Analyse du titre "Enfants du désordre"

Pour son dernier album « Mesdames », sorti en 2020, Grand Corps Malade invite, pour chaque titre, une femme à chanter avec lui. Il va ainsi réaliser, avec la chanteuse Alicia, « Enfant du désordre ». Ce slam a pour but de dénoncer l’état qui a sa part de responsabilité dans la difficulté d’épanouissement des quartiers populaires de France. En effet, selon la Convention des droits des enfants, tout jeune a droit à une éducation, un niveau de vie correct et une protection. Or, Grand Corps Malade démontre ici que plusieurs de ces droits qui ne sont pas respectés.

Les chiffres confirment cette situation : plus de 2 000 000 d’enfants en France vivent en-dessous du seuil de pauvreté. De plus, dans ce même pays, environs 100 000 enfants sont signalés comme étant en danger de maltraitance ou autre type de violence. L’accès à l’éducation n’est pas égal partout non plus. A titre d’exemple, environ 150 000 jeunes français sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. 308

Grand Corps Malade montre donc ici que les enfants de ces milieux sont souvent négligés, discriminés et baignés dans la violence. Ils n’ont en effet pas les mêmes chances que les autres et « ne connaissent pas l’état d’être un enfant ». « Y’a énormément de talent, d’intelligence et de vivacité, c’est sûr, mais il y a tellement de facteurs qui fait qu’ils n’ont pas la même chance que les autres que, oui, c’est assez révoltant » témoigne l’artiste. 309 Ayant grandi dans ce genre de quartier, ce dernier est particulièrement touché par cette thématique, qu’on retrouvera d’ailleurs dans plusieurs de ses slams. On peut d’ailleurs faire le lien avec son film, « La vie scolaire » qui a été tourné dans ces mêmes quartiers et qui a d’ailleurs inspiré l’écriture de ce slam.


Voici les paroles de celui-ci. Les aspects plus techniques que nous analyserons plus bas sont mis en gras.


Il regarde son décor s'enfoncer dans la nuit

Il fait froid, il est tard mais il ne rentre pas chez lui

Tout au fond de son regard il ne fait pas ses 12 ans

À l'heure de faire ses devoirs, il pense à faire de l'argent

Sa vie est agressive alors il le lui rend bien

Il s'est battu de nombreuses fois, il ne sait plus combien


Il a grandi trop vite loin des histoires à l'eau de rose

Il a vu son voisin se faire planter pour une dose

On a enlevé l'innocence dans son propre logiciel

Et au-dessus de son immeuble il n'y a pas souvent d'arc-en-ciel

À l'âge où les autres jouent, lui il se défend

Au milieu du désordre il n'a plus le temps d'être un enfant

Sombre le monde quand on voit qu'une seule partie

Il ne sait pas dire à quel point il souffre

Sur le chemin il a croisé des navires

Qui sont tombés bien trop bas dans le gouffre

Il n'compte plus les heures seul

On lui a dit juste "tais-toi et bouffe"

Dans la cité rien ne lui glace le sang

Pour lui il n'y a ni après ni avant

Il n'a pas connu l'état d'être enfant

Et il n'compte plus les heures seul

Tais-toi et bouffe


Il regarde son décor s'enfoncer dans la peur

Il y a des cris dehors, il connait ça par cœur

À 20 minutes de chez lui, les beaux quartiers s'allument

Lui n'a connu qu'la misère et ses reflets dans l'bitume

Son espoir s'est usé dans une cage d'escalier

Sa part d'ange s'est fanée au 14ème palier


À trainer avec les grands, il en perd son âge

Il est presque né violent, c'est pas un personnage

Son père est trop absent, sa mère est dépassée

Il passe le temps à faire le guet devant le bâtiment C

Avant d'apprendre à sourire, il a appris à mordre

Il est parmi tant d'autres un enfant du désordre

(Enfant du désordre)


La violence est une rancœur qu'on a laissé grandir

Une colère prisonnière qui ne veut plus partir

Les enfants du désordre ne savent que se défendre

La société les juge avant de les entendre

Tais-toi et bouffe


Il regarde son avenir s'enfoncer dans l'impasse

Aucun projet en vue, les questions qui s'entassent

Il regarde la vie des autres pour oublier ses drames

Sa vie à lui ne ressemble pas aux stories d'Instagram

Il n'est pas malheureux puisqu'il ne cherche pas le bonheur

À qui la faute s'il n'a pas les mêmes chances qu'ailleurs


La faute à sa cité, la faute à pas d'chance

La faute au manque d'argent, la faute à la France

La faute au manque d'illusion, au fatalisme rampant

La faute à l'état français qui ferme les yeux depuis 30 ans

La faute au manque d'horizon, la faute aux grilles tout autour

Au manque de considération, la faute au manque d'amour

Au manque d'amour


La violence est une rancœur qu'on a laissé grandir

Une colère prisonnière qui ne veut plus partir

Les enfants du désordre ne savent que se défendre

La société les juge avant de les entendre

Tais-toi et bouffe

Tout d’abord, au niveau de la structure, le slam commence par 33 secondes d’introduction sur lesquelles le slameur enchaine avec deux couplets. En ce qui concerne le slam, chacun contient six vers. Après ces deux premiers couplets, les deux suivants sont consacrés à la chanteuse. On suit cette même structure tout au long de l’œuvre. Dite avec conviction, « tais-toi et bouffe » est la phrase la plus reprise de cette chanson et va d’ailleurs la conclure. Elle fait référence au manque d’écoute par rapport aux enfants des banlieues.

Ensuite, on remarque beaucoup de rimes riches : bien/combien ; escalier/palier, drame / instagram, etc. On peut observer de nombreuses figures de style également telle que des comparaisons : « à l'heure de faire ses devoirs, il pense à faire de l'argent » ou des métaphores : « Et au-dessus de son immeuble il n'y a pas souvent d'arc-en-ciel ». Ce texte présente aussi quelques antithèses : « Avant d'apprendre à sourire, il a appris à mordre ». De plus, on remarque des personnifications : Il regarde son avenir s'enfoncer dans l'impasse ». Enfin, on observe des anaphores avec la répétition au dernier couplet slamé de « la faute à … ». Cela permet entre autres d’ajouter du dynamisme au texte.

Personnellement, j’aime beaucoup ce titre. En plus de la composition musicale et textuelle très réussie, je la trouve très percutante. La musique et le rythme sont assez présents, cela permet d’appuyer les mots et de rendre la composition finale plus entrainante. Je trouve en effet que l’instrumental et le mixage sont très bien faits et permettent d’apporter un univers à la chanson. De plus, le contraste entre la voix posée de ténor de Grand Corps Malade et celle plus aigüe d’Alicia, ajoute davantage de dynamisme et de respirations au morceau. Ce duo permet donc d’apporter un côté original et d’assimiler mieux les paroles grâce à la voix de la chanteuse qui marque une forme de pause dans le texte plus condensé. Enfin, je trouve qu’on sent que c’est une thématique qui les touche et qu’ils veulent défendre. J’apprécie le fait qu’ils aient pu réaliser une œuvre techniquement réussie derrière laquelle un message cherche à être compris.

Pour conclure, je trouve que ce titre, mélangeant slam et chant, est assez puissant. Tout d’abord au niveau de son rythme, mais aussi par ses phrases courtes et réfléchies et la voix des deux artistes. Le côté percutant est également présent à travers le message engagé que cette chanson délivre. En effet, leur voix dénonce de manière poétique les inégalités qu’il y a au sein des quartiers défavorisés.


Notes de bas de page

308 Humanium, « concrétiser les droits de l’enfant en France » sur https://www.humanium.org/fr/france/ , consulté le 08-01-21


309 Europe 1 « EXTRAIT - Quand Grand Corps Malade revient sur les inégalités sociales en banlieue » publié le 18-09-2020 et regardé le 02-06-2021 sur https://www.youtube.com/watch?v=R0cefxkNRt0



Bibliographie