La naissance d’un mouvement

Avant d’explorer les caractéristiques de ce mouvement passionnant, découvrons ses origines. S’il est né dans l’imagination d’un seul homme, ce sont aujourd’hui des centaines de personnes qui donnent leur temps, leurs textes et leur présence pour continuer à donner vie aux mots, enrichissant ainsi cette nouvelle forme de poésie.

Le slam a été lancé par Marc Smith, un poète américain et ancien ouvrier du bâtiment qui assistait à des soirées de déclamation de poésie qu’il trouvait trop fermées et ennuyeuses. Il en a alors pris le contrepied, s’inspirant de multiples arts de la scène pour créer une nouvelle forme de poésie, mettant l’accent sur la performance. « When I started, most poets didn’t perform at all… Very boring. And when we started, we borrowed all performance technics from all the different disciplines, from what a comedian does, what a preacher does, what an actor does, what a singer does, what a dancer does (…) and it worked. » raconte Marc Smith dans l’interview réalisée pour ce projet.156

Il organise alors à Chicago des soirées slam, d’abord au « Get Me High Loundge » puis, en 1986, au bar « Green Mill », qui disposait d’un espace plus grand. Si de plus en plus de gens se rendent à ces soirées qui connaissent un vrai succès, ce mouvement ne plait pas à tous les poètes plus classiques. En effet, Marc Smith reçoit pas mal de critiques de ce milieu, ce qui ne lui fait pas perdre confiance pour autant: “I didn’t care, it was kind of a game because the traditional poetry world had very few people that were listening to them(…) Very early on, at the “Get my high” and later at the “Green Mill” we had, you know, hundred, two hundred, three hundred people. We had audience so bigger than they and their criticisms, you know, were like a joke to me.” 157

Lors de ces soirées, le principe est simple, n’importe qui peut venir déclamer une poésie, avec ou sans musique, de maximum trois minutes, et mettant l’accent sur la performance. Ces évènements permettaient à chacun de s’exprimer, d’être valorisé et de se lancer dans l’aventure des mots, tout en recevant un verre gratuit selon une certaine tradition, comme le raconte le slameur John Pucc’Chocolat:

« De l’art oratoire, je suis un défenseur sévère,

Mais j’avoue que mon premier texte, je l’ai dit pour me faire offrir un verre,

Car j’avais soif, très soif de reconnaissance,

Après la salve d’applaudissements, j’ai senti comme une renaissance. »158

Petit à petit, ce principe à décollé aux Etats-Unis. Comment cela s’est-il si vite répandu ? “Somebody would come to my show and would say “Oh Gee, I've never done poetry like this, I’m gonna go back to my city and I’m gonna start the show! “ so that’s how the early slam started” répond Marc Smith.159

Afin de combler les dernières minutes de ces soirées, le « grand-père du slam » a eu l’idée de monter un petit tournoi pour lequel des personnes, choisies au hasard dans le public, cotent les performances auxquelles ils ont assisté. « It was always just a fun thing to do at the end of three hower night of performance poetry » .160 Cette idée presque anodine a pourtant pris des proportions plus sérieuses, donnant naissance à des tournois locaux, nationaux et internationaux.161

Dès 1996, Saul Williams, vainqueur de la compétition de Portland, marque le début de la médiatisation et de la retransmission du slam. En 1998, son film « Slam », remporte le prix de la Caméra d’or au festival de Cannes et le grand prix de Sudance. Cette production va faire reconnaitre le slam en tant qu’art à part entière. En 1998 , MTV décrit les slameurs comme « de véritables faiseurs de mots ». Ce mouvement se décrit fin du XXème siècle comme étant un lieu de liberté et d’expression absolue et se veut porteur d’une mission citoyenne. [6] En 2001, nait 129H, le premier collectif de slameurs français grâce à la rencontre des slameurs Rouda, Neobeld, Lyor et Nina Nonyme, qui est d’ailleurs l’une des fondatrices de « Slam au féminin », créé en 2003. En 2004, se fonde la FFDSP (Fédération française de slam et poésie) qui se consacre à la reconnaissance du slam en tant que mouvement international.162

Au Québec, c’est le poète auteur-compositeur-interprète IVY qui va lancer le slam qui s’est assez vite répandu dans la région, comme il en témoigne : « Je m’attendais à travailler dans l’ombre pendant une dizaine d’années mais ça s’est fait en quelques années. » 163 Dès 2006, Grand Corps Malade va participer à la médiatisation du slam francophone, avec le succès de « Midi 20 », vendu à plus 600 000 exemplaires.164 En 2009, c’est le début de la « Ligue de slam de France » dont les valeurs sont l’ouverture, le respect, le partage et qui vise à renforcer les liens entre tous les acteurs du slam français.165

Ces dernières années, de plus en plus de collectifs, évènements et scènes slam ont vu le jour dans les villes francophones également . On peut citer « Slamalekoum » qui a longtemps été la plus grande scène slam française. Ami Karim qui l’a animée avec d’autres slameurs tel que Grand Corps Malade raconte d’ailleurs que « des gens venaient du monde entier : d’Allemagne, de Saint Martin, du Québec, c’était fantastique !»[10] .Ces dernières années, de plus en plus de collectifs, évènements et scènes slam ont vu le jour dans les villes francophones également . On peut citer « Slamalekoum » qui a longtemps été la plus grande scène slam française. Ami Karim qui l’a animée avec d’autres slameurs tel que Grand Corps Malade raconte d’ailleurs que « des gens venaient du monde entier : d’Allemagne, de Saint Martin, du Québec, c’était fantastique !» 166


En Belgique, il existe, entre autres, « L-slam » qui est un collectif multiculturel et intergénérationnel donnant la parole aux femmes. "Les filles ont des choses à dire. (...) Pour chaque femme qui est dans L-Slam, je pourrais dire un texte où j'ai pris une claque" affirme Lisette Lombé, la fondatrice de ce collectif. 167 A Bruxelles, on peut citer également « Slameke » dont le but est de faire vivre le slam à la capitale en organisant divers évènements.168 Joy Slam qui a fondé ce collectif a d’ailleurs été également interviewée pour ce projet et nous raconte l’évolution de cette association « On a eu cette idée de se dire qu’on voulait fonder un collectif de slam à Bruxelles. A la base on voulait juste organiser des open mic et organiser des ateliers… mais après on est devenu une ASBL, on a eu des concours de interscolaires dans les écoles, plein de projets » 169

Différents événements s’organisent également en Belgique, y compris bilingues tels que la scène « Bru-Slam » ou le projet « Slam-brabançonne », rassemblant des slameurs flamands et wallons. Il y a quelques années, la zone de Liège a organisé « Les 24 heures du mot » qui a été la plus longue scène slam d’Europe.170 Narcisse, qui aussi été interviewé pour ce projet a d’ailleurs été lauréat deux fois de suite et semble garder un bon souvenir de cet événement : « C’était fascinant parce que là, il y avait plein de monde, des gens de tous horizon, et les organisateurs de cet événement avaient eu l’idée de faire une scène non-stop de 24 heure de slam… c’était vraiment génial »171

De plus, beaucoup de collectifs et slameurs animent également des ateliers de slam dans des lieux comme les écoles, les prisons ou les hôpitaux pour permettre à chacun de s’exprimer. Rouda qui en anime avec 129H les décrit comme un « aller-retour systématique entre l’écrit et l’oral pour que l’on puisse trouver son style avec un bout de papier mais que l’on soit aussi capable de présenter son texte debout devant des gens, a cappella, comme une forme de performance. » 172


De nos jours, ce mouvement a fait slamer de nombreux artistes partout dans le monde et se fait connaitre petit à petit. Des textes de slam sont également de plus en plus analysés dans les écoles et universités. L’éducation nationale en France réfléchit même à en faire une épreuve pour le bac.173 « Le mouvement n’a jamais été si florissant, y’a des nouvelles scènes, y’a des initiatives scolaires, y’a des nouveaux artistes… », raconte Ivy qui témoigne d’ailleurs de l’expansion du mouvement : « Quand j’ai commencé à faire du slam, y’avait 25-30 pays dans le monde qui en faisaient. Aujourd’hui, on approche de 75 » 174 Par ailleurs, de plus en plus d’artistes tels que ceux interviewés pour ce projet s’inspirent de ce mouvement pour créer leur propres albums et compositions.

Cette histoire n’est donc pas finie et nous prouve qu’une petite initiative quelque part dans le monde peut donner naissance à des milliers d’autres, à l’internationale. « I knew pretty early on that we had a really special thing and that it would spread. What I didn’t realize… I’ve never dreamed at all that il would spread internationally”, témoigne Marc Smith.175



Notes de bas de page

156 Interview Marc Smith, réalisée dans le cadre de ce projet le 26-05-2021


157 Ibid


158 John Pucc' Chocolat, « Toujours à la Bourre » poésie slam sur https://www.youtube.com/watch?v=JJnx--Vn-nA, 0.30 seconde


159 Interview Marc Smith, opcit


160 Ibid, 21’


161 Camille Vorger, « Slam une poétique, de Grand Corps Malade à Boutchou », Les belles lettres, presse universitaire de valenciennes, cantologie 9 , 2010, p35


162 Ibid p 36


163 Interview d’Ivy, réalisée dans le cadre de ce projet le 28-05-2021


164 Murielle Basso et Esther Herel, mai 2014, « Slam, un outil à plusieurs facettes » mémoire professionnel, Hipl, haute école pédagogique, master of Arts et Diplôme d’enseignement spécialisé


165Camille Vorger, opcit p42-45


166 Interview d’Ami Karim, réalisée dans le cadre de ce travail le 2 avril 2021


167Interview de Lisette Lombé, réalisée dans le cadre de ce projet le 16 juin 2020 23’ et 35’


168 Open mic Slameke, https://www.joyslampoesie.com/open-mic-slameke


169 Interview de Joy Slam, réalisée dans le cadre de ce projet le 06-06-2021, 18’


170 Wikipédia, slam (poésie), https://fr.wikipedia.org/wiki/Slam_(po%C3%A9sie)


171 Interview Narcisse, réalisée dans le cadre de ce projet le 03-06-2021, 12’


172 Interview de l’artiste Rouda, réalisée dans le cadre de ce projet le 2 mars 2021


173 ibid


174 Interview IVY, opcit 18.30’


175 Ineterview Marc Smith, opcit, 10’


Source de l'image de couverture de la présentation "Le slam, de A à Z" : Lesateliersslam.com


Bibliographie