par le slam.


« J'ai écrit, par instinct, par survie ; Je me suis surpris à écrire afin de supporter la vie ».276

Lisette Lombé témoigne également de cette idée « Les premiers textes des slameurs et slameuses c’est souvent une catharsis. C’est ce qu’on appelle l’urgence de dire, il y a quelque chose qui bouillonne en toi et impérieusement veut s’exprimer ». 277

Narcisse, qui a créé un spectacle de slam avec plusieurs jeunes réfugiés nous dit qu’effectivement, « la poésie a été une sorte d’exutoire, ils ont pu exprimer leurs difficultés, leur problèmes ». 278 Il existe même la « slamothérapie » qui a été inventée par Caylah, une slameuse à Madagascar afin de soigner à travers les mots.279

La slam peut également être vu comme une renaissance, autant de la poésie que du parcours de certains slameurs, comme le slame Grand Corps Malade dans « Le jour se lève » :

« Fini la patience et la méfiance, on s'offre simplement avec l'écriture une renaissance ».280

Pour les slameurs, ce sont également du partage avec d’autres artistes et le public qui crée des liens autour de cette amour des mots. « J’ai rencontré plein de gens grâce à ça, surtout qu’on a la même passion ! » raconte Chloé M. 281 A travers les interviews, tous les slameurs ont, en effet, témoigné des belles rencontres que le slam leur avait apportées. De par le côté parfois très personnel du slam, celles-ci peuvent être particulièrement fortes : « avec la scène slam, on peut se créer des amitiés qui sont beaucoup plus vraies », témoigne Joy Slam. 282


Enfin, comme le dit Marc Smith “You want to be able to share your emotions and your feelings for things, and a lot of words, the love of the music of the words.” 283 “ Il faut quand même qu’il y ai cette émotion très forte qui soit à l’intérieur de toi pour avoir cette idée de folle de dire des choses devant des gens » rajoute Lisette Lombé. 284

Et si le slameur partage des émotions, il en reçoit tout autant ! « Quand je joue devant 300 personnes, c’est comme un être humain qui réagit 300 fois plus. Quand il rigole, c’est très fort, quand il est ému, c’est très touchant, on sent les gens réagir… et c’est très prenant car on a des émotions qui nous viennent mais multipliées par le nombre de spectateurs. » raconte Narcisse285 qui est d’ailleurs rejoint par Ami Karim sur cette idée « Sur une scène slam, t’envoies des bonnes vibrations aux gens : de l'empathie, de la compréhension, de la tendresse… et en face de toi, les gens les reçoivent et c'est comme un miroir, ils te le renvoient en pleine tête et toi, tu prends ça multiplié par 2000, c'est juste extraordinaire ! »286

Impact sur le public

Tout d’abord, le slam offre au public un lieu de poésie vivante qui va au-delà de l’écriture et crée une communauté. « What it does for the audience, it’s a community. People who have loved poetry but they always been sitting in their room reading it. Now, they can go to something and enjoying it” témoigne Marc Smith. 287 De plus, les personnes qui écoutent un slam s’identifient ou reconnaissent un proche dans le texte, et vont en être touchées. Tendre les oreilles à un slam provoque souvent des émotions: « J’adore regarder les réactions des gens, les visages… Voir les gens qui vont pleurer, qui vont être touchés, qui vont sourire… » raconte Chloé M. 288

« Ca reconnecte à l’émotion » dit Lisette Lombé 289 et celle-ci dégage souvent quelque chose de positif chez le public: « Quelqu’un qui vient pour la première fois sur une scène de slam, qui réussit (…), à transformer sa gène en générosité pour donner aux autres, celui-là, il m’émeut, il m’étonne, il me touche… beaucoup plus que le plus grand poète de la terre » confine Ivy. 290

Lorsque le thème est plus « sérieux » et que l’auditoire s’identifie, ce dernier peut se sentir compris, encouragé et supporté par les mots qu’il entend. A titre d’exemple, voici un retour qu’a reçu Ami Karim à propos d’un texte pour son frère : « Un jour, après un concert, y'a un monsieur qui vient me voir et qui me dit : "Tu sais, moi aussi j'ai un petit frère avec qui j'ai beaucoup d'écart. Ça fait des années que je veux lui dire des choses et que j'arrive pas à lui dire et aujourd’hui, grâce à toi, je sais ce que je dois lui dire ", et ça, ça fait super plaisir ».291

Le slam, c’est donc un vrai partage entre le vécu du slameur et celui du public qui s’y reconnait et qui vient parfois partager ce ressenti avec l’artiste : « C’est ça que je trouve dingue, c’est que je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, mais j’ai l’impression de les connaitre et eux ont l’impression de me connaitre un peu parce que je dis des choses dans mes textes », ajoute encore Chloé M. 292 Tout comme le slam peut permettre d’apaiser ses problèmes en les exprimant, il permet donc également d’aider les personnes qui l’écoutent ou de leur offrir un sourire ou un petit moment de bonheur, comme le confie Ami Karim« Y'a rien de plus kiffant dans la vie de te dire : je fais un truc qui rend les autres heureux! ».293

Grand Corps Malade témoigne également de cet aspect à travers l’un de ses slams :


« Cette flamme est la preuve, laisse-moi t'en faire une démo

qu'il est possible de combattre le mal par les mots »294


"Poetry by, of and for the people"


Le film « Slam » définit cet art comme étant une poésie déclamée, proche d’un rap a cappella qui fait office d’instrument de résistance, d’affirmation, voire d’émancipation. Le slam a donc également une forte dimension sociale, portant souvent un message engagé. Le fondateur du mouvement le décrit comme « Poetry of, by and for the people ». 295

Même si le slam ne peut pas résoudre tous les problèmes du monde, il a le pouvoir, comme toute forme d’art engagé, de créer une prise de conscience, une motivation, une demande, un message qui peut parfois être à l’origine d’un réel changement positif. « Par le texte, on peut faire un petit levier sur ce que ce passe dans le monde » exprime Lisette Lombé.296 Joy Slam en témoigne en parlant des scènes slam : « Il y a plein de fois où j’ai eu l’impression qu’on m’avait offert un cadeau et que ça allait me faire réfléchir, cogiter et voir les choses différemment ». 297 Cette artiste engagée rajoute d’ailleurs que « Les mots ont un pouvoir, ils font évoluer la société mais aussi la suivent. Ils sont l’écho de tous ses combats, de toutes ses questions… C’est vraiment une manière de dire que tout le monde a le droit à la parole. » 298 « Symboliquement, ça dit ce qu’on aimerait voir dans le société » rajoute la fondatrice du collectif L-Slam en abordant cette même idée. » 299

Pour certains artistes, l’engagement est l’essence même du métier. C’est la philosophie d’Ami Karim : « Mon travail de tous les jours, c'est de traquer ce qui me semble injuste dans le monde et de pouvoir avoir le temps de le dire. C'est la seule raison d'être des artistes, sinon c'est un hobby. Dans une carrière artistique, t’es là pour être un haut-parleur pour ceux qui n’ont pas le temps de parler ».300 Pour d’autres artistes comme Ivy, le slam doit surprendre, étonner et partager des valeurs telles que la liberté : « Si c’est pas le poète qui donne l’exemple de la liberté, qui va le faire ? » 301

Par ailleurs, ce qui pourrait être un outil de démocratie 302 a toujours évolué dans une forme d’authenticité et de sobriété. Selon Ivy, « Le but, c’est pas de produire des vedettes, c’est de faire avancer la poésie et la sensibilité des gens ».303 Lorsque la question « Qu’est-ce qu’une bonne performance dans le slam ? » a été posée à Marc Smith, il a répondu “I guess what would be a good performance is when someone knows the performance skills and when, most of all, somebody honestly communicating the people” 304 Il y a donc une recherche d’authenticité avant tout, ce que rejoint d’ailleurs l’opinion d’Ivy : « Une chose est sûre, peu importe que ce soit social ou quoi que ce soit, il faut toujours qu’il y ait quelque chose d’authentique et qui vienne de l’intérieur. » 305


Et si comme dit Nicolas Seguy en parlant de l'art de manière plus générale: "Y'a rien de plus beau car ça sert à tout et à rien en même temps" 305, on peut toutefois dire que le slameur cherche à transmettre une émotion, un message ou une sensibilité tout en restant soi-même, dans une forme de sobriété et d’authenticité : “Poetes trys to graps at universal truth” dit enfin Marc Smith. 306

Pour conclure ce chapitre, j’ai trouvé que ces quelques vers issus d’un slam de Grand Corps Malade résument parfaitement ce mouvement engagé :

« Alors non, on ne changera pas le monde,

On est juste des chroniqueurs

D'un quotidien en noir et blanc

Qu'on essaye de mettre en couleur » 307


Notes de bas de pages

265 Interview Lisette Lombé, opcit


266 Ami Karim, Paroles de “Ecrire Ça Suffit Pas” sur https://greatsong.net/PAROLES-AMI-KARIM,ECRIRE-CA-SUFFIT-

PAS,103389965.html


267 Interview Ivy, 34’56


268 Interview Marc Smith, 44’ opcit


269Murielle Basso et Esther Herel, opcit


270 Interview Joy Slam, opcit


271 Interview Marc Smith, opcit


272 Interview Ivy, opcit


273Ami Karim, opcit


274 Interview Ami Karim, opcit


275 Kery James feat Zaho et Grand Corps Malade, Je m’écris Live, https://www.youtube.com/watch?v=VRMmJyvptsg


276 ibid


277 Interview Lisette Lombé, opcit


278 Interview Narcisse, opcit


279 Les Haut-Parleurs : « Madagascar : Slamotherapie, quand les mots soignent / Fenosa » regardée le 23-06-2021 sur https://www.youtube.com/watch?v=O_EdetuIY0s&t=53s


280 « Le jour se lève » Titre de Grand Corps Malade écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=VDfVg2R0Okk


281 Interview Chloé M. opcit


282 Interview Joy Slam, opcit


283 Interview Marc Smith, opcit


284 Interview Lisette Lombé, opcit 30’


285 Interview Naricsse


286 Interview Ami Karim, opcit


287 Interview Marc Smith, opcit


288 Extrait interview Chloé M, opcit


289 Inteview Lisette Lombé, opcit


290 Interview Ivy, opcit


291 Interview Ami Karim, opcit


292 ibid


293 Interview Ami Karim, opcit


294 Grand Corps Malade, opcit


295 Camille Vorger, opcit p35


296 Interview Lisette Lombé, opcit


297 Interview Joy Slam, opcit


298 Interview Joy Slam, 9’


299 Interview Lisette Lombé, opcit


300 Interview Ami Karim, opcit


301 Interview Ivy, 34’, opcit


302 Interview Joy Slam, opcit


303 Interview Ivy, opcit


304 Interview Marc Smith, 2.30’ opcit


305 Interview Ivy, opcit


305 Interview Nicolas Seguy, opcit


306 Interview Marc Smith, opcit


307 « Je m’écris » opcit






Bibliographie