1) Définition
Le Trouble Disruptif avec Dysrégulation Emotionnelle (TDDE) se caractérise par la présence de crises de colères répétée, associées à une humeur irritable persistantes entre les crises.
2) Origines
Le TDDE est une nouvelle entité diagnostique apparue dans le DSM 5ème version, édité en mai 2013. Le TDDE est classé parmi les troubles dépressifs.
Le DSM est un manuel édité par l’Association Américaine de Psychiatrie qui recense tous les différents troubles psychiatriques (par exemple : la dépression, les troubles anxieux…) ainsi que les critères diagnostiques qui permettent de poser le diagnostic.
Ce nouveau diagnostic a été ajouté à la dernière version du DSM 5 afin de pouvoir mieux identifier et prendre en charge les enfants présentant une irritabilité chronique. En effet ces enfants recevaient, jusqu’à présent, le plus souvent le diagnostic de trouble bipolaire. La prévalence du trouble bipolaire en population pédiatrique a ainsi explosé ces dernières années notamment aux USA où l’incidence a été multipliée par 40 entre 1993 et 2003 (Moreno et al, 2007).
Cette explosion du diagnostic de trouble bipolaire chez les enfants s’accompagne souvent par la prescription d’un traitement médicamenteux, peu ou pas étudiés en population pédiatriques, parfois inadapté et aux effets secondaires non négligeables (60% de ces enfants recevaient un traitement médicamenteux, dont près de la moitié comprenait un neuroleptique !).
Un peu d'histoire...
Avant de « créer » ce diagnostic de TDDE, un autre diagnostic avait été proposé par le NIMH (National Institute of Mental Health): le « SMD » pour « Severe Mood Dysregulation Disorder ». Les critères étaient globalement similaires à ceux du TDDE, mais on note deux différences :
- l'âge seuil a été abaissé de 12 à 10 ans dans le TDDE
- le critère « hyperexcitabilité » présente dans le SMD n'a pas été retenu dans le TDDE
Ces modifications ont été apportées pour faciliter la distinction avec le TDA/H.
Si le TDDE a été reconnu dans la classification américaine (DSM5), il n'a toutefois pas été reconnu dans la CIM-11 (Classification Internationale des Maladies, 11e version) qui est éditée par l'OMS.
3) Présentation et symptomatologie :
Il faut penser au diagnostic de TDDE chez un enfant qui présente :
· Une humeur irritable – colérique de façon chronique +++
· Des crises de colères jugées excessives : sévères et récurrentes
Et ne correspondent pas au niveau de développement de l’enfant
· ces crises surviennent au moins 3x/semaine en moyenne
· les troubles doivent avoir débuté avant l’âge de 10 ans
· Durée des troubles > 1 an (sans intervalle libre de plus de 3 mois)
Ce diagnostic ne peut être porté que chez un enfant âgé entre 6 et 18 ans.
Pour que le diagnostic soit retenu, les symptômes doivent entrainer un retentissement dans au moins deux domaines de la vie de l’enfant parmi : l’école, la maison, les relations avec les pairs. Il faut également que ce retentissement soit jugé sévère dans au moins un domaine sus-cité.
Par ailleurs ce diagnostic ne peut pas être porté chez un enfant qui présente :
· des épisodes maniaques ou hypomaniaques, s’intégrant dans le cadre d’un trouble de l’humeur bipolaire
· un trouble explosif intermittent (TEI°
· un Trouble Oppositionnel avec Provocation (TOP)
Si un enfant présente à la fois des caractéristiques de TDDE et de TOP ou de TEI : on retient seulement le diagnostic de TDDE
4) Epidémiologie
Il existe plusieurs données en fonction des sources et des populations étudiées.
La prévalence du TDDE est estimée de 1 à 10% des enfants selon les études.
Etudes :
- Mayes et al. (mars 2016) : 1,4% à 9,2% des enfants de 6 à 12 ans, en fonction du seuil de sévérité des symptômes.
- Dougherty et al. (2014) : 8% des enfants de 6 ans remplissent les critères du DSM5
- Copeland et al. (2013) estimait la prévalence à 1% parmi les enfants de plus de 6 ans.
5) Comorbidités et diagnostics différentiels ?
o Anxiété et dépression :
Le TDDE est classé parmi les troubles dépressifs !
Si mon enfant a un TDDE, est ce que ça veut dire qu’il est déprimé ?
Les symptômes dépressifs ne font pas partie des critères du TDDE.
Par contre plusieurs études ont montré que le fait d’avoir une irritabilité chronique dans l’enfance augmentait le risque de présenter une dépression ulterieure.
- Etude de Leibenluft et al. en 2006 : 2,3 fois plus de dépression dans le groupe d’enfants présentant une irritabilité chronique (suivi sur 9 ans)
- Etude de Brotman et al. en 2006 : chez des enfants présentant un SMD (cf plus haut) suivis sur 20 ans, la survenue d'une dépression était 7,2 fois plus fréquente
- Etude de Stringaris et al. En 2009, sur une cohorte de 631 enfants suivis sur 20 ans : survenue d'une dépression était 1,3 fois plus fréquente dans le groupe d'enfants avec irritabilité chronique
et survenue d'un trouble anxieux 1,7 fois plus fréquente
- Dans une étude menée sur une cohorte de 61 enfants avec un TDDE, on retrouvait des critères de dépression chez 37,3% d’entre eux (Mayes et al., 2016)
Et des critères de troubles anxieux chez 26,2% d’entre eu.
o TDA/H
Le TDA/H est une comorbidité importante chez les enfants TDDE : jusqu’à 86% (Galenter, 2008) des enfants TTDE présentent un TDA/H.
Une autre étude (publiée en 2016 par Mayes et al.) retrouvait jusqu’à 65,6% de TDAH dans une cohorte d’enfants avec un TDDE.
o TOP = Trouble Oppositionnel avec provocation
La distinction entre TDDE et TOP fait l'objet d'un débat...
En effet, on rappelle que le TDDE n'a pas été retenu dans la Classification internationale des maladies (CIM)-11erévision, qui souhaitait plutôt le faire apparaître comme un sous-type de TOP.
Rappel : Dans le DSM 5, il est précisé que si un enfant remplit à la fois les critères du TOP et du TDDE, on retiendra le diagnostic unique de TDDE.
Si on compare les critères de ces deux entités diagnostiques, on peut noter certaines différences :
- en termes de durée : les troubles doivent évoluer depuis au moins un an dans le TDDE, alors que 6 mois sont suffisants dans le TOP
- fréquence : il doit y avoir au moins 3 crises par semaine en moyenne pour poser le diagnostic de TDDE, alors qu'une crise par semaine suffit dans le TOP
- Enfin, le TDDE implique un retentissement fonctionnel dans au moins 2 domaines sur trois (parmi école, famille, relations avec les pairs), et que ce retentissement soit dont sévère dans au moins un domaine. Le retentissement fonctionnel ne figure pas dans les critères du TOP.
Par ailleurs on retrouve fréquemment les symptômes du TOP chez des enfants avec un TDDE.
- Etude de Mayes et al. en 2016 :
Chez 61 enfants TDDE, 91,8% remplissaient les critères du TOP
et 66% des enfants ayant un TOP avaient des symptômes de TDDE
- Etude de Copeland en 2013
70% des enfants TDDE remplissaient les critères du TOP
Et <40% des enfants TOP remplissaient les critères du TDDE
6) Prise en charge et traitement?
· Ce diagnostic est nouveau et récent, et donc aucun essai clinique fiable n’a été mené à ce jour.
On peut extrapoler des prises en charge à partir des études menées sur des troubles qui présentent le même critère principal d’inclusion que le TDDE (par exemple des études qui ont porté sur l’agressivité, ou le Trouble Oppositionnel avec Provocation)
· Des pistes de prise en charge :
Ø Les interventions psychosociales
Le « Positive parenting »
Son efficacité a été démontrée dans l’opposition
- surtout chez les plus petits (étude de Scotto, 2012)
- chez les adolescents les résultats sont plus limités, il semblerait qu’il vaut mieux se tourner vers une Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC) individuelle.
Le « Positive Parenting » pourrait se traduire par « des méthodes de parentalité positives ».
Par exemple, le Positive Parenting implique le respect mutuel, la création d'un environnement sécurisant pour l'enfant, avoir des attentes réalistes de la part de l'enfant...
Ø Le methylphénidate (RITALINE©, QUASYM©, CONCERTA©, MEDIKINET©).
Le methylphénidate est un médicament validé dans la prise encharge du TDA/H.
Il n’a jamais été testé spécifiquement dans le TDDE, mais des études suggèrent qu’il pourrait améliorer la régulation émotionnelle, couplé à des interventions type thérapie comportementale.
Etudes :
- Des méta-analyses ont montré des effets modérés à importants des stimulants sur l’agressivité chez enfants avec TDA/H, aussi bien que chez ceux sans TDA/H (Connor 2002, Pappadopulos 2006)
- Une autre étude (Klein, en 2007) a également montré un effet bénéfique sur l’agressivité chez des enfants avec un trouble des conduites même en l’absence de TDA/H comorbide
- Par ailleurs, le methylphénidate diminue l irritabilité chez les enfants TDA/H (étude de Fernandez de la Cruz et al. 2015)
Ø Le valproate de sodium (DEPAKINE©)
Le valproate de sodium est un médicament antiépileptique qui est aussi couramment utilisé en régulateur de l’humeur (dans le trouble bipolaire).
Il n’a pas été testé à grande échelle dans le TDDE, mais des essais ont été faits sur de petites cohortes de patients, et pour lesquels les résultats sont également prometteurs.
Etudes menées :
- Donovan, en 2000 : sur 10 adolescents traités par valproate, 8 ont connu une diminution de l’hostilité / colère et des crises de rage.
10 autres patients recevaient un traitement placebo, et aucune amélioration n’a été constatée chez ces derniers.
- Blader et al., en 2009: couplé à une thérapie comportementale, le valproate a permis de réduire l’agressivité chez des enfants avec un TDA/H.
Ø Les antipsychotiques atypiques (ou APA)
Les antipsychotiques atypiques sont aussi appelés « neuroleptiques ». Leur indication est large en psychiatrie, car se sont des molécules réunissant plusieurs propriétés (sédatives, régulateurs de l'humeur, anti délirante...)
Les APA sont parfois employés dans l'autisme, et une diminution de l’irritabilité chez enfants autistes a été montrée dans certaines études (Arnold et al. 2003; Shea et al. 2004; Marcus et al. 2009; Owen et al. 2009)
On peut citer comme molécule la risperidone (RISPERDAL©), qui a été utilisée dans plusieurs études en pédiatrie :
- dans une étude menée sur des enfants hospitalisés, la risperidone a permis de raccourcir la durée des colères (Carlson 2010)
- D’autre part, la risperidone a montré une efficacité supérieure au placebo dans la réduction de l’agressivité (méta analyse de Scotto et al., 2012 )
- Mais aucune étude n’a été menée pour évaluer l’effet de la rispéridone chez les enfants avec dysrégulation émotionnelle.
Un essai non contrôlé de la rispéridone dans le SMD avait montré une réduction de l’irritabilité, des symptômes du TDA/H et des symptômes dépressifs (Krieger 2011)
Note : Il est important de se rappeler que même si les APA pourraient améliorer les symptômes du TDDE (dont irritabilité ou agressivité) leur emploi reste limité par leurs effets secondaires.
En effet les APA peuvent entraîner une prise de poids, des anomalies du métabolisme lipidiques ou glucidique (augmentation du cholestérol ou des triglycérides, diabète...), des anomalies neurologiques, et des troubles de la conduction cardiaque.
C'est pourquoi leur emploi doit rester prudent, et la balance bénéfice attendu / risques potentiels doit toujours être étudiée avant leur prescription.
Au final on rappelle qu'il n'existe aucune recommandation officielle à ce jour concernant la prise en charge du TDDE.
Les stratégies thérapeutiques envisagées sont dérivées des résultats des études menées sur des enfants présentant des symptômes similaires au TDDE : irritabilité, crises de colère...
Les pistes intéressantes semblent être :
- En première étape le methylphédinate, car il semble réduire l'agressivité et l'intolérance à la frustration chez les enfants, avec peu d’effets secondaires.
- l'ajout d’interventions psychosociales, dont des programmes de guidance parentale pour les plus jeunes enfants et une prise en charge en TCC individuelle pour les plus grands
- Enfin, en cas d'amélioration insuffisante malgré le methylphénidate et les interventions psychosociales, on pourrait envisager au cas par cas le valproate de sodium ou un APA, mais en pesant la balance bénéfice / risque, et en gardant à l'esprit leurs possibles effets secondaires.