Le slam : un mouvement et chacun son style

Selon Marc Smith, le créateur du slam, les règles de celui-ci sont faites pour être transgressées et chacun est libre de s’exprimer selon ses sensibilités et son inspiration. Au sein des soirées slam, même si les textes ne doivent pas excéder trois minutes, Lisette Lombé nous raconte que le slam, « c’est aussi la découverte d’un endroit extrêmement libre ».220 Au-delà de ces évènements, de nouvelles branches artistiques et poétiques naissent du mouvement slam. Que ce soit à travers l’imagination de la mise en scène, les figures de style utilisées ou la démarche, chacun y amène son empreinte. Le créateur de celui-ci m’a d’ailleurs dit cette phrase qui correspond, je trouve, parfaitement à ce chapitre. “The all point was use poetry in any way you can, don’t be limited” 221

Un art collectif et polyvalent


Le slam est un art qui se partage, avec le public, bien sûr, mais également avec d’autres artistes et même d’autres disciplines ! Tout d’abord, il n’est pas rare que deux slameurs s’associent pour écrire un texte ensemble. Selon Ami Karim qui a écrit avec plusieurs artistes dont Grand Corps Malade, écrire à deux, c’est « des moments top où tu confrontes deux points de vue sur un sujet, c’est super intéressant. C’est aussi une contrainte car tu te partages le papier, mais c’est d’abord un gros kiff !» 222

Le slam peut également être relié au chant. Grand Corps Malade a d’ailleurs créé un album nommé « Mesdames » dans lequel il invite, pour chaque chanson, une femme pour composer un duo musical, dont un que nous analyserons un peu plus loin. Un autre de ses albums qui met en avant la collectivité est l’album « Il nous restera ça » dans lequel Grand Corps Malade a proposé à plusieurs artistes d’écrire une chanson avec pour seule consigne d’y mettre cette phrase, qui donnera son nom à l’album.

Hormis le chant, le slam peut être lié à différents arts tels que le stand-up, le cabaret, le cirque, l’improvisation et même le numérique ! Parmi les cirques, on peut citer le spectacle de « Tetraktys, un conte slam acrobatique » et la compagnie « Cirquons Flex » qui mêlent tous deux les mots à l’art acrobatique pour un spectacle magique. 223 224 Le slam fait également son apparition dans des cabarets tels que « Ca peut chémar », faisant intervenir des, artistes, danseurs et poètes dont Grand Corps Malade.


D’autres vont jusqu’à inviter le public à faire partie de leur performance. Certains, comme Arthur Ribo avec son « Concert dont vous êtes l’auteur », sont carrément improvisés. 225 D’autres encore, comme Chloé M. avec ses « mots imposés », demandent à l’avance à leur public de leur donner des mots qui se retrouveront par après dans leurs slams.226

On peut même relier le slam à l’univers numérique comme le démontre l’artiste Narcisse qui utilise des techniques de projection et d’informatique pour illustrer ses slams de manière remarquable. Il va jusqu’à faire participer le public et aller en live dans leurs smartphones. « J’utilise un peu tout ce que je sais faire pour créer un objet qui est un spectacle multifacettes », explique-t-il dans l’interview. 227

Aussi, ce mouvement donne naissance à de nombreux projets. Rouda et Joy Slam reprennent, par exemple, le concept d’écrivain public en écrivant des lettres en direct 228 ou en rédigeant des poèmes pour les gens à des stations de métro ou dans des maisons de retraite. « Il y a eu beaucoup d’émotions, y’a plusieurs personnes qui ont pleuré. Y’a des gens qui nous ont trop faire rire… C’était vraiment des super bons moments ! », raconte la slameuse.229

Par ailleurs, si le slam est fort lié à la langue, celle-ci ne doit certainement pas être une barrière à l’échange entre slameurs de différents horizons. On pourrait citer le projet « Chicago French Connexion » porté notamment par Marc Smith et auquel Narcisse a également participé. « Le but, c’est de rendre la poésie francophone accessible à un public américain » explique-t-il. Tout comme le projet « One Poetic Voice », porté Smith également, cette ouverture amène une dimension multilinguistique et plus universelle à la poésie. Ainsi, des spectacles ont lieu dans lesquels des slameurs du monde entier sont invités à Chicago et slament un même poème, traduit dans leur langue, parfois simultanément. 230 231

Narcisse a également porté un projet dans ce style pour lequel il a écrit un slam traduit et déclamé par quatre slameurs représentant les différentes langues de Suisse et du Canada, évoquant le relief commun de leurs pays : « Les mots relient les gens au travers des montagnes, et c’était ça notre point de départ ». 232

Finalement, que ce soit avec le spectacle vivant, la vidéo, la photo, le chant ou le slam lui-même, les textes de slam peuvent prendre une nouvelle dimension et donner naissance à des projets qui donnent vie à la communauté, allant même au-delà des langues.

Du stylo au micro

En opposition à la musique de consommation, le slam peut être vu comme un retour de la chanson à texte. Ami Karim accorde d’ailleurs beaucoup d’importance aux mots choisis : « Le slam, c’est un espace où tu viens partager un jeu de mots que t’as trouvé et que t’es pressé de partager aux autres ». Ivy témoigne également de ce « besoin de mouler sa sensibilité dans le langage » et de l’importance du choix, du tri et du retravail dans ses textes. « Écrire, c’est réécrire », dira-t-il par exemple. 233 Ce point a pour but de montrer quelques figures de styles ou techniques souvent utilisées dans le slam, en les illustrant par des exemples, issus notamment des slams de Grand Corps Malade.

Une des figures les plus récurrentes est la personnification, comme dans le titre « Rencontre » du slameur précédemment cité, où il imagine les sentiments comme des personnages :


« Tout d'abord, sur mon parcours, j'ai rencontré l'innocence

Un être doux, très gentil, mais qui manque un peu d'expérience »234


Dans « Le langage du corps » il va également utiliser des parties du corps comme sujet dans des expressions.


« Il y a, bien sûr, la bouche qui a souvent une grande gueule

Elle pense être la plus farouche mais s'met souvent l'doigt dans l'œil » 235


Ensuite, on peut jouer sur l’homophonie :


« Moi je fais le pari que tu te tapes des barres dans tous les bars de Paris

Mais si tu ris pas et que tu te barres dans ta barre, oublie mon pari »236


De plus, de nombreux slameurs utilisent des anaphores pour appuyer le côté rythmique de leurs textes, comme dans le slam « J’ai oublié », où l’artiste répète cette phrase tout au long de celui-ci.237 Certains slameurs comme Ivy vont également répéter un mot pour en faire le début du suivant, comme dans le slam « Dire » d’Ivy :

« Dire qu’on s’endort en plein après-mi…dire

qu’on travaille trop, c’est pas nouveau à dire

qu’on cherche encore un coin de para…dire»238

« C’était l’idée d’étirer le mot. Un moment donné, on ne sait plus si tu répètes le « dire » et en fait c’est dans un autre mot. » commente le poète.239

Dans les figures de style plus discrètes, on peut observer des chiasmes :

« Fini de lire entre les mains, moi je préfère serrer le poing, point à la ligne. »240, des antithèses : « Si j’aime le jour, c’est grâce à la nuit »241 et pas mal d’allitérations. Les slameurs utilisent également des paronomases, une figure de style qui rapproche des mots de sonorité semblable. « Si je ferme les yeux, c’est pour mieux ouvrir les cieux ».242

Dans les techniques utilisées plus spécifiquement dans le slam, il y a, par exemple, différentes formes d’humour tel que l’humour de description.


« Bienvenue dans la cuisine, voici l'évier, il est nickel !

Bon, là, on ne le voit pas bien, il est sous la pile de vaisselle243

Aussi, certains slameurs voient les mots comme un vrai terrain de jeu. C’est le cas par exemple de Narcisse, qui a été jusqu’à dire tout une phrase à l’envers dans son slam « Cher Serge » avec lequel il a d’ailleurs gagné le championnat de France. « Techniquement ça demander du travail , c’est du cirque (…) mais elle marche ! » explique t’il. 244

Il arrive également que ces artistes des mots reprennent des références connues, des expressions ou fassent référence à leur propre slam. « Y’a la tête, le cœur, les couilles, mais ça vous le savez déjà ».245 À travers cette phrase issue du texte « Le langage du corps » le poète fait ici référence à un précédent slam intitulé « La tête, cœur, les couilles ». Ce dernier fait également parfois référence à d’autres slameurs :


« Y a des tempêtes sans visage où on doit se battre contre le pire,

Personne n'y échappe, Rouda, c'est pas toi qui vas me contredire.» 246


En qui concerne le vocabulaire, on pourrait le voir comme se situant entre la poésie et le rap. Il est effectivement plus accessible, les mots sont souvent des mots communs et compréhensibles tout en étant recherchés. Ami Karim met également l’accent sur l’accessibilité du langage : « Le texte doit à la fois être écoutable par des générations qui n’ont pas mon âge au-dessus et doit rester crédible pour des gens qui n’ont pas mon âge en-dessous ».247 On remarque toutefois de l’argot ou du verlan comme dans le slam « Ca peut chémar » de Grand Corps Malade.

Ce genre se caractérise également par la recherche d’une chute qui va souvent expliciter de manière poétique la fin du texte et/ou revenir sur le titre comme dans « Midi 20 » ou Grand Corps Malade termine par « D’ailleurs, je vais te laisser, là c’est chaud, il est déjà midi 20 » 248 ou encore dans « Voyage en train » qui se conclut par « la prochaine fois, tu prendras le bus ».249

Toutes ces figures de style ajoutent souvent un côté dynamique au texte, qui, comme le dit Narcisse, est parfois totalement différent de ce que l’on imaginait. « Quand on y pense, c’est génial parce qu’on s’attache à des rimes, des assonances, des sonorités et on va finir par écrire un texte qu’on n’avait pas prévu parce que c’est les mots qui nous ont conduits » 250

Par ailleurs, les paroles prennent souvent leur inspiration dans la vie quotidienne, les scènes slam, des histoires personnelles ou des thèmes qui nous touchent… Les sujets sont infinis ! Lorsque la question de l’inspiration a été posée à Rouda, il a repris un concept du slameur Jhon Pucc Chocolat qui appelle cela « les capteurs »251 : « C’est essayer de s’ouvrir suffisamment à son environnement extérieur pour capter des choses. Ca peut être une discussion, un slogan publicitaire qui passe sur un bus et qui fait penser à autre association de mots, … une mélodie à la radio, une odeur, etc… » 252 Ami Karim rejoint cette idée : « Très souvent, tu marches dans la rue et puis tout à coup, paf, ça te tapes dans la tête et tu te dis, le thème d’aujourd’hui, ça va être ça ! » L’inspiration se fait donc souvent par déclics qui peuvent amener des recherches plus approfondies. 253


Une fois le texte porté par la voix, chaque slameur est aussi caractérisé par un flow qui lui est propre. Ce dernier a des caractéristiques phonétiques et prosodiques qui vont marquer la matière sonore et rythmique du texte, ce qui impactera notamment les placements d’accents toniques. On peut donc voir le flow comme une manière de marquer sa personnalité, un espace de créativité et d’expressivité.254


Et la musique dans tout ça ? Si dans beaucoup d’évènements slam, l’a cappella est la règle partageant le slam comme une « musicalité sans musique » 255, cela ne doit pas nécessairement faire partie de la définition du slam. “That’s a misconception, from the very beginning at the Green Meel, there was music. I always had a band… For years, almost all the shows had a band or a piano player that accompany, if they wanted to”, raconte le fondateur du movement.256 La musique permet d’appuyer les mots, d’amener un univers et de rendre sa compréhension plus universelle. Nicolas Seguy, pianiste et compositeur de plusieurs titres de Grand Corps Malade confirme d'ailleurs ce point de vue dans l'interview réalisée pour ce projet, témoignant du relief que la musique apporte au texte. 257


Selon Ami Karim, « là où la musique a une force bien supérieure à l’écriture, c’est qu’elle traduit des sentiments dans un langage qui est compréhensible par tout le monde. La musique prend donc un texte et l'amène à un niveau où tout le monde peut se l'approprier ».257 En effet, les instruments peuvent ajouter une dimension supérieure à la création et être un moyen d’expression supplémentaire : « A un moment donné, les mots ne parviennent plus à exprimer toute l’émotion et la musique peut aller plus loin que les mots » exprime Joy Slam. 258

Marc Smith rajoute d’ailleurs que “the poetry to me is the music of words so it’s very natural that the two are combine”.259 De plus, la musique est parfois au cœur de certains projets. C’est ce qu’a fait l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège de Liège en collaborant avec « Le slam de la Zone » pour créer des compositions qui mêlent mots et instruments.260 Lisette Lombé qui y a participé ajoute d’ailleurs que la musique « élève le texte ». 261

Par ailleurs, certains textes s’écrivent très vite comme « Paroles du bout du monde » de Grand Corps Malade et Rouda qui a été imaginé en une soirée. D’autres peuvent prendre plusieurs semaines ou mois comme le slam « Dire » d’Ivy qui s’est écrit en 15 ans.262

Avec ou sans musique, refrain ou rimes, le slam offre de nombreux choix qui font la diversité de ce mouvement. « Je me rends compte dans les soirées slam qu’il y en a qui vont pas du tout écrire de la même manière, qui vont faire des phrases beaucoup plus courtes, etc... J'ai l'impression que chacun a son propre style, c'est ça qui est trop bien ! » témoigne Chloé M. 263 Vous l’aurez compris, l’auteur est maitre de son stylo et va définir les caractéristiques de son art selon ses propres sensibilités : « Chacun va trouver à la fois sa plume, sa manière d’être sur scène, préciser sa manière de dire les textes, son oralité, travailler sur la transmission des émotions, du silence… La scène slam, c’est une espèce de laboratoire ! » 264





Notes de bas de page

220 Interview Lisette Lomé, opcit 26'


221 Interview Marc Smith, opcit 60’


222 Interview Ami Karim, opcit


223 Cie hors surface, « Tetraktys, un conte slam acrobatique » sur https://www.youtube.com/watch?v=UsWbOBvG3zA »


224 Cirquons Felx, « Appuie-toi sur moi », création 2019 https://www.youtube.com/watch?v=ao879kl0X5U&t=1s


225Arthu Ribo-Teaser « Le concert dont vous êtes l’auteur » https://www.youtube.com/watch?v=NDpR5N6tDM4


226 Chloé M. opcit


227 Interview Narcisse, 56’


228 Interview Rouda, opcit


229 Interview Joy Slam, 21’


230 Interview Narcisse, opcit


231Interview Marc Smith, opcit


232 Interview Narcisse, opcit


233 Interview Ivy, opcit


234 Grand Corps Malade « Rencontre » https://www.youtube.com/watch?v=6gm-c9WAMf8


235 Grand Corps Malade à France Inter « Slam inédit de Grand Corps Malade : "Langage du corps" - La carte blanche » écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=_xDxHYmd3BE


236 Grand Corps Malade, « Chercheur de phrases »


237 Grand Corps Malade « J’ai oublié » sur https://www.youtube.com/watch?v=BFRaUPGcN8U


238 Parole « Dire » Ivy, disponible sur https://genius.com/Ivy-slam-dire-lyrics


239 Interview Ivy, opcit


240 Grand Corps Malade « Les lignes de la main » sur https://www.youtube.com/watch?v=KyeUo0YvY_A


241 Grand Corps Malade, « Funambule » écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=kV7TQ44LaWI


242Grand Corps Malade « Je dors sur mes deux oreilles » écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=ogBfplExAKo


243 Grand Corps Malade « L’appartement » écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=F945lgHR8_w


244 Interview Narcisse, opcit, 68’


245 Grand Corps Malade « Le langage du corps » opcit


246 Grand Corps Malade « Mental » écouté surhttps://www.youtube.com/watch?v=IBSi17jWhqo


247 Interview Ami Karim, opcit


248 Grand Corps Malade « Midi 20 » écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=zEDJcXsynLI


249 Grand Corps Malade « Les voyage en train » https://www.youtube.com/watch?v=eZUz2ACOpVY


250 Interview Narcisse, opcit


251 John Pucc’Chocolat “Les capteurs” écouté sur https://www.youtube.com/watch?v=_X6N7tnssJ0


252 Interview Rouda, opcit


253 Interview Ami Karim, opcit


254 Camille Vorger, opcit, p160


255 Interview Lisette Lombé, opcit


256 Interview Marc Smith 63’


257 Interview Ami Karim, opcit


257 Interview de Nicolas Seguy, réalisée pour ce projet, le 28 septembre 2021 et disponible via ce lien https://youtu.be/5gRHjlSqeWk


258 Interview Joy Slam, opcit 48’


259 Interview Marc Smith, 66’, opcit


260 “Slam de la Zone”, page Facebook https://www.facebook.com/slamdelazone


261 Interview Lisette Lombé, opcit


262 Interview Ivy, opcit


263 ibid


234 Interivew Rouda, opcit,17’



Bibliographie